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FRAY JUAN AGUSTÍN MORFI AU CŒUR DE NOMBREUX RÉSEAUX

LA VIE SOCIALE ET LES AMITIÉS DE MORFI

1.1. L'ENTOURAGE DE FRAY JUAN AGUSTÍN MORFI

Selon Claire Bidart, un réseau social est un système rationnel qui « regroupe un ensemble de relations, que cet ensemble soit défini par un individu commun (le réseau d'une personne) ou par un collectif (le réseau total d'une organisation ou d'une corporation) »3. Bien que Morfi soit en grande partie influencé par le réseau collectif mis en place par l’expédition menée par Théodore de Croix pour constituer son réseau personnel, nous ne nous centrerons que sur ce dernier en suivant la démarche évoquée par Daniel Roche :

Les sociologues enseignent ici qu’on peut prendre en compte deux choix de méthode. La première voit partir le réseau du point de vue des individus qui, grâce à lui, s’agrègent dans des ensembles dont les fins leur échappent partiellement, car elles préexistent à leur entrée dans le système d’échange. La seconde voit en premier le groupe, l’organisation, l’institution qui rassemblent les personnes, renforcent leurs connivences et définissent de nouvelles logiques d’adhésion. Dans l’un et dans l’autre cas, l’historien, plus empêtré dans le temps que le sociologue, va choisir de comprendre l’articulation des deux composantes et ses effets qui peuvent résonner dans les deux sens.4

Étudier les réseaux dans lesquels s’insère fray Juan Agustín Morfi, c’est tout d’abord constater que nous sommes face à un être très sociable5, ce que nous pouvons observer en étudiant dans un permier temps sa correspondance, car comme le mentionne Pierre-Yves Beaurepaire :

3

BIDART, Claire, « Etudier les réseaux », p. 35.

4 ROCHE, Daniel, « Avant-propos. Réseaux des pouvoirs, pouvoir des réseaux dans l’Europe des Lumières », in BEAUREPAIRE, Pierre-Yves (coord.), La plume et la toile. Pouvoirs et réseaux de correspondance dans l’Europe

des Lumières, Arras, Artois Presses Université, 2002, p. 9.

5 « La sociabilité consiste, dans un premier temps, à prendre en considération les autres individus et à interagir avec eux dans le cadre des codes sociaux de communication. […] La sociabilité va pourtant au-delà en indiquant une propension à développer et à entretenir des relations avec autrui. Ces relations dépassent les interactions car elles se répètent, perdurent et acquièrent une histoire, s'inscrivent dans le temps ; elles deviennent singulières dans la mesure où les acteurs ne sont plus substituables. » BIDART, Claire, « Etudier les réseaux », p. 34-35

La sociabilité au XVIIIe siècle, empreinte de la philosophie des Lumières, acquiert des dimensions spécifiques. Cf. Infra, Partie 2, Chapitre 2, p. 185-188.

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La correspondance délimite et organise un espace – à géométrie variable – d’échanges et de transactions symboliques (la correspondance échangée avec les citoyens d’honneur de la République des Lettres, véritable figure imposée), mais aussi matériels (échanges d’objets, de plantes, de livres, de recettes alchimiques) ou amicaux. […] La notion de réseau inscrit l’échange épistolaire dans l’espace des relations interpersonnelles, professionnelles, culturelles, amicales et politiques.6

Après avoir recensé toutes les lettres échangées et les rencontres effectuées qu’il nous donne à voir dans le Diario, soit entre le 4 août 1777 et le 1er juin 1781, nous avons pu identifier 560 interlocuteurs7. En ce qui concerne la correspondance de Morfi, nous avons répertorié 458 lettres envoyées et quatre-vingt-deux reçues, ce qui tendrait à démontrer que la prolixité du franciscain se retrouve aussi dans le domaine épistolaire. Si Morfi ne précise pas toujours s’il reçoit la réponse aux missives qu’il envoie ou s’il répond à celles qu’il reçoit, nous avons tout de même pu mettre en lumière que 192 envois et cinquante-cinq lettres reçues se placent dans le cadre d’échanges épistolaires entre Morfi et trente-deux autres personnes. Il peut s’agir là d’un échange simple, dans 40% des cas (treize personnes sur trente-deux), où Morfi mentionne une lettre et sa réponse. Dans les autres cas, l’échange est multiple, le total des envois et des réceptions est supérieur à deux et peut aller d’un ensemble de trois à trente-huit lettres.

Fig. 8. Types de correspondance.

6 BEAUREPAIRE, Pierre-Yves, « Introduction », in La plume et la toile, p. 26-28.

7 Cf. Annexe 4. 267 49% 27 5% 247 46% Courriers+envoyés+sans+ réponse Courriers+reçus+sans+réponse Échanges

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Fig. 9. Échanges en nombre de lettres.

Les échanges multiples ne s’opèrent qu’entre Morfi et dix-neuf autres personnes. Quatre personnes sont les destinataires de 56% des lettres envoyées par Morfi et les émetteurs de 26% de celles qu’il reçoit. Ces quatre personnes constituent alors le cœur du réseau épistolaire de notre franciscain. Par ordre de récurrence, il s’agit de Fray Domingo8 (trente-huit lettres échangées au total), Jaso9 (trente-trois lettres), Castro10 (vingt-neuf lettres) et Francisco Antonio Trespalacios11 (vingt-et-une lettres). Cependant, si Morfi donne le contenu des lettres qui apportent des informations relatives au contexte dans lequel évoluent les Provinces Internes, il ne consigne pas dans son journal la teneur de ses correspondances personnelles. Nous ne pouvons donc pas apporter d’informations qualitatives à notre étude quantitative.

8 Le caractère fragmentaire des informations dont nous disposons sur Morfi se retrouve également dans les difficultés d’identification de certains de ses interlocuteurs. Morfi ne donnant jamais le patronyme de cet individu, nous sommes dans l’incapacité d’en fournir une notice biographique détaillée. Néanmoins, les religieux en contact avec Morfi étant tous des franciscains, nous pouvons supposer que fray Domingo fait partie du même Ordre.

9 Morfi ne fournit aucune autre information que le patronyme de cet individu. Il lui écrit très tôt après son départ, ce correspondant réside donc sans doute à Mexico. Nous pensons qu’il s’agit très probablement de don Pedro Ángel de Jaso y Galindo, membre de la Confrérie d’Aránzazu. Il est possible que sa sœur, doña Cristina de Jaso y Galindo soit cette « doña Cristina » à qui Morfi écrit assez régulièrement.

10

Il s’agit probablement de fray Diego Castro, que nous ne sommes pas parvenue à identifier avec plus de précision.

11

Francisco Antonio Trespalacios. « Alcalde ordinario de Chihuahua (1776, 1782 y 1788). Diputado por los comerciantes en la Junta de Comercio y Minería de Chihuahua (1779). Nombrado teniente de milicias (1779). MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 410.

26 11% 221 89% Échanges+simples Échanges+multiples

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En outre, si nous n’étudions que la correspondance de Morfi, notre vision de son réseau personnel reste biaisée et incomplète. En effet, elle est partielle car, comme le dit André Bandelier, « une correspondance n’est jamais close : une découverte est toujours susceptible de modifier l’équilibre de ce qu’on a coutume d’analyser comme un ensemble fermé »12. En outre, étudier les réseaux à partir de la seule correspondance d’une personne comporte des limites, comme le soulignent également José María Imízcoz Beunza et Lara Arroyo Ruiz :

En definitiva, la utilización intensiva de la correspondencia epistolar para un análisis cualitativo de las relaciones personales tiene muchas virtualidades. Sin embargo, pronto encuentra sus limitaciones, cuando queremos tener una percepción más completa y segura de una red de relaciones más amplia, en la que intervienen simultáneamente decenas o centenares de personas, en asuntos muy diversos, en diferentes esferas de actuación y territorios, con una complejidad de análisis mucho mayor.13

Nous devons donc compléter notre analyse avec l’observation des structures relationnelles mises en place par Morfi dans les contacts qu’il a avec son entourage. Ainsi, au-delà des considérations sur la correspondance du franciscain, nous constatons que de très nombreuses personnes « gravitent » autour de lui. En effet, nous avons comptabilisé, dans le Diario, 465 noms14, pour un total de 3 146 contacts qui se réalisent sous des modalités variables. Ainsi, Morfi se rend très souvent chez ses connaissances (1 436 cas), il reçoit également de très nombreuses visites (1 013). Les 697 rencontres restantes sont fortuites ou les conditions de leur réalisation ne sont pas précisées. Bien évidemment, la plupart de ces contacts sont établis sur les périodes où Morfi séjourne dans une ville, mais il peut rencontrer d’autres personnes en chemin, par exemple lorsque certains groupes viennent au-devant de l’expédition. De même que pour la correspondance, certains contacts sont bien plus récurrents que d’autres. Ainsi, 79% des personnes (soit 369 sur un total de 465) n’ont des contacts avec Morfi qu’une à cinq fois. Néanmoins, certains de ces individus entretiennent tout de même des relations épistolaires avec lui. C’est le cas pour trente-trois personnes, soit 8,9% du total des interlocuteurs. Trente-sept personnes ne rencontrent Morfi qu’à six à dix reprises, ce qui représente 8% des personnes pour 9% des visites. Parmi ces trente-neuf personnes, treize établissent également des contacts épistolaires avec Morfi. Par ailleurs, 8% des interlocuteurs (soit trente-huit personnes) rencontrent le franciscain entre onze et cinquante fois (toujours selon les données présentes

12 BANDELIER, André, « Postface », in BEAUREPAIRE, Pierre-Yves, La plume et la toile, p. 333.

13

IMÍZCOZ BEUNZA, José María & Lara ARROYO RUIZ, « Redes sociales y correspondencia epistolar. Del análisis cualitativo de las relaciones personales a la reconstrucción de redes egocentradas », Revista hispana para

el análisis de redes sociales, vol. 21, 2011, p. 115.

14 Rappelons que ces chiffres s’appuient sur les indications données par Morfi dans son Diario. Il est donc tout à fait possible qu’ils soient en réalité encore plus élevés.

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dans le Diario), ce qui équivaut à 27,1% des rencontres (soit 852). Ce groupe représente donc le réseau privilégié de Morfi. De même, dans cet ensemble, dix-huit personnes correspondent aussi par écrit avec lui. Pour finir, notons que les personnes que Morfi côtoie le plus (à plus de cinquante reprises) ne sont que onze, soit seulement 2,4% du total. À elles seules, elles concentrent 44% des rencontres, soit 1386. Notons également que la grande majorité d’entre elles entretient une correspondance avec le franciscain.

Fig. 10. Rencontres (nombre de personnes).

Fig. 11. Rencontres (nombre de contacts).

369 37 38 11 33 13 18 5 0 50 100 150 200 250 300 350 400 1+à+5+contacts 6+à+10+

contacts contacts11+à+50+ Plus+de+50+contacts

Nombre+de+personnes+ rencontrées Nombre+de+personnes+qui+ entretiennent+aussi+une+ correspondance+avec+Morfi 627 20% 281 9% 852 27% 1386 44% Contacts+très+peu+fréquents+(1+ à+5) Contacts+peu+fréquents+(6+à+ 10) Contacts+fréquents+(11+à+50) Contacts+très+fréquents+(plus+ de+50)

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Ces contacts complétés par une relation épistolaire démontrent que Morfi écrit également à l’absent. Lorsqu’il ne s’agit pas d’assurer la continuité de rapports dans un contexte profesionnel, cette attitude dénote l’émergence d’une certaine amitié entre les épistoliers, notamment lorsque les échanges sont denses. En effet, Cécile Mary Trojani rappelle l’importance qu’avaient à l’époque les lettres dans le maintien de ces relations :

L’attente des nouvelles, des événements et des personnes passait par le courrier, souvent unique source d’information à une époque où, malgré les aspirations des individus, les communications restaient encore difficiles. L’absence semblait donc plus longue en ces temps où les voyages étaient lents, et le désir de revoir un ami s’exprimait à travers l’impatience créée par l’attente de ses lettres.15

Ce qui est exprimé ici concerne l’Europe des Lumières mais s’applique tout aussi bien au contexte novo-hispanique, davantage même étant donné le besoin de réforme du système de distribution du courrier dans le nord des Provinces Internes16. La lettre apparaît donc comme un moyen de combler le vide laissé par une personne lorsque Morfi s’en éloigne géographiquement, soit parce que celle-ci part, soit parce que lui-même doit suivre les déplacements de l’expédition.

Si l’on dresse un bilan des croisements qui s’opèrent dans l’analyse quantitative des correspondances et des rencontres de Morfi, nous pouvons établir une liste de 70 noms, qui représentent un ensemble de 1 609 contacts, physiques ou épistolaires. En additionnant le nombre des rencontres avec celui des lettres échangées, nous sommes en mesure de reconstituer le cœur du réseau personnel morfien car, bien que nous n’ayons que peu d’éléments qualitatifs, les résultats quantitatifs ne laissent aucun doute possible. En effet, le total cumulé de ces points de contacts oscillant entre deux et 221, une grande majorité de personnes (cinquant-sept sur soixante-dix) n’entre pas en relation avec Morfi plus de vingt-cinq fois, ce qui reste finalement assez faible compte tenu de la durée du voyage qui se déroule sur près de quatre ans. Les treize autres individus cumulent à eux seuls près de 65% des contacts (1 052 sur un total de 1 609). Ces treize personnes, représentants des élites politico-économiques locales, militaires et

15

MARY TROJANI, Cécile, « La lettre, lieu privilégié de l’expression du Moi », in SOUBEYROUX, Jacques,

Le moi et l’espace. Autobiographie et autofiction dans les littératures d’Espagne et d’Amérique Latine,

Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Saint-Étienne, 2003, p. 119.

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religieuses, sont, par ordre de récurrence : Mugarrieta17 (219), Trespalacios (152), Aldasoro18 (146), Merino19 (124), Mayor20 (104), Gach21 (73), le lieutenant des dragons de Mexico Viana22 (50), Serrano23 (48), Domingo24 (47), Loyola25 (46), García26 (34), fray Juan Díaz27 (33), le père Martínez28 (33), fray Diego Castro (28) et le père Borbolla29 (26). Parmi eux, les cinq premiers entrent en contact avec Morfi entre 104 et 221 fois sur toute la durée du voyage. Notons également que les trois personnes qu’il voit le plus souvent, Mugarrieta, Aldasoro et Trespalacios, ne font pas partie de l’expédition. En effet, Morfi rencontre pour la première fois Trespalacios à Chihuahua où celui-ci réside. De même, il ne rencontre que tardivement Mugarrieta et Aldasoro, ceux-ci vivant à Arizpe30. C’est avec eux que Morfi a le plus de contacts et les chiffres que nous apportons donnent donc une idée claire de l’extrême fréquence avec laquelle ils se rencontrent.

Notons également que sept personnes, même si elles ne cumulent pas les contacts physiques et épistolaires, font tout autant partie du cœur du réseau personnel de Morfi. À elles seules, elles représentent 674 rencontres, soit 21,4% de l’ensemble des contacts réels engagés. Ces sept personnes sont, par ordre de récurrence : Carrera (267), Théodore de Croix (121),

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Juan Felipe de Mugarrieta. Il s’agit de l’un de notables de la ville d’Arizpe, commerçant. DEL RÍO, Ignacio, « Comercio, libranzas de Real Hacienda y circulación monetaria en el norte de la Nueva España (1773-1810) »,

Estudios de Historia Novohispana, n°35, julio-diciembre 2006, p. 128. 18

José Aldasoro. « Capitán de dragones del regimiento de México ». Également membre de la Real Sociedad

Bascongada de Amigos del País. MARTÍNEZ RUIZ, Julián, Catálogo de individuos de la RSB de los Amigos del País (1765-1793), San Sebastián, Sociedad Guipuzcoana de Ediciones y Publicaciones, 1985, p. 23. MCLEAN,

Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 399.

19 Manuel Merino. « Teniente de Caballería. B. en Chiguagua. 1779-1793. » Membre de la RSBAP. MARTÍNEZ RUIZ, Julián, Catálogo de individuos, p. 80.

20 Mayor. Nous ne sommes pas parvenue à l’identifier avec précision.

21 Esteban Gach. Commerçant d’Arizpe. DE LA TORRE CURIEL, José Refugio, Twilight of the Mission

Frontier : Shifting Interethnic Alliances and Social Organization in Sonora, 1768-1855, Stanford, Stanford

University Press, 2012, p. 166.

22 Francisco Javier Biana. « Teniente de dragones de México ». MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO,

in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 411. 23

Juan Antonio Serrano. « Capitán de una compañía en la provincia de Coahuila. Capitán del presidio de Aguaverde. Pasó al presidio de San Carlos (1782). » MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO, in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 397.

24 Domingo. Nous ne sommes pas parvenue à l’identifier avec précision.

25 Jacobo de Ugarte y Loyola (colonel). « Gobernó la provincia de Coahuila hasta el 23 de noviembre de 1777, en que entregó el gobierno al presuntuoso coronel don Juan de Ugalde. » MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO, in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 400.

26 Don Mateo García. « Alférez del regimiento de dragones de México (1776). Teniente del presidio de San Eleazario (1778). Capitán del presidio del Gallo ». MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO, in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 394.

27 Fray Juan Díaz. « Misionero franciscano en Arizpe » MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO, in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 410. Accompagne également fray Francisco Garcés (cf. Supra Partie 1, Chapitre2, p. 129) dans certaines de ses expéditions.

28

Padre Martínez. Nous ne sommes pas parvenue à l’identifier avec précision.

29

Padre fray Joaquín Borbolla. « Procurador de los Santos Lugares » MCLEAN, Malcolm D. & Eugenio DEL HOYO, in MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 408.

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Posada (79), Bonilla (77), l’Intendant d’Arizpe (65), le prêtre d’Arizpe (34) et Zubiría (31). La plupart de ces relations sont manifestement des relations de travail et il est probable que ces chiffres soient inférieurs à la réalité, notamment en ce qui concerne Théodore de Croix. Néanmoins, les liens qui unissent Morfi à Carrera et à Posada sont davantage des liens d’amitié. La faible récurrence des visites entre Morfi et Posada s’explique par la mort subite de celui-ci le 23 janvier 178131.

Soulignons aussi que le cœur du réseau de Morfi est très dense32, dans la mesure où tous ses membres se connaissent entre eux. Tous font partie de l’expédition ou en sont proches en raison des fonctions qu’ils occupent dans les localités dans lesquelles celle-ci stationne. Par ailleurs, au fur et à mesure de l’élargissement du réseau morfien, sa densité s’atténue. En cela, le réseau personnel de Morfi n’échappe bien évidemment pas à ce qui est observable dans les autres types de réseau, tel que le souligne Claire Bidart lorsqu’elle évoque les « trous » entre certaines parties du réseau :

[Le réseau] forme un système, c'est-à-dire que ces liens interagissent les uns avec les autres, ont des actions réciproques, s'organisent d'une manière qui n'est pas neutre et qui réagit sur chacune des relations. Les interconnexions qui le rendent plus ou moins dense, les trous entre certaines de ses parties, les ponts qui les rejoignent, la centralité de certains liens particulièrement sollicités, tous ces éléments d'organisation du réseau ont des effets propres sur chaque relation et sur les qualités globales de l'ensemble.33

Si nous appliquons cela au réseau personnel, ou « égocentré » de Morfi, pour reprendre le terme employé par José María Imízcoz Beunza et Lara Arroyo Ruiz34, nous constatons qu’il forme effectivement un système faisant le lien entre différents environnements (Nouvelle-Espagne en général et Provinces Internes en particulier) et entre différents cadres ou cercles. En effet, le réseau de Morfi recoupe plusieurs cercles : politique, ecclésiastique et intellectuel. Comme nous pouvons l’observer, les personnes qui apparaissent dans la liste des interlocuteurs de Morfi, ainsi que celles qui figurent dans les relations proches ou dans le cœur du réseau du franciscain appartiennent à l’un ou à plusieurs de ces trois cercles. Il peut s’agir de membres de l’Église ou de l’administration locale ou de personnes se situant à des niveaux plus élevés, notamment à l’échelle de la Vice-royauté. Cependant, ces cercles sont perméables et Morfi va

31 « Enero, 24. Escribe Mugarrieta haber muerto Posada, ayer a las cuatro y media de la tarde. » MORFI, Fr. Juan Agustín, Diario…, p. 340.

32

La densité d’un réseau personnel est définie par Claire Bidart comme le « degré d’interconnexions entre ses membres ». BIDART, Claire, « Réseaux personnels et processus de socialisation », Idées économiques et sociales, n° 169, sept. 2012, p. 14.

33 BIDART, Claire, « Étudier les réseaux », p. 39.

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aller y puiser ce qu’il recherche : même si certains appartiennent à plusieurs cercles, il les intègre bien souvent dans son réseau personnel pour leur appartenance à un cercle particulier. Ainsi, par exemple, Morfi ne se rapproche de Francisco Antonio Trespalacios, qui appartient à la fois aux cercles économique, politique et militaire, que pour des raisons, dans un premier temps, politiques, puisque l’expédition est en contact avec lui car il fait partie des dirigeants de Chihuahua. D’autres personnes mentionnées ne font partie ni de l’élite locale ni vice-royale, mais interviennent dans les affaires du quotidien de Morfi, comme par exemple le charpentier à qui il passe quelques commandes35. Néanmoins, ce type de rapports, en comparaison avec les relations avec des membres de l’élite, n’est que très minoritaire.En effet, ils ne représentent que dix-huit des 3146 contacts (soit seulement 0,6%) que Morfi établit avec différents interlocuteurs36.

Par ailleurs, le réseau morfien, comme tous les réseaux, évolue et ce pour plusieurs raisons37. Tout d’abord, les changements dans la vie de Morfi entraînent une première modification.38 En effet, ce réseau s’élargit au fur et à mesure de l’avancée de l’expédition.