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CHAPITRE II LE CANNABIS

10. Approches explicatives de la dépendance aux substances psychoactives

10.4. Approches cognitives

Les approches basées sur la psychologie cognitive s’intéressent, entre autres, aux motivations menant l'individu à utiliser des substances psychoactives. Selon ce modèle, la motivation à

consommer une substance générant une dépendance physique serait de deux types (Beck, 2004). Dans un premier temps, la consommation est motivée par la recherche du plaisir que la substance procure ; dans un deuxième temps, elle est motivée par une recherche de soulagement des symptômes de manque.

Les théories de la personnalité et de la motivation proposent également la notion de self comme concept-clef afin de comprendre différents processus pathologiques tels que la consommation de substances. Le self concerne tout ce que la personne considère comme lui appartenant (pensée, sentiments, relations interpersonnelles, actions), ainsi que la capacité de se prendre soi-même comme objet d’observation (Kirouac, 1993). Le schéma du self s’organise, selon Deckers (2001), autour de différents domaines : l’apparence, la performance, l’interaction sociale avec les autres, etc. Les représentations que le sujet se fait de lui-même peuvent être en décalage avec celles que les autres lui renvoient (Kirouac, 1993), et provoquer une désorganisation interne que nous pourrions appeler « crise de soi ». Le sentiment d’anxiété, d’échec, de tristesse, conséquence de ce décalage, pourrait engendrer une motivation à chercher un soulagement dans la consommation d’une substance.

Les conclusions des travaux menés dans cette perspective, vont dans le sens d’une consommation de substances comme tentative de réduction des sensations désagréables ou de sentiments négatifs, telle la tristesse, la colère, etc. (Rabois & Haaga, 2003). L’effort d’autorégulation de l’humeur est reconnu comme un élément central dans le comportement humain au quotidien (Thayer et al., 1994). Au cours des années 80, différents travaux ont montré que les individus sont sensibles aux changements de leur état d’humeur. Ces changements sont évalués constamment, notamment avant de prendre des décisions importantes (ibid.). Ces études montrent que la consommation de drogues est utilisée comme une stratégie pour combattre la mauvaise humeur par des individus ayant une personnalité plutôt introvertie.

L’étude de l’anxiété et de la gestion du stress, c’est-à-dire la manière dont l’individu fait face aux situations anxiogènes, est aussi considérée comme un sujet incontournable dans l’étude de la consommation de drogues (Robertson, 2003) et en particulier la consommation de cannabis (Butters, 2001 ; Compas et al., 2001). Le « stress-coping model » (Wills & Cleary, 1995 ; Wills, Vaccaro, & McNamara, 1992) présente en particulier la consommation de cannabis comme un moyen de réduire le stress, à la manière d’une stratégie de coping. Cette perspective nous a paru indiquée pour étudier le phénomène de la consommation et la

dépendance au cannabis dans la réalisation de cette étude. Un développement plus exhaustif de cette approche est présenté au chapitre « anxiété et stratégies de coping ».

En guise de conclusion, nous constatons que les différentes approches citées ont pour dénominateur commun de considérer que la consommation de cannabis (en particulier la consommation régulière) est utilisée comme un moyen de soulager un état de tension ou d’anxiété provoqué par une crise interne ou par une incapacité à gérer les situations anxiogènes externes. Il y a un déficit de recours aux ressources (internes ou externes) du sujet et l’utilisation de la substance joue un rôle palliatif pour écarter les sensations déplaisantes. La consommation soutenue de cette substance « anesthésie » le sujet et retarde son développement.

Résumé

Une revue de la littérature concernant la consommation de cannabis nous permet de rassembler un certain nombre d’informations partagées par la majorité des chercheurs :

- Les études montrent que la consommation de cannabis a augmenté pendant les vingt dernières années, qu’elle commence de plus en plus tôt et qu’elle touche en particulier les adolescents.

- Bien que les effets directs d’une consommation ponctuelle soient décrits comme des sensations liées à la détente, au plaisir, les effets d’une consommation intense et à long terme comportent des conséquences négatives sur le développement psycho-social de l’individu. Certains auteurs affirment que la baisse de motivation, la réduction des capacités de concentration et le ralentissement des réflexes entraînent une baisse des performances dans les apprentissages ; le réseau social des consommateurs chroniques se restreint et s’appauvrit de manière significative.

- Concernant les raisons du début de la consommation, certains auteurs pensent que les caractéristiques propres au processus de l’adolescence seraient à la base d’un intérêt pour la consommation de cette substance (recherche de sensations, de détente, curiosité, recherche d’affirmation, influence des pairs). D’autres auteurs associent

plutôt la consommation de cannabis à l’existence de troubles psychologiques tels que les troubles anxieux ou les troubles de l’humeur.

- Certaines recherches ont mis en lien la consommation de cannabis avec l’apparition de symptômes de psychoses débutantes. Cette consommation aggrave la prédisposition d’un individu à développer cette pathologie, mais aucun lien causal ne peut être avancé.

- Le cannabis est considéré par certains auteurs comme une drogue d’escalade ou porte d’entrée vers une poly-consommation de substances psychoactives. Pourtant cette hypothèse n’a pas été confirmée par toutes les études.

- Certains auteurs pensent qu’il convient de distinguer les différents types de consommation : la consommation « festive » et « ponctuelle » de la consommation « chronique » ayant une fonction auto-thérapeutique ou anesthésique.

- La dépendance physique au cannabis constitue encore une question pour les chercheurs. Bien que certains d’entre eux trouvent quelques preuves de l’existence d’un syndrome de sevrage, les différentes études ne sont pas concluantes. Néanmoins, il existe un consensus pour affirmer l’existence une dépendance psychique à cette substance.

En revanche, il apparaît que la plupart des travaux concernant la consommation de cannabis se concentrent davantage sur les effets immédiats de cette consommation que sur l’impact qu’elle peut avoir sur le développement. De plus, les quelques études se concentrant sur cet aspect sont encore peu nombreuses et n’ont pas exploité toutes les dimensions de ce phénomène.

Il n’existe pas toujours dans ces travaux, une distinction claire entre les différents types de consommation que celle-ci soit récréative ou dépendante. De même, il convient de distinguer les raisons qui mènent un adolescent à goûter à une substance de celles qui mènent à l’utilisation compulsive de cette substance. Dans la description des facteurs de risque, cette distinction n’apparaît pas toujours de manière claire dans la littérature.

La théorie de l’escalade doit être relativisée. En effet, la banalisation de la consommation de cannabis entraînant une généralisation de ce comportement, révèle que cette théorie ne peut être considéré comme valable dans une majorité de situations. L’augmentation de la

consommation de cannabis dans la population occidentale n’a pas pour autant entraîné une augmentation de la poly-consommation de drogues y compris celle des drogues « dures ». Les études sur la consommation de drogues en général considèrent souvent les différents aspects du contexte de vie (famille, pairs, école, etc.) comme des facteurs de risque de la consommation. Cependant, les relations entre ces aspects et le phénomène de dépendance sont souvent traité de manière superficielle et sans distinguer les différents types de substances consommés. Il est pourtant évident que la dépendance au cannabis ne peut être évalué de la même manière que la dépendance à des drogues dures.

Des troubles psychiques tels que la dépression et les troubles anxieux, ont été mis en lien avec la consommation de substances psychoactives. A nouveau, la consommation de cannabis est souvent confondue avec la consommation d’autres substances psychoactives en général et les liens mis en évidence constituent une information sur la comorbidité de ces troubles sans que soient établi des rapports prédictifs ou causals.

Parallèlement, nous remarquons à travers les études traitant de la consommation de cannabis, qu’il n’existe pas toujours une distinction claire entre les différents types de consommation et les effets cherchés par les consommateurs eux-mêmes. Il est pourtant essentiel de distinguer une consommation récréative d’une consommation compulsive, ceci afin de mieux étudier les mécanismes qui mènent à une consommation dépendante.