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La centralité, élément essentiel dans la compréhension de l’accessibilité 1 Le degré d’accessibilité détermine le type de l’enclavement spatial

2.2. Centralité et mobilité, concepts clé dans l’approche de l’accessibilité 1 Accessibilité, éléments de définition

2.2.2. La centralité, élément essentiel dans la compréhension de l’accessibilité 1 Le degré d’accessibilité détermine le type de l’enclavement spatial

L’accessibilité dans son contexte général simplifié est définie comme « la possibilité à être atteint » (P. Merlin et F. Choay, 1988 ; R. Brunet, R. Ferras, H. Thery, 1997). Sachant que l’enclavement d’un lieu est relatif à l’espace où il évolue et qu’un lieu ne peut être enclavé que par rapport à un ailleurs connu, dont il est plus ou moins rattaché, l’étude de l’accessibilité doit tenir compte des lieux centraux46. L’approche de l’accessibilité spatiale d’un lieu est donc assujettie à deux éléments majeurs. Le premier estl’efficacité du système de transport par lequel un lieu est desservi. Le second est la position hiérarchique de ce lieu par rapport aux lieux centraux auxquels il est plus ou moins rattaché.

Un lieu proche disposant d’une bonne desserte en transport, n’est pas désenclavé s’il demeure isolé des autres centralités dont il est dépendant47.

Prenons l’exemple d’un village isolé sans aucune infrastructure et sans aucun moyen de transport et de communication : spatialement, il est enclavé. On équipe cet espace d’un bon système de transport, il devient alors accessible, mais pas forcément désenclavé. L’état

46 Nous utilisons ce concept de « centralité » dans une dimension géographique, où il explique l’organisation

spatiale et hiérarchique d’agglomérations (dont les villages et les bourgs) pas seulement en fonction de l’offre des services et des biens, comme le stipule la théorie des lieux centraux, mais également par rapport aux dimensions sociales et culturelles (en Kabylie, les villages comportant des mausolées maraboutiques constituent souvent une centralité).

47 Une telle situation répond parfaitement à la définition de l’enclavement fonctionnel rural évoquée dans le

53 d’enclavement n’est levé que si ces liaisons, servent à répondre aux besoins de déplacement de la population en qualité et en quantité.

Un lieu est, par définition, plus ou moins enclavé et potentiellement accessible. Ce raisonnement nous permet de distinguer deux types d’enclavement : l’enclavement total, qui n’est que théorique, et l’enclavement partiel qui caractérise tout espace (Schéma 2.03). Théoriquement, le système de transport doit répondre aux différentes demandes de mobilité en assurant l’accessibilité vers tous les lieux centraux. Même si les diverses centralités (appelées dans le schéma « espace convoité ») ne sont pas desservies par les réseaux de transport modernes, des modes alternatifs apparaissent (marche à pied, transport traditionnel par animaux, charrettes, etc.) pour assurer un minimum d’accessibilité. Par conséquent, un espace totalement enclavé ne peut exister, sauf dans des cas de force majeure (catastrophes naturelles, toutes formes d’emprisonnement, de blocus, d’embargo…etc.). L’enclavement partiel, quant à lui, caractérise tout espace et toute société. C’est la situation intermédiaire entre deux figures utopiques : l’ouverture absolue qui ne connaitrait aucune entrave ni aucun obstacle (physique ou cognitif) et la fermeture totale où l’on dispose d’aucune accessibilité. Cette dernière ne s’opère pas forcément par des réseaux modernes de transport et de communication. Avec plus ou moins d’ingéniosité, les sociétés ont toujours su atteindre les lieux centraux, soit par le développement de réseaux traditionnels, soit par la promotion et l’émergence de lieux plus accessibles pour les substituer aux anciennes centralités. C’est ce que nous avons remarqué dans le rural kabyle où de nouveaux pôles urbains ont émergé (cf. chapitre 5). Mais force est de constater que les nouvelles centralités sont souvent d’ordre économique ou administratif ; les pôles religieux ou culturels, tels les lieux de cultes (mausolées maraboutiques), gardent leur effet d’attraction malgré l’absence d’accessibilité. Ces monuments sont souvent localisés dans des lieux très isolés48 non desservis par les

transports en commun et parfois même ne disposant pas de route motorisable49, mais malgré cela, ils génèrent des déplacements occasionnels importants, motivés à la fois par la croyance religieuse et par la culture qui s’y attache50.

48 Un grand nombre d’érudits religieux et de grands imams (pour la plupart soufis) avaient choisi des lieux très

isolés, en l’occurrence les crêtes de montagnes, pour leurs retraites spirituelles. Des siècles après la mort de ces savants, beaucoup de pratiquants (pour la plupart des femmes et des vieux) continuent de vénérer ces lieux considérés comme bénis. Bien que cette pratique soit interdite par les grandes écoles sunnites (notamment

malikites), les gens continuent d’affluer vers ces lieux, surtout lors des fêtes religieuses.

49 Par exemple, le mausolée d’Azru n'Thor (dans la commune d’Illilten au sud de la wilaya de Tizi-Ouzou) est

situé à 1800 m d'altitude. Chaque été, pendant les trois premiers weeks-ends du mois d'août, les villages d’Aït Atsou, Zoubga et Aït Abdellah organisent, à tour de rôle, les festivités notamment «Asensi» ou l'offrande.

50 Certaines familles des villages de la daira d’Iferhounene se rendent, à chaque naissance d’un garçon, chez les

saints d’Imsouhel. A Ahfir, plus exactement chez Sidi Yahia Ouamer, ensuite chez le saint du village de Askeur, un peu plus bas et cela malgré les routes étroites et délabrées de la région.

54 2.2.2.2. Système de transport et exclusion

Dans cette logique de hiérarchies et de centralités spatiales, les espaces dépendants sont généralement les espaces à faible densité démographique, alors que les espaces les plus autonomes et qui constituent souvent des lieux centraux sont les centres urbains (les villes). Cette situation fait que la ville est l’espace le plus accessible. En revanche les agglomérations rurales, où la densité de la population et de l’offre de transport sont dérisoires, sont les plus dépendantes. Pour atténuer cette dépendance, un système de transport efficace constitue une condition nécessaire, mais insuffisante, pour assurer

Espace de seconde importance (non

convoité)

Schéma 2.03 : Les types de l’enclavement

© H.YESGUER. CIRTAI. UMR IDEES 6266 du CNRS.2008

Espace vécu Espace accessible Espace convoité Espace accessible Espace vécu Espace convoité

L’enclavement total, figure absolument utopique.

Absence totale de réseau ou de liaison entre l’espace de vie et les différentes centralités (économiques, administratives, sociales… etc.).

L’enclavement partiel, qu’on peu aussi appeler l’ouverture partielle.

Le réseau de transport s’étend sur une partie de l’espace convoité et permet la connexion à quelques centralités.

55 l’accessibilité et l’ouverture. Mais généralement l’importance de l’offre de transport est proportionnelle à la taille de l’agglomération : plus l’espace est important, plus le système de transport est performant. Dans les pays en voie de développement, notamment en Algérie, l’État, les collectivités territoriales et les acteurs privés investissent encore moins dans les espaces à faible densité que dans les villes, générant ainsi un déséquilibre en accessibilité entre les espaces urbains et les espaces ruraux.

Classiquement, les critères de priorité dans les investissements en transport (infrastructures, exploitation et organisation) sont orientés vers la promotion des activités économiques, qui se localisent généralement aux alentours des zones urbanisées, renforçant ainsi le maillage du réseau de transport, sa multimodalité et son intensité (F. Beaucire et T. Saint-Gerand, 2001). En revanche, certaines zones marginales, économiquement dépendantes des zones urbaines, connaissent des insuffisances importantes en matière d’offre de transport. Ce phénomène est soulevé dans de nombreuses recherches sous les termes « ségrégation », « discrimination », « différentiation » ou « inégalité » sociale, spatiale et socio-spatiale. Ces études51 mettent en évidence ce déséquilibre dans le service de transport qui désavantage les gens qui en dépendent. Par conséquent, les populations les plus touchées par ce déséquilibre sont les habitants non motorisés des régions rurales. En Grande Kabylie, les villages les plus enclavés sont les moins desservis par les transports en commun (cf. chapitre 7). Cela soulève la question de l’organisation des transports pour assurer l’accessibilité des zones marginales (cf. chapitre 7). Certains auteurs vont même jusqu’à dénoncer la passivité des pouvoirs publics face à ce problème. Michel Caniaux (1996) écrit : « dans un pays il y a couramment : les zones développées qui donnent satisfaction sur le plan des paramètres économique (…), et les autres, les zones qu’il faut bien supporter, ces zones périphériques qui, loin d’apporter un plus, font baisser la moyenne des performances du pays tout entier, un comble ! Quitte à mettre de l’argent, autant le mettre là où cela rapporte déjà, se disent les grands aménageurs du territoire. On a donc toujours persisté à développer les axes déjà saturés qui attiraient par tradition les activités industrielles pendant que le reste du pays continuait de sombrer dans l’oubli ».

Loin de cette vision alarmiste, Pierre Merlin (1991) explique que l’accessibilité se présente d’une façon très différente selon le niveau économique du ménage, la position dans le ménage, le cadre géographique de l’habitat et le niveau de développement du pays où on

51 Voir notamment, F. Beaucire et T. Saint-Gerand 2001, V. Kaufmann 1999, L. Diaz-Olvera, D. Plat et P.

56 réside. Selon lui, le principal discriminateur dans les pays développés est la position par rapport à l’utilisation de l’automobile. Il définit ainsi quatre catégories de personnes :

• celles qui ne recourent aux transports en commun (ou à la marche à pied) que de façon volontaire car elles ont une automobile à leur disposition pour tous leurs déplacements ;

• les « captifs » potentiels des transports en commun. Ce sont les personnes qui appartiennent à un ménage motorisé, mais n’ont pas l’usage quotidien du véhicule. C’est le cas des ménages disposant d’un seul véhicule, utilisé par une seule personne dans le foyer. Ce phénomène est très présent dans les pays du Sud où seul le père à le droit de conduire52 ;

• les captifs absolus des transports en commun sont les personnes qui appartiennent à un ménage non-motorisé, mais qui résident en un lieu desservi par les transports en commun ;

• les exclus du système de transport : ce sont les personnes qui appartiennent à un ménage non-motorisé et qui résident en un lieu non (ou très mal) desservi par les transports en commun.

Pierre Merlin trouve qu’une très grande majorité de la population des pays en voie de développement, appartiennent aux dernières catégories. Les habitants de l’espace rural kabyle s’inscrivent quant à eux dans les trois dernières catégories. Pour Vincent Kaufmann (1998), l’automobile et les différents moyens de transport publics, constituent un signe d’appartenance sociale. Pour lui, l’accessibilité physique aux réseaux produit des inégalités sociales. En effet, dans les pays en voie de développement, en Algérie notamment, la possession d’une automobile est un signe de richesse. Plus le taux de motorisation est élevé dans un ménage, plus il appartient à une catégorie sociale aisée. D’autres critères d’appartenance sociale sont également observés, la marque du véhicule et l’année de sa mise en circulation.

Dans sa précédente catégorisation, Pierre Merlin se base sur deux éléments : la possession d’une voiture personnelle et l’utilisation des transports en commun. De son côté, Vincent Kaufmann utilise la notion de transport public. Nous jugeons nécessaire de nuancer entre « transport en commun » et « transport public ». Si les deux notions signifient la mise à disposition de moyens de transport collectif (contre l’achat d’un ticket), la deuxième se

52 Le plus souvent c’est pour des considérations économiques. Les voitures sont tellement chères qu’elles

57 distingue par l’intervention des pouvoirs publics dans la gestion ou l’organisation de ce service.

Le transport public est présenté comme solution alternative à la voiture particulière : dans les pays en voie de développement, notamment en Algérie, il est perçu comme le moyen de transport des non-motorisés voire des pauvres53. La notion de choix modal est complètement absente, et c’est la réalité économique qui décide du moyen de transport que l’on adopte :

• Les plus aisés se déplacent en voiture particulière. Alors que le salaire moyen est de 20 000 DA54, en Algérie, le prix moyen d’une voiture, chez un concessionnaire, est

de 900 000 DA pour une berline de marque française et de 600 000 DA pour une marque asiatique ;

• La population de classe moyenne se déplace en taxi (formel ou informel). Le tarif appliqué à la course est souvent forfaitaire et varie selon la longueur du trajet et selon les régions. Par exemple, dans la ville de Tizi-Ouzou la course est à 100 DA pour un déplacement en zone urbaine, à Batna la course est à 70 DA ;

• Les gens qui se déplacent par bus sont souvent ceux aux revenus modestes. Les tarifs appliqués aux tickets de bus sont généralement de 15 DA par ligne (il faut acheter un nouveau ticket à chaque correspondance) ;

• Les tarifs appliqués au transport par bus n’étant pas chers (10 DA), les déplacements à pied se font souvent sur les courtes distances (déplacements urbains) et le cas échéant lorsque l’absence ou la surcharge des bus se font sentir.

Dans des circonstances socio-économiques difficiles, comme celles qui sévissent dans les pays en voie de développement, le service de transport public ne doit pas être détaché de l’État, sinon c’est toute une catégorie sociale qui sera exclue. Le cas de l’organisation du service de transport en Algérie (cf. chapitre 7), montre la faible maîtrise par les pouvoirs publics de la libéralisation du service de transport. Les professionnels de ce secteur choisissent souvent les lignes de transport qu’ils desservent, et dans le cas où l’autorisation leur est refusée, ils travaillent illégalement, promouvant le transport informel. Aucune loi, charte, ni cahier des charges n’incitent les entreprises de transport à desservir les lignes rurales, souvent moins rentables que les lignes interurbaines. Par conséquent, les zones

53 Cette représentation péjorative des transports publics existe aussi dans les pays développés, mais avec des

proportions moins importantes que dans les pays du Sud. En occident, le recours à ce mode de transport relève aussi de choix idéologiques (protection de l’environnement).

54 Dinar algérien. Au 24/03/2009, 1 euro = 97 DA. La rareté de la devise dans les banques Algérienne renforce

58 isolées connaissent de sérieux problèmes de transport. Didier Plat et Pascal Pochet (2002) ont soulevé le même problème dans l’aire urbaine de Dar es-Salaam, en Tanzanie. Le « désengagement public » du service de transport, a créé une inégalité dans la répartition de l’offre de celui-ci.

Entre le monopôle de l’État et son désengagement de se secteur stratégique, doit exister un juste milieu qui assurerait à la fois le droit des transporteurs au profit et le droit des ruraux aux transports. Cela dit, nous ne demandons pas le retour du monopole des entreprises étatiques, mais au minimum l’élaboration de commissions de contrôle et l’intégration du plan de transport dans une politique d’ouverture des espaces isolés.

Dans nos enquêtes en Grande Kabylie, nous avons analysé les déficiences du système de transport, et nous avons relevé que les ruraux sont doublement exclus : spatialement, par l’absence de desserte de plusieurs lieux, et temporellement par la complication et la longueur des trajets du transport en commun (cf. chapitres 4 et 5). Ce constat est général dans tous les pays en voie de développement. Plus on est dans une grande ville, plus le taux de motorisation est élevé. En revanche si la ville est petite le taux de motorisation sera faible. Dans leur étude sur Ouagadougou, Lourdes Diaz-Olvera, Didier Plat et Pascal Pochet (1998) concluent que l’accès aux moyens de transport est proportionnel à la richesse du ménage, et que moins on est riche plus on se déplace à pied et moins l’on est mobile. Le tableau suivant présente les indicateurs de mobilité selon la pauvreté individuelle et la pauvreté du ménage.

Tableau 2.01 : Les indicateurs de mobilité selon les ressources des individus et de leur ménage (en nombre moyen de déplacements quotidien et en %)

59 Cette importante étude témoigne de l’impact de la différentiation sociale sur l’accès au transport. Elle montre que la marche à pied est le mode de transport des pauvres. Il est fondamental de rappeler que dans les pays de Sud, les déplacements par vélo relèvent, souvent, de contraintes économiques et non de choix modaux. Le système de transport en commun étant peu performant, les captifs du transport en commun cherchent des alternatives adaptées à leur situation financière. Nous pouvons conclure que le fait de ne pas avoir accès aux infrastructures de transports limite, voire supprime, la latitude individuelle en matière de mode de vie (V. Kaufmann, 1999).

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