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UNE FIGURE MAJEURE DANS L’HISTOIRE DU NORD DE LA NOUVELLE-ESPAGNE

ÉLÉMENTS D’UNE BIOBIBLIOGRAPHIE MORFIENNE

2.1. UNE BIOGRAPHIE EN CLAIR-OBSCUR

Bien que de nombreux chercheurs se soient penchés sur la question de la biographie morfienne, tous s’accordent à dire qu’il est très complexe de retracer précisément la vie de Morfi dans son ensemble. En effet, nous allons voir que si certains éléments sont parfaitement connus et attestés, d’autres étapes de la vie du franciscain sont enveloppées d’un grand mystère. Nous avons pu lever le voile sur certaines questions, mais d’autres restent encore sans réponse.

Jusqu’à présent, une grande opacité entourait la naissance de Juan Agustín Morfi et cette question était sujette à débat entre les chercheurs qui ne la situaient pas tous à la même date ni au même endroit. Reprenant les informations données par Vito Alessio Robles et Carlos

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Eduardo Castañeda158, Carlos García-Romeral Pérez situe la naissance de fray Juan Agustín Morfi en 1720 en Galice. Cependant, des recherches plus récentes de Ricardo Sánchez Flores, reprises par Guadalupe Curiel et par Juan Julio Polo Sánchez, tendent à démontrer que ces informations sont erronées. En effet, Sánchez Flores se base sur l’expediente de ingreso de Morfi et situe la naissance de celui-ci à Oviedo, en 1735, sans pouvoir donner plus de précisions. Selon ce même document, il naît de María Antonia Cortina, asturienne d’Oviedo et de Juan Morfi, immigrant irlandais dont le nom d’origine, sans doute Murphy, a été hispanisé159 :

En este convento de Nuestro Reverendo Padre San Francisco de la ciudad de México en dos días del mes de marzo de mil setecientos sesenta años. Junta la comunidad de este santo noviciado en su capilla, entre cuatro y cinco de la tarde, recibieron nuestro santo hábito para religiosos del coro el hermano fray Francisco Sabino Galindo, nacido en esta ciudad y de edad de diecisiete años cumplidos, hijo de legítimo matrimonio de don Diego Galindo, nativo del Rosario y de doña Jerónima de Acosta, de Toluca. Y el hermano fray Juan Agustín Morfi, nació en Oviedo, principado de Asturias, de edad de veinticinco años, hijo de legítimo matrimonio de don Juan Morfi, irlandés, y de doña María Antonia Cortina, de la ciudad de Oviedo, principado de Asturias. Y habiendo dichos hermanos recibido el hábito de manos del reverendo padre maestro de novicios, fray Miguel de Isla, quien les hizo las preguntas y protestas que nuestras constituciones ordenan, a las que respondieron no tocarles alguna que les apartase la recepción de nuestro hábito. Todo lo que firmaron en este nuestro noviciado dicho día, mes y año.160

Aucun des chercheurs précédemment évoqués n’a pu fournir d’informations plus précises au sujet de la naissance de Morfi, ce que nous pourrions expliquer par les événements qui ont affecté l’Espagne depuis le XVIIIe siècle. Tout d’abord, lors de la première phase de la

desamortización dès la fin du XVIIIe siècle, accentuée par Mendizábal à partir de 1837 et par

158 ALESSIO ROBLES, Vito, « Prólogo », in MORFI, Juan Agustín, Viaje de indios y diario del Nuevo México, México, Antigua Librería Robredo de J. Porrúa e hijos, 1935, p. 13.

159

POLO SÁNCHEZ, Juan Julio, « Montañeses en la Nueva España (II) : Fray Juan Agustín Morfi y el sermón inaugural de la capilla de la congregación del Santísimo Cristo de Burgos de la ciudad de México », Altamira.

Revista del Centro de Estudios Montañeses, Santander, t. LXXIX, 2010, p. 131.

Selon Ricardo Sánchez Flores, ce dernier a sans doute dû émigrer d’Irlande à cause des guerres de religions que connaissait le pays depuis la fin du XVIIe siècle (la guerre qui opposa les partisants catholiques du retour sur le trône de Jacques II aux défenseurs protestants de Guillaume d’Orange) et à cause de la persécution des catholiques de la part des Anglais protestants. SÁNCHEZ FLORES, Ricardo, Fray Juan Agustín Morfi. Historiador del siglo

XVIII (Apuntamientos a su obra historiográfica), 1981, Thèse inédite de licenciatura d'Histoire de la Faculté de

Philosophie et de Lettres de la UNAM, p. 51. Voir également CHILDS, John Charles Roger, The Williamite wars

in Ireland, 1688-1691, London, New York, Hambledon Continuum, 2007.

En ce qui concerne l’immigration irlandaise en Espagne, voir par exemple VILLAR GARCÍA, María Begoña (coord.), La emigración irlandesa en el siglo XVIII, Málaga, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Málaga, 2000 ou VILLAR GARCÍA, María Begoña, « Ingleses e irlandeses en España », in ERIAS ROEL, Antonio & Domingo L. GONZÁLEZ LOPO (coords.), La inmigración en España, Santiago de Compostela, Universidad de Santiago de Compostela, 2004, p. 31-76.

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Madoz en 1855, de nombreux documents ont été délocalisés et ensuite perdus. L’invasion napoléonienne du début du XIXe siècle fut également la cause de la destruction de nombreux documents d’archives, tant en province que dans la capitale. On pense notamment à l’investissement du couvent franciscain d’Oviedo par les hommes de Napoléon, ayant entraîné la perte d’une partie des documents qui y étaient conservés, et à la totale destruction des Archives Générales des Franciscains de Madrid,capitale espagnole161. Ensuite, les événements du début du XXe siècle réduisirent encore davantage les chances d’arriver un jour à préciser la date et le lieu de naissance de Morfi. En effet, lors de la Révolution d’octobre 1934, le palais de l’Archevêque d’Oviedo, où étaient conservées la plupart des archives paroissiales, fut l’objet d’un incendie volontaire et la quasi-totalité des documents furent détruits162. Nous aurions donc pu penser que toutes les traces de la présence de Morfi en Espagne péninsulaire avaient disparu. Contre toute attente, lors de nos recherches, nous sommes parvenue à localiser dans les Archives du Diocèse d’Oviedo l’acte de baptême de Morfi, ce qui permet de lever enfin le voile sur sa naissance et de confirmer les données de l’expediente de ingreso qui, en 1760, lui donnait 25 ans. Voici ce que signale son acte de baptême :

Juan Morfil, Juan Agustín, su hijo.

En veinte y uno de Julio de este año de mil setezientos y treinta y cinco Yo el Lizdo. Dn. Pedro Joachin de Zifuentes Cura de esta Parrochia Bautice solemnemte un Niño q. se llamo Juan Agustin hijo lexmo de Juan Morfil, y de María de Cortina, su Muger fueron sus Padrinos Dn. Agustín Mosquera, y Da. Ignes Gonzalez Florez q. no contrajo, y nació en diez y siete de dho. mes y año, y lo firmo = Lizdo Dn Joachin Zifuentes.163

Nous sommes donc aujourd’hui en mesure d’affirmer que fray Juan Agustín Morfi est né le 17 juillet 1735 à Oviedo et qu’il a été baptisé quatre jours plus tard, le 21, dans la paroisse de San Tirso. Cela confirme les intuitions de Sánchez Flores et a donc une implication sur son âge, étant donné qu’il rajeunit considérablement par rapport aux études qui situaient sa naissance en 1720.

Par ailleurs, nous avons également pu reconstituer une partie de sa généalogie, en consultant les livres de baptêmes et de mariages, ainsi que les Padrones de la ville d’Oviedo.

161 BARRETO XAVIER, Ángela, « Les bibliothèques virtuelles et réelles des Franciscains en Inde au XVIIe siècle », in DE CASTELNAU-L’ESTOILE, Charlotte, COPETE, Marie-Lucie, MALDAVSKY, Aliocha & Inès G. ZUPANOV, Missions dévangélisation et circulation des savoirs. XVIe-XVIIIe siècle, Madrid, Casa de Velázquez, 2011, p. 169.

162

HEVIA BALLINA, Agustín, Los archivos de la Iglesia, memoria viva de la comunidad cristiana, testigos de

la vida y de la historia, Oviedo, RIDEA, 2000, p. 87-88.

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Nous apprenons donc que Juan Agustín est le premier enfant issu du remariage de Juan Morfi et de María Antonia de la Cortina, célébré le 28 décembre 1733, comme l’atteste leur certificat de mariage :

Juan Morfil, y María de la Cortina.

En Veynte y ocho de Diciembre de mill seteztos. y treinta y tres, Yo el Lizdo. D. Pedro Joachin Zifuentes, Cura propio deste [sic] Parrochia, haviendo precedido las moniciones Según dispone el Sto. Concilio, y no haviendo resultado impedimto. alguno, asisti al Matrimonio, q solemte contrajeron por palabras de presente, y espresados los mutuos Consentimtos., Juan Morfil, hijo Lexmo. de Simon Morfil, y de Isabel Quiartaz su muger difuntos Vezo. desta Parrochia, y María de la Cortina, viuda, que quedó de Pedro Sariego, hija lexma. de Diego de la Cortina, y de Dominga de Abeyo, Veznos. de esta Parrochia, los contrayentes y ambos viudos, fueron testigos Dn. Manuel Pantín, Presvitero, Dn. Antonio de Quiñones, y Joseph Ferdez Campa Veznos. desta Ciudad y lo firmo = Lizdo. Dn. Pedro Joachin Zifuentes.164

Morfi a une demi-sœur et trois demi-frères nés de la précédente union de son père : Vicenta, née le 8 avril 1727165, Matheo Antonio, né le 13 novembre 1729166, Juan Benito167, né le 26 décembre 1732, et Fernando, dont on ne sait que très peu de choses. En effet, ce dernier n’apparaît pas dans les livres de baptême de la paroisse de San Tirso, mais il est nommé dans les Padrones de la ville de 1732168 et 1737169. Etant cité avant Matheo Antonio, nous pouvons supposer qu’il s’agit du frère aîné, sans doute né dans une autre paroisse. Il est également possible que Juan Agustín ait eu d’autres sœurs aînées, mais comme les femmes mariées et les filles n’apparaissent pas dans les recensements, nous ne pouvons confirmer ni infirmer cette hypothèse. Par contre, nous ne savons rien des éventuels frères et sœurs nés du précédent mariage de sa mère.

Selon les Padrones de la ville, la famille vit dans la rue Cimadevilla, non loin de la cathédrale. À l’époque, cette zone était considérée comme le centre commercial et administratif de la ville et s’y trouvent également de nombreux palais qui appartiennent à l’aristocratie170. La famille a dû s’installer dans cette rue dans le courant des années 1720, car elle n’apparaît pas dans le Padrón de 1722171. Nous ne trouvons plus de traces de la famille dans le Padrón de

164 Libro de Casados de la Parroquia de San Tirso, Archivo Histórico Diocesano de Oviedo, 39.15.14, f. 130v.

165

Libro de Bautismos de la Parroquia de San Tirso, Archivo Histórico Diocesano de Oviedo, 39.15.2, f. 242v.

166 Ibid., f. 291r.

167 Ibid., f. 321v.

168

Padrón de la Ciudad, 1732, Archivo del Ayuntamiento de Oviedo, B-044-5.

169

Padrón de la Ciudad, 1737, Archivo del Ayuntamiento de Oviedo, B-044-6.

170

MENÉNDEZ GONZÁLEZ, Alfonso, Ilustres y mandones. La aristocracia de Asturias en el siglo XVIII, Oviedo, Real Instituto de Estudios Asturianos, 2004, p. 215-225.

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1744172, celle-ci s’est donc peut-être éloignée de la ville, pour des raisons qui nous sont inconnues. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons attester que le couple ait eu d’autres enfants après Juan Agustín.

Fig. 7. Arbre généalogique de Juan Agustín Morfi.

172 Padrón de la Ciudad, 1744, Archivo del Ayuntamiento de Oviedo, B-044-7.

Cathalina Velazquez

(? - 06 o 07.01.1733) Juan Morfil / Borfil / Bourfilz

Fernando ? (Padrones de la Ciudad de Oviedo 1732 et 1737) Bizentta (08.04.1727 - ?) Matheo Antonio (13.11.1729 - ?) Juan Benito (26.12.1732 - ?) Juan Agustín (17.07.1735 - 20.10.1783) Dante ? (Diario)

María Antonia de la Cortina 28.12.1733

Simon Morfil Isabel de

Quiartaz

Diego de la Cortina

Dominga de Abeyo

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Par ailleurs, nous n’avons pu déterminer quel fut le métier du père de Morfi, mais en consultant les recensements de la ville, nous pouvons émettre des hypothèses sur les cercles socio-économiques dans lesquels celui-ci évoluait. En effet, la majorité des témoins de mariage des parents de Juan Agustín ainsi que des parrains de ses frères et sœurs sont, selon ces mêmes recensements, « hijos dalgo » ou appartiennent à l’Église. Ces informations laissent à penser que la famille évoluerait dans un milieu socio-économique assez privilégié. Soulignons cependant que, dans les Asturies du début du XVIIIe siècle, la hidalguía ne correspond pas toujours à de fortes capacités financières ni à des avantages socio-économiques. Cela est dû au fait que bon nombre des Asturiens sont des hidalgos (81,5% de la population selon le recensement de 1752). La politique de « réajustement » menée par les hommes des Lumières fera baisser ces chiffres, mais ceux-ci restent tout de même assez élevés (70% lors du recensement d’Aranda en 1765)173. C’est pourquoi nos hypothèses quant à l’extraction sociale de la famille de Morfi ne peuvent être, à ce jour, ni infirmées ni confirmées.

La vie de Morfi en Espagne péninsulaire représente l’une des plus grandes interrogations concernant sa trajectoire personnelle et professionnelle. Nous avons tenté de retracer son parcours universitaire. Un homme qui possède des connaissances aussi approfondies dans des domaines aussi divers a surement dû fréquenter les bancs de l’école et de l’université pour y recevoir instruction et éducation. Il s’agit là d’une idée que nous retrouvons également dans les travaux de Sánchez Flores.174 Cependant, il s’agit d’une hypothèse impossible à vérifier dans la mesure où les archives de l’Université d’Oviedo ne remontent qu’à 1935. En effet, bien que l’Université d’Oviedo fût inaugurée en 1608, elle fut la cible d’un incendie volontaire pendant la Révolution d’octobre 1934, ce qui provoqua l’entière destruction de ses archives.Par ailleurs, Morfi lui-même ne fait jamais allusion à sa formation dans ses écrits, pourtant très développés. À ce jour, nous ne sommes malheureusement pas en mesure non plus de fournir de plus amples explications quant aux autres activités de Morfi en Espagne.

Les chercheurs qui ont étudié la biographie morfienne, en reprenant les travaux de Castañeda, situent l’arrivée de Morfi aux Amériques entre 1755 et 1756. Morfi laisse lui-même dans ses écrits un indice quant à sa date d’arrivée sur le continent américain. Dans la Relación

geográfica e histórica de la provincia de Texas o Nuevas Filipinas : 1673-1779, il mentionne

173 MENÉNDEZ GONZÁLEZ, Alfonso, Ilustres y mandones…, p. 23.

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qu’il vit sur le sol américain depuis vingt-sept ans : « En 27 años que hace estoy en la América »175. Cette œuvre inachevée, sans doute parce que Morfi a été surpris par la mort, a été écrite entre 1782 et 1783, ce qui nous amène à penser qu’il a effectivement quitté la Péninsule ibérique autour des années 1755-1756, soit à l’âge de 20 ou 21 ans.

Cependant, nous n’avons pu relever aucune trace du franciscain dans le catalogue des passagers en partance pour les Indes conservé à l’Archivo General de Indias de Séville. Il faut rappeler que les déplacements dans le Royaume d’Espagne, métropole et colonies, étaient soumis à une réglementation stricte. Légalement, toute personne voulant se déplacer, surtout lorsqu’il s’agissait d’une mobilité intercontinentale, devait en faire la demande et obtenir une

Real licencia176. Dans ce cadre-là, si le passage de Morfi aux Amériques a été réalisé légalement, il doit avoir fait l’objet d’une licence royale.

Nous pouvons émettre plusieurs hypothèses pour expliquer l’absence de Morfi dans le catalogue des passagers. La première serait que les listes dont dispose l’Archivo General de

Indias soient incomplètes et que les documents concernant Morfi aient été égarés. Une autre

hypothèse serait que Morfi soit arrivé aux Amériques par des chemins détournés. En effet, dans les années qui nous occupent, le départ vers les colonies américaines ne pouvait se faire que depuis le port de Cadix177. Or, Antonio García-Baquero souligne que, durant cette période, d’autres ports que celui de Cadix, notamment dans le nord de la Péninsule, avaient la possibilité, bien que limitée, d’organiser des départs vers les Amériques, dans le cadre des échanges marchands organisés depuis 1728 par la Real Compañía Guipuzcoana de Caracas :

Con respecto a las salidas, los únicos rivales de cierta consideración con que contó el monopolio gaditano fueron los puertos de Pasajes y San Sebastián, desde donde estaban oficialmente autorizados a partir los navíos pertenecientes a la Real Compañía Guipuzcoana de Caracas.178

Il signale également qu’en temps de guerre avec le Royaume-Uni, les britanniques avaient souvent recours au blocage du port de Cadix, forçant les départs et les arrivées depuis et vers d’autres ports, notamment ceux du nord de la Péninsule179. Il se pourrait donc que Morfi ait emprunté cette voie pour parvenir à quitter sa terre de naissance. Mais même si partir du Nord

175 MORFI, Juan Agustín, Relación geográfica e histórica de la Provincia de Texas o Nuevas Filipinas

(1673-1779), México, UNAM, Instituto de Investigaciones Bibliográficas, 2010, p. 127. 176

Cf. Supra, Partie 1, Chapitre 1, p. 27-29.

177

Pour cette question, voir notamment les travaux d’Antonio García-Baquero González. Cf. Supra, Partie 1, Chapitre 1, p. 26-27.

178 GARCÍA-BAQUERO GONZÁLEZ, Antonio, Cádiz y el Atlántico, t. I, p. 111.

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de l’Espagne semblait plus aisé pour tous ceux qui vivaient dans ces régions, les catalogues de passagers aux Indes prouvent que la plupart partait tout de même de Cadix. Cependant, nous ne pouvons à ce jour valider ni infirmer aucune de ces deux hypothèses. Nous ne pouvons pas non plus affirmer avec certitude que la destination initiale de Morfi ait été précisément la Nouvelle-Espagne. En effet, si nous émettons l’hypothèse selon laquelle Morfi a pu traverser l’Atlantique à bord de l’un des bateaux de la Compañía Guipuzcoana, il a très bien pu débarquer dans un premier temps à Caracas puisque cette compagnie ne pouvait commercer qu’avec la Nouvelle-Grenade. Avec le temps et les progrès de la recherche menée dans ces domaines, nous serons peut-être un jour en mesure de répondre à ces interrogations.Une troisième hypothèse serait celle d’un passage clandestin vers les Amériques. Néanmoins, du fait même de la nature de ce type de traversée, l’hypothèse de la clandestinité ne peut être infirmée ni confirmée et nous ne pouvons quantifier sa probabilité.

Une autre zone d’ombre subsiste concernant les activités de Juan Agustín Morfi durant ses premières années sur le sol américain, avant qu’il ne prenne l’habit franciscain. Les chercheurs proposent diverses hypothèses pour expliquer le fait que l’on ne retrouve aucune trace de lui durant cette période. Carlos Eduardo Castañeda suppose que Morfi est arrivé aux Amériques, comme d’autres avant lui, pour vivre une vie d’aventures et devenir riche et qu’il n’a pris l’habit franciscain que comme ultime solution face à ses rêves déçus180. Ricardo Sánchez Flores, quant à lui, pense que cette hypothèse, si elle correspond à l’image de l’Espagnol pauvre en quête de richesses, est trop généralisatrice dans la mesure où tous les religieux d’Amérique ne rentrent pas dans les ordres parce qu’ils n’ont pas réussi à faire fortune :

La idea que tiene Castañeda de lo que pudo ser Morfi en su juventud, se corresponde perfectamente con la imagen, ya clásica, del español pobre y aventurero, que viene al Nuevo Mundo como un caza-fortunas, pero que cambió ese interés mundano y materialista por el hábito y el evangelio. Habrá que matizar esta idea. No todos los que fracasaban en la aventura y en conquistar el mundo, necesariamente tenían que consolarse con el hábito. Los frailes y los misioneros eran, en su mayoría, congruentes con la manera de vivir que libremente habían elegido.181

De plus, selon lui, cette idée ne correspond pas non plus à la personnalité de Morfi. Il émet donc l’hypothèse que celui-ci ait passé ces années à parfaire son instruction :

180

CASTAÑEDA, Carlos E., « Introduction », in MORFI, Juan Agustín, History of Texas : 1673-1779, ed. de Carlos Eduardo Castañeda, Albuquerque, The Quivira Society, 1935, 1ère partie, p. 16.

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La personalidad del padre Morfi no encaja con esta visión del español aventurero. Lo que sí cabe suponer con cierta seguridad es que el franciscano debió, en ese lapso de tiempo, haber estado ya en el convento de San Francisco, antes de tomar el hábito.