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CHAPITRE 3 – À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS

3.3 DES SOLUTIONS DURABLES À LA CRISE : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU

3.3.1 À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS À GAUCHE COMME À DROITE

3.3.1.1 LA MENACE RÉVOLUTIONNAIRE ET L’ÉLITE RÉGIONALE

RÉGIONALE

À l’instar de la majorité des villes du Québec, la décennie de crise au Saguenay ne

se fait pas sans susciter, chez les chômeurs et ceux qui sont touchés par les effets du marasme économique, des sentiments de colère et d’injustice. L’impression d’être

abandonnés à leur sort et l’isolement social s’ajoute au sentiment d’être les dindons de la farce d’un système inhumain qui les laisse en plan. Plus concrètement, plusieurs désirent

manifester leur mécontentement face à un système de distribution de secours directs qui leur semble injuste et déficient.

Au cours de l’été 1931, la situation s’échauffe à Chicoutimi. Une première

manifestation a lieu le 18 juin, alors que 200 ouvriers sans-travail s’assemblent devant l’hôtel de ville et réclament du travail et du pain. Deux échevins et le député provincial,

Gustave Delisle, se chargent de les rassurer : les autorités municipales font tout ce qu’elles peuvent pour améliorer leur sort327. Quatre jours plus tard, ils sont 800 à se presser à nouveau devant le siège du pouvoir municipal. Cette fois-ci, une séance d’urgence du Conseil est convoquée en présence des deux députés, Delisle et Dubuc, des commissaires du Port de Chicoutimi, un des principaux employeurs des chômeurs, des représentants de la Chambre de commerce locale et des officiers des syndicats catholiques. L’assemblée

157 tente de rassurer tout le monde et adopte une résolution où elle s’engage à poursuivre ses demandes auprès du gouvernement afin d’obtenir plus de subventions pour poursuivre les

travaux publics.

Les autorités sont vraiment dépassées et ne peuvent guère promettre plus. Les manifestants ne semblent pas s’en contenter et tentent de forcer l’hôtel de ville, ce qui nécessite une intervention policière. L’intervention des députés saura les calmer dans un

premier temps328, mais au moins une autre manifestation semblable a lieu en juillet, où ce sont les chômeurs les plus jeunes qui affirment leur désarroi d’être laissés pour compte dans la distribution de l’aide aux chômeurs. Ils reprendront le flambeau, au printemps 1938,

quand les autorités qui gèrent les travaux publics les excluront au profit des chômeurs soutiens de famille329. Au début d’août, une assemblée a lieu dans le quartier ouvrier du Bassin en pleine campagne électorale. Le député sortant Gustave Delisle est conspué et peine à faire valoir son bilan et celui du parti libéral330. Enfin, en septembre, les ouvriers qui travaillent sur le chantier du pont de Sainte-Anne débraient et manifestent contre l’entrepreneur chargé du chantier, ce qui nécessite à nouveau l’intervention des policiers331.

À Jonquière, en août 1933, les chômeurs travaillant sur des chantiers de la ville entreprennent une grève de six jours pour protester contre la décision du conseil d’augmenter leurs heures de travail sans bonification d’allocations de chômage. La grève

prend des allures de manifestation de plus en plus intense au point où, en soirée, 500

328 « Les chômeurs à l’hôtel de ville », Progrès du Saguenay, 23 juin 1931, p. 8.

329 « Les jeunes chômeurs à l’hôtel de ville », Progrès du Saguenay, 15 juillet 1931, p. 6; « Les jeunes gens sans travail

à l’hôtel de ville », Progrès du Saguenay, 31 mars 1938, p. 10

330 « M. Delisle s’adresse à la population du Bassin », Progrès du Saguenay, 5 août 1931, p. 6. 331 « Mésentente chez les ouvriers à Ste-Anne », Progrès du Saguenay, 12 septembre 1931, p. 8.

158 chômeurs séquestrent les membres du Conseil dans l’hôtel de ville et les forces policières

doivent intervenir pour calmer le jeu. Le lendemain, devant la reprise des manifestations, le maire demande l’intervention de la police provinciale et de la Gendarmerie royale qui

déploient leurs forces au centre-ville de Jonquière pour protéger les commerces et les propriétés. La situation au cours des jours suivants demeure tendue. Devant le refus des élus municipaux de revenir sur leur décision et en raison de l’arrêt des distributions des sommes des secours directs, les chômeurs décident d’en appeler au premier ministre du

Québec. La situation prend fin le samedi avec l’acceptation par les chômeurs de l’augmentation des heures de travail. En contrepartie, tous les grévistes reçoivent leurs allocations de chômage même s’ils n’ont pas travaillé au cours de la semaine332. Tout au long de la crise, de tels événements se produisent alors qu’auparavant la tranquillité publique est le lot du quotidien. Il ne faut donc pas se surprendre que ces événements inquiètent la population et les autorités saguenéennes.

Est-ce que ces sautes d’humeur de populations fragilisées par le chômage sont chapeautées ou noyautées par des mouvements révolutionnaires? Cela semble peu probable et rien ne le laisse croire, nonobstant les affirmations de certaines personnalités locales. C’est le cas du maire de Chicoutimi et député à la Chambre des Communes J.-É.-A. Dubuc. Dans la lettre, déjà citée, qu’il adresse au ministre T.-D. Bouchard, il n’hésite pas à l’affirmer :

Déjà, au début de la crise, certaines manifestations de révolte sociale se sont montrées dans les rues de Chicoutimi; depuis il est indubitable qu’une propagande étrangère, insidieuse agit dans les rangs de nos ouvriers et prêche avec avantage à cette population angoissée la doctrine prometteuse du communisme.

332 « Les chômeurs de Jonquière refusent de travailler », Progrès du Saguenay, 24 août 1933, p. 6; « Tout est rentré dans

159 Nous ne pouvons empêcher de constater cette fermentation sociale et les menaces d’avenir

qu’elle comporte. Notre devoir est d’en informer nos gouvernants333.

Ces événements ne manquent pas d’attiser la crainte d’une révolution, même au Saguenay. Le terrain est d’ailleurs préparé depuis longtemps. Le thème de l’anticommunisme revient de façon récurrente dans la presse saguenéenne depuis la

Révolution bolchevique en 1917. Cette crainte d’une révolution sociale s’est accentuée depuis le début de la crise et constitue un des thèmes les plus abordés dans les pages des journaux du Progrès du Saguenay qui suit, de ce point de vue-là, les autres journaux d’obédience cléricale et nationaliste au Québec. Dans une lettre pastorale qu’il publie à l’occasion de Noël 1930 sur l’importance de la charité et de l’aumône, Mgr Charles Lamarche, évêque de Chicoutimi, met en garde ses ouailles contre les dangers du communisme :

Il y a des doctrines sociales, le communisme par exemple, qui bannissent la charité de leur programme et rêvent d’une égalité impossible à atteindre. Ces doctrines sont classées parmi les doctrines de haine. En effet, elles ne tendent pas d’abord à soulager les maux de l’humanité, mais s’appliquent à envenimer les blessures et à exaspérer les revendications, afin de précipiter une classe sur une autre, de hâter le grand soir, le chambardement général auxquels succéderait le paradis rouge, le paradis comme en Russie!334

Pour les rédacteurs du Progrès du Saguenay comme pour M. Dubuc, il est clair que le communisme profite de la crise pour s’insinuer dans notre société. Ils s’attaquent du

même coup à un autre problème qui explique, pour ces intellectuels clérico-nationalistes, la crise des années 1930 : il s’agit de l’immigration. Ainsi, un des éditorialistes du journal de Chicoutimi, Dominique Beaudin, affirme :

Le communisme est entré par la large porte de l’immigration. C’est à cette porte […] qu’il faut veiller. Une surveillance étroite des immigrants s’impose; à la porte de l’immigration, il faut désormais un treillis qui rejette impitoyablement tous les fauteurs de désordre.

333 Lettre du maire de Chicoutimi, J.-É.A. Dubuc, op. cit., p. 5.

334 « Lettre pastorale de Monseigneur Charles LAMARCHE, évêque de Chicoutimi sur l’aumône », 25 décembre 1930,

160 Voilà pour les ennemis du dehors. Que faire de ceux qui ont pénétré dans la place ?

N’hésitons pas à le dire, il faut déporter sans retard dans le paradis soviétique ceux qui se livrent à la propagande révolutionnaire335.

Par ailleurs, il ne suffit pas de dénoncer les ennemis de la nation canadienne- française. Car la campagne anticommuniste se poursuit jusqu’à la fin de la crise, avec une intensité décuplée à compter de 1936, ce qui conduit à l’adoption, par le gouvernement

Duplessis, de la célèbre loi du Cadenas (1937). La presse locale, à Chicoutimi comme à Roberval, se fait aussi le transmetteur d’idées plus conformes à ses valeurs. Si le communisme y est dénoncé, les mérites de la doctrine sociale de l’Église catholique, eux,

y sont encensés. Si on dénonce les réformateurs trop à gauche on fait la promotion du corporatisme social, si la démocratie semble avoir failli avec les valeurs libérales qui l’accompagnent, on n’hésite pas à présenter sous un jour favorable les doctrines réformistes qui s’appuient sur un pouvoir autoritaire soutenant une vision corporatiste de la société et

qui font une large place à l’encadrement social de l’Église catholique. Il n’est pas surprenant de trouver dans les pages du Progrès du Saguenay et du Colon, des articles qui font la part belle au régime fasciste de Mussolini336, qui rapportent avec enthousiasme les réussites du gouvernement dirigé par Antonio de Oliveira Salazar au Portugal337 et prennent ouvertement position pour les franquistes dans la guerre d’Espagne sévissant alors

de 1936 à 1939338. Les dénominateurs communs de ces positions politiques internationales par les journaux régionaux sont la promotion du corporatisme social et la part belle accordée à l’Église catholique. Aucune sympathie n’est affichée pour le régime hitlérien

335 Dominique BEAUDIN, « Le communisme au Canada », Progrès du Saguenay, 30 décembre 1930, p. 3.

336 « M. Mussolini défini la liberté nationale », Le Colon, 1er octobre 1925 p. 3; « Les doctrines qui se disputent le

monde », Le Colon, 4 mars 1937, p. 1 et 3.

337 « Le Dr Oliveira Salazar », Progrès du Saguenay, 21 janvier 1937, p. 2; 4 février 1937 p. 7; « L’expérience

portugaise », Progrès du Saguenay, 5 janvier 1939, p. 7.

161 alors en pleine croissance en raison, sans aucun doute, pour son caractère antireligieux. Ces positions socio-politico-économiques sont celles proposées essentiellement par le Programme de restauration sociale qui voit le jour au sein de l’élite nationaliste québécoise en 1933. Ces positions rejoignent l’élite intellectuelle et cléricale au Saguenay—Lac-Saint-

Jean.

3.3.2 LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME SOCIALE : LE PROGRAMME