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CHAPITRE 2 – CONTEXTE HISTORIQUE DE LA GRANDE DÉPRESSION

2.2 LA CRISE ÉCONOMIQUE AU CANADA ET AU QUÉBEC

2.2.2 LA CRISE ÉCONOMIQUE AU QUÉBEC

À l’instar du reste du monde, la crise économique québécoise est causée par l’intensification de conjonctures économiques qui se mettent en place après la Première

Guerre mondiale. La croissance de la demande sur les plans agricole et industriel a suscité des investissements qui s’avèrent trop élevés quand survient la reprise de la concurrence

européenne au cours des années 1920.

En ce qui a trait à l’industrie, le Québec se spécialise dans trois domaines : l’industrie légère liée à la consommation (habillement, alimentation), celle plus lourde centrée sur la production métallurgique et le matériel de transport et celle de l’exploitation des ressources naturelles et de l’électricité. Les deux premiers secteurs sont situés dans les

principales agglomérations de la vallée du Saint-Laurent, en particulier à Montréal et à

62 Québec. Le troisième secteur, qui assume le quart de la production québécoise, se répartit dans les régions forestières (Outaouais, Mauricie, Saguenay—Lac-Saint-Jean, Bas-Saint- Laurent-Gaspésie et Abitibi-Témiscamingue) et minières (Chaudière-Appalaches et Abitibi-Témiscamingue). En 1929, le Québec compte 6 948 établissements industriels qui emploient 206 580 personnes. Sa valeur de production est alors de 1,1 milliard de dollars. Au plus fort de la crise, en 1933, le nombre d’établissements a augmenté à 7 856, mais ils n’emploient plus que 157 481 personnes et la valeur de sa production a chuté à 604, 5

millions de dollars. Il faut attendre 1940 pour que la valeur de la production de 1929 soit dépassée. Cependant, en 1937, le nombre d’employés dans le secteur industriel québécois

a dépassé le nombre de 1929101. Si la crise se laisse deviner à travers l’évolution des chiffres de production, elle marque aussi l’industrie par un désinvestissement entre l932 et 1936.

La modernisation et le remplacement de la machinerie sont souvent remis à plus tard.

C’est dans le domaine de l’exploitation des richesses naturelles que la crise se

manifeste avec plus de rigueur, principalement dans le domaine des pâtes et papiers où la production décroît de 129 à 56 millions de dollars entre 1929 et 1933. Le nombre d’emplois

chute, pour la même période de 15 890 à 9 850. Nonobstant une croissance mouvementée au cours de la décennie 1920, cette industrie est pratiquement en crise depuis 1927 alors que de nombreuses usines ferment leurs portes afin de limiter la production. La crise s’aggrave avec la baisse de la demande américaine en papier journal et nombre de ces

grandes entreprises sont acculées à la faillite au cours des années 1930. Dans le secteur du bois de sciage, le même scénario se produit. Le marché du travail s’effondre passant de

63 9 676 à 2 937 emplois pour une valeur de production diminuant de 23,3 millions à 6,6 millions de dollars. Cette chute de la production est causée par la baisse draconienne de la construction résidentielle et commerciale dans tout le marché nord-américain. Ces restrictions affectent principalement les maigres revenus des populations rurales d’agriculteurs et de bûcherons102.

Dans le domaine agricole, ce qui caractérise la période de la crise économique, c’est une pause dans le mouvement d’exode rural qui dure depuis soixante ans. Pendant la crise,

le nombre de fermes augmente même si la production agricole diminue. La baisse des prix a lourdement grevé les revenus agricoles mais, à tout prendre, il est toujours possible de vivre des produits de la terre. De nombreuses fermes consacrées à une agriculture de subsistance se développent. Les gouvernements font le pari que la culture de la terre peut être une solution à la crise et au chômage des villes, Ils adoptent des mesures pour orchestrer un mouvement de retour à la terre et d’extension du territoire agricole par la colonisation. Ce phénomène est de courte durée et l’exode vers les villes reprend dès les

débuts de la Seconde Guerre mondiale. Malgré cet intermède, la population du Québec vivant sur des fermes diminue tout de même de 27 % en 1931 à 25,2 % en 1941, ce qui témoigne d’un rapide retour à la normale dès 1939.

Pour ce qui est des débouchés, l’agriculture québécoise est beaucoup plus stable que dans les Prairies canadiennes. Plus diversifiée, elle compte sur un marché dominé par l’approvisionnement des villes du Québec, en particulier Montréal. Si la baisse des marchés

64 internationaux se fait sentir, le marché intérieur peut pallier ses insuffisances. L’agriculture québécoise se concentre principalement dans les basses terres du Saint-Laurent et dans les régions de l’Estrie, de la Rive-Sud et du Bas-Saint-Laurent. Les autres régions

périphériques sont marginales. Cependant, au cours des années 1930, le mouvement de retour à la terre se propose de mettre en valeur les parties encore peu développées de l’œkoumène agricole comme l’Abitibi et l’arrière-pays du Bas-Saint-Laurent, de la

Gaspésie et du Saguenay—Lac-Saint-Jean. On estime entre 42 000 et 54 000 le nombre de personnes qui participent au mouvement de retour à la terre. L’expérience est cependant éphémère puisqu’il semble que les deux tiers de ces nouveaux colons ne poursuivent pas l’expérience et retournent dans les villes103.

Pourtant, c’est dans les villes que la crise est vécue le plus durement. En 1931, la

population québécoise est urbaine à 59,5 %. Alors que l’ensemble de la province se chiffre à près de 2,9 millions de personnes, la ville de Montréal compte, à elle seule, 818 577 habitants. Elle représente 61 % de la population urbaine du Québec. La métropole domine un réseau de six petites villes (Saint-Jérôme, Joliette, Sorel, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean et Valleyfield), qui constituent une première couronne urbaine au Québec. Loin derrière, la ville de Québec domine l’est du Québec avec ses 130 000 habitants en 1931. Le réseau

urbain est complété par un ensemble de capitales régionales et de villes secondaires. Pour plusieurs, la ville est synonyme de misère et de pauvreté. La crise a réduit les populations ouvrières au chômage et les fils de cultivateurs qui, traditionnellement, vont grossir les populations urbaines préfèrent demeurer à la campagne au cours des années 1930. Les

65 autorités urbaines les confortent dans cette décision en limitant l’aide aux chômeurs qui habitent l’agglomération depuis déjà un certain temps. L’administration des villes est d’ailleurs difficile. Leurs revenus provenant des taxes foncières se rétrécissent comme peau de chagrin alors qu’elles doivent assumer des dépenses accrues pour venir en aide aux

chômeurs, notamment en mettant sur pied de coûteux travaux publics.

Ce qui caractérise la société québécoise des années 1930, c’est cependant la misère

liée à la Grande Dépression. Elle est en grande partie causée par le chômage qui touche fondamentalement les classes laborieuses. Au cours des premières décennies du XXe siècle, les conditions des travailleurs ont connu certaines améliorations notables. En raison de l’augmentation des emplois liés aux services, de la spécialisation du travail industriel,

mais aussi grâce aux premiers efforts de syndicalisation, les conditions de vie en milieux ouvriers s’améliorent. Les salaires connaissent même une certaine hausse. Il n’en demeure

pas moins que ces derniers demeurent modestes. Pour un seuil de pauvreté évalué à 1 300 $ par année, au cours de la décennie 1920, les chiffres dont nous disposons, pour Montréal, montrent que pour la majorité des travailleurs masculins, le salaire est de 20 % à 30 % en deçà du seuil de pauvreté, ce qui oblige la participation des autres membres de la famille à travailler pour joindre les deux bouts.

La crise vient remettre en question ce fragile équilibre. D’abord, au cours de la

décennie 1930, malgré la crise particulièrement forte dans ce domaine, la proportion des emplois du secteur manufacturier au Québec passe de 28 % à 35 %. Ceux du secteur tertiaire diminuent de 42 % à 38 %. Pour 1931, 47 % des travailleurs montréalais reçoivent

66 un salaire inférieur à 1 100 $ par année et un autre 20 % à un salaire compris entre 1 300 $ et 1100 $, en supposant que ces salaires reposent sur une année complète de travail que l’on évalue à 48 semaines pour l’époque. Malgré un seuil de la pauvreté alors fixé à 1 300 $

par année, on estime à 1040 $ par année le salaire pour réussir à assurer le minimum vital de la famille104.

Ces conditions salariales qui se précarisent sont évidemment aggravées par le phénomène du chômage, qui domine le portrait des conditions des travailleurs au cours de cette décennie. Celui-ci est déjà élevé lorsque débute la crise et oscille entre 10 % et 13 %. En 1933, alors que les conditions du marché du travail sont au plus bas, le taux de chômage au Québec est de l’ordre de 30 %. Cette moyenne fléchit quelque peu au cours des années suivantes pour remonter en 1937. Cette détérioration du marché de l’emploi doit prendre

aussi en compte la diminution de la période annuelle travaillée. Pour l’ensemble du Canada, en 1931, elle se situe à 44,3 semaines travaillées par année. Ajoutons à cela le fait que ceux qui conservent leur emploi doivent aussi consentir à des baisses de salaire qui sont en moyenne de 40 % pour l’ensemble canadien105. Entre 1929 et 1933, les salaires moyens canadiens dégringolent de 1 045 $ à 785 $ par année106.

Le chômage ne touche pas le Québec de façon uniforme. Montréal compte parmi les régions les plus touchées. En 1933, le nombre de chômeurs dans la ville et ses environs s’estime à 250 000 personnes, soit environ 30 % de la population (atteignant même 40 %

104 Terry COPP, 1978, Classe ouvrière et pauvreté. Les conditions de vie des travailleurs montréalais 1897-1929,

Montréal, Boréal Express, p. 36-44.

105 LINTEAU, DUROCHER, ROBERT et RICARD, op. cit., p. 68 106 Ibid., p. 80.

67 dans certains quartiers). Ailleurs au Québec, ce sont les villes où l’économie repose sur l’exploitation des ressources naturelles qui connaissent les plus hauts taux de chômage.

Chicoutimi, Shawinigan, Trois-Rivières et Chandler sont littéralement sinistrées107. Gardons en tête que ces chiffres sont des moyennes et que ceux-ci varient selon le type d’industries. Les conditions de travail et de salaire dans les secteurs de l’industrie du textile sont beaucoup plus précaires que dans l’industrie lourde.

Tout compte fait, l’ensemble de la société est touché par la crise. Ceux qui s’en sortent

le mieux sont ceux qui ont pu conserver un emploi, même dévalué. La crise entraîne aussi une baisse importante des prix, qui avantage ceux qui ont quelques revenus. L’insécurité et la rareté de l’argent entraînent l’économie du Québec à son plus bas. Des propriétaires

ont tout perdu; des locataires sont expulsés. Les classes populaires des villes doivent apprendre à vivre au jour le jour en développant des trésors d’ingéniosité et de

débrouillardise pour réussir à survivre. Ceux qui avaient des projets les ont retardés. Ainsi, de nombreux mariages ne seront pas célébrés, mettant ainsi un frein à l’augmentation de la population qui prévalait alors. Au cours de la décennie 1931 à 1941, le taux de croissance de la population est de 15,9 %, comparé à celui de 21,8 % au cours de la décennie précédente108. Sur le plan démographique, la crise a aussi un effet sur le bilan migratoire. Les Canadiens français cessent d’émigrer vers les États-Unis où les conditions

économiques ne sont pas meilleures et où les frontières se ferment irrémédiablement, ce qui est plutôt positif sur le plan démographique. Cependant, l’immigration au Québec suit

107 Ibid., p. 75-79; John A. DICKINSON et Brian YOUNG, 2003, Brève histoire socio-économique du Québec, Sillery,

Septentrion, p. 310.

68 la même tendance, elle qui avait contribuée, depuis le début du XXe siècle, à faire croître la population québécoise née à l’étranger de 5,5 % à 8,7 % entre 1901 et 1931, alors que 684 582 étrangers entrent au Québec109.