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Chapitre 3: Ouverture et Productivité : les analyses existantes

2. L’ouverture économique

2.2. La mesure de l’ouverture

Depuis la fin des années 80, les nouvelles théories de la croissance ont fourni un cadre théorique important à l’idée que l’ouverture affecte positivement la croissance. Malgré le nombre important de travaux empiriques sur le sujet, certains auteurs doutent de la robustesse des conclusions de ces études. Selon Rodrik (1995)28, dans la plupart des travaux sur l’ouverture et la croissance, l’indicateur utilisé relatif au régime commercial est très mal mesuré et l’ouverture prise dans le sens d’absence de restrictions commerciales est souvent confondue avec les aspects macroéconomiques du régime politique.

Les premières études comparatives entre pays sur l’ouverture ont utilisé des indicateurs consistant dans un pourcentage exprimant le rapport d’une mesure de commerce extérieur à un agrégat intérieur ou par son accroissement comme le ratio de dépendance commerciale et le taux de croissance des exportations (Balassa, 1982)29 . Ces indicateurs présentent plusieurs limites, puisqu’ils ne dépendent qu’en partie de la politique d’ouverture et sont largement endogènes.

Alors, plusieurs auteurs ont essayé d’éviter ces problèmes en utilisant des combinaisons de mesures ciblées sur certains aspects de la politique commerciale comme le

28 Rodrik, D., “ Trade policy and industrial policy reform.” In Behrman and Srinivasan (eds), Handbook of Development Economics, Vol. 3B, Amesterdam : North Holland.

29 Balassa, B., “Development Strategies in Semi-Industrial Countries.” Oxford: Oxford University Press.

niveau moyen des tarifs à l’importation, le pourcentage des importations soumis à des restrictions quantitatives, les taxes à l‘exportation, le contrôle des changes, etc., pour tenter de classer les pays selon leur degré de distorsion du commerce. Chaque indicateur est partiel et ne rend pas compte de l’ensemble des instruments de la politique économique. Parmi les études représentatives les plus connues de cette méthode on peut citer, celle du rapport sur le développement dans le monde de la Banque Mondiale (1987) et celle plus récente de Sachs et Warner (1995), où ils utilisent une variable muette qui signale le caractère ouvert ou fermé30 d’un pays. Bien que cette étude ait constitué une amélioration par rapport aux autres tentatives, la méthodologie de Sachs et Warner a été critiquée notamment sur la capacité des critères retenus à constituer des indicateurs de politique d’ouverture, et sur le fait d’avoir une classification binaire alors que la politique commerciale est par nature graduelle.

Comme la plupart des indicateurs ont fait l’objet de critiques, Edwards (1998) juge alors, que la nature complexe de la politique commerciale (le commerce international peut être affecté par les droits de douane, les quotas, les licences, les interdictions, les contrôles du taux de change, les subventions,…) rend illusoire la tentative de construire un indice unique du degré d’ouverture et va induire des contradictions. Selon lui, la relation entre croissance et commerce ne pourra être considérée comme robuste que si elle est vérifiée sur un grand nombre d’indicateurs de politique commerciale. Il va élaborer un indice synthétique, au moyen d’une analyse des informations fournies par 9 indicateurs d’ouverture31, pour tester le pouvoir explicatif des différents indicateurs particuliers de la politique d’ouverture sur la croissance de la productivité des facteurs.

Toutefois, les différents indicateurs n’aboutissent pas au même classement, car ils reflètent des réalités différentes. Cette idée est mise en évidence dans les travaux de Pritchett (1996) qui montrent que les indicateurs employés ne sont que très faiblement corrélés entre eux.

Rodriguez et Rodrik (1999) ont présenté une critique rigoureuse de ces indicateurs composites qui porte sur la robustesse des conclusions empiriques de ces travaux.

30 Un pays i est considéré l’année t comme fermé s’il remplit au moins un des cinq critères suivants : (1) un taux moyen de tarifs douanier supérieur à 40 % ; (2) des barrières non tarifaires couvrant plus de 40 % des importations ; (3) une prime sur le marché parallèle des changes supérieure à 20 % sur une période de dix ans ( soit les années 1970, soit les années 1980) ; (4) existence d’un système économique socialiste ; (5) existence d’un monopole d’Etat sur les principales exportations.

31 Les indicateurs d’ouverture utilisés sont : l’indice de Sachs et Warner ; l’indicateur du rapport sur le développement dans le monde de la Banque Mondiale ( 1987) ; l’indicateur de Leamer ; la prime moyenne sur le marché parallèle des changes ; Le tarif moyen à l’importation pour les produits manufacturés ; la couverture moyenne des barrières non tarifaires ; l’indice de distorsion dans le commerce international de Heritage

Foundation ; le ratio des revenus des taxes sur le commerce extérieur à la valeur du total du commerce ; l’indice

Siroën (2000) a détaillé les différents types d’indicateurs les plus utilisés, par référence aux travaux de Baldwin (1989) qui propose une typologie des indicateurs d’ouverture commerciale, dont la première est fondée sur les instruments de politique commerciale comme la dispersion des tarifs douaniers ou la fréquence des barrières non tarifaires. La deuxième s’appuie sur l’écart entre un résultat constaté, en termes de flux commerciaux ou de prix des biens, et le résultat prévisible lorsque l’Etat n’applique aucune barrière au commerce.

La classification de Siroën, permet de distinguer les indicateurs qui isolent le niveau absolu de l’ouverture commerciale de ceux qui apprécient l’ouverture d’un pays relativement à un ou des partenaires commerciaux.

A. Les indicateurs d’ouverture absolue : sont traditionnellement les plus utilisés. Ils permettent de mesurer directement le degré d’ouverture d’un pays au commerce extérieur, soit en analysant les résultats des ratios d’ouverture, soit en étudiant directement les différentes mesures de protection adoptées par le pays considéré.

 Le ratio d’ouverture : est fréquemment utilisé dans les études empiriques. Le rapport

(

i i

)

i

X M

PIB

+ 32

permet d’indiquer le degré de dépendance d’un pays i au commerce extérieur. Il présente plusieurs limites. Tout d’abord au niveau de la construction du ratio, qui met en rapport une production au numérateur et une valeur ajoutée au dénominateur. Ceci peut introduire un biais en faveur de pays massivement réexportateurs qui importent des biens intermédiaires ou des produits semi-finis qui seront incorporés dans les exportations. Puis la politique industrielle et commerciale appliquée peut introduire des distorsions et peut entraîner une augmentation artificielle du ratio. Mais la principale critique adressée au ratio d’ouverture, c’est qu’il peut dépendre de beaucoup de facteurs autres que les politiques commerciales comme la taille, la structure des avantages comparatifs et la configuration géographique. En effet, les plus grands pays sont moins dépendants du commerce extérieur et les pays qui détiennent des ressources naturelles abondantes le sont davantage. Or ces éléments sont indépendants de la politique commerciale du pays.

 La mesure directe : elle consiste à évaluer directement les mesures des obstacles aux échanges. Mais celles-ci posent quelques problèmes

32 i

X et Mireprésentent respectivement les exportations et les importations du pays i.

d’interprétation. La moyenne simple du tarif douanier introduit un biais, puisqu’elle favorise les pays qui imposent fortement les quelques produits importés en grande quantité et défavorise ceux qui protègent fortement des secteurs pour lesquels les flux d’importation seraient de toute façon faibles. Si ces taux sont pondérés par le volume des importations, cela pose aussi des problèmes, car un tarif élevé sur un produit a tendance à réduire le volume des importations donc son poids dans la moyenne. En plus, la possibilité d’avoir différents tarifs (ad valorem, spécifiques, consolidés, appliqués, contingents tarifaires) rend difficile le calcul d’un taux moyen (Bouët, 2000). Dès lors, pour contourner ces problèmes, d’autres auteurs ont utilisé la part des recettes tarifaires dans le PIB ou dans les importations. Mais cet indicateur présente aussi des biais puisqu’un pays indiqué comme le plus fermé sera celui qui maximise ces recettes fiscales sans, pour autant, appliquer une politique commerciale protectionniste. Puisqu’il existe une relation non linéaire entre les recettes et les tarifs. Et comme le droit de douane moyen, le rapport des recettes sur les importations ne permet pas d’associer aux mesures tarifaires les mesures des barrières non tarifaires (BNT). Ces BNT posent des problèmes pour évaluer leurs impacts sur le prix à l’importation. Généralement, c’est la part des importations couvertes par les BNT qui est prise en compte. A côté des problèmes déjà rencontrés pour les tarifs, il existe la difficulté de ne pas pouvoir quantifier l’intensité de la protection. Une autre approche peut être utilisée consiste à combiner plusieurs indicateurs partiels de politique commerciale. Elle a été présentée par Sachs et Warner (1995) qui ont utilisé une variable muette pour signaler le caractère fermé ou ouvert d’une économie. Pour résoudre le problème de l’hétérogénéité des barrières à l’importation (tarifs, quotas, normes, subventions, droits d’anti-dumping, etc.), la méthodologie adoptée par les chercheurs33 a permis de mettre place un concept qui permet le calcul de la protection globale appelé OTRI (overall trade restrictiveness index). Cet indice global permet le calcul de l’équivalent tarifaire de l’ensemble des obstacles dont s’entoure un pays. Il

33 Les indices de restrictivité commerciale (Trade Restrictiveness indexes) comme l’OTRI ont été développés par Anderson et Neary dès 1992 pour la Banque Mondiale, en permettant d’évaluer l’écart entre le prix domestique de chaque pays importateur et le prix mondial par produit et en moyenne. Par la suite Kee et Alii (2006) ont pu apporter des améliorations à cette méthode pour mieux mesurer la protection d’un pays.

peut ainsi capter toutes les distorsions commerciales imposées aux importations.

B. Les méthodes d’ouverture relative : permettent d’apprécier l’écart entre la valeur constatée dans un pays et une norme construite dans un pays ou une zone de référence. Le degré d’ouverture est apprécié selon une mesure de la distorsion ou par une évaluation par les résidus. La première méthode consiste à mesurer un indicateur de distorsion à partir des écarts de prix, entre les prix mondiaux et les prix intérieurs. Cette démarche se heurte à deux difficultés, tout d’abord les distorsions introduites par les politiques ne sont pas les seules qui expliquent ces différences, d’autres facteurs34 doivent être pris en compte. Puis les distorsions considérées devraient aussi prendre en compte l’influence des politiques sur les prix internes. La deuxième démarche consiste à comparer le volume constaté du commerce extérieur à celui prévu à partir d’un modèle de référence, méthode qui repose sur le modèle de gravité. Ce résidu capterait l’influence de la politique commerciale, ce résidu s’interprète comme l’écart entre la valeur de l’intensité du commerce d’un pays avec celles d’autres pays qui auraient les mêmes caractéristiques. Ainsi, un pays est considéré ouvert, si ce résidu est positif. En comparaison avec le ratio d’ouverture, cet indicateur est meilleur, puisqu’il élimine certains des facteurs explicatifs de l’échange autre que ceux relevant de la politique commerciale. Toutefois, les travaux s’appuyant sur cette méthode ne peuvent conclure que sur l’opportunité pour un pays d’être plus ou moins ouvert que les autres. D’après Siroën (2000), même si ces méthodes présentent certaines limites, elles devraient permettre une amélioration de la fiabilité des mesures d’ouverture.