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La mobilité, élément essentiel dans l’approche de l’accessibilité

2.2. Centralité et mobilité, concepts clé dans l’approche de l’accessibilité 1 Accessibilité, éléments de définition

2.2.3. La mobilité, élément essentiel dans l’approche de l’accessibilité

Aborder l’accessibilité appelle incontestablement l’utilisation du concept de mobilité. Avant d’entamer les détails techniques concernant le calcul et la mesure de l’accessibilité, il nous paraît judicieux de rappeler quelques notions fondamentales concernant ce concept.

La mobilité est définie comme « forme de mouvement qui s’exprime par le changement de position » (R. Brunet et al., 1992), ou comme la « propension d’une population à se déplacer » (P. Merlin et F. Choay, 1996). La caractéristique principale de la mobilité est le mouvement qui s’opère sur la double échelle espace/temps. L’introduction de la notion d’échelle dans la compréhension de la mobilité attribue aux déplacements des valeurs différentes. Selon le lieu que l’on veut atteindre, les transports interviennent différemment dans le processus d’amélioration et de maximisation de ces échelles de migrations.

L’accessibilité apparaît donc comme associée à la mobilité. Cependant, la liaison entre les deux n’est pas automatique. Tout ce qui entrave la mobilité entraverait l’accessibilité, mais le contraire n’est pas toujours vérifiable. À titre d’exemple, en Grande Kabylie, l’absence du service de transport public, ou de routes (manque d’accessibilité) n’empêche pas les gens de se déplacer en promouvant le transport informel, ou en se déplaçant à pied (cf. chapitre 7). En revanche, l’impossibilité financière de prendre un taxi empêche bien la mobilité, même si l’offre de transport est disponible. Cette nuance entre les deux concepts, peut s’avérer cruciale dans l’élaboration d’une politique de désenclavement. Si cette dernière consiste dans la suppression des obstacles à l’ouverture, elle commencerait alors par enlever ceux relatifs à l’accessibilité et ceux qui entravent la mobilité, les deux n’étant pas les mêmes.

60 2.2.3.1. Les contraintes à la mobilité

Les contraintes à la mobilité sont toutes ces distances, physiques ou cognitives, qui limitent les interactions spatiales. Elles interagissent entre elles dans une logique systémique où la distance entraîne un manque d’accessibilité et un sentiment d’enclavement. La contrainte la plus ancienne et la plus récurrente est la distance physique et toutes les autres ne sont en fait que des avatars des conditions de l’espace sur les sociétés humaines.

Bien que la révolution des transports ait bouleversé le rapport de l’homme à l’espace (P. Merlin, 1991) et ait permis une plus grande mobilité, celle-ci demeure astreinte de plusieurs façons que nous classons sous deux catégories principales : les contraintes politiques et les contraintes économiques (schéma 2.04).

Les contraintes politiques regroupent toutes les décisions, individuelles ou collectives, qui influent sur la mobilité des personnes et des biens à toutes les échelles. Rentrent sous cette catégorie les projets d’ouverture (ou de fermeture) à d’autres espaces et les politiques d’aménagement qui en résultent.

Les contraintes économiques concernent les difficultés individuelles liées principalement aux prix d’accès aux différents modes de transport. Elles concernent aussi les entraves collectives relatives aux coûts de réalisation et d’entretien des infrastructures.

Schéma 2.04. : Les contraintes à la mobilité

© H.YESGUER. CIRTAI. UMR IDEES 6266 du CNRS.2008

Obstacle spatial Contraintes économiques Contraintes politiques Coût des infrastructures Dysfonctionnement de la politique d’aménagement Absence de projet politique d’ouverture Coût de déplacement

61 2.2.3.2. Entre Nord et Sud, des concepts à relativiser, l’exemple de la marche à pied

La distance, l’accessibilité et le coût sont des notions relatives et doivent être manipulées avec attention, parce que le sens de ces mots varie d’un pays à l’autre selon le niveau de vie (R. Tolley et B. Turton, 1995) et selon les caractéristiques sociales, culturelles et géographiques.

L’analyse de l’accessibilité et des problèmes de transport doit tenir compte, non seulement de l’espace étudié, mais de la société elle même. La prise en compte des disparités sociales, économiques, politiques et spatiales est primordiale dans ce genre d’étude. Ces notions au Sud ne prennent pas les mêmes valeurs qu’au Nord, d’où des approches différentes pour le même phénomène. Pour illustrer ce constat, et dans le but d’une meilleure lisibilité de la mobilité et de l’accessibilité dans les pays en voie de développement, nous avons comparé les résultats d’enquêtes menées en Afrique avec ceux d’enquêtes menées en France.

Dans leurs enquêtes ménage sur la mobilité en Afrique de l’Ouest55, Lourdes Diaz-Olvera,

Didier Plat et Pascal Pochet (2005) ont relevé que la marche à pied est généralement le mode de transport le plus utilisé par les personnes démunies. Dans les villes des pays en développement, la marche à pied représente souvent le moyen de transport le plus commun, conséquence de l’incapacité d’avoir recours aux autres modes de transport : soit par défaut de fiabilité, soit parce qu’ils sont relativement chers. Les enquêtes citées montrent le rapport important de la marche dans l’ensemble des déplacements quotidiens de quelques capitales africaines : 73% à Dakar, 70% à Addis-Abeba, 69% à Niamey, 57% à Bamako et 42% à Ouagadougou. Ce résultat prend davantage d’ampleur quand on sait, par exemple, que 90 % de la population du Burkina Faso est rurale et pauvre56.

Ces villes ne sont pas des exceptions : à Alger, ville particulièrement mobile, plus de 50% des déplacements urbain se font à pied (X. Godard et J.C. Ziv, 2008). En revanche, en France, la part des déplacements à pied était de 23,2 % en 1994 (Kaufmann, 1999). En 2001, la part des déplacements à pied dans l’ensemble des déplacements en Ile-de-France était de 34,1%57. Bien qu’il soit important, ce taux n’a pas la même signification que les taux observés en Afrique. Selon le SDRIF, la distance moyenne parcourue à pied en Ile-de-France

55 Ouagadougou 1992, Bamako 1993, Niamey 1996, Dakar 2000. Consultable sue le lien : (http://hal.archives-

ouvertes.fr/docs/00/08/77/72/PDF/RevTrans.pdf).

56 Selon l'estimation de la Banque Mondiale, tout individu disposant d'un revenu annuel de moins de 370

dollars US par an vit en dessous du seuil de pauvreté absolue. En 2008, le PIB (par habitant) du Burkina Faso est estimé à 107 dollars américain (source : www.worldbank.org).

57 Source : schéma directeur de la région Ile-de-France, rapport 2005, consultable en ligne sur le site

62 est de 630 mètres, en Afrique ces distances sont considérablement supérieures. À Ouagadougou (Diaz-Olvera et al. 2005), 45% des déplacements se réalisent sur des distances allant jusqu’à 2 kilomètres, 25% sur des distances allant de 2 à 4 kilomètres. A Dakar, selon la même source, 85% des déplacements durent 15 minutes ou moins.

L’influence de l’exclusion sociale et des contraintes à la mobilité sur l’accessibilité dans les pays en voie de développement, paraît tellement nette que des notions tel « le choix modal », « marche à pied » ou encore « accessibilité » doivent être relativisées.

2.2.3.3. Les échelles de la mobilité

Relativiser les observations et les approches constitue sans doute l’une des approches complexes en géographie, tant cette notion se décline sous divers aspects : rapports sociaux, rapports aux espaces, rapports temporels, etc. C’est au travers de la notion d’échelle que la relativité des phénomènes géographique est abordée. La question des échelles est majeure lorsque l’on s’intéresse aux comparaisons spatiales : Nord/Sud, urbain/rural, local/régional. Le questionnement sur les échelles vient de l’évolution des pratiques de mobilité et de la diversité des moyens qui lui sont dédiés. Cela implique qu’on les observe et qu’on les analyse avec les instruments appropriés. En ce qui nous concerne, il s’agira de revenir autant sur les échelles spatiales et temporelles que de réfléchir aux aspects socio-économiques.

Force est de constater que la majorité des études menées sur la mobilité concerne les espaces urbains, la mobilité rurale n’a suscité que peu d’intérêt de la part des géographes, des urbanistes et des économistes, notamment dans les pays du Nord. Cela est en partie dû à l’accélération de l’accroissement de la mobilité urbaine, et tous les problèmes qui en découlent (problème de stationnement, congestion, pollution, allongement des trajets …etc.). En revanche, l’intérêt à la mobilité des ruraux se perçoit davantage dans les études sur les pays en voie de développement ; mais, elles s’intéressent plus aux types de mobilité plutôt qu’aux échelles de celle-ci (Roussel et al., 1968 ; Barwell, 1996 ; Diaz-Olvera et Plat, 2002 ; Starkey et al., 2003).

Pour déterminer les différentes échelles de mobilité pratiquée dans notre espace d’étude (la Grande Kabylie), nous nous sommes donc appuyés sur quelques recherches menées en Europe. Bien que les contextes géographiques et socio-économiques ne soient pas identiques entre les pays du Nord et ceux de Sud, ces études nous ont servi de modèle pour notre travail.

63 Selon Xavier Godard (2006), en mettant à part « les échelles urbaines classiques, allant du quartier à la ville dense traditionnelle », nous pourrons classer la mobilité selon deux échelles spatiale et temporelle :

• échelle de l’agglomération (intégrant les zones suburbaines et périurbaines). • échelle métropolitaine (associant plusieurs villes).

• échelle régionale ou interrégionale qu’il a appelée « métapolitaine ». • échelle nationale ou européenne.

Pour une meilleure lisibilité, Xavier Godard intègre le paramètre temporel, qu’il a quantifié par d’autres éléments. Ici nous retenons le temps de trajet et les possibilités d’allers-retours dans la journée. L’auteur les présente de la manière suivante :

• proximité : rayon de 15 minutes, permettant 2 allers-retours dans la journée, • vie quotidienne, rayon de 30 minutes, permettant 1 aller retour dans la journée, • vie quotidienne métropolitaine, rayon de 1 heure,

• déplacements non quotidiens, occasionnels, au-delà de 1 heure.

La classification de Xavier Godard ne s’éloigne pas des classifications classiques qu’on retrouve, par exemple, chez Pierre Merlin. Celui-ci (Merlin, 1991) classe la mobilité comme suit :

a- Echelles temporelles : la mobilité saisonnière, la mobilité occasionnelle, la mobilité hebdomadaire et la mobilité quotidienne. Ces échelles renvoient plus à des mobilités différentes qu’à une temporalité du déplacement ;

b- Echelles spatiales, qui s’exercent sur des espaces allant du continent au quartier, ou l’on distingue : la mobilité à l’échelle intercontinentale, la mobilité à l’échelle interrégionale, la mobilité à l’échelle régionale et la mobilité à l’échelle de l’agglomération urbaine.

Vincent Kaufmann (1999) quant à lui, considère que la mobilité spatiale est spécifiée par quatre types de mobilité, qu’il a résumés dans le tableau suivant (2.02) :

64 Le mouvement cyclique selon Kaufmann est un déplacement avec intention de retour à court terme (aller-retour) ; si le retour à court terme n’est pas envisagé, le déplacement alors est linéaire (origine-destination).

Nous remarquons que les deux premiers auteurs reprennent les mêmes classifications selon des vocabulaires différents. Bien que l’effort de quantification des échelles temporelles de Xavier Godard soit important surtout dans les calculs d’accessibilité, son étude est réalisée dans la région PACA et dans le Languedoc Roussillon, ce qui rend délicat son applicabilité sur les espaces africains. Si le développement du système transport dans les pays du Nord permet des quantifications temporelles, cette méthode ne peut pas être appliquée dans les pays du Sud, où les temps de trajets sont souvent fortuits58.

Vincent Kaufmann quant à lui, a su mettre en perspective deux grands volets de la mobilité (cyclique et linéaire) mais il n’a précisé, dans son étude, ni la mesure temporelle exacte du « retour a court terme », ni l’étendue spatiale de ce qu’il a appelé « le bassin de vie ».

Pour mieux inscrire la mobilité observée en Grande Kabylie dans ce contexte d’échelle, nous avons tenté de combiner les trois classifications précédentes (schéma 2.05).

Echelle temporelle : dans laquelle nous distinguons :

La mobilité régulière qui se répète de façon quasi constante : elle répond à la définition des mouvements cycliques, selon la répartition de Vincent Kaufmann, et regroupe les mobilités quotidiennes et saisonnières de Pierre Merlin et de Xavier Godard.

La mobilité occasionnelle : ce sont les mouvements cycliques ou linéaires qui n’obéissent à aucune périodicité.

58 Comme nous le développons dans les chapitres 3 et 5, la désorganisation du service de transport rend difficile

l’estimation du temps de passage des moyens de transport. Car ceux-là ne sont généralement pas tenus à des horaires fixes. Quant à l’estimation des trajets par voiture particulière, cela varie considérablement selon le véhicule utilisé, l’état de la route empruntée, et la nature de l’espace parcouru.

Mouvement interne à un bassin de vie

Mouvement vers l’extérieur d’un bassin de vie

Mouvement cyclique

Mobilité quotidienne Voyage

Mouvement linéaire Mobilité résidentielle Migration

65 Echelle spatiale : la classification de Vincent Kaufmann, nous paraît assez pertinente. En effet, le fait de ne pas limiter la typologie à une échelle spatiale précise, offre le choix de déterminer le « bassin de vie ».

Dans notre travail, nous avons principalement utilisé trois échelles spatiales : le village, la commune (circonscription administrative qui comprend généralement à un ensemble de villages) et l’échelle de la wilaya (Tizi-Ouzou, ou Grande Kabylie).

En prenant le village comme bassin de vie, nous obtenons une mobilité interne qui s’opère sur un réseau piéton de chemins non motorisables ; la mobilité externe concerne tous les déplacements à l’extérieur du village. À l’échelle de la commune, la mobilité interne est généralement liée aux déplacements entre les différents villages en utilisant le réseau communal, les mouvements intercommunaux étant considérés comme mobilité externe. Au niveau de la wilaya, les déplacements intercommunaux appartiennent à l’échelle de mobilité interne. Le changement d’échelle spatiale produit un emboitement des échelles de mobilité

© H.YESGUER.CIRTAI.UMR IDEES 6266 du CNRS.2003

Schéma 2.05 : Les différentes échelles de la mobilité.

Temporelle Spatiale

Régulière Occasionnelle Interne Externe

- quotidienne - hebdomadaire -saisonnière - migration - occasionnelle - urbaine - régionale - interrégionale - intercontinentale

Mobilité

66 qui se traduit souvent par des ruptures, spatiales et temporelles (cf. chapitre 6). Ces dernières jouent un rôle supplémentaire de fermeture.

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