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UNE FIGURE MAJEURE DANS L’HISTOIRE DU NORD DE LA NOUVELLE-ESPAGNE

1.3! LA PRÉSENCE DE L’ÉGLISE EN NOUVELLE-ESPAGNE

1.3.1! Église et État en Nouvelle-Espagne

Tout d’abord, nous devons signaler un phénomène important dans le développement de l’Église hispanique, le Patronato Real, qui donne au Roi le rôle de chef de l’Église103. L’évangélisation dépend donc de la Couronne, qui limite dès le départ le nombre d’Ordres présents en Amérique à six : les Franciscains, les Mercédaires, les Dominicains, les Augustins, les Jésuites et les Capucins. Par ailleurs, le passage vers l’Amérique de membres non espagnols de ces Ordres est également limité104.

Ainsi, la présence franciscaine en Nouvelle-Espagne débute en 1523 avec l’arrivée de trois religieux, dont le célèbre Pedro de Gante105. Nous reviendrons plus avant sur les détails de leur arrivée et de leur organisation106. Les Dominicains arrivent en 1526. Après des débuts difficiles, ils s’implantent là où ne sont pas déjà installés les Franciscains : autour de Mexico, à Puebla, dans le Morelos et vers l’Oaxaca107. A partir de 1773 et pendant près de cinquante ans, ils sont également présents en Basse Californie108. La présence des Augustins, moins nombreux que les religieux des deux Ordres précédents, remonte à 1533. Leur implantation dépend de l’implantation des Franciscains et des Dominicains109. Plus tard, l’année 1572 voit l’arrivée des membres de la Compagnie de Jésus110.

A la fin du XVIe siècle, le Mexique et l’Amérique Centrale comptent déjà environ 400 monastères. De plus, la Nouvelle-Espagne s’organise en sept évêchés : Yucatán, Tlaxcala-Puebla, Chiapas, Mexico, Oaxaca, Michoacán et Guadalajara. En 1620 est fondé l’évêché de

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« Los reyes ejercieron su cometido de directores supremos de la actividad misionera interviniendo, o reservándose el derecho a intervenir, en todos los aspectos de índole disciplinar de la misma manera que lo hubiera podido hacer la Santa Sede. Solamente se consideraron incapacitados para intervenir en los asuntos relativos al dogma y en aquellos otros para cuya solución se requería la posesión del orden sacerdotal, como consagración de obispos, erección canónica de iglesias y diócesis, ordenación de clérigos, administración de sacramentos o concesión de indulgencias. » BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia en Hispanoamérica y Filipinas.

Tomo I. Aspectos generales, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1992, p.427. 104 Ibid., p. 429.

105 MANSO MARTÍNEZ DE BEDOYA, Cristina, « Misioneros franciscanos en Nueva España entre la hagiografía y la historia. La vida de ‘los Doce’ en el manuscrito 43 de la Colección Borbón-Lorenzana », Archivo

Ibero-americano, LXVI (2006), p. 599. 106 Cf. Infra, Partie 1, Chap. 1, p. 60-64.

107

BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia en Hispanoamérica y Filipinas. Tomo II. Aspectos regionales, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1992, p. 103.

108

Ibid., p. 193.

109 Ibid., p. 103.

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Durango. Le XVIIIe siècle voit la fondation de deux autres évêchés, Liares en 1777 et Sonora en 1799, due à l’action des missionnaires et à la réorganisation territoriale des Bourbons111.

Il existe entre les différents Ordres une sorte de concurrence idéologique et économique pour le contrôle de la population indigène. Dans l’éducation, cette concurrence est accrue avec l’arrivée des Jésuites, véritables professionnels dans ce secteur112.

Cependant, ces Ordres se rejoignent lors des trois Conciles Mexicains (1555, 1565 et 1585) pour accorder les bases d’une évangélisation homogène en Nouvelle-Espagne et pour dicter des règles de vie aux Indiens, notamment dans le but d’éradiquer leurs anciennes croyances et de limiter leur contact avec les populations espagnoles113.

La situation de l’Église américaine au XVIIIe siècle découle directement des éléments mis en place aux siècles précédents. Le père Aspurz (Ordre des Frères Mineurs, 1913-1989) établit un bilan du nombre de couvents et de religieux : en 1700, la Nouvelle-Espagne comprend 335 couvents franciscains et 2448 religieux du même Ordre114. Dans sa thèse, il indique également qu’au début du siècle, la Nouvelle-Espagne comptait plus de 2000 Jésuites115. Même en ne comptabilisant pas les membres des autres ordres autorisés à être présents sur le territoire novo-hispanique, le nombre de religieux reste donc assez conséquent pour poursuivre l’évangélisation, bien qu’en baisse par rapport aux siècles précédents. Dès la première décennie du XVIIIe siècle, l’expansion territoriale vers le nord de la Nouvelle-Espagne et la réorganisation de l’espace vont modifier le panorama et la conjoncture de l’histoire missionnaire116.

Cependant, Abad Pérez signale que la sécularisation des Doctrines entre 1752 et 1779 et le vieillissement de la population religieuse, conséquence de la réduction de l’espace

111

BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia, Tome II, p. 92-95.

112 GONZÁLEZ RODRÍGUEZ, Jaime, « Los franciscanos y la cultura en México », Archivo Ibero-americano, LXIII (Enero-Agosto 2003), n° 244-245, p. 115.

113 MARTIARENA, Óscar, Culpabilidad y resistencia. Ensayo sobre la confesión en los indios de la Nueva

España, México, Universidad Iberoamericana, 1999, p. 105-117.

114 ASPURZ, Lázaro de (O.F.M.), « Magnitud del esfuerzo misionero », Missionalia Hispánica, n°3, 1946, p. 143-144.

115

ASPURZ, Lázaro de (O.F.M.), La aportación extranjera a las misiones españolas del Patronato Regio, Madrid, Publicaciones del Consejo de la Hispanidad, 1946, p. 272.

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CUESTA DOMINGO, Mariano, « Descubrimientos geográficos durante el s. XVIII. Acción franciscana en la ampliación de fronteras », in Actas del IV Congreso Internacional sobre los franciscanos en el Nuevo Mundo

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missionnaire et donc de la diminution du nombre de religieux envoyés par l’Espagne, constituent les deux dangers fondamentaux pour l’Église américaine du XVIIIe siècle117.

Par ailleurs, le régalisme pratiqué par les Bourbons dès leur arrivée sur le trône vient modifier la situation de l’Église américaine, qui devient alors assez délicate :

Ante estas nuevas directrices de la política, la situación de la Iglesia era muy delicada, pues, habituada desde antaño a una perfecta armonía ideológica con el Estado, había estrechado con él sus lazos en virtud del regio patronato. Por otra parte, los obispos, elegidos por la Corona, no podían sino defender los principios del regalismo. Por ello, los obispos tenían que ser regalistas, aunque ninguno llegó a aceptar las tesis galicanas sobre la definición de la Iglesia, la supremacía del concilio y la reformabilidad de las decisiones papales.118

Pour tenter d’y remédier, dès 1741 l’État fait la promotion de l’étude du droit royal dans les universités américaines afin de former au régalisme les futurs hommes politiques et hommes d’Église119.

Un autre fait marquant intervient en 1767 et vient modifier le panorama organisationnel de l’Église américaine : l’expulsion de la Compagnie de Jésus de l’ensemble des territoires espagnols, considérée par certains historiens comme « daño irreparable para la cultura eclesiástica en América »120. Les Jésuites reçoivent l’ordre de quitter les 114 missions qu’ils avaient fondées notamment dans le nord de la Nouvelle-Espagne ; ils sont remplacés en grande partie par les Franciscains121. À ce moment-là, des troupes sont envoyées pour pacifier les anciennes missions jésuitiques de cette région et pour établir un état de la situation, car l’administration ne possède que peu d’éléments d’information. En réalité, ces troupes doivent faire face à une véritable situation de chaos et elles ne peuvent que se défendre contre les attaques des Indiens, qui avaient fui les missions122.

Pour ce qui est de la mission évangélisatrice des religieux en Amérique, nous nous arrêterons davantage sur l’organisation de l’Église missionnaire que sur l’évangélisation en elle-même. En ce qui concerne cette dernière, nous renvoyons aux travaux très complets de

117 ABAD PÉREZ, Antolín, « Estadística franciscano-misionera en Ultramar del siglo XVIII. Un intento de aproximación », in Actas del IV Congreso Internacional sobre los franciscanos en el Nuevo Mundo (siglo XVIII),

Archivo Ibero-Americano, n°205-208, Enero-diciembre 1992, p. 129-130. 118 BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia, Tome I, p. 800.

119 Ibid.

120

Ibid.

121

ABAD PÉREZ, Antolín, « Estadística franciscano-misionera », p. 130-135.

122

MARCHENA FERNÁNDEZ, Juan, « De franciscanos, apaches y ministros ilustrados en los pasos perdidos del norte de Nueva España », in Actas del IV Congreso Internacional sobre los franciscanos en el Nuevo Mundo

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Pedro Borges Morán123et de David Rex Galindo124. Nous soulignerons seulement les caractéristiques propres à l’évangélisation américaine, mises en évidence par Pedro Borges Morán : le double objectif d’annexion religieuse et politique, l’amplitude géographique qui contraste avec sa brièveté chronologique, un nombre de missionnaires assez réduit (environ 20 000 pour l’ensemble des territoires américains), le caractère unitaire du processus (pour la direction de l’évangélisation, de la méthodologie, de l’organisation et des résultats), le regroupement géographique et l’acculturation de l’Indien, la collaboration de la Couronne par la conquête armée puis l’établissement d’un nouvel ordre politico-social, l’ouverture à seulement certains Ordres religieux, et, pour finir, l’opposition des évangélisateurs aux normes officielles et à la conduite des Espagnols par rapport aux Indiens, et donc une défense quasiment systématique de ces derniers125.

Dès le XVIe siècle, l’Église missionnaire, qui regroupe les Ordres religieux et les populations indigènes inscrits dans le processus de conversion, se distingue de l’Église diocésaine, rassemblant les évêchés, les paroisses, le gouvernement et l’administration de l’Église, dans la mesure où l’objectif de l’Église missionnaire est d’étendre de la foi et de veiller au respect de la vie chrétienne des Indiens convertis, alors que celui de l’Église diocésaine est de gouverner spirituellement et parfois temporellement l’ensemble des chrétiens. Cependant, il n’existe pas de volonté de séparation de la part des membres de l’une ou de l’autre. Dans l’esprit de tous, il ne s’agit là que d’une seule Église, mais recouvrant diverses modalités d’action. La seule volonté des missionnaires, dans ce cadre, est d’adapter l’organisation ecclésiastique aux besoins de l’évangélisation126.

Pour les besoins de l’évangélisation, des missions sont alors fondées. Selon Pedro Borges Morán, il existe deux étapes dans le développement des missions. La première, de 1493 à 1573, est l’étape des missions « nucléaires », où les Ordres religieux sont présents dans les centres urbains les plus développés. Ensuite, de 1573 à 1824, l’organisation est clairement territoriale, chaque Ordre se charge de manière quasiment exclusive d’une zone géographique et les missions se propagent autour d’un centre précis : c’est la période des missions « radiales »127. Ces lieux de conversion religieuse se transforment rapidement en établissements destinés à la

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BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia, BORGES MORÁN, Pedro, « Franciscanos vasco-cántabros en las expediciones misioneras a América de los siglos XVII y XVIII », in Archivo Ibero-Americano, LXVI (253-254), Enero-Agosto 2006, p. 315-334.

124

REX GALINDO, David, « Los misioneros franciscanos ante la conversión religiosa en la Alta California Española », in Archivo Ibero-americano, LXXIII (2013), n°275-276, p. 575-604.

125

BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia. Tomo I, p. 432-435.

126 BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia. Tomo II, p. 91.

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production de biens et à l’assujettissement des populations indigènes128. Elles ont également vocation à former professionnellement les Indiens, notamment à l’agriculture, à l’élevage et aux autres métiers rudimentaires. Les missionnaires inculquent l’hygiène et la langue castillane129. Les missions acquièrent ainsi un rôle prépondérant dans le secteur socio-économique et une importance capitale à la frontière, devenant donc fondamentales dans le processus d’expansion géographique vers le nord de la Nouvelle-Espagne130. Pour ces raisons, elles sont ardemment défendues par certains vice-rois, tels que Bucareli, et par certains gouverneurs, comme Diego de Borica y Retegui, gouverneur de Californie131.

Pour faciliter l’évangélisation des Indiens de la Nouvelle-Espagne, différentes politiques linguistiques ont été mises en place dès le XVIe siècle pour communiquer avec eux. Jusqu’au XVIIIe siècle, celles-ci alternent entre l’usage exclusif du latin, du castillan, et des politiques de bilinguisme castillan – nahuatl (le nahuatl ayant été déclaré langue officielle des Indiens de Nouvelle-Espagne dès 1570) et castillan – langues vernaculaires avec l’obligation de la confession des Indiens par des sacerdotes lenguas132.

Un autre phénomène prend une place de poids dans l’Église américaine, surtout pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle : l’attitude adoptée par le clergé face aux Lumières. Dans la mesure où celles-ci s’avèrent assez critiques face à la constitution de l’Église et à certaines de ses pratiques, la position des ecclésiastiques n’est absolument pas unitaire face à ce courant. L’attitude favorable face aux idées nouvelles n’est que minoritaire et n’entraîne la modernisation des institutions, notamment éducatives, qu’à la fin du siècle. Au sein du clergé créole, certains sont régalistes, favorables à la primauté du pouvoir royal, et d’autres ultramontains, favorables à la primauté du pouvoir papal. Dans tous les cas, l’influence de la

Primera Ilustración à travers Feijoo est notable car celui-ci tend à défendre les spécificités

128

TORRE CURIEL, José Refugio de la, « La frontera misional novohispana a fines del siglo XVIII : Un caso para reflexionar sobre el concepto de misión », in BERNABÉU ALBERT, Salvador, El Gran Norte Mexicano, p. 287-288.

129

ARRIETA ELIZALDE, Idoia, « La Real Sociedad Bascongada de Amigos del País y su influencia en las misiones y colonización de la Alta California », in RSBAP, La RSBAP y Méjico, p. 492.

130 Ibid., p.489. TORRE CURIEL, José Refugio de la, « La frontera misional novohispana », p. 286.

131 ARRIETA ELIZALDE, Idoia, « La Real Sociedad Bascongada de Amigos del País », p. 503.

132

GONZÁLEZ RODRÍGUEZ, Jaime, « Los franciscanos y la cultura en México », Archivo Ibero-americano, LXII (Enero-Agosto 2002), n° 241-242, p. 38-53.

Le 23 juillet 1793, à l’initiative des hommes politiques des Lumières, est promulguée une Real Orden qui vise à établir dans les villages des écoles de castillan pour que les Indiens apprennent à le lire, l’écrire et le parler, pour l’employer de façon exclusive. Cette décision n’est pas respectée par tous les religieux, notamment par les Franciscains de Haute Californie, dans la mesure où ils enseignent le castillan mais en laissant tout de même leur place aux langues vernaculaires. ARRIETA ELIZALDE, Idoia, « La Real Sociedad Bascongada de Amigos del País », p. 492-493.

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américaines133. Malgré le débat que soulève l’adhésion ou non aux idées des Lumières, nous ne pouvons que constater la grande activité de certains hommes d’Église dans les Sociétés Économiques des Amis du Pays implantées en Nouvelle-Espagne, surtout la Bascongada, dans les tertulias littéraires et en ce qui concerne les publications scientifiques :

En ellas desempeñaron los eclesiásticos un papel muy activo y frecuentemente protagonista, lo que demuestra que la Iglesia quiso actuar con iniciativa propia en el campo de las nuevas corrientes culturales.134

En somme, nous pouvons donc observer que les organisations administratives ecclésiastique et coloniale évoluent de façon quasiment parallèle. De même, l’évangélisation et l’assujettissement de l’Indien à la Couronne sont intimement liés. Cependant, des Ordres religieux se détachent sous certains aspects du système colonial, pour créer leur propre fonctionnement, comme nous allons le voir en étudiant plus précisément la présence franciscaine en Nouvelle-Espagne.

1.3.2! L’évolution de la présence et du rôle des Franciscains en Nouvelle-Espagne

L’Ordre Franciscain est le plus ancien et le plus implanté sur le territoire novo-hispanique. Son acte fondateur est le Chapitre du 2 juillet 1524 lors duquel les religieux mettent au point leur stratégie apostolique et choisissent quatre villes pour entreprendre leur implantation : Mexico, Texcoco, Tlaxcala et Huexotzinco135.

L’origine sociale des missionnaires franciscains est, dans l’ensemble, plutôt variée mais assez élevée. Dans tous les cas, ils ont un très haut niveau de formation intellectuelle et leur activité est des plus remarquables, comme le met en lumière Mariano Cuesta Domingo :

Su actuación, trabajos y penalidades alcanzaron un desarrollo máximo durante los siglos XVI y XVII sobre los territorios más poblados y de cultura material altamente evolucionada; sus logros sin embargo tampoco fueron pobres en todo lo referente a la ampliación de horizontes geográficos y puesta en contacto con pueblos de cultura poco evolucionada a lo largo de esas dos centurias. […]

Los franciscanos habían logrado, y podían ofrecerlo, una notable ampliación de los conocimientos geográficos (de geografía física y humana) de valor incalculable; era el fruto de tantos trabajos a lo largo de los siglos citados (XVI y XVII). Fue una acumulación de experiencia y de conocimientos que constituían una fuente informativa de primera magnitud; válido para su Orden e igualmente útil para los círculos políticos

133

BORGES MORÁN, Pedro, Historia de la Iglesia. Tomo I, p. 799-800.

134 Ibid., p. 801.

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de la Corona o sus autoridades delegadas y también tenía aplicaciones para asuntos económicos.136

En ce qui concerne ce rapport entre religieux et Indiens, David Rex Galindo souligne le besoin de prendre des précautions dès lors qu’il s’agit d’étudier les sources dans la mesure où celles-ci sont ethnocentrées, car écrites par des Espagnols et exprimant donc le point de vue des colonisateurs137. De même, l’aspect hagiographique des sources religieuses est susceptible de modifier la réalité. Il mentionne aussi les révisions historiographiques en cours autour de la conquête spirituelle138. La controverse sur le rapport entre missionnaires et Indiens et sur l’existence ou non de cruauté et de châtiments sévères envers les Indiens, notamment de la part des franciscains fait également l’objet de révisions historiographiques139. Même si Castro Gutiérrez souligne que l’autorité des religieux dans leur mission est presque absolue, ceux-ci n’ont de cesse de lutter pour l’amélioration des conditions de vie des Indiens140, en les protégeant des Espagnols. Ainsi, même si les religieux étaient initialement en lien direct avec la Couronne, en suivant leur rôle de défenseurs des Indiens et en appliquant les Lois Nouvelles en leur faveur voulues par Charles Quint, l’évangélisation franciscaine devient peu à peu autonome et se détache du pouvoir politique, notamment local, dans les cas où celui-ci leur semblait abusif et allait à l’encontre des droits des Indiens141.

Même si nous ne pouvons retracer ici la totalité de l’histoire des Franciscains de façon détaillée, signalons qu’à la fin du XVIIIe siècle les fondations des missions franciscaines sont en lien direct avec deux phénomènes : l’expulsion des Jésuites en 1767 et l’expansion territoriale au nord de la Nouvelle-Espagne.

Le vice-roi Charles François de Croix et José de Gálvez sollicitent les Franciscains pour reprendre les missions jésuitiques de la Basse Californie. Junípero Serra arrive en Basse Californie le 1er avril 1768 avec seize missionnaires. Cette zone leur sert de base pour l’expansion et le déploiement d’autres missions142. La même année, des Franciscains du Collège de la Santa Cruz de Querétaro et de la province de Jalisco arrivent dans les anciennes

136

CUESTA DOMINGO, Mariano, « Descubrimientos geográficos durante el s. XVIII », p. 293-295.

137 REX GALINDO, David, « Los misioneros franciscanos ante la conversión religiosa en la Alta California Española », Archivo Ibero-americano, LXXIII (2013), n°275-276, p. 575.

138

Ibid., p. 575-576.

139

Ibid., p. 578-583.

140

CASTRO GUTIÉRREZ, Felipe, La rebelión de los indios, p. 32-33.

141 CUESTA DOMINGO, Mariano, « Descubrimientos geográficos durante el s. XVIII », p. 328.

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missions jésuitiques de Sonora143. Les Franciscains reprennent les missions dans un état catastrophique : elles ont été laissées aux mains de comisionados depuis le départ des Jésuites, provoquant l’interruption du processus d’évangélisation, la méfiance des indigènes et un lourd préjudice à leur économie. Les religieux mettent donc beaucoup de temps à reprendre le contrôle de ces missions.144 De plus, venant alourdir le travail des religieux, les missions sont régulièrement attaquées par des « Apaches » et d’autres groupes indigènes145.

En parallèle, à partir de 1769 et de la fondation de San Fernando de Velicatá, 127 missionnaires franciscains entreprennent l’exploration définitive de la Californie et la fondation de plusieurs missions, correspondant à un plan de l’occupation de l’espace et d’expansion vers la Haute Californie, dans le but initial de pouvoir rejoindre l’Alaska146. Jusqu’à leur sécularisation en 1834, ils fondent alors vingt-et-une missions à travers toute la Californie. Ils fondent également trois villages (San José de Guadalupe, 1777 ; Nuestra Señora de los Ángeles, 1781 ; Branciforte, 1797) et quatre présides dont ils seront les chapelains : San Diego (1769),