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La modélisation du raisonnement clinique infirmier

CHAPITRE 5 : LES BASES THÉORIQUES DE LA RECHERCHE

5.5. La modélisation du raisonnement clinique infirmier

raisonnement clinique infirmier

Le processus de raisonnement clinique est un processus complexe repose sur la théorie du double processus cognitif qui permet de générer des hypothèses et de les vérifier.

« De nombreuses définitions et théories du raisonnement clinique ont été élaborées, ce qui complexifie son appropriation comme objet d’enseignement. Cette difficulté s’est encore accrue au regard de la remise en cause récente d’une vision historique séquentielle et cloisonnée des différentes étapes du raisonnement. De nos jours, celui-ci est ainsi appréhendé comme relevant d’une démarche complexe, multidimensionnelle et non linéaire (Charlin et al. 2012). » (Pelaccia, 2016).

La modélisation du raisonnement clinique est en perpétuelle construction et c’est une modélisation complexe. Pour preuve, la modélisation du processus de raisonnement clinique issue de 16 cliniciens et d’experts de la faculté de médecine de Montréal, que nous développerons étape par étape ensuite.

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PROCESSUS DE RAISONNEMENT CLINIQUE : MODÈLE PRINCIPAL

Image 10 : Processus de raisonnement clinique, PRC.5, Université de Montréal, septembre 2018, Issu du MOOC https :cours.edulib.org/

Les 16 cliniciens ont établi ce modèle principal pour rendre explicite un processus implicite dans le but d’en faciliter l’appropriation et l’apprentissage. C’est un processus dynamique, où un ensemble d’étapes interagissent presque simultanément.

Premièrement, l’identification des premiers indices, courte période où débute la rencontre entre le patient et le professionnel de santé. Cette première étape permet d’observation le patient, d’analyser le contexte et de filtrer les perceptions du professionnel de santé afin d’établir les données initiales.

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Image 11 : Identification des premiers indices, selon la modélisation de l’université de Montréal (2018)

Cette première étape permet le recueil de données initiales, d’identifier les premiers indices qui ont sollicité cette rencontre, indices collectés à la fois par l’entretien, mais également en sollicitant les autres sources possibles de collecte comme l’observation, l’ouïe ou le toucher. Cette étape renvoi au premier sous-système d’action heuristique de recueil (SSAHR) de George Lerbet.

La deuxième étape, déterminer les objectifs de la rencontre. Cette étape permet au professionnel de santé de rester à l’écoute du patient et de son intuition concernant l’étiologie des symptômes, tout en restant vigilant à ne pas biaiser son raisonnement. Au cours de cette étape, le

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professionnel de santé va clarifier la demande du patient pour faire exprimer ses besoins, ou de prendre connaissance de la demande d’un professionnel ou de prendre connaissance de l’information fournie par un tiers du patient. Tout cela ayant pour but d’établir les priorités et de définir les objectifs de la rencontre, qui ne seront à aucun moment figés définitivement.

Image 12 : Déterminer les objectifs de la rencontre, selon la modélisation de l’université de Montréal (2018)

Cette deuxième étape permet de singulariser la demande du patient, c’est-à-dire d’individualiser la demande, en fonction des priorités de chaque individu et ainsi permettre une personnalisation dans la prise en charge qui aboutira à une adhésion du patient à son projet de soins.

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La troisième étape est la catégorisation pour décider de l’action. Le professionnel de santé va rechercher, tant dans son questionnement que dans l’examen physique du patient, des données qui lui permettront de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses explicatives. Le professionnel de santé va identifier les données pertinentes en utilisant ses savoirs, savoirs expérientiels afin d’établir des hypothèses. Il s’assurera ensuite qu’il n’existe pas d’autres hypothèses possibles ; il recherchera des données pour confronter les différentes hypothèses générées ; et enfin, il comparera les caractéristiques et les données disponibles afin de s’assurer que la catégorisation a été suffisante, avant d’agir.

Image 13 : Catégoriser pour décider de l’action, selon la modélisation de l’université de Montréal (2018)

La troisième étape correspond à l’orientation que va prendre le professionnel de santé pour décider des mesures à prendre. Pour cela le professionnel va utiliser le sous-système d’action

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heuristique de bibliographie (SSAHB) de Georges Lerbet. Le professionnel de santé va utiliser ses savoirs pour analyser la demande. Le professionnel va confronter les données initialement recueillies aux savoirs qu’il détient afin de commencer la problématisation : c’est la représentation du sous-système d’action heuristique de problématisation (SSAHP) de Georges Lerbet.

Quatrièmement, l’utilisation des stratégies de recours. Il peut arriver que le professionnel de santé utilise des stratégies de recours, surtout chez les professionnels de santé novices, afin de pouvoir catégoriser. Pour cela le professionnel analysera les données initiales selon une perspective physiopathologique, une perspective anatomique, une perspective étiologique, une perspective psychosociale afin de mobiliser ses connaissances antérieurement acquises et les réactiver. Ou bien, le professionnel de santé pourra mobiliser des ressources externes.

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Cette quatrième étape permet de confronter ses hypothèses de problématique au contexte de soins actuels, d’avoir recours à d’autres personnes afin de clarifier la problématique du patient. Cela correspond aux interactions que nous retrouvons dans le système de Georges Lerbet, qu’il a identifié comme étant l’environnement et la personne qui gravitent autour de ce système personnel de production de savoirs.

Cinquièmement, mettre en œuvre les actions appropriées. Le professionnel de santé et le patient choisiront ensemble les options d’investigation et d’interventions à mettre en œuvre et établiront ensemble le plan d’investigation ou le plan d’intervention thérapeutique.

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À cette étape, les actions mises en œuvre permettent de confronter les hypothèses de problèmes formulés et ainsi soit les réfuter, soit les confirmer. Pour cela, le raisonnement hypothético-déductif est mis en œuvre dans le traitement des données, c’est le sous-système d’action heuristique d’analyse (SSAHA) de Georges Lerbet.

Sixièmement, l’évaluation des résultats. Les résultats d’investigation ou de traitement peuvent confirmer ou infirmer la représentation qu’un professionnel de santé s’était faite du problème. Les résultats obtenus permettront soit de générer de nouvelles connaissances, soit de raviver des connaissances existantes, voire de réévaluer la catégorisation initialement établie.

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A cette étape, le professionnel de santé va pouvoir établir le problème de santé du patient, c’est l’étape du sous-système d’action heuristique d’expression (SSAHE) de Georges Lerbet.

Septièmement, l’organisation des connaissances pour l’action clinique. Chaque épisode de soins permet d’affiner les connaissances du professionnel de santé ou permet d’en acquérir de nouvelles. Le professionnel de santé va confronter les nouvelles données aux connaissances existantes en mémoire, activer les scripts en lien avec les données, analyser la situation de soins. Chaque retour sur une évaluation ou une intervention doit être l’occasion d’affiner les connaissances ou d’en acquérir de nouvelles. Ces connaissances sont organisées et classifiées en mémoire sous la forme de scripts, cela va enrichir ou affiner les scripts qui nourriront l’expertise et les compétences. Un script est un réseau personnalisé de connaissances mobilisables pour l’action, qui reflète l’intégration par le clinicien de données scientifiques, de savoirs cliniques théoriques et d’expériences acquises dans des cas antérieurs.

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Image 17 : organiser les connaissances pour l'action, selon la modélisation de l’université de Montréal (2018)

La perception peut être modélisée selon des scripts et des Frames afin de faciliter la perception et la réflexion tout en économisant le processus de raisonnement. « Les « scripts » (une invention du groupe d’intelligence artificielle de Yale) ont comme objet les connaissances spécialisées, par opposition aux connaissances de nature plus générale comme les heuristiques. Dans le modèle de Yale, les « scripts » servent à interpréter des évènements fréquemment rencontrés et à y participer. Schank et Abelson (77) postulent qu’il existe des milliers de tels « scripts » dans la mémoire humaine. Ces scripts nous permettent de faire des économies de raisonnement et ils guident l’interprétation d’évènements rencontrés dans des récits ou des activités que l’on possède sur des institutions sociales et des conventions de comportements. Il crée des attentes sur les objets que l’on peut rencontrer dans une situation d’un certain type et

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il fait des prédictions sur la suite des évènements qui peuvent arriver. Par ce fait, les décideurs peuvent agir sans grande charge cognitive dans ce type de situations. […] Les « Frames » sont une superclasse de « scripts ». Ils reposent sur le même genre d’observations que les « scripts ». Il existe un grand nombre d’expériences en psychologie cognitive suggérant que les gens utilisent des structures de connaissances larges constituées à partir d’expériences précédentes pour comprendre de nouvelles situations et pour agir. L’idée du « frame » qui s’apparente dans l’esprit aux scripts est née au milieu des années soixante-dix. Les « frames » modélisent des unités de mémoire qui comprennent du savoir et du savoir-faire très complexe tandis que les « scripts » concernent plutôt des évènements qui définissent des situations stéréotypées. » (Schneider, 1996)

Cette étape permet au professionnel de santé d’enrichir ses savoirs, savoirs professionnels.

Huitièmement, la régulation du processus. À cette étape, le professionnel de santé va analyser ses propres activités cognitives face à la représentation dynamique du problème qu’il a élaboré. Cela va générer des observations métacognitives qui lui permettront d’évaluer son propre processus cognitif. Cette évaluation de son processus cognitif lui permettra d’intervenir sur son processus cognitif et qui agira donc sur la représentation dynamique du problème.

Le but final étant d’aboutir à une représentation stabilisée du problème de santé au terme de l’épisode de soins. La régulation du processus est un processus métacognitif sur lesquels nous retrouvons des influences pouvant être identifiés aux biais cognitifs de la littérature.

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Image 18 : Réguler le processus, selon la modélisation de l’université de Montréal (2018)

Cette étape permet au professionnel d’identifier son processus de raisonnement. Cette démarche se retrouve formalisé lorsque le professionnel fait de l’analyse de pratique professionnel, dans l’analyse des évènement indésirables ou dans les revues de morbidité-mortalité (RMM), par exemple.

Tout ce processus de raisonnement clinique est régi par le concept de compétence qui a été défini par Guy Leboterf (2000) comme un savoir agir complexe dans un contexte particulier en vue d’attendre un but clairement définit.

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La compétence est guidée par une intentionnalité, un but.

Ces 16 experts cliniciens ont schématisé la compétence dans le raisonnement clinique infirmier :

Image 19 : la compétence dans le raisonnement clinique, issu du MOOC « processus de raisonnement clinique, PRC.5, Université de Montréal », septembre 2018, https//cours.edulib.org/

Le professionnel de santé doit réaliser une tâche complexe impliquant une famille de situation (le contexte) et aboutissant à un résultat qui pourra prendre la forme d’un produit ou d’un service.

De nombreuses ressources internes peuvent être mobilisées par le professionnel de santé allant des connaissances déclaratives (les concepts, les idées, les notions, qui décriront le quoi), les connaissances procédurales (description des façons de faire les actions ou les tâches, qui décriront le comment), les connaissances stratégiques (étroitement liées à la prise de décision et à l’expertise, qui décriront les pourquoi et quand) et les connaissances factuelles en lien avec les faits et les données à disposition. Plusieurs habiletés sont également mobilisées en lien avec ses savoir-faire et savoir-être.

On voit toujours apparaître le processus de régulation qui intervient juste avant le résultat.

D’auteurs ont élaboré récemment une modélisation des différentes étapes du jugement clinique, à partir des références théoriques, plus opérationnel pour l’apprentissage du raisonnement et du

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jugement cliniques infirmiers (Lavoie, et al. 2017) :

Image 20 : Modélisation de l'apprentissage du raisonnement clinique 2013

« Au centre du modèle se trouvent les étapes du processus de jugement clinique : je remarque, j’interprète, je réponds en réfléchissant dans l’action et je réfléchis sur l’action une fois qu’elle est complétée. […] En périphérie du modèle, les facteurs propres à l’infirmière qui peuvent influencer son jugement clinique sont représentés : la conception de l’infirmière de son rôle, ses expériences antérieures, les émotions qu’elle a ressenties pendant la situation et ses connaissances. […] il s’agit d’un processus cyclique et itératif. » (Lavoie et al., 2017).

Le processus de raisonnement clinique est un cycle d’activités résultant de ce qui a été perçu par les sens et les activités cognitives qui vont permettre un traitement intellectuel de l’information par le raisonnement et le jugement.

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5.6. En synthèse

Le raisonnement clinique est un processus hypothético-déductif complexe, base du travail des professionnels de santé. Ce processus est soumis à différents biais cognitifs, issu d’un système de pensée intuitif, qui peuvent aboutir à une prise en soins inadaptés des patients pris en charge et aboutir à des évènements indésirables graves. Le processus métacognitif avec la prise de conscience du processus de pensée ainsi que l’anticipation des biais possibles permettrait de limiter un raisonnement erroné, incomplet.

L’apprentissage de ce raisonnement clinique doit prendre en compte l’augmentation de la complexité des situations de soins, l’émergence des technologies de l’information et de la communication, avec une injonction à l’utilisation de la simulation, mais également à l’évolution du profil des apprenants. La formation par simulation permet de mobiliser simultanément les trois piliers de la compétence : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Elle permet de travailler à la fois des objectifs pédagogiques qui sont d’ordre cognitifs, des objectifs sensori-moteurs et des objectifs orientés vers les attitudes sociales.

La méthode pédagogique par simulation permet de rendre explicites les relations entre les savoirs, les savoir-faire et le savoir-être d’une situation professionnelle mettant en jeu les compétences infirmières. Elle permet l’analyse et la compréhension de la situation de soin au moment de la phase de débriefing, étape cruciale de la méthode de simulation.

Au cours de cette étape, l’instrumentation via le simulateur, permet aux étudiants de développer et maturer les schèmes d’action qu’ils ont utilisés, ce qui Jean Piaget avait identifié comme « ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications à la même action » et procéder ainsi par accommodation et l’assimilation à modifier les schèmes d’action et de pensée déjà constitués. L’analyse du groupe de simulation au cours du débriefing permet la confrontation d’hypothèses, l’argumentation d’un point de vue par exemple. Depuis Lev Vygotski et les travaux sur la théorie de l’activité, les interactions sociales sont essentielles dans l’apprentissage.

L’expérimentation va permettre de voir si la méthode de simulation permet d’améliorer les performances des étudiants en soins infirmiers, sur les trois fondamentaux de la compétence en lien avec le raisonnement clinique infirmier.

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CHAPITRE 6 : PRÉSENTATION