• Aucun résultat trouvé

2. Les représentations de la langue

2.1 Les représentations sociolinguistiques comme catégorie des représentations sociales

2.1.1 Insécurité linguistique/ Hypercorrection

Les représentations que nous avons des langues et de leurs usages sont à l’origine d’un certain nombre de phénomènes dont l’insécurité linguistique et l’hypercorrection.

Les usagers qui n’ont pas en leur possession la compétence linguistique reconnue légitime sont une fois placés sur le marché linguistique dominant des « handicapés » de la communication car « ils sont voués au silence ou au discours détraqué » (Bourdieu 1982 cité par Boyer, 2001 : 37). Ainsi ils sont sujets à un fort sentiment d’insécurité linguistique définie comme « un état de soumission non maîtrisée à l’usage légitime de la langue » (Boyer 2001: 37). L’insécurité linguistique est à l’origine d’un phénomène sociolinguistique nommé hypercorrection définie par Gadet comme « une tendance à une surenchère [normative] en situation surveillée». (1989 cité par Boyer, 2001 :38)

Cette hypercorrection est une production linguistique « fautive »qui est due non à l’ignorance de la règle mais à une attitude exagérée par laquelle on essaye justement d’exhiber, sous l’œil observateur, ses compétences en matière linguistique (lexique, grammaire, prononciation). Elle est le résultat d’une réalisation linguistique non naturelle et non spontanée et où la réflexion sur ce que l’on va dire (réflexion sur les formes grammaticales -souvent des formes de prestige) est la cause principale des « fautes ».

Citons par exemple, la communauté linguistique française, si elle est touchée par ces phénomènes d’insécurité linguistique et d’hypercorrection, c’est à cause d’une conception puriste de la langue et d’ « une certaine représentation conservatrice de l’usage de la langue, représentation tout entière investie par le caractère exclusif de la norme [norme prescriptive], celle qui fonde le bon usage, le seul légitime » (Boyer, 2001 :41).

Or, il semblerait que les femmes sont les plus touchées par l’insécurité linguistique. En effet, au cours de son enquête effectuée à New York, W Labov a observé que les femmes sont plus sensibles aux modèles de prestige que ne le sont les hommes et qu’en discours surveillé, elles utilisent le moins possible de formes linguistiques stigmatisées (fautives). (Boyer, 2001 : 31). De ce fait, ce sont elles (principalement les plus jeunes et les plus scolarisées) qui participent au marché linguistique officiel. (Boyer, 2001 : 35).

V. Méla lors de ses enquêtes a observé que les filles « beurettes » avaient des réticences quant à l’emploi du verlan qu’elles considéraient comme un parler vulgaire et avant tout un parler de garçons. Selon elles la pratique du verlan aurait de fâcheuses retombées non

51 seulement sur leur image principalement auprès de personnes inconnues mais aussi sur leur pratique du français. (Boyer, 2001 :36).

Selon Calvet (1999), les représentations touchent au moins à trois aspects de la langue: la forme des langues c'est-à-dire comment les gens parlent et comment il faut parler, le statut des langues c'est-à-dire ce qu'il faut parler (la langue légitime) et leur fonction identitaire c'est-à-dire ce qui caractérise la communauté. Ces trois représentations sont à l'origine de trois types d'insécurité linguistique (insécurité formelle, insécurité statutaire et insécurité identitaire) qui ne sont pas innés mais acquis sous l'influence de l'environnement sociolinguistique du locuteur autrement dit sous l'effet de l'insécurisation. Calvet propose d'ailleurs trois types d'insécurisations (1999:172):

1. Insécurisation formelle: le discours de l'autre, la correction sociale, le feedback, font comprendre au locuteur qu'il "parle mal". Ce qui est très courant et facile à observer. 2. Insécurisation statutaire: le discours social; l'idéologie dominante, font croire au locuteur que ce qu'il parle a moins de valeur que d'autres formes linguistiques en présence, qu'il parle par exemple un dialecte ou un patois et non pas une langue.

3. Insécurisation identitaire : le groupe, la communauté font sentir au locuteur qu'il ne parle pas la même forme que ses pairs, qu'il n'est pas reconnu comme l'un des leurs à cause de ce qu'il parle ou de la façon dont il parle.

2.2 « Miroir, dis-moi qui est la plus belle ! » : La langue et son image

La langue est une propriété sociale et chacun de nous en tant que sujet parlant en a une représentation qui se traduit par des jugements de valeur autrement dit des idées reçues, des présupposés et des stéréotypes sur la langue et y compris sur ses locuteurs. L-J Calvet donne une définition des représentations -qu'il dit lui-même vague mais que nous trouvons simple- comme "ce que les locuteurs disent, pensent des langues qu'ils parlent (ou de la façon dont ils les parlent) et de celles que parlent les autres (ou de la façon dont les autres les parlent)"(1999:145-146).

La pluralité des langues a débouché sur un souci de classer, de comparer, d’opposer et donc de hiérarchiser les langues comme cela était toujours le cas pour les races, les peuples et les individus. Selon M. Yaghello : « le locuteur naïf n’est guère capable de prendre des distances avec la langue. Il l’investit tout au contraire de valeurs affectives, esthétiques et

52 morales et porte sur elle un regard teinté de son expérience personnelle et des préjugés de son époque et de son groupe social. » (1988 :12)

La liste des attributs linguistiques positifs soient-ils ou négatifs est interminable ; la langue peut être qualifiée de belle, harmonieuse, musicale, laide, dissonante, logique, naturelle, noble, vile, impure, claire, simple, facile, n’a pas de grammaire, vulgaire dialecte…etc

Les préjugés, les images simplistes, les idées fausses peuvent constituer un danger de nature idéologique, être une entrave à la compréhension d’autrui, justifier les comportements racistes et participer à l’obscurantisme.

L’affectivité envers notre langue maternelle et étrangère ainsi que les connotations négatives ou positives qui s’y rattachent, jouent un rôle décisif dans notre désir d’apprendre ou de pratiquer la langue de l’autre. La formation des représentations linguistiques puise sa part du lion dans l’itinéraire personnel de chacun (destin individuel, milieu familial, social, différentes instances de socialisation parcourues).

Il ne faut pas oublier cependant que ce parcours personnel est profondément enfoncé dans l’histoire de chaque communauté linguistique et culturelle ; signe d’appartenance à une communauté sociale. Si la conscience communautaire repose sur des caractéristiques culturelles autres que la possession d’une langue commune, l’apprentissage d’une langue étrangère a de fortes chances d’être bien accueilli : elle sera perçue par l’individu comme un élargissement du choix des moyens de communication qui s’offre à lui et une porte ouverte vers la découverte d’autres groupes. Par contre, s’il s’agit d’une communauté qui a fondé son identité collective sur la maîtrise commune d’une langue, l’apprentissage d’un parler étranger sera senti comme un danger menaçant cette identité et donc sera forcément rejeté, sauf dans le cas où le statut et la vigueur du parler vernaculaire sont suffisamment puissants pour évacuer l’idée d’une menace.

Les discours institutionnalisés ou non sur la (les) langue(s), les textes littéraires et médiatiques sont la pierre angulaire des représentations dans la mesure où ils structurent l’imaginaire linguistique. Ces discours s’inscrivant dans l’histoire de chaque communauté, sont communiqués, traités et stockés dans la mémoire collective de façon à forger à travers l’histoire chez l’individu des images dont découlent des jugements sur sa propre langue et sur

53 celles des autres. Cette « conscience linguistique »6 et ces jugements de valeur sont les atterrissements de différents faits historiques.

Les représentations agissent sur les comportements linguistiques des individus. Ainsi une personne qui a intériorisé une image négative de son dialecte va tâcher de ne pratiquer dans les situations de communications formelles que la forme reconnue comme standard. Par ailleurs, le sujet pratiquant une variété linguistique sera perçu à travers des représentations stéréotypées et son comportement linguistique sera jugé à partir d’une conscience linguistique normative.

De prime abord, tout clivage social ne peut être évoqué sans faire référence aux divergences linguistiques, de même que n’importe quel fait de langue peut être teinté d’une tendance discriminatoire. Dans l’antiquité, les Grecs qualifiaient de barbares tous ceux qui pratiquaient des langues incompréhensibles pour eux : autres que le grec. « Les hommes ont toujours eu tendance à rire des habitudes de l’autre, à considérer leur langue comme la plus belle, la plus efficace, la plus précise, bref à convertir la différence de l’autre (car c’est bien entendu toujours l’autre qui est différent) en infériorité. » (Calvet, 1999 :63)

La vie sociale produit des représentations portant à la fois sur les individus et sur leurs langues. Les jugements de valeur positifs soient- ils ou négatifs émis vis-à-vis de la langue ne sont en réalité que des jugements implicites relatifs à ses locuteurs. Le contraire est aussi vrai dans la mesure où"la discrimination envers les gens peut très bien être liée à la langue qu'ils utilisent"(Klerk et Bosch, cités in Calvet, 1999:149). Ces jugements stéréotypés sur la langue exprimeraient de ce fait, certains stéréotypes attribués aux locuteurs. Cette situation peut déboucher sur un état de personne subjugué par l’altérité s’exprimant dans l’emploi courant de la langue étrangère, ou au contraire elle aura pour effet un rejet reflété par le refus de pratiquer la langue de l’autre.

Selon Scherfer (1989 : 96 cité in Perrefort, 1997 : 53): « d’une manière générale, on peut donc dire que le jugement sur les langues contient automatiquement un jugement sur ceux qui la parlent. De la même manière les commentaires évaluatifs sur les locuteurs se comprennent plus ou moins automatiquement comme commentaires évaluatifs sur les langues respectives. On peut y voir une inexactitude de la pensée analytique et un tour de passe-passe de l’argumentation quotidienne grâce auquel en réussit à rendre acceptable aux yeux des

54 autres l’affirmation de certaines caractéristiques essentiellement négatives concernant les individus.»

La langue a parfois des représentations spécifiques ; les différents historiques, politiques sont souvent symbolisés par les langues des pays qui sont ou qui étaient en conflits. Les jugements sur les langues respectives expriment donc, fortifient et stabilisent ces rapports conflictuels toujours sur scène ou enregistrés dans une longue tradition culturelle.