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CHAPITRE V ANXIETE ET COPING

1 L’anxiété

Spielberger, (1976, 1983, 2006) considère l’état d’anxiété comme un état émotionnel caractérisé par une sensation subjective de tension. Cet état est souvent accompagné d’idées

d’appréhension, de panique et/ou de préoccupation et associé à une activation du système nerveux autonome (augmentation du rythme cardiaque, de la pression sanguine, de la respiration et de la tonicité musculaire). L’expérience subjective d’anxiété est souvent associée à des comportements particuliers, comme des perturbations du langage, évitement d’un objet ou d’une situation, expressions de crainte et immobilisation totale (Kowalski, 2000). L’anxiété a été liée à des phénomènes externes et internes au sujet qui perturbent l’équilibre de celui-ci avec son environnement. Bien que l’anxiété (ou angoisse), soit considérée comme une émotion entraînant du déplaisir, elle n’est considérée comme pathologique qu’à partir du moment où elle inhibe les programmes d’action du sujet (Bourguignon & Pedinielli, 2000).

Le concept de « peur » est souvent utilisé pour définir l’anxiété. Même si ces termes sont souvent utilisés de manière aléatoire, ils sont différents. La peur est une réponse à un danger clairement identifié, tandis que l’anxiété est une réponse à une menace non identifiable, ou à l’anticipation d’un danger. La phobie est définie, quant à elle, comme une anxiété excessive face à un stimulus particulier. L’anxiété peut avoir un effet délétère sur les comportements et les cognitions. Cependant, comme d’autres émotions, l’anxiété peut avoir un caractère adaptatif, notamment en cas de danger réel pour la survie du sujet (Kowalski, 2000).

Les symptômes d'anxiété sont parmi les plus fréquents chez l’adolescent. Le rôle des aspects environnementaux dans le développement des pathologies d’origine anxieuse est aujourd’hui indéniable (Marra, Dimitrescou, & Garel, 2000). Comme à d’autres âges de la vie, l’anxiété peut apparaître à l’adolescence comme le centre d’une souffrance psychique, comme la caractéristique majeure d’un trouble (angoisse ou troubles de la séparation, troubles phobiques, anxiété généralisée, etc.). La classification diagnostique DSM-IV TR répertorie une douzaine de diagnostics différents sous le label de « troubles anxieux » : attaque de panique, phobies spécifiques, phobie sociale, état de stress post-traumatique et anxiété généralisée.

1.1. Anxiété-état et anxiété-trait

L’expérience de l’anxiété est ressentie de manière différente selon les personnes. Alors que certaines se sentent fréquemment anxieuses, d’autres ne ressentent que rarement de l’anxiété.

La distinction entre état d’anxiété et trait d’anxiété représente un approfondissement dans la compréhension de cette émotion (Spielberger, 2006).

L’anxiété-état se réfère à un sentiment temporaire d’anxiété dans une situation donnée (« je me sens anxieux »). L’anxiété-trait, quant à elle, reflète la tendance ou la prédisposition de certaines personnes à évaluer le danger à travers le filtre de l’anxiété, sans rapport direct à une situation donnée. Les réponses à ces situations seront donc des comportements anxieux (« je suis une personne anxieuse »). Le trait anxieux ne signifie pas que la personne est chroniquement anxieuse, mais qu’elle a une plus forte tendance à vivre les situations de manière anxieuse (Spielberger, 1976, 2006). Une troisième catégorie, l’anxiety sensitivity, est définie comme la peur envers des sensations ou des symptômes corporels liés à l’anxiété. La psychologie cognitive met l’accent sur le processus d’évaluation de la réalité (appraisal

theories). Celui-ci implique deux étapes : la première consiste à évaluer la menace dans

l’environnement ; la seconde à évaluer la capacité individuelle à faire face à la demande imposée par l’environnement. Dans cette recherche, nous nous intéressons principalement aux aspects en lien avec la réaction de l’individu. Des prédispositions génétiques, les expériences infantiles, les événements de vie négatifs, certains processus d’information et de cognition contribuent à la création et au maintien de l’anxiété (Kowalski, 2000).

1.2. Évaluation de l’anxiété

L’anxiété a été évaluée à travers des questionnaires auto-rapportés (self-report), des observations du comportement, ainsi que des mesures physiologiques. Les mesures de self-

report peuvent être divisées en trois catégories : 1) le trait anxieux ; 2) l’état anxieux ; 3) la

situation spécifique (anxiété sociale). Un des instruments les plus couramment utilisés en tant que mesure de self-report est le State-Trait Anxiety Inventory (STAI, Spielberger, 1983). Cet instrument demande aux participants de répondre à 20 items, en indiquant l’intensité de l’anxiété de chaque expérience17.

17 Cet instrument est utilisé dans l’étude III, une description exhaustive est effectuée dans le chapitre Méthode, Etude III.

1.3. Anxiété et consommation de cannabis

Plusieurs auteurs ont montré la relation entre les troubles anxieux et la consommation de substances psychoactives (Chinet, et al., 1998 ; Boyle & Offord, 1991 ; Hüsler et al., 2005 ; McGee et al. 2000 ; Miller et al., 1996 ; Miocque et al., 2003 ; Segal & Stewart, 1996 ; Wittchen, Frohlich, Behrendt, Gunther, Rehm, Zimmermann, et al., 2007), mais la littérature expliquant les mécanismes sous-jacents à la relation entre anxiété et consommation ou dépendance au cannabis reste pauvre (Buckner et al., 2007).

Quelques études ont déjà signalé l’anxiété comme étant un facteur interne à l’individu en lien avec la consommation régulière de substances psychoactives (Buckner et al., 2007 ; Bukstein, Brent & Kaminer, 1989 ; Degenhardt, 2002 ; Kokkevi & Stefanis, 1995 ; Laure et al., 2005 ; Neighbors, Kempton, & Forehand, 1992 ; Poherecky, 1991). De même, d’autres études ont mis en évidence la relation entre la consommation de cannabis et les troubles anxieux (Hüsler

et al., 2005 ; McGee et al. 2000 ; Miocque et al., 2003). L’anxiété sociale a également été

mise en avant en ce qui concerne les relations entre cannabis et anxiété (Buckner et al., 2005). Ces auteurs ont réalisé une étude auprès de jeunes adultes de sexe féminin, dans le but d’analyser les relations entre consommation de cannabis, anxiété et coping. Les résultats montrent que la consommation de cannabis est associée à l’anxiété sociale, mais n’est pas associée aux troubles anxieux. Ces résultats ont été confirmés auprès d’une population de 700 adolescents des deux sexes (Arehart-Treichel, 2007).

Certains chercheurs se sont demandé si les troubles anxieux étaient à l’origine d’une consommation pathologique, ou au contraire, si la consommation pathologique était à l’origine de l’installation de troubles anxieux. Des données empiriques montrent que ce lien existe dans un sens comme dans l’autre. Pour les jeunes adolescents, les troubles anxieux peuvent être considéré comme un facteur de risque pour la consommation de cannabis, tandis que pour les plus âgés, la consommation peut être considérée comme un facteur de risque de développement de troubles anxieux (McGee et al. 2000 ; Miller et al., 1996).

Afin de mieux comprendre la relation entre la consommation de substances psychoactives et l’anxiété, des chercheurs ont utilisé les différentes mesures d’anxiété : l’anxiété-TRAIT,

anxiété-ETAT et l'anxiety sensitivity. Norton (2001) montre dans une revue de la littérature,

que certaines études signalent que l’anxiety sensitivity est un bon prédicteur de la consommation de substances psychoactives, y compris du cannabis. Une recherche réalisée

auprès de 508 adolescents scolarisés et non scolarisés (filles et garçons, âge moyen 15 ans) a mis en évidence qu’un haut niveau d’anxiety sensitivity augmentait significativement la consommation de substances psychoactives, notamment d’alcool et de tabac, mais qu’elle est associée plutôt à l’évitement de la consommation de cannabis (Comeau et al. 2001). Ceci est expliqué par le fait que les effets du cannabis peuvent ressembler à certains symptômes de troubles anxieux, notamment les attaques de panique (Buckner et al., 2007 ; DeHaas, Calamari, Bair, & Martin, 2001 ; Taylor, 1999).

Selon d’autres travaux la consommation de cannabis se trouve plutôt liée à l’anxiété-TRAIT plutôt qu’à l’anxiété-ETAT (Tournier, Sorbara, Gindre, Swendsen, & Verdoux, 2003 ; Patton, Coffey, Carlin, Degenhardt, Lynskey, & Hall, 2002). Une étude portant sur les liens entre l’abus de substances psychoactives, l’estime de soi et l’anxiété met en évidence un lien significatif entre la consommation de cannabis et la mauvaise estime de soi, ainsi qu’un lien significatif avec l’anxiété-TRAIT, même si l’estime de soi et l’anxiété ne sont pas liées entre elles (Taylor & Del Pilar, 1992).

Les conclusions de ces travaux vont dans le sens de l’approche appelée « tension reduction

theories » (Cappel & Greeley, 1987 ; Poherecky, 1991 ; Wills et al., 2001b), selon laquelle

l’utilisation de substances psychoactives vise à réduire un état de malaise, d’anxiété ou de tension péniblement supportable pour le sujet. De ce point de vue, la consommation de substances psychoactives est une stratégie visant à apaiser la tension provoquée par une situation anxiogène.