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2. Le cas de l’Algérie : vision panoramique

2.3 L’idéologie sociolinguistique : L’arabo-islamisme

Depuis l’indépendance, la problématique des langues a été rattachée sans équivoque à la construction de l’Etat-nation. Les principaux textes de référence (les constitutions -1976, 1986, 1989-et la charte d’Alger 1964) présentent cette problématique sous forme de dualité : langue nationale (l’arabe classique) et langues étrangères. Les parlers vernaculaires par contre, ont bénéficié d’un traitement in absentia. Ceci montre une tendance (explicable) vers

une langue donnée pour des besoins de construction d’une société homogène. C’est ce que d’ailleurs toutes les politiques linguistiques tendent à réaliser. Cette politique a fini par écarter implicitement les langues maternelles et à promouvoir un « nationalisme linguistique outrancier ». (Miliani, 2004 :211). Ainsi, à partir d’une réalité sociolinguistique incontestablement plurilingue, la politique a procédé et depuis l’indépendance à « une monolinguisationdéstructurante de la société algérienne ». (Miliani, 2004 : 211). L’ensemble des réformes qui ont été envisagées pour les langues ne peuvent constituer des politiques

84 sociolinguistiques du pays et deuxièmement ses procédés sont l’exclusive et le rejet.

Le tableau suivant donne une idée d’ensemble des politiques appliquées depuis l’indépendance(Miliani, 2004 : 212-213)

Objectif Types d’action (ou de manœuvre)

Arguments récurrents Arguments cycliques

En direction de l’Arabe Classique Démarche jacobine (normale ?) Domination et imposition -Constantes Nationales à forte teinte arabo-islamique -Construction de l’état nation -Langue sacrée -Identité culturelle. En direction des langues étrangères

Emploi des L.E comme Alibi (Comme Prothèse) ou par Détournement (Anglais en lieu et place du français) -Langue instrument (pas de culture) -transfert de technologie -Hiérarchisation (conjoncturelle) -ouverture (facteur modulable) -langues mineures En direction des vernaculaires locaux

Oubli par Cécité consciente (comme s’ils n’existaient pas)

-risque de désunion -langues non pures -occultés -L’amazighité (berbérité) élément à géométrie variable car convoqué ou oublié selon -patrimoine -(aspects folkloriques)

Selon Miliani : « la langue est d’abord idéologie, pouvoir » (2004 :213). Elle est devenue aujourd’hui « un point de convergence de tous les fantasmes, les craintes et les attentes identitaires des acteurs sociaux et idéologiques qui s’affrontent sur la scène algérienne » (Dourari, 1997 : 20). Participer au débat sur les langues tel qu’il est actuellement présenté, c’est prendre le parti de «la langue du sacré » (l’arabe classique) contre les langues du profane (toute autre langue/dialecte). La voie à un réel débat est obstruée dès le moment où le discours idéologique sur l’identité et la nation était la charpente soutenant la problématique sur les langues. Les objectifs étant clairs : « mise en exergue de la dimension arabo-musulmane ». (Miliani, 2004 : 213).

85 inéluctablement par « l’homogénéisation linguistique, d’où la préoccupation quasi obsessionnelle de la réussite de l’arabisation. » (Miliani, 2004 : 214).

Pour atteindre cet objectif, la politique a développé et a diffusé des discours à idéologie populiste afin de dissimuler et d’occulter les différences culturelles, ethniques, régionales et religieuses en adoptant une stratégie bien spécifique (si on n’en parle pas, c’est qu’elles n’existent pas) et en faisant de la surenchère sur la langue arabe.

La diversité linguistique était loin d’être l’idéal des décideurs, c’était plutôt la convergence qui était proclamée notamment par les monolingues arabophones qui dès le départ ont bénéficié de l’appui du mouvement panarabiste en vogue au moyen orient sous l’égide de l’Irak. Le lien entre islamité et arabité était poussé au point de leur confusion. C’est un véritable phénomène que de voir en l’islam, l’arabité et l’unité nationale « un lien organique » au point de ne plus pouvoir parler d’arabité sans citer l’islam et l’unité nationale. Et la spécificité de l’Algérie serait justement, selon ce mouvement, l’indissociabilité de ces trois entités. C’est dans ce contexte dominé par une idéologie arabo-islamique ambiante que des politiciens ont été jusqu’à avancer que les francophones étaient : « …des orphelins de la culture, ni orientaux, ni occidentaux…Ce sont des infirmes, qu’il nous faut soigner » (Nait Belkasem10 in El-Moudjahid Nov 1962 cité par Madi 1997 : 119 cité par Miliani, 2004 : 216) Les francophones ne pouvaient plus s’exprimer ouvertement sans être taxés de « parti français ».

L’arabisation a apporté une empreinte plus arabe et plus musulmane sur l’ensemble de la vie sociale ce qui a fait le bonheur d’une grande partie de l’opinion qui voit dans la langue arabe le symbole d’un rattachement effectif à l’islam et de l’enracinement dans la culture arabe.

L’islam est devenu un lieu de référence fondamentale pour l’identité algérienne principalement avec les mouvements nationalistes et religieux (‘uléma) qui militaient pour une prise de conscience d’un destin algérien commun s’appuyant essentiellement sur l’Islam et la langue arabe. « L’Algérie est ma patrie, l’Islam est ma religion, l’arabe est ma langue », c’est par cette expression historique que le Cheikh réformiste Ben Badis ripostera au courant algérien assimilationniste (1936). Depuis, la conscience algérienne s’est constituée autour du refus de l’identité française, ou de l’entité française ; model qui continue, aujourd’hui, d’être cultivé et alimenté pour des fins politiques et pour la conquête des positions de pouvoir. C’est

86 et d’adoption sans contestation de tout ce qui s’associe au moyen–orient ou à la langue arabe. Nous reprenons ici les propos de Gilbert Grandguillaume discutant la problématique de l’identité algérienne :

« Dans l’échiquier des langues présentes en Algérie, chacune désigne une origine, une origine porteuse d’une identité. Les langues berbères témoignent de l’existence d’une société antérieure à l’Islam, et qui, tout en étant devenue musulmane, ne s’est pas pliée à l’arabisation et a conservé sa langue. La langue arabe classique témoigne de cette présence de l’Islam, référence vaste mais lieu-refuge de l’identité durant la colonisation. La langue française (et parfois italienne et espagnole) témoigne d’une période vécue avec l’Europe, d’une introduction d’autres modèles, de cette part que l’algérien porte en lui comme un désir d’ouverture. Ce modèle, qui est passé aussi par les langues parlées, arabes et berbère, demande à être reconnu comme composante d’une personnalité multiple.

De ces identités, de ces langues, le pouvoir étatique ne retiendra qu’une : la référence arabo-islamique. » (1998 : 22)

L’algérianité, c'est-à-dire tout ce qui spécifie l’algérien dans ses tripes, est combattue au nom d’une supranationalité arabe et d’une civilisation arabo-islamique où seul le caractère arabe est souligné.