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1. Concepts théoriques en sociolinguistique

1.1 Diglossie et représentations sociolinguistiques

Le concept de diglossie apparu au 19ème siècle et utilisé dans le domaine hellénistique par Psichari a été diffusé aux Etats-Unis principalement par Ch. A. Ferguson et J-A. Fishman. Pour ces sociolinguistes nord-américains, le concept de diglossie désigne « une répartition fonctionnelle des usages de deux variétés d’une même langue ou de deux langues différentes au sein d’une même communauté. » (Boyer, 1996 :92)

(Comme par exemple l’arabe classique et l’arabe dialectal dans les pays arabophones).

On parle donc, de diglossie lorsque le partage des espaces linguistiques se fonde sur une délimitation franche entre les fonctions attribuées à chaque langue. La première variété ou langue A dite encore « Haute » est réservée aux communications formelles (administrative, religieuse…) alors que la variété ou la langue B dite « basse » est destinée aux échanges quotidiens et « ordinaires ». Selon l’approche nord-américaine cette répartition sociolinguistique est stable et équilibrée.

Le concept de diglossie a été repris dans les années 60-70 par les sociolinguistes dits « natifs » ou « périphériques » (essentiellement catalans et occitans et ultérieurement certains créolisants) mais cette fois-ci avec de nouvelles dimensions déterminatives. En effet, ces sociolinguistes vont adapter le concept de diglossie à une situation sociolinguistique spécifique celle des régions catalanes en Espagne où émerge une concurrence déloyale entre le catalan et le castillan (l’espagnole).

63 distribution plus ou moins constante et tout à fait complémentaire de deux variétés de la même langue ou de deux langues distinctes en usage au sein d’une même communauté va s’opposer une vision largement dynamique et polémique proposée par la sociolinguistique catalane et par la suite occitane.

Selon les sociolinguistes catalans (V.Aracil, R.Ninyoles, F.Vallverdu, A.Badia, i. Margarite) et occitans (principalement R.Lafont et son équipe de recherche), il ne peut y avoir de coexistence pacifique et équilibrée entre deux langues en situation de concurrence. Si elles cohabitent ensembles c’est qu’il y a forcément des rapports houleux entre une langue dominante (le castillan, le français) et une langue dominée (le catalan, l’occitan). Or dans un contexte de domination, on ne peut échapper au déséquilibre, à l’instabilité, au conflit et au dilemme. Cette situation de crise présentera donc, soit une langue imposée qui par tous les moyens essaye de se substituer à la langue dominée (cas plus courant comme en témoigne l’Histoire) soit des usagers militants (résistance collective) pour la « normalisation » de leur langue dominée. En d’autres termes, la récupération de ses fonctions sociales comme langue en plein exercice donc, son utilisation dans toutes les sphères de la communication sociale. (Boyer, 1996 : 93)

Parallèlement à cette approche diglossique (conflictuelle) que nous venons d’étaler, la sociolinguistique propose une autre vision des choses plus « conversationnelle » promue par les sociolinguistes suisses. Ces derniers abordent la situation du contact des langues dans les sociétés bi- ou plurilingues en termes pacifiques de « bilinguisme » ; ce qui les rapproche de la tradition nord-américaine.

Pour Ninyoles (2001, in Boyer, 2003b :172), le conflit linguistique révèle l’existence d’un conflit social où la langue devient le moyen symbolique par lequel on exprime sa différence et son opposition à l’autre. Ainsi même si on reconnaît que toutes les situations du plurilinguisme ne sont pas forcément des situations conflictuelles, on ne peut pas dire pour autant que le conflit linguistique est une « anomalie » car en réalité ce qui est courant c’est l’existence d’un conflit latent que ressentent profondément les individus et qui se manifeste sous forme de « violence symbolique » (Bourdieu). A ce sujet Ninyoles prévient : « Ce ne sont pas ceux qui reconnaissent le conflit, mais ceux qui le nient ou le dissimulent idéologiquement en fonction de leurs propres intérêts, qui sont responsables d’une évolution vers des expressions de violence et d’irrationalité ». (Traduit et cité par Boyer, 2003b :172-173).

64 que ses membres maîtrisent les deux parlers en question (bilinguisme social). Fishman (1967, cité in Dabène, 1994 : 47) propose un classement devenu classique dans lequel il présente les quatre cas de figures possibles :

· bilinguisme avec diglossie : les membres de la société en question maîtrisent les deux codes, ceux-ci ayants des emplois différents. L’exemple du Paraguay où tout le monde parle espagnol et guarani : l’espagnol étant fonctionnellement la forme « haute » et la guarani la forme « basse ».

· bilinguisme sans diglossie : les deux codes sont en concurrence pour les mêmes usages. (En Belgique les groupes germanophones au sein desquels le français remplacerait lentement l’allemand).

· diglossie sans bilinguisme : cas de deux groupes monolingues réunis dans une même communauté. (La Russie tsariste dans laquelle les nobles parlaient français et le peuple parlait russe).

· ni diglossie ni bilinguisme : cas d’une communauté isolée n’ayant en sa possession qu’une seule variété linguistique.

1.1.2 Société diglosse et représentations sociolinguistiques :

On admet aujourd’hui, que les usages et les pratiques linguistiques sont pétris et investis de représentations sociolinguistiques, d’attitudes et d’images souvent stéréotypées. Ces pratiques sont aussi régies par les valeurs courantes sur le marché linguistique. De ce point de vu, les représentations semblent déterminantes dans l’évolution des situations diglossiques (conflictuelles) dans la mesure où elles orientent les conduites des usagers de la langue dominée soit vers une action de résistance au processus glottophagique (Calvet) et linguicide ou au contraire vers la résignation.

Les représentations sociolinguistiques de la situation diglossique ont souvent une orientation en faveur de la langue dominante (langue A) car c’est bien la langue dominée (langue B ou basse) qui est sujette à la dévalorisation et la stigmatisation1 par l’ensemble de la communauté, y compris les usagers de cette langue. A ce sujet Calvet affirme:" la péjoration du dialecte n'est en effet pas seulement le fait de ceux pour qui il peut être considéré comme la langue des autres, elle devient parfois le fait de ses propres locuteurs soumis à la pression de l'idéologie". (1988:70). Ces représentations génèrent chez les sujets dont la langue est dominée des sentiments de dévalorisation assurée par l’usage mais

65 manifestant à travers « une mythologie flatteuse »décrivant la langue B avec des qualités (beauté, harmonie, intimité, chaleur, proximité des êtres et des choses de la vie quotidienne…) certainement non attribuées à la langue A (Boyer, 1996 : 94). En effet, « les représentations plus ou moins réductrices et plus ou moins figées, les valeurs attribuées par le marché sociolinguistique dominant contribuent largement à promouvoir idéalisation, stigmatisation, folklorisation en ce qui concerne la /les langues dominées. Légitimation et illégitimation sociolinguistique sont également directement liées à ces composantes de l’imaginaire des langues en présence ». (Boyer, 2003a : 46). Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire cette idéalisation de la langue dominée ne fait que renforcer la position de la langue dominante dans la mesure où l’on ressent cette situation dévalorisante comme un fait irréversible devant lequel on se résigne et on baisse les bras. En effet, les communautés linguistiques touchées par ces attitudes d’auto-dénigrement (la haine de soi), ou de culpabilité (Lafont, 1971) se sentent peu concernées par la résistance sociolinguistique et se tournent plutôt vers la soumission à la langue dominante. Et dans des situations de conflits diglossiques, cette attitude de démission joue un rôle fondamental dans l’aboutissement du conflit diglossique à une substitution complète de la langue dominée par la langue dominante. R. Lafont d’ailleurs, a bien montré comment « l’autodénigrement des dominés, se croyant porteurs d’une sous-langue -un patois- finissait, en installant en eux une culpabilité durable, par arrêter la transmission naturelle (familiale) de la langue ainsi stigmatisée et donc à accepter un monolinguisme en faveur de la langue dominante. »(Boyer, 2001 : 54-55)

Cependant la substitution complète de la langue dominée par la langue dominante (la mort de la langue B) n’est pas toujours la seule et unique issue au conflit diglossique. En effet, dans certaines situations, ou l’on marque une résistance tenace et une loyauté infaillible des usagers de la langue dominée envers leur langue, il y a des redressements de situations avec un retour en force de la langue jusqu’à lors dévalorisée en généralisant progressivement son usage dans toutes les circonstances de la vie sociale (cas du français au Québec et du catalan en Espagne). Même dans le cas d' « une langue peu parlée mais dont les locuteurs considèrent qu'il est important de la maintenir (pour des raisons emblématiques, identitaires, religieuses, etc.) peut avoir une survie que le seul facteur que constitue le nombre de locuteurs ne laisse pas prévoir ». (Calvet, 1999:38).

Ainsi, la mort ou la survie d’une langue suite à un conflit diglossique dépend d’un facteur sociopsychologique très important celui du « prestige dont jouit cette langue par rapport à la

66 investie par ses usagers naturels (une langue qui a une littérature reconnue ou/ et langue d’une communauté qui a su s’adapter à la modernité), ou au contraire le manque de prestige accompagné de représentations stigmatisantes ( comme celle d’une langue attachée à un mode de vie dépassé, anachronique…) dont elle est victime. »(Boyer, 2001 : 70-71)

En Espagne par exemple, deux langues historiques (le catalan et le galicien) ont eu deux destinées différentes car leurs usagers respectifs avaient des représentations de leurs langues de natures différentes. Si le groupe catalan avait une image positive de sa langue ce qui a conduit à sa normalisation, les galiciens, par contre considéraient la leur comme une langue de la compagne et du mode de vie paysan et de ce fait de minimes chances lui sont accordées pour se hisser un jour au rang de l’espagnol.

Le même cas est observé en France avec l’occitan où des représentations paradoxales oscillant entre stigmatisation et idéalisation ont conduit à des sentiments de culpabilité et d’auto-dénigrement chez les usagers et du coup est apparu chez eux un refus conscient de transmettre « ce patois » aux générations futures. (Boyer, 2001 : 71)