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En plus de l’accès immédiat qu’assurent la vision et l’ouïe, il faut ajouter le fait que ces deux sens permettent la sélection et l’analyse des stimuli. Ces deux sens sont les seuls, comme le précise le même auteur, à favoriser l’activité intellectuelle, cognitive et linguistique.

2. La perception entre théories et approches

Les chercheurs dans le domaine de la perception ont œuvré pour expliciter les mécanismes de ce procédé, d’où l’émergence de plusieurs théories et approches. Nous exploiterons à ce niveau trois d’entre elles. Il s’agit notamment de la Gestalt théorie, de l’approche cognitive et de l’approche écologique. Ceci dit nous nous concentrerons sur les séquences directement liées à la perception en tant que source de représentations, et non pas en tant qu’une suite d’opérations physiologiques émanant d’un fonctionnement cérébral complexe.

2.1. La Gestalt théorie

Parmi nos sens, celui qui facilite le plus notre contact avec le monde extérieur, est sans doute la vision. C’est grâce à elle que nous percevons les images en direct. La perception visuelle est le point de départ dans la théorie de la Gestalt, la théorie de la forme.

Dans 25 mots clés de la psychologie et de la psychanalyse, Pascal Marson explique que le gestaltisme est une théorie de la forme basée sur la perception visuelle et qui prend en charge les travaux sur les illusions d’optique, qui prouvent que l’on ne peut se fier à ses yeux et que la forme obéit à des lois. Il cite, à titre d’exemple la ligne d’horizon qui semble reculer, à chaque fois que nous avançons vers elle, ou encore la distinction entre le noir et le bleu marine. Nos yeux nous induisent donc en erreur et les informations qu’ils nous transmettent ne sont pas forcément fiables. « Quand la Gestalt-théorie nous dit qu’une figure sur un fond est la donnée sensible la plus simple que nous puissions obtenir, ce n’est pas là un caractère contingent de la perception de fait, qui nous laisserait libres, dans une analyse idéale, d’introduire la notion d’impression. C’est la définition même du phénomène perceptif, ce sans quoi un phénomène ne peut être dit perception. Le « quelque chose » perceptif est toujours au milieu d’autres choses, il fait toujours partie d’un « champ ». » (Merleau-Ponty, 1945 : 10)

2.1.1. Origine

La Gestalt théorie est née suite aux études sur la perception. Gestalt, mot allemand qui veut dire « forme », la Gestalt théorie est apparue en Allemagne au début du XXème siècle. Une forme, auditive soit-elle ou visuelle possède une unité qui ne s’obtient pas par la simple

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addition ou juxtaposition des éléments qui la forment. « La forme, selon les gestaltistes, s’apparente à une structure. C’est une organisation unitaire présentant une identité propre. » (Marson, 2005 : 212). Il ne faut pas se fier à ce que nous transmet notre vision comme images, ce que nous voyons n’est pas forcément ce qui est, « (...) le stimulus rétinien est inadéquat, ambigu et appauvri et ne peut donc constituer une base d’explication pour nos perceptions. » (Rock, 2001 : 14). De même, ce que nous entendons n’est pas forcément ce qui est dit, puisque toutes ces informations visuelles et linguistiques passent à travers la perception dans une dimension qui est propre à chaque individu et s’imprègnent de son empreinte personnelle.

2.1.2. Contre la perspective empiriste

Pour mieux comprendre la Gestalt théorie, il faut sans doute rappeler qu’elle est apparue en réponse à la théorie de l’inférence, généralement associée à la perspective empiriste, qui stipulait qu’à la naissance l’esprit est une tabula rasa, une ardoise vide « sur laquelle l’expérience « écrit » grâce aux sensations. » (Ibid: 11). Les adeptes de cette théorie affirment que le monde ne peut être appréhendé qu’à travers les sens et l’association d’idées qu’ils considèrent comme étant la source de la connaissance. Que les sens sont à l’origine de toute conception mentale. Descartes et Kant se sont opposés aux empiristes en affirmant que l’esprit n’était pas une tabula rasa, et qu’il possédait des acquis innés sur les propriétés des objets, leur taille et leur forme. Ils ont insisté sur le fait que l’être humain est prédisposé à localiser les objets et à ordonner les mouvements, ce qui constitue, en somme, l’expérience perceptive, comme le précise Irvin Rock (2001).

Les psychologues gestaltistes ont hérité de cette tradition de pensée, l’organisation perceptive était l’élément central de leur théorie. Ils adoptent l’idée que « le monde perceptif est organisé, à l’origine, sur la base de lois innées qui gouvernent la formation d’un tout et l’émergence d’une figure sur un fond. » (Ibid : 13), qu’il ne suffit pas qu’il y ait des éléments, mais qu’il faut qu’il existe des liens entre ces éléments afin que la perception opère. D’où la célèbre maxime gestaltiste : « le tout est plus que la somme des parties. » (Ibid)

2.2. L’approche cognitive

Cette approche réfute la thèse des béhavioristes qui atteste que : « La perception n’est pas un sujet digne d’intérêt scientifique, parce que les perceptions sont des états subjectifs. » (Rock, 2001 : 8). Leur argument est que dans les autres domaines scientifiques les faits sont observables, alors que le contenu de l’esprit ne l’est pas. Il est vrai que la perception est propre à chaque individu, d’où son aspect subjectif, cela n’empêche qu’elle constitue une

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réalité présente et qui peut être soumise à une analyse scientifique qui peut rendre compte de son importance quant aux processus mentaux qui contribuent à la lecture du monde.

Le terme cognition renvoie « aux activités et structures psychologiques qui, chez l’humain, recueillent, traitent et communiquent l’information apportée par le monde. » (Détrie, Siblot & Verine, 2001 : 55). D’après les mêmes auteurs, c’est un domaine qui a été exploité par de multiples disciplines comme la philosophie, la psychologie, la neurologie et la linguistique, dans le but de comprendre le fonctionnement de l’esprit humain. C’est autour des années 1960, aux États-Unis, que naît la science cognitive lors d’un symposium sur la théorie de l’information, (Delorme & Flückiger, 2003). Pour décrire la perception, les chercheurs utilisent des termes propres aux systèmes de communication. De cette façon, les stimuli deviennent des entrées (inputs), les récepteurs sont assimilés à des « capteurs », la sensation est chargée de traiter l’information, la perception est reliée à des unités de mémoire, et la réponse est assimilée à des « sorties », (output). Les cognitivistes s’intéressent au processus d’élaboration de la réponse obtenue par l’individu. Margaret W. Matlin propose l’explication suivante : « La cognition, ou activité mentale, comprend l’acquisition, le stockage, la transformation et l’utilisation des connaissances. » (1998 : 17)

Il s’agit d’interpréter les données perçues sur la base des connaissances préalables et des prédispositions innées qui se manifestent à la réception des données et juste au moment où la perception opère, (Fig 1). « (…) la psychologie cognitive étudie la façon dont le cerveau humain transforme les images sensorielles désordonnées en une perception consciente du monde. » (Enghels, 2007 :14).

Stimulus Système perceptuel du percepteur Fig 1. L’acte de perception (R. Enghels, 2007 :14)

La perception est un phénomène qui s’impose à l’homme dès que celui-ci devient conscient du monde qui l’entoure. Ceci laisse à supposer que ce phénomène se manifeste très tôt dans la vie du concerné.

Output Input

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2.3. L’approche écologique. Au-delà de la vision

Dans la préface de The Ecological Approach To Visual Perception (1986) « Approche écologique de la perception visuelle », James Gibson explique les voies qui l’ont mené à découvrir l’approche écologique. Concernant la vision, Gibson affirme qu’il a passé 50 ans à l’étudier sous différents angles. Il a essayé de la comprendre à travers la physique de la lumière et l’image rétinienne pour maitriser la physiologie de l’œil et du cerveau. Ceci dans le but de construire une théorie de la perception empiriquement vérifiable. Mais plus Gibson apprenait sur la physique, l’optique, l’anatomie et la physiologie visuelle, plus il était dérouté. Les chercheurs dans les disciplines citées se sont basés sur le côté purement physique de la vision, Gibson lui, cherchait au-delà de la vision.2

Il affirme que les scientifiques en optique semblent connaitre la lumière comme radiation mais non pas comme illumination. Les anatomistes connaissent l’œil comme organe mais non pas ce qu’il peut faire. Les physiologistes connaissent les cellules nerveuses de la rétine et comment elles fonctionnent mais ils ignorent comment fonctionne le système visuel. Ces disciplines décrivent des faits mais pas à un niveau qui permettrait d’expliquer la perception.

En présentant son livre, l’auteur précise qu’il s’agit de la manière avec laquelle nous voyons le monde dans tous ses détails. En d’autres termes, comment le monde apparait sous nos yeux, et pourquoi il apparait sous cette forme (ou ces formes) ? Gibson insiste sur le fait d’aborder, d’abord, l’environnement avant même d’aborder la perception, et il précise qu’il ne faut pas le faire sur le plan physique mais plutôt sur le plan écologique. Il n’est donc pas question d’analyser la réception de la lumière par les récepteurs sensoriels, mais plutôt d’analyser la manière dont l’information véhiculée par cette lumière active le système perceptif. Il est question d’analyser le processus perceptif à travers une optique écologique qui s’oppose à la méthode classique, qui explique la perception à travers l’analyse des données par le cerveau.

Gibson rejette cette méthode qu’il propose de remplacer par l’approche écologique. Il est connu, affirme Gibson, que la vision dépend des yeux qui sont reliés au cerveau. Lui, propose que la vision naturelle dépende des yeux dans une tête, dans un corps soutenu par le sol, le cerveau devenant seulement l’organe central d’un système visuel complet.

2« Optical scientists, it appeared knew about light as radiation but not about light considered as illumination.

Anatomists knew about the eye as an organ but not about what it can do. Physiologists knew about the nerve cells in the retina and how they work but not how the visual system works. (…) they could not explain vision. »

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Il explique que la vision naturelle consiste en un balayage libre de tout le champ qui s’offre à nous sans qu’il y ait un obstacle qui pourrait freiner cette liberté. Il s’agit d’une parfaite communion entre l’homme et la nature.

Dans un article dans Revue survivre…et vivre, Jacques Munier (2014), explique à son tour, l’impact de l’approche écologique de Gibson sur l’étude de la perception visuelle.

Il explique comment l’environnement est à la fois le stimulus de la perception et ce qui oriente les actions de l’individu. D’où la notion d’affordance qui désigne les possibilités d’action offertes par les éléments de l’environnement aux êtres vivants : humains et animaux. Gibson, qui s’oppose, nous l’avons mentionné plus haut, au behaviorisme et au cognitivisme, affirme que c’est dans l’environnement qu’existent les significations vitales pour les êtres vivants, et c’est ce même environnement qui reflète leurs actions. Il en est de même pour la perception visuelle, selon l’approche écologique l’information véhiculée par la lumière est porteuse de beaucoup plus d’indices que ceux mentionnés par les chercheurs du domaine, Gibson insiste sur le fait que cette information ne sera pas traitée par le cerveau.

Munier ajoute, dans son article, qu’Ulric Neisser3 auteur de Cognitive Psychology a reconnu la légitimité de l’approche écologique de la perception visuelle, ainsi que l’importance du rôle que joue l’environnement dans la construction de la perception chez les êtres vivants.

Dans une postface à l’ouvrage de Gibson, Claude Romano, spécialiste de phénoménologie, qualifie le livre comme étant une révolution anti-copernicienne. En effet, Gibson remet en cause les fondements des pensées de Descartes et Kant, « Loin d’être constitué ou construit par le sujet/cerveau, l’environnement visuel, affirme Gibson, est directement perçu sans l’entremise d’aucun intermédiaire mental d’aucune sorte. »(Romano, 2014 : 496). L’être vivant puise ses repères directement dans l’environnement qui prédispose ainsi cet être vivant à le percevoir.

La notion de sensibilité est présente lors de la perception par les sens. C’est elle qui définit ce qui sera perçu ou non. Il est important que le stimulus soit suffisamment important pour que la sensibilité se déclenche donnant ainsi naissance à une réponse.