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La politique linguistique : L’arabisation ou l’unilinguisme

2. Le cas de l’Algérie : vision panoramique

2.2 La politique linguistique : L’arabisation ou l’unilinguisme

L’arabisation était et demeure encore le fondement de la politique linguistique du pays. Le but de cette politique tel qu’il est présenté par les décideurs est d’appliquer la notion d’indépendance en remplaçant le français (la langue officielle du colonisateur) par une langue officielle et « nationale » (l’arabe) marquant ainsi un retournement de situation et un retour vers la situation d’avant 1830 où l’arabe était la seule langue écrite.

« La langue arabe littérale, appelée à être modernisée et utilisée pour les usages extra- religieux était ainsi appelée à prendre la place de tous les autres codes linguistiques en vigueur en Algérie, à savoir :

- la langue française : la suppléance est envisagée comme progressive, mais aucune situation de bilinguisme n’est officiellement assumée.

- les langues maternelles : l’affirmation en est moins officielle, mais le discours idéologique applique à l’arabe classique le qualificatif de « langue maternelle », « langue de

2Tous les pourcentages cités dans cette partie (le répertoire linguistique) sont tirés de LECLER,

Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 12

octobre 2008[www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algérie.htm

3LECLER, Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université

78 l’utilisent en situation orale » (GrandGuillaume, 1998 : 18)

Si cette politique d’arabisation a été accueillie positivement par la population ayant pour langue maternelle l’arabe dialectal, car l’usage exclusif de l’arabe classique était perçu comme une sorte d’élévation à un niveau supérieur de langue, la population berbérophone quant à elle s’est montrée sceptique car voyant dans l’usage politique fait de l’arabisation une menace imminente pour les parlers berbères.

Plusieurs lois ont été adoptées dans ce sens. L’article 3 de la constitution de février 1989 stipulait que « l’arabe est la langue nationale est officielle ». La constitution de 1989 a été modifiée le 28 novembre 1996 lors d’un référendum est entrée en vigueur le 7 décembre 1996. Toutefois l’article 3 reproduit intégralement la disposition constitutionnelle de 1989 : « l’arabe est la langue nationale et officielle ». On fait référence ici bien sur à l’arabe classique. Une trentaine de lois ayant trait à l’arabisation ont été adoptées depuis l’indépendance4. Mais aucune ne semble avoir été intégralement respectée. On peut citer particulièrement, le décret du 22 mai 1964 portant sur l’arabisation de l’administration, les ordonnances n°66-154 et n°66-155 du 8 juin 1966 sur la justice, l’ordonnance du 26 avril 1968 sur la connaissance obligatoire de l’arabe pour les fonctionnaires, la circulaire du ministère de l’intérieur de juillet 1976 sur l’affichage, la nouvelle loi n°05-91sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe promulguée le 16 janvier 1991 (adoptée le 27 décembre1990) et l’ordonnance n°96-30 du 21 décembre 1996, qui vient modifier quelques articles de la loi n°05-91 et la « compléter ». Cependant, la loi portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe, qui a été promulguée le 16 janvier 1991, fut «gelée» en 1992 par le chef de l'État, Mohamed Boudiaf : il avait considéré que les conditions pour la généralisation de l'arabe n'étaient pas réunies. Cette loi a été ensuite réactivée le 17 décembre 1996, mais mise en vigueur seulement le 5 juillet 1998.

La loi n° 05-91 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe est sans précédant depuis l’indépendance de l’Algérie. Cette loi vise à exclure l’usage et la pratique du français dans l’administration publique, le monde de l’éducation (universités incluses), la santé, les secteurs socioéconomiques, etc. Elle vise également à éliminer l'élite francisée formée essentiellement dans les écoles d’administration publiques algériennes et représentant l'encadrement technique et scientifique de tous les secteurs d'activité.

4LECLER, Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université

79 étrangère » et prévoit pour les contrevenants de fortes amandes. Le gouvernement algérien avait imposé le 5 juillet 1998 (date anniversaire de l’indépendance)5 comme date limite pour l’arabisation de tous les aspects de la vie (administration, affaires, médias, éducation, etc). La télévision par exemple s’est mise à sous-titrer les films étrangers, les journaux télévisés sont diffusés en langue arabe et les invités des programmes sont contraints à s’exprimer en arabe classique auquel s’ensuit un manque de spontanéité de l’expression qui dans certains cas peut aller jusqu’à l’impossibilité de s’exprimer clairement.

C'est essentiellement dans le domaine de l'enseignement que des mesures draconiennes furent prises. Étant donné que, en 1962, l'Algérie était dépourvue d'enseignants parlant l’arabe classique, le gouvernement n'imposa que sept heures d'enseignement de l'arabe par semaine dans toutes les écoles; ce nombre passa à 10 heures par semaine en 1964. Pour pallier le problème de la pénurie des professeurs, il a fallu en recruter des milliers en Égypte, en Irak et en Syrie, ce qui suscita à l'époque des controverses et des résistances dans le milieu enseignant. L’ordonnance de 1976 sur l'école fondamentale imposa l'enseignement du français seulement à partir de la quatrième année et dans des conditions pédagogiques défectueuses. En 1974, l'arabisation de l'enseignement primaire était achevée et celle du secondaire était en bonne voie de l'être.

Depuis 1989, l'arabe classique est la seule langue d'enseignement tout au cours du primaire et du secondaire. C’est l’article 15 de la loi no 91-05 du 16 janvier 1991 qui impose cet enseignement exclusif de la langue arabe : « l’enseignement, l’éducation et la formation dans tous les secteurs, dans tous les cycles et dans toutes les spécialités sont dispensés en langue arabe, sous réserve des modalités d’enseignement des langues étrangères ».

Le français est toutefois introduit comme langue étrangère obligatoire dès la quatrième année du primaire et, par la suite, jusqu'à la fin du secondaire.

Quant à l'enseignement supérieur, a d’abord été arabisé dans les sciences humaines, il reste encore relativement en français, particulièrement dans les disciplines scientifiques et techniques. Le français domine tous les domaines du savoir auxquels l’arabe n’a pas pu encore accéder. Les étudiants qui ont suivi leur formation en arabe ont souvent au terme de leur cursus des débouchés peu valorisants suivant les critères locaux (professeurs de lettres ou de droit, avocats, fonctionnaires…) alors que ceux qui ont mené leurs études en français

5 Le choix de cette date butoir n’est pas fortuit. Si elle a été choisie c’est pour symboliser cette fois non pas l’indépendance politique, économique et social mais bien « l’indépendance linguistique ».

80 sociales valorisantes donc psychologiquement satisfaisants (ingénieurs, architectes, médecins, informaticiens…).

L'arabisation des universités a été ralentie depuis que les étudiants se sont révoltés parce que leurs diplômes arabes ne leur offraient pas de débouchés sur le marché du travail, l’encadrement se fait en français et la documentation est également en abondance en français. De toute évidence, les institutions universitaires algériennes ressortent avec un taux d'échec ahurissant et cela dès la première année, vu que nos étudiants arrivent à l’enseignement supérieur munis d'une formation arabophone, alors qu’ils sont emmenés à suivre leur cursus en langue française.

Enfin, concernant les écoles privées, le gouvernement algérien a prévu une loi dont la mise en application devait être l'automne 2005. Le ministre de l'Éducation menace de faire abolir les écoles qui ne se conformeraient pas au programme officiel, notamment à un enseignement à 90 % en arabe : « Les écoles privées sont (reconnues, mais) soumises aux mêmes programmes et au même encadrement que les écoles publiques, la seule différence est qu'elles sont autorisées à avoir d'autres programmes supplémentaires que le Ministère doit avaliser également. Nous allons leur donner un délai pour se conformer à la réglementation, sans cela elles devront arrêter leurs activités ».6

Le 12 avril 2005, le chef de l’État (Abdelaziz Bouteflika), s’exprimant devant les ministres de l’éducation de l’Union africaine (UA), posait l’une des dernières pierres d’un édifice datant de l’indépendance algérienne : « Il est tout à fait clair que toute institution privée qui ne tient pas compte du fait que l’arabe est la langue nationale et officielle, et qui ne lui accorde pas une priorité absolue, est appelée à disparaître»7.

Son ministre de l’éducation, Abou BakrBenbouzid, développait ainsi dans la foulée la pensée du président : «Il n’y aura pas de réformes au détriment de la langue arabe et de l’identité nationale.» Il a aussi rappelé que l’Algérie «a perdu la langue arabe pendant 132 ans et nous avons consenti beaucoup de sacrifices pour la récupérer et aujourd’hui, il est tout à fait clair que je n’ai pas l’intention d’en faire l’objet d’un jeu ».8

6LECLER, Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université

Laval, 12 octobre 2008[www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algérie.htm

7LECLER, Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université

Laval, 12 octobre 2008[www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/algérie.htm

8LECLER, Jaques. «Algérie » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université

81 « la schizophrénie linguistique ». La plupart des responsables des écoles privées insistent sur le fait que leurs écoles ont pour objectif principal de former des bilingues performants (arabe - français) pour qu’il leur soit possible de suivre parfaitement leurs études supérieures dont plusieurs filières qui sont généralement dispensées en langue française.

Cette politique qui concernait l’ensemble de la vie sociale en Algérie n’a pas pourtant réussi à atteindre l’intégralité de ses objectifs, les secteurs économique et technique y ont principalement échappés. C’est l’enseignement, l’administration, l’environnement général et notamment les média qui sont sous l’hégémonie directe de l’état qui ont été les plus touchés par l’arabisation.

Les différentes réformes linguistiques concernaient, donc, particulièrement le domaine de l’arabisation et le domaine des langues étrangères. Leur terrain d’actions était principalement le cadre éducatif mais aussi l’administration. Malgré une réalité sociolinguistique plurilingue, les décideurs politiques n’ont retenu « qu’une langue nationale (l’arabe classique) usitée par une minorité de lettrés arabophones. Les langues maternelles sont systématiquement occultées, éradiquées, exclues des sphères de l’officiel et de l’éducationnel. Les politiques d’arabisation ont donc souvent procédé par l’exclusion et la négation de ce qui fait l’algérien dans sa complexité linguistique ». (M. Miliani, 2004 : 215)

En somme, derrière toutes ces lois linguistiques d’arabisation, la politique linguistique impose l’arabe classique (la langue du pouvoir) à l’exclusion de toute autre langue que ce soit l’arabe algérien, le tamazight ou le français alors qu’en réalité aucun effort n’a été fait de façon rationnel (ni recherches, ni programmes) pour arabiser certaines sphères qui sont restées malgré tout francophones. Les décisions de l’état en matière de politique linguistique n’ont jamais été soumises ni aux pédagogues, ni aux sociolinguistes, ni aux économistes…

L’alibi de cette exclusion linguistique était toujours l’unité nationale. «L’excuse était toute trouvée par le besoin d’unifier un peuple qui l’avait cependant été contre la puissance coloniale. Le politique a donc sacrifié l’identitaire qui se conjugue pourtant au pluriel car la diversité et une réalité incontournable » (Miliani, 2004 :215-216)

Dans un article qui s’intitule « l’Algérie des langues, question délicate, réponses faciles ? » WacinyLaredj9décrit la réalité sociolinguistique algérienne :

82 des langues en Algérie contemporaine…Cet espace a toujours été un champ de batailles interminables de passions et de luttes…

Le cas de l’Algérie peut être considéré comme l’une des rares occasions dans l’histoire humaine où une richesse plurielle, censée être bénéfique pour la prospérité culturelle du pays, devient soudain un handicap ou un mal défiant toute raison…Toute exclusion de l’une des composantes linguistiques nationales ne peut que mener au désastre et à la désertification culturelle.

Malheureusement, au niveau institutionnelle, la constitution a échoué là où elle n’avait pas le droit de faire de faux pas, en proposant des solutions trop simplistes et hâtives…en instaurant une langue nationale (chose qui est dans les normes puisque il faut une langue nationale de communication) mais en excluant le reste de la belle mosaïque linguistique qui a une présence socioculturelle très grande…la langue française par exemple, qui dans la réalité quotidienne, à côté de la langue arabe a une présence dans tout le tissu social culturel et administratif est exclue de tout débat linguistique véritable, et une partie de la population s’est trouvée en dehors de toute possibilité de communication, victime d’une situation historique qu’elle n’a pas créée, puisque elle a été mise à l’écart par décision bureaucratique…on se rappelle bien l’exigence de certains cercles politiques…pour l’application de la loi de l’utilisation obligatoire de la langue arabe…une loi qui pénalise tout utilisateur de langue étrangère… ».

La politique linguistique de l’Algérie peut être résumée, ainsi, dans les points suivants : · La langue arabe a le statut de l’unique langue officielle et nationale (arabe classique). · Le berbère est considéré comme dialecte représentant du folklore et de culture

« primaire », il a été reconnu finalement comme langue nationale le 08 avril 2002, cependant cette reconnaissance reste beaucoup plus symbolique que pratique.

· La langue française (qui avait tous les pouvoirs à l’époque coloniale) a désormais le statut de langue étrangère porteuse d’une teinte coloniale, son usage reste cependant prépondérant d’où l’ambiguïté de son statut.

Selon A.Dourari (2003 : 08), le français peut prétendre à une co-officialité dans la mesure où cette langue est très utilisée et avec aisance par les membres du gouvernement, que le journal officiel de la République algérienne est rédigé dans les deux langues (l’arabe et le français), même chose pour les diplômes algériens comportant leur traduction en français et que sur les pièces d’état civile est toujours mentionné « écriture du nom en caractères latins ».

83 l’université dans les branches technoscientifiques et dans la formation poste-graduée toutes disciplines confondues, littérature et langue arabe incluse (documentation en français, formation en France…). En plus, elle est omniprésente dans la société par le biais de la presse d’expression française et par le biais des programmes télévisés français reçus par satellite.

Actuellement, aucun acteur politique ne nie explicitement le statut de langue nationale et officielle à l’arabe classique, c’est les statuts de la langue française et de tamazight qui restent encore problématiques. Le français reconnu langue étrangère mais dans les faits c’est une seconde langue officielle de l’Algérie. Quant aux variétés du berbère et l’arabe algérien on leur a légués le rang de dialectes régionaux. C’est donc la situation diglossique qui caractérise l’Algérie d’aujourd’hui et la réalité sociolinguistique le démontre clairement. Les locuteurs instruits recours naturellement à l’arabe classique ou au français pour les rapports formels et, avec autant de naturel, à l’arabe dialectal et les variétés du berbère pour les échanges intimes quotidiens. Personne ne pensera écrire une demande de travail ou une requête à un tribunal…en kabyle ou même en arabe algérien, la langue véhiculaire de tous les algériens.

Pour conclure ce point nous reprenons les propos de R. Breton (cité in Coste &Hébarard, 1991 : 08) : « Notre humanité est confrontée à la différence. La question est de savoir jusqu’où la différence linguistique peut être considérée comme un luxe ou une menace ».