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P RESENTATION DE L ’E TUDE Q UALITATIVE

A. P RINCIPE DE LA METHODE QUALITATIVE

5. La relation médecin-patient en situation de précarité

Quelle que soit la perception que les médecins ont de leurs patients précaires, tous expriment leur volonté d’agir au mieux pour le bien du patient. Ceci se fait fréquemment au prix d’un investissement important en temps et même financier quand ils évoquent les actes gratuits. Cet investissement leur semble malheureusement souvent vain, et il leur arrive de se sentir blessés par l’absence de retour adapté à leur effort et le manque de reconnaissance.

Les déterminants influençant la relation médecin-patient sont nombreux et peuvent affecter in

fine l’état de santé de nos patients (2). Dans le cas de la prise en charge des patients en

situation de précarité, ils nous paraissent avoir une spécificité intéressante à étudier en vue d’essayer d’améliorer les prises en charge.

L’analyse par mots-clés de l’étude quantitative a permis de mettre en évidence un certain nombre de représentations que les médecins ont de la précarité, pouvant être de nature à altérer la communication entre le médecin et son patient. L’analyse des entretiens avait pour objectif de mieux comprendre ces interactions. Par le recueil des expériences rapportées par les médecins interrogés, nous avons pu préciser ces représentations de la précarité.

Au travers de plusieurs exemples de situations, nous pouvons essayer d’approfondir les problématiques entrant en jeu.

a) L’hygiène

Plusieurs médecins évoquent l’exemple de la visite à domicile rendue difficile lorsque le patient vit dans un logement insalubre dans des conditions d’hygiène parfois désastreuses. Ils expliquent avec honnêteté qu’il leur arrive de ne pouvoir mener à bien l’examen clinique, ce qui rend plus difficiles les décisions thérapeutiques.

Il parait difficile d’envisager pouvoir améliorer l’état d’hygiène de tous nos patients, mais le simple fait de prendre conscience des freins qu’il peut représenter lors de la prise en charge d’un patient, pourrait permettre de les minimiser.

136 b) Les problèmes de comportement

Les médecins peu confrontés à la précarité expriment leur incompréhension face à certains comportements répétés de leurs patients qu’ils considèrent en partie responsable de leur mauvais accès aux soins.

Ils donnent quelques exemples de situations générant des sentiments d’échec et de frustration. Ils mentionnent ainsi par exemple le fait que certains patients abusent de la générosité du médecin qui accepte de pratiquer des actes gratuits, ou l’agressivité parfois manifeste d’autres patients qui menacent de poursuite en justice si le médecin ne se déplace pas en visite.

Les médecins expriment également leur incompréhension face à certains comportements de patients qui bénéficient d’aides par rapport à des difficultés financières, et ne mettent pas la santé en priorité alors qu’ils s’autorisent d’autres dépenses (« dernière console »). Les patients leur apparaissent responsables de leurs difficultés et de leurs choix.

Ces comportements sont constamment rapportés aux milieux sociaux défavorisés dont sont fréquemment issus les patients bénéficiaires de la CMU. Certains précisent en effet que cette difficulté n’est pas retrouvée lorsque les patients se retrouvent bénéficiaires de la CMU suite à un évènement de vie, alors qu’ils n’avaient pas de difficultés financières jusque-là.

c) Les difficultés de suivi

Les difficultés rencontrées dans le suivi des patients concernent surtout les « gens du voyage » d’après les témoignages des médecins. Ils expliquent qu’il leur est difficile d’assurer le suivi des maladies chroniques ou de l’état vaccinal des enfants particulièrement. Ils évoquent à cette occasion l’intérêt du dossier médical partagé qui permettrait une prise en charge plus coordonnée des différents médecins intervenant.

Selon un rapport de l’Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé (INPES) publié en 2007, les gens du voyage, qui constituent une population de quatre cent mille personnes en France, présentent un plus mauvais état de santé que la population générale. Leur espérance de vie serait de quinze années inférieure en moyenne (45). Les activités économiques traditionnellement pratiquées par les gens du voyage ne permettent plus de subvenir aux besoins de la famille et la majorité d’entre eux est désormais bénéficiaire des minima sociaux. Ils accèdent aux soins, notamment par la CMU, mais l'utilisation qu'ils font du système de santé ne leur permet pas d'accéder à des soins de qualité. Ils présentent souvent des troubles dentaires, de la vue ou de l’audition non dépistés ; les conduites addictives sont aussi fréquemment retrouvées, associées à des phénomènes dépressifs et de mal-être (45). Comme l’observent les médecins interrogés dans notre étude, les gens du voyage ont un

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recours tardif aux soins. Ils attendent souvent de vivre des situations critiques pour faire appel à un médecin ou se rendre à l’hôpital.

« Leur rapport à la santé peut alors apparaître comme de la négligence et le non-souci de soi. En fait, il s'agit d'une rupture vis-à-vis de la médecine et des complications dues aux déterminants socio-éducatifs et au vécu de ces familles. »

Ce rapport mentionne enfin un travail effectué dans l’agglomération de Rouen ayant permis d’améliorer la couverture vaccinale de cette population. « Pour parvenir à ces résultats, les professionnels de santé eux-mêmes ont dû modifier les représentations - souvent négatives - qu'ils avaient de ces populations. » (45)

d) Le rôle du médecin généraliste

Les médecins ne sont pas tous unanimes sur la définition du rôle du médecin généraliste. Ces désaccords concernent surtout les rapports aux travailleurs sociaux. Certains médecins considèrent qu’appeler l’assistante sociale « ce n’est pas notre rôle ». Ils le déclarent ainsi mais dans les faits, le font malgré tout puisqu’ils décrivent les difficultés qu’ils ont à le faire. Les médecins plus jeunes et en particulier le groupe de remplaçants ne se positionnent pas de la même façon, et hésitent moins à contacter les services sociaux lorsqu’ils en ont le temps. Ils ont peut-être été plus sensibilisés par leur formation à la notion de travail en réseau.

Nous pouvons reprendre l’article R.4127-50 du code de la santé publique, cité dans notre première partie, qui précise que le médecin doit « faciliter l'obtention par le patient des

avantages sociaux auxquels son état lui donne droit. »

Contacter les services sociaux lorsque cela est nécessaire, s’inscrit donc bien dans les missions du médecin. En réalité, la majorité des médecins ont bien cela en tête mais peuvent se sentir découragés lorsque les premières tentatives n’ont pas abouti.

L’importance de la facilitation et du développement du travail en réseau pluridisciplinaire revient au cœur de la problématique.

Concernant la polémique du refus de soins aux patients CMU (38), nous devons constater qu’elle n’a pas été évoquée par les médecins généralistes. Ils ont cependant cité le refus de soins par certains spécialistes.

Rappelons que l’étude menée par l’IRDES concernait des médecins installés à Paris où la démographie médicale n’est pas la même qu’en Meurthe-et-Moselle.

Le refus de soins concernait 20% des généralistes mais dont la majorité était installée en secteur 2 ; le pourcentage montait jusqu’à 38% pour certains gynécologues.

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Meurthe-et-Moselle, mais il nous semble qu’il est bien inférieur à celui de la région parisienne. Le niveau de vie plus élevé à Paris peut expliquer en partie cette différence.

Doit-on en déduire qu’aucun médecin généraliste du département ne refuse les patients bénéficiaires de la CMU ? Probablement pas. Il en résulte que cette problématique semble cependant moins prévalente en Meurthe-et-Moselle.