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La marque du séjour dans l’arme d’origine

I- Les caractéristiques militaires générales

5. La marque du séjour dans l’arme d’origine

Il est tout d’abord possible que les lieux de stationnement des unités de leur arme aient une influence sur le choix des mutations. C’est le cas pour le sous-intendant de 2ième classe Firon, qui,

342 n°269, notation de 1873 : «A Grenoble contre son gré, il cherche à obtenir une autre résidence».

343 n°420, notation de 1882 : « Ce fonctionnaire a été découragé par un changement de résidence imprévu ».

344 n°829, notation de 1895.

345 n°889, notation de 1903.

346 n°653, notation de 1887.

347 n°961, notation de 1911.

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comme nous l’avons vu plus haut, fait l’objet d’une mise à la retraite d’office pour raisons disciplinaires. Nous avons trouvé dans son dossier une note confidentielle qui demande à ne pas l’envoyer dans une résidence où se trouve une unité de l’artillerie, car « il était peu aimé dans cette arme dont il faisait partie avant son admission dans l’intendance ». Malheureusement, il est impossible d’illustrer cette appréciation, car les notations dans l’arme ne figurent pas dans le dossier de ce sous-intendant349.

Les supérieurs font parfois référence à ce passage dans l’arme ou le service dans les notations dans l’intendance350. Ces allusions sont relevées dans les notations de cent quarante intendants. Nous nous attendions à ce qu’elles se fassent en tout début de carrière, notamment pour cerner la personnalité de l’officier au moment de son entrée dans l’intendance car c’est un moment important de son parcours professionnel qui l’amène à changer de types d’emplois. Or, au contraire, le notateur peut s’en référer tout au long de la carrière. Cependant la manière d’évoquer le passé de l’intendant dans son arme d’origine est variable. Le supérieur peut se contenter de citer l’origine de l’officier, et parfois aussi son arme d’appartenance et le grade qu’il détenait avant son entrée dans l’intendance, comme pour le sous-intendant de 2ième classe Bligny-Bondurand351. L’arme ou l’origine peut aussi servir à expliquer le niveau élevé d’instruction générale de l’intendant comme le baron Thomas qui a été formé à l’Ecole Polytechnique et qui sort de l’artillerie352. De façon générale, sortir d’une grande école militaire, avoir servi dans l’artillerie ou le génie (armes souvent qualifiées de « savantes »), et avoir suivi les cours de l’Ecole Supérieure de Guerre, sont des gages d’un bon niveau intellectuel. Le supérieur peut aussi rappeler les bonnes appréciations portées sur l’officier. Il peut mettre en évidence des qualités particulières comme pour l’adjoint de 2ième classe Matis qui a montré beaucoup de zèle lorsqu’il était capitaine au 1ier bataillon de chasseurs353. Il peut aussi citer des récompenses ou des décorations comme pour l’intendant militaire Brisac qui est un « ancien officier du génie où il a reçu quatre agrafes »354.

Pour l’exercice de leurs nouvelles fonctions, les intendants peuvent en retirer des atouts. Ce sont des qualités qui sont mises en valeur dans l’intendance, comme le sous-intendant de 2ième classe

349 n°98.

350 Voir annexe n°18.

351 n°27, notations en 1845 et 1846, ainsi que dans 20 autres dossiers.

352 n°31, notation de sous-intendant de 2ième classe en 1838, ainsi que dans 16 autres dossiers.

353 n°166, notation en 1851, ainsi que pour l’adjoint Chauvin qui est « instruit, intelligent, zélé, et travailleur » (n°770, notation en 1893), l’adjoint Chenot qui « est un « de grande valeur, intelligent, instruit, travailleur » (n°791, notation de 1894), le sous-intendant de 3ième classe Elzière qui est « complet sur lequel on pouvait compter en toutes circonstances » (n°1033, notation en 1913), l’adjoint Jouandon qui est notamment un «intelligent et vigoureux, énergique, discipliné… » (n°1041, notation de 1911), et le sous-intendant de 3ième classe Bertrand qui est un « officier de valeur, actif, débrouillard et plein d’initiative » (n°1069, notation de 1914).

354 n°253, notation de 1882, ainsi que pour le sous-intendant de 1ière classe Deleuze qui a obtenu de nombreuses félicitations dans l’état-major (n°555, notation de 1894), et le sous-intendant de 2ième classe Reichert (n°562, notation de 1893).

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Du Marché355, ou les intendants militaires Paulus356 et Lostie de Kerhor. Le premier a profité de son passage en état-major, le second l’a fait dans la cavalerie, et le troisième « a conservé la tournure dégagée de l’ancien officier de chasseur à pied ». Ce sont aussi des dispositions qui permettent de mieux servir comme le sous-intendant de 3ième classe du Garreau de la Méchenie357 et l’adjoint Reynaud358. Le premier a beaucoup servi dans la troupe, il connait donc bien les besoins du soldat. Le second est habitué au climat de l’Algérie en raison de ses précédents séjours. Ils peuvent également en tirer des dispositions pour tenir certains emplois. C’est le cas des anciens officiers d’administration pour le service de bureau, comme l’adjoint Coupez359. Le passage dans la cavalerie donne, au sous-intendant de 2ième classe Huguin360, l’aptitude à être attaché à une division relevant de cette arme. L’adjoint Sardou 361est lui, très apte à traiter les questions de mobilisation, grâce aux études qu’il a faites comme officier d’ordonnance et son passage dans l’état-major.

A l’inverse, le passé dans l’arme d’origine peut constituer un handicap. Les supérieurs des sous-intendants de 2ième classe Dubard362 et Huguin363, et de l’adjoint Fargeon364 relèvent des mauvaises appréciations. Le premier a été connu comme « officier d’état-major fort ordinaire ». Le second a été mal noté au début de sa carrière dans un régiment de cavalerie. Le troisième, au grade de capitaine, n’a pas montré suffisamment d’énergie et de fermeté lors des mutineries des 19 et 20 juin 1905 au 17ième régiment d’infanterie. Son mauvais comportement est inscrit dans son dossier. Après son sa nomination au grade d’adjoint à l’intendance, en décembre 1908, la direction de l’intendance s’appuie sur sa manière de servir pour demander qu’il en soit tenu compte et que l’on modifie l’appréciation inscrite au moment des faits reprochés365. La situation est la même pour le capitaine Laurent qui, lui aussi, n’a pas su faire face à cette mutinerie366. Les chefs de services relèvent

355 n°340, notation de 1876.

356 n°541, notation de 1909.

357 n°1067, notation de 1913.

358 n°1065, notation de 1912.

359 n°1008, notation de 1909, de même que pour le sous-intendant Augier (n°1018, notation de 1912), et les adjoints Bourdaire (n°1054, notation de 1912) et Marque (n°1099, notation de 1914).

360 n°731, notation de 1904.

361 n°768, notation de 1894.

362 n°21, notation de 1844.

363 n°731, notation de 1900.

364 n°1001, notation de 1909, lettre du bureau du personnel de la direction de l’infanterie du 9 février 1909.

365 n°1001, lettre du bureau du personnel à la direction de l’infanterie du 9 février 1909 qui précise que Fargeon « a complété ses connaissances administratives pratiques, a donné entière satisfaction à son sous-intendant militaire par sa belle tenue, sa bonne conduite, son esprit militaire et sa manière de servir. Promet de faire un excellent fonctionnaire ». Elle demande l’avis de la direction pour effacer cette mention du dossier. Par ordre du ministre en date du 3 juillet 1909, l’inscription devient : « Lors de la mutinerie du 17ième, il n’a pu, malgré ses efforts, maintenir ses hommes dans le devoir. A, depuis ces évènements, donné toute satisfaction dans sa manière de servir. A continué à mériter les notes élogieuses qu’il avait obtenues antérieurement au 19 juin 1907 ».

366 n°1058, notations de 1907, 1908, et 1910. Après son admission au stage de l’intendance, la décision ministérielle initiale devient : « s’est efforcé par le zèle et le dévouement dont il a fait preuve depuis trois ans d’effacer la tache imprimée au 17ième lors de la mutinerie des 19 et 20 juin 1907 », Une demande d’indulgence est transmise le 19 octobre 1910 par le chef de corps du 61ième régiment d’infanterie à l’intendant général Maurin, président du Comité technique de l’intendance.

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parfois des qualités qui se sont manifestées dans l’arme mais qui ne peuvent être utiles dans l’intendance, comme pour les sous-intendants de 3ième classe Labadie367 et Cazin368. Le premier continue à avoir l’esprit d’un trésorier qui doit être différent que celui d’un fonctionnaire de l’intendance. Le second a bien servi comme chef de bureau, mais cette capacité ne suffit pas à faire un bon chef de service. L’évolution est plus favorable pour des intendants qui ont su concilier leurs anciennes allures avec leur nouvelles fonctions, comme le sous-intendant de 2ième classe Mallarmé qui ne se comporte plus comme l’adjudant-major qu’il a été avant son entrée dans l’intendance369. Le grade détenu peut devenir aussi un handicap, comme pour le sous-intendant de 2ième classe d’Elbauve370, nommé lieutenant-colonel (grade équivalent à celui obtenu dans l’intendance) au moment de son admission dans l’intendance, pour lequel le chef de corps demande que cette promotion ne lui soit pas opposée pour retarder une proposition pour le grade supérieur de sous-intendant de 1ière classe. En dehors de la personnalité de l’intendant, le handicap peut provenir du régiment d’origine comme c’est le cas pour l’adjoint de 2ième classe Pesch371 qui a la malchance d’exercer la surveillace de l’administration d’un régiment dont il provient, ce qui le met dans une situation difficile. Enfin, la hiérarchie n’apprécie pas que des relations, faites avant l’entrée dans l’intendance, soient utilisées pour faciliter la carrière comme le sous-intendant de 2ième classe Fickelscherer372 qui est un ancien officier d’ordonnance du général Saussier et qui « a trouvé une bienveillance dont il a abusé ».

Comme le montrent de nombreuses appréciations sur la manière de servir dans l’arme, tous les intendants ne quittent pas leur arme d’origine dans de mauvaises conditions. Pour ne prendre qu’un exemple parmi de nombreux autres, comme nous le voyons plus loin, nous citons le cas du capitaine Coulombeix. Cet officier passe du grade de sous-lieutenant à celui de capitaine en quatre ans. Au moment où il fait part de son intention d’entrer dans l’intendance, en 1859, son colonel l’apprécie ainsi : « par des considérations respectables de famille, il veut se tourner du côté de l’intendance qui gagnera ce que perd le 98ième, un excellent officier »373. Il est donc possible que,

déçus par les conditions de poursuite de leurs carrières, des intendants aient songé à revenir dans leur arme. Nous avons trouvé deux intendants qui font officiellement la démarche, mais elle n’aboutit pas. Le premier est le sous-intendant de 2ième classe d’Amade374. En 1870, il demande à son intendant militaire de retourner dans l’infanterie avec le grade de lieutenant-colonel. Il explique ainsi sa

367 n°616, notation de 1891. 368 n°1015, notation de 1913. 369 n°25, notation de 1845. 370 n°20, notation de 1845. 371 n°584, notation de 1881. 372 n°675, notation de 1893.

373 n°306, notation de 1859 au grade de capitaine.

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décision375: « Je désire quitter l’intendance militaire où je n’éprouve que déception. Je me sens plus apte à rendre des services à la tête d’une troupe que dans un bureau ou des services administratifs ». Sa demande est refusée, au motif que le personnel de l’intendance est organisée et entretenue pour les besoins de l’administration de la guerre376. La réponse ajoute que cette argumentation est exposée pour toutes les demandes faites depuis le début de la campagne. Ce qui prouve que cet intendant n’est pas le seul à souhaiter quitter l’intendance depuis le début de la guerre. Il fait pourtant une carrière honorable. Malgré cette lettre, deux mois plus tard, il est promu sous-intendant de 1ière classe en janvier 1871, soit moins de quatre ans près sa nomination au grade de sous-intendant de 2ième classe en août 1867. Cependant à partir de 1871, les appréciations de ses supérieurs ne sont pas bonnes dans l’ensemble. En 1872, il est qualifié de « médiocre fonctionnaire à mettre à la tête d’une petite intendance tranquille ». Dans les années suivantes, c’est son manque de jugement qui est incriminé. Il lui est aussi reproché d’être « plus préoccupé de ses intérêts personnels que de ceux du service ». La notation de la dernière année est cinglante, son supérieur considère que c’est un fonctionnaire « sur lequel on ne peut plus compter, par mauvaise volonté et incapacité ». Le subordonné soutient même, contre son chef, un comptable sanctionné. Il prend la retraite en 1881, après onze ans de grade de sous-intendant de 1ière classe sans atteindre le grade d’intendant militaire377. Le second est l’intendant général Pariset. Pour refuser une mission d’inspection de troupes du train des équipages, il demande à réintégrer le train des équipages qui est son arme d’origine. Il explique qu’il n’a été nommé que pour cet emploi d’inspection et qu’il n’y a donc pas d’inconvénient à ce qu’il quitte l’intendance. Il en profite pour faire des remarques intéressantes sur l’opportunité de la création récente du grade d’intendant général qui conduit à faire contrôler les actes de l’intendance par l’intendance elle-même. Nous voyons plus loin, que cet argument est plus tard utilisé pour justifier la création d’un corps de contrôleurs indépendants du commandement. Il avoue son incompétence en matière administrative, en précisant que ses connaissances se limitent aux détails de la comptabilité d’une compagnie. Il demande que cette inspection soit limitée aux établissements sans y inclure les corps de troupe, car privé des honneurs militaires, il serait dans une position inférieure à celle qu’il tenait lorsqu’il inspectait les corps du train en qualité d’inspecteur général. La direction décide de maintenir sa mission et de lui adjoindre un sous-intendant pour l’aider378. Cependant, l’intendant général Pariset ne va pas se contenter de cette inspection, il reste en service pendant encore six ans et demi, du mois d’octobre 1856 au mois d’avril 1863. Cette durée n’est pas négligeable. En effet sur les cinquante-deux intendants généraux qui prennent leur retraite dans l’intendance pendant la période, la durée moyenne de grade est de cinq ans, onze seulement restent plus longtemps que Pariset. La plus longue

375 Lettre du 7 novembre 1870.

376 Note pour le ministre du 15 novembre 1870.

377 Notations de 1872 à 1881, au grade de sous-intendant de 1ière classe.

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durée revient à l’intendant général Friant qui détient son grade du 1ier janvier 1871 au 1ier janvier 1883379. L’intendant général Mongin sert pendant une durée identique à celle de Pariset de juin 1866 à janvier 1873. Le dossier de Pariset ne contenant pas sa notation dans le service, il ne nous est pas possible de vérifier si sa réticence pour demeurer dans l’intendance a eu une influence sur sa manière de servir. Il convient de souligner que ces inspections administratives sont menées en même temps que les inspections générales que l’on confie le plus souvent à des généraux en disponibilité. Ces missions passent donc pour des villégiatures380. Ainsi, pour un officier, entrer dans l’intendance est donc une décision importante, car, sitôt nommé à un grade dans sa nouvelle carrière, il ne plus revenir en arrière.

Nous venons de montrer les caractéristiques militaires générales des intendants. Elles servent plus loin de point de départ pour l’analyse des carrières. Il convient maintenant de dégager les grands traits sociaux de cette population.