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CHAPITRE 3 – À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS

3.2 SOLUTIONS D’URGENCES, SOLUTIONS PERMANENTES

3.2.2 L’ACTION GOUVERNEMENTALE APPLIQUÉE AU SAGUENAY—LAC-

3.2.2.2 L’APPAREIL MUNICIPAL EN CRISE

283 «On va entreprendre la construction de la route Ste-Anne-Tadoussac», Progrès du Saguenay, 19 août 1937, p. 1; « Les

travaux remédiateurs au chômage dans la région », Progrès du Saguenay, 11 novembre 1937 p. 11; « La route Sainte- Anne-Tadoussac », Progrès du Saguenay, 31 octobre 1940, p. 1.

284Russel BOUCHARD, 1986, Histoire de Chicoutimi-Nord vol. 2 La municipalité de Chicoutimi-Nord et la fusion

municipale 1954-1975, Chicoutimi-Nord, l’auteur, p. 119-139.

285 « Au conseil », Progrès du Saguenay, 11 novembre 1937, p. 1; « En résumé », Progrès du Saguenay, 31 mars 1938,

p. 1; « Les jeunes gens sans travail à L’hôtel de ville », Progrès du Saguenay, 31 mars 1938, p. 10; « La crise est finie »,

Progrès du Saguenay, 10 novembre 1938, p. 1.

141 Au cours de la crise, les attentes concernant l’aide apportée aux chômeurs viennent majoritairement des gouvernements provincial et fédéral. C’est auprès de ces deux paliers étatiques que se retrouve l’essentiel des revenus. Tout au long de la crise, les

gouvernements provincial et fédéral absorbent 79 % des coûts des différents programmes de l’aide au chômage (TABLEAU 17, ANNEXE 6). Du côté municipal, si on prévoyait au départ que ce palier absorbe 50 % des coûts des programmes d’aide, la réalité fit en sorte

que la participation des municipalités fut revue considérablement à la baisse et constitua plutôt, pour l’ensemble de la crise, au Québec, un pourcentage de 21 %. La difficulté à

financer les programmes de travaux publics par les municipalités constitue la première raison de l’abandon de ce système en 1932. Le travail des chômeurs sur des chantiers d’intérêt public semble la meilleure solution mais il comporte de nombreux problèmes. Il s’avère rapidement insuffisant pour faire travailler tous les chômeurs, qui devront consentir

à travailler en alternance pour donner la chance au plus de chômeurs possible de toucher des revenus. C’est le cas au Saguenay, au début de la crise, où les travaux de voirie,

entrepris grâce aux subventions gouvernementales, se déroulent avec des équipes de travailleurs-chômeurs qui changent, à chaque semaine ou après quelques jours de travail287. En février 1931, un inspecteur du ministère fédéral du Travail est envoyé au Saguenay pour constater que les travaux de chômage sont organisés selon les directives du gouvernement, que la rotation des équipes se fait de façon efficace et que les chômeurs sont engagés sans qu’il n’y ait de favoritisme politique et de patronage288. Par ailleurs, la plupart des municipalités accordent la préférence dans l’embauche aux hommes mariés qui ont à leur

287 « Les travaux exécutés à Bagotville », Progrès du Saguenay, 2 décembre 1930, p. 6; « Du travail pour les chômeurs »,

Progrès du Saguenay, 4 décembre 1930, p. 8. « La distribution du travail aux chômeurs », Progrès du Saguenay, 24

janvier 1931, p. 8.

142 charge une famille. Cette préférence ne se fait pas sans causer certains émois au sein des jeunes chômeurs célibataires qui se sentent abandonnées par les autorités municipales289. En octobre 1931, à Chicoutimi, en raison de l’augmentation du chômage et suite à l’épuisement des subventions gouvernementales, le conseil municipal ne peut faire

travailler que 650 chômeurs, chefs de familles, divisés en équipes qui alternent sur les chantiers pour une période réduite à trois jours. On prend d’ailleurs la mesure d’enregistrer chaque chef de famille susceptible d’être engagé à l’aide de cartes de travail. On prend soin

de préciser que les célibataires seront enregistrés plus tard et que seuls les chômeurs résidants à Chicoutimi depuis six mois au moins peuvent recevoir la carte de travail290.

C’est toutefois du fait de l’incapacité des municipalités à couvrir leurs frais de participation aux programmes conjoints d’aide aux chômeurs que l’on doit abandonner le

système des travaux publics. Avec la crise, les revenus des municipalités sont réduits comme peau de chagrin. La baisse des taxes foncières en raison de l’incapacité des propriétaires de les payer rend les finances des municipalités fragiles alors qu’elles doivent assumer un surcroît de dépenses. Celles-ci font face à la musique en multipliant les emprunts. La situation s’avère rapidement problématique. En 1932, le système des secours directs, moins lourd financièrement pour les municipalités, n’en demeure pas moins

coûteux. Si plusieurs municipalités ne peuvent assumer leur part des secours directs qui s’élève initialement au tiers des dépenses, il n’en demeure pas moins que le système s’avère

un casse-tête pour ceux qui doivent le gérer. La reprise, à compter de 1937, du système des

289 « Les jeunes chômeurs à l’Hôtel-de-ville », Progrès du Saguenay, 15 juillet 1931, p.6; « La liste des travaux que la

Cité effectuera », Progrès du Saguenay, 3 novembre 1931, p.6.

143 travaux publics ne contribuera qu’à accabler davantage les finances municipales dans un

contexte économique cependant meilleur291.

C’est dans ce contexte de difficulté pour les municipalités à maintenir leurs finances à flot qu’est créée, sous l’égide du ministre des Affaires municipales, la Commission

municipale du Québec (CMQ) en février 1932292. La loi place l’administration des municipalités sous le regard de l’État québécois qui peut, par l’entremise de la commission,

mener une enquête sur leur administration financière. Elle doit approuver tous les emprunts effectués par les municipalités du Québec, sauf ceux contractés en vertu de la loi sur l’aide aux chômeurs. De plus, elle peut s’assurer que les montants des emprunts soient utilisés

aux fins pour lesquelles ils ont été contractés. Ces pouvoirs entraient dans les prérogatives du ministère des Affaires municipales par l’entremise de la loi des dettes et des emprunts municipaux293. La véritable nouveauté de la loi de la commission municipale est la création d'un système de tutelles pour les corporations municipales, scolaires ou paroissiales. Toutes corporations, ou les créanciers de ces corporations, peuvent présenter une demande de tutelle s'il s'avère que ces corporations sont en défaut de rencontrer leurs obligations financières. La municipalité passe alors sous le contrôle de la CMQ tant et aussi longtemps que la commission ne décrétera pas qu’elle est libérée de cette tutelle, qui la place à l’abri

de procédures de recouvrement de ses créanciers.

291 PELLETIER et VAILLANCOURT, 1975, op.cit., p. 210-211.

292 Loi créant la commission municipale, SQ, 22 Geo. V, chapitre 36, sanctionnée le 19 février 1932. 293 Ibid., p. 225-227.

144 En contrepartie, la municipalité doit se soumettre à un contrôle effectué par des inspecteurs mandatés par la commission municipale; ses finances, son budget et les décisions prises par le conseil municipal, tout tombe sous la supervision de la commission. Les mandataires doivent aussi approuver les travaux municipaux, l’engagement des contractants, les rôles d’imposition des taxes, et ce, tout en assurant la direction des revenus

de la municipalité placés en fiducie. Toutes les dépenses sont approuvées par la commission, qui peut se substituer à l’administration municipale advenant son refus d’appliquer les recommandations et les décisions imposées. Enfin, elle peut destituer, remplacer ou nommer un officier d’une municipalité si elle le juge nécessaire, elle peut acquérir ou vendre des propriétés comme elle a le pouvoir d’approuver toutes acquisitions

ou ventes décidées par le Conseil municipal. Elle peut ester en justice au nom de la municipalité ou utiliser ses deniers en son nom294.

L’examen des procès-verbaux de la CMQ295 a permis d’établir la chronologie et l’ampleur de l’application de la tutelle au sein des municipalités, commissions scolaires et

paroisses de la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Le TABLEAU 22, ANNEXE 12 dresse un portrait peu reluisant de la situation municipale régionale pour la période de 1932 à 1938. Plusieurs municipalités se déclarent en défaut de paiement au cours de ces années, ce qui laisse entrevoir l’endettement des corporations publiques qui ont vécu difficilement la nécessité d’assumer les responsabilités sociales qui leur incombent. Toutes ne sont pas

dans une situation si mauvaise. Parmi les municipalités qui y échappent, une hypothèse

294 Ibid., p. 227-232.

295 Livre des délibérations de la CMQ (1932-1940), Ministère des Affaires municipales du Québec, E87-1B 026 03-05-

145 peut être émise : celles qui vivent majoritairement de l’agriculture ont un poids moindre à supporter concernant l’aide aux chômeurs, ce qui expliquerait la présence moins prégnante des localités du Lac-Saint-Jean par rapport au Saguenay, particulièrement pour la majorité des villes, villages et paroisses du sud du Lac-Saint-Jean, d’Albanel à Saint-Bruno, et dans les paroisses au peuplement récent ou en cours de colonisation dans l’arrière-pays de Saint-

Thomas-Didyme à Sainte-Jeanne-d’Arc. Au Saguenay, outre dans les territoires de colonisation, seul le Bas-Saguenay du côté sud est épargné avec les municipalités de Petit- Saguenay à Saint-Félix d’Otis et, à mi-chemin avec le Lac-Saint-Jean, le village de Larouche échappe aussi à la tutelle. Enfin, l’absence dans ce triste palmarès de l’ensemble

des villes de compagnie de la région est à noter296. La situation catastrophique des finances des municipalités en défaut de la région ne se résout pas avec la fin de la crise. À la fin de 1940, seules les petites municipalités de paroisse de Canton-Tremblay et du Canton de Chicoutimi, et les syndics de la paroisse de Saint-Louis-de-Chambord sont libérées de la tutelle le 23 mars 1937 pour les municipalités saguenéennes et le 17 janvier 1938 pour la corporation catholique de Chambord297. Pour les autres, après avoir adopté des plans de relèvement financier dans les dernières années de la crise, certaines d’entre elles ont dû attendre la fin des années 1960, voire les années 1970, pour retrouver leur autonomie administrative298.

296 Bien qu’elle n’apparaisse pas dans les registres de la commission municipale du Québec, l’article « Règlement de la

dette de Kénogami », Progrès du Saguenay, 7 mai 1937, p. 11, mentionne que la ville est sous le contrôle de la Commission municipale du Québec depuis quelques années.

297 Livre des délibérations de la CMQ, op. cit., 23 mars 1937 et 17 janvier 1938. 298 James Iain GOW,1986, op. cit., p. 83.

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