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Nous ne pouvons pas évoquer le concept de l’imaginaire linguistique sans mentionner la pionnière dans ce domaine à savoir Anne-Marie Houdebine-Gravaud et son recueil L’imaginaire linguistique (2002). Dans sa présentation du volume, l’éditrice souligne l’importance des appréciations qu’on accorde aux langues, dire que telle langue est belle, claire, ou au contraire qu’elle est dure ou même vulgaire. Elle ajoute que ces appréciations viennent d’un imaginaire sur les langues. Ce volume regroupe les interventions de plusieurs linguistes, données lors du colloque international sur « l’imaginaire linguistique » qui a eu lieu à la Sorbonne, les 30 Novembre et le 1er Décembre 2001. A.-M. Houdebine a exposé le concept depuis son apparition dans les années 70 ainsi que son évolution grâce aux interventions des chercheurs dans le domaine linguistique, chacun ayant contribué, à sa manière. À titre d’exemple, a été citée Aziza Boucherite qui s’est intéressée à des concepts voisins de l’imaginaire linguistique, tels la norme et les représentations. D’autres linguistes se sont penchés sur l’étude de l’insécurité linguistique ; tel est le cas de Martine Amstalden et Pascal Singy. Un autre groupe de participants ont proposé l’application de l’imaginaire linguistique à divers champs d’étude, comme celui de l’identité ethnique, de la publicité, le langage de l’enfant…. D’autres envisagent cette application dans le domaine littéraire.

A.-M. Houdebine-Gravaud commence par un bref rappel historique sur le concept de l’imaginaire linguistique. C’est un concept qui a vu le jour vers 1975.

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2.1 Origine et définition

La phonologie du français contemporain et sa dynamique dans un français régional, est le titre de la thèse de doctorat d’Houdebine, sous la direction d’André Martinet, thèse qui a permis de mettre en évidence la notion de l’imaginaire linguistique lors des analyses de ses enquêtes. Ces enquêtes ont dévoilé un amour du parler régional face à un désintérêt qui frôle le mépris en ce qui concerne le français. En fait, l’imaginaire linguistique prend en compte le rapport du sujet à la langue. Sa langue à lui et celle des autres, dans une même communauté.

Ce rapport se traduit en termes d’images reflétant les représentations sociales d’un côté et les représentations subjectives de l’autre. Il s’agit d’analyser les attitudes des locuteurs dans un cadre sociolinguistique en perpétuelle extension, et aussi les préciser par la construction de catégorisation. André Martinet a développé une acception synchronique dynamique qui a donné naissance à trois objectifs d’analyse maintenus par le modèle théorique de l’imaginaire linguistique : « il s’agit dans un premier temps de décrire la diversité des usages et de dégager le système, puis expliquer leur dynamique à l’aide de différentes causalités, et en dernier lieu de prédire si possible les modifications à venir. » (Adamou, 2002 : 31).

Pour A.-M. Houdebine, le mot imaginaire vient remplacer celui d’attitude ou de « représentation », qui étaient de plus en plus utilisés en sociolinguistique pour englober des études sur le rapport des sujets à la langue, leur valorisation des formes prestigieuses et leur dévalorisation de leur propre parler, leur culpabilité linguistique et enfin leur insécurité linguistique. Les sujets appartenant à une même communauté linguistique peuvent partager la même langue tout en étant différents dans la forme de leurs discours et dans leurs évaluations. Aussi faut-il souligner que rares sont les sujets qui restent neutres par rapport à leur production ou à celle des autres. Houdebine précise que le terme imaginaire « (…) insiste sur la différence entre opinion révélée et comportement pour permettre d’étudier leur interaction.» (2002 : 14).

2.2. Entre représentation et imaginaire

A.-M. Houdebine-Gravaud a proposé le terme d’imaginaire linguistique pour remplacer celui de représentation. Pour Boyer, il n’y aurait pas de différence entre les deux : il en parle comme s’il s’agissait du même concept. « Les notions de représentations et d’imaginaire langagier désignent l’ensemble des images que le locuteur associent aux langues qu’il pratique, qu’il s’agisse de valeur, d’esthétique, de sentiment normatif, ou plus largement métalinguistique. Elles permettent de sortir de l’opposition radicale entre le

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« réel », les faits objectifs dégagés par la description linguistique, et « l’idéologique », les considérations normatives comme représentations fausses, représentations écrans. »(Boyer, 1996 : 79)

Dès lors une question s’est imposée : quelle est la différence entre les deux concepts ? La langue, n’est pas figée, elle évolue, elle change, il en est de même pour son étude qui doit à son tour s’adapter à tous ces changements. Ainsi naissent, à chaque étape, de nouveaux concepts. La sociolinguistique, en tant que science, a ouvert le champ devant les chercheurs, pour aborder la langue sous tous ses aspects. Entre la langue et ses locuteurs se sont révélées des relations, qui étaient insoupçonnables avant l’apparition de la sociolinguistique. Beaucoup de chercheurs se sont basés sur ces relations pour élaborer des théories et construire des concepts. Tel est le cas de W. Labov qui est à l’origine du concept d’insécurité linguistique. Il en est de même pour les notions de représentation et d’imaginaire linguistique. Ces concepts ont été créés pour expliquer des comportements observés au sein des communautés linguistiques. Leur rôle premier et d’essayer de trouver des solutions aux problèmes linguistiques rencontrés chez les locuteurs. L’un comme l’autre ont pour objet l’image que se construit le locuteur de la langue qu’il pratique ou qu’il veut apprendre.

Le terme imaginaire est la suite logique de celui de représentation. Il s’agit d’un continuum qui évolue à travers le temps. L’imaginaire linguistique affine la perception du sujet vis-à-vis de la langue. C’est pour cette raison que le terme d’imaginaire est préféré à celui de représentation. « Les analyses des attitudes subjectives s’approfondissant, se complexifiant et se développant en contact avec l’extension des descriptions sociolinguistiques, cette notion d’imaginaire linguistique, proposée pour prendre en compte ce rapport (ou ces représentations) des sujets parlants à la langue, s’est vue approfondie et développée jusqu’à devenir un concept relativement stabilisé qui a permis de décrire les attitudes des sujets parlants. »(Boyer, 1996 :11)

La perception des langues par les locuteurs est vue sous plusieurs angles : représentations, attitudes, sentiments, imaginaires et évaluations. Il est à noter que cette perception peut être positive ou négative, ceci dépend de la relation du sujet à la langue.

2.3. Catégorisation des positions évaluatives des locuteurs

On pourrait se fixer l’ambition de classer les aspects du rapport du sujet à la langue. En d’autres termes, il est question de répertorier les attitudes linguistiques des sujets parlants afin de mieux rendre compte de leur impact sur leur imaginaire linguistique. Il s’agit du rapport qui a été longtemps esquissé par le biais des représentations, notion que Houdebine qualifie de polysémique bien que largement utilisée dans divers domaines tels la psychologie,

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la sociologie et la linguistique. Donc au terme représentation, celui d’imaginaire lui a été préféré. Cette catégorisation permettrait, entre autres, de classer toutes ces manifestations psycholinguistiques qui joignent les langues à leurs perceptions. Ce champ d’étude étant vaste, il conviendrait de faire le tri afin de pouvoir mieux cerner la dynamique linguistique, selon l’axe synchronique qui s’intéresse à l’évolution de la langue à un moment donné de son histoire. Ce qui donne lieu à une synchronie dynamique, proposée par Martinet et qui s’intéresse aux manifestations et aux causalités de la dynamique linguistique. (Houdebine- Gravaud, 2002)

Le même auteur ajoute que les usages réels des locuteurs en synchronie doivent être soumis à une description minutieuse, ce qui représente l’aspect interne, c'est-à-dire celui du système linguistique, l’aspect externe concernant le contexte social et géographique. Il s’agit d’une évolution directement liée à la notion de norme qui justifie, en quelque sorte cette catégorisation. En procédant à cette catégorisation, il serait plus facile d’observer les sujets parlants, et d’analyser leurs productions ainsi que le contexte sociolinguistique dans lequel ils évoluent.