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La localisation de La Lieude, commune de Brenas

Dans le document Retrouver les paysans (Page 182-188)

Les compoix de Brenas ayant permis de situer le Mas de La Lieude, un repérage sur le terrain a ensuite confirmé la présence de ruines sur les pentes, au-dessus du

Cami Ferrat. Des bases de murs très arasées, correspondant à plusieurs bâtiments quadrangulaires, se distinguent encore dans un tas de cailloux recouvert par les broussailles. Ces vestiges, d’une surface inférieure à 300 m2, n’avaient jusqu’à présent jamais été signalés. Ils sont pourtant, de toute évidence, les ruines de l’ancien Mas de La Lieude. Interrogé, le plus âgé des habitants de La Lieude actuelle, arrivé au

1. Émile Appolis,op. cit., p. 72-74.

2. Arch. dép. Hérault, 2 E 26/305, Minutes de Jean Forest, notaire à Salasc, Acte du 29 octobre 1633, fo22 vo-23 ro.

3. Arch. nat., E 2130, fo119-120, Arrêt supprimant le droit de leude ou péage prétendu par le Srde Cellier dans la seigneurie de Mallevielle, 24 février 1733.

hameau en 1931, se rappelle très bien qu’il y avait alors à cet endroit des bases de murs, près d’un cade. Cependant, jamais il n’a imaginé ni entendu dire qu’ait pu se trouver en ce lieu le site initial de La Lieude1: l’abandon était déjà trop ancien pour avoir marqué les mémoires. Pour preuve, ces ruines n’apparaissent pas sur le plan cadastral « napoléonien » de Brenas en 1827. À cette époque, le nom du tènement n’est même plus La Lieude. Il s’agit de « L’Ort de Vieures », tandis que le toponyme « La Lieude » et celui « Derrière La Lieude » subsistent, concernant respectivement trois et dix-huit parcelles, mais celles-ci se trouvent sur l’autre rive du Salagou2. Le premier se situe vers la nouvelle localisation de La Lieude, comme s’il avait été capté par le nouvel usage de dénomination des lieux apparu au xviiesiècle au profit de l’ancien Mas Cambou. Le second, en revanche, est plus près de La Lieude initiale, perpétuant l’ancien toponyme. L’« Ort de Vieures », quant à lui, rappelle à la fois la vocation de jardin (ort), qui perdurait dans la seconde moitié du xviiesiècle, et l’empreinte d’une famille ayant vécu au hameau (Violes ou Vieules d’après d’autres documents comme l’acte notarié de 1540).

La Lieude se trouvait donc sur un léger promontoire surplombé par la forteresse protectrice de Malavieille, mais aussi en un lieu dominant leCami Ferratjuste avant sa bifurcation entre un axe menant vers le col de la Merquière et un autre vers Bédarieux par la montée delas Moles. De ce site, il était aussi possible de voir venir, de l’autre côté, en aval, les usagers du chemin en provenance de la plaine de Salagou — soit de Salasc, soit d’Octon — par le Mas Cambou, lui-même situé près de l’intersection des axes venant de ces deux localités. Les hameaux jumeaux se trouvaient en surplomb de la rivière Salagou et immédiatement au bord de l’ancienne route, de part et d’autre de la frontière.

Conclusion

De la question des changements de limites, la problématique initiale s’est déplacée vers celles des variations du maillage du réseau de peuplement et des changements de toponymes, si fréquente dans les habitats secondaires3. Cette recherche débouche donc sur plusieurs résultats à différentes échelles, au niveau local aussi bien qu’à celui d’une connaissance historique plus générale des territoires languedociens.

D’abord, sur le plan strictement local, la position du véritable lieu appelé La Lieude, qui abrita probablement le péage, est à présent corrigée. Ce site se trouvait plus à l’ouest qu’on ne le croyait jusqu’à présent. Son abandon — peut-être dans

1. Entretiens Sylvain Olivier/Paul Gaches, presque 92 ans, les dimanche 6 mai et samedi 2 juin 2012.

2. Arch. dép. Hérault, 3 P 3468, Plans cadastraux de Brenas, 1827.

3. Éric Fabre,Les Métairies en Languedoc. Désertion et création des paysages (xviiie-xxesiècles), Toulouse, Privat, 2008, 411 p.

le contexte de la « crise » du xviiesiècle — et la mainmise des habitants du Mas Cambou sur ses terres expliquent comment, avant le xixesiècle, ce dernier hameau a changé de nom en captant le toponyme Lieude. La notoriété et l’ancienneté du lieu de passage et de son péage ont dû favoriser la persistance du nom et son attachement à un nouveau site. C’est donc la désignation du lieu par les habitants qui a migré, et non les bâtiments.

Ces mutations s’inscrivent dans un contexte local très mouvant, d’une manière générale. Si le réseau des habitats de la vallée du Salagou remonte en grande partie au Moyen Âge, des études fines révèlent en effet des changements. Dans la commune de Brenas, certains sites mentionnés dans le compoix diocésain doivent encore être étudiés afin de vérifier s’ils perdurent jusqu’à nos jours sous d’autres noms ou s’ils ont disparu; tandis que d’autres se sont incontestablement éteints avant le xxesiècle. Dans la commune de Mérifons, où une étude assez précise vient d’être menée, on note deux disparitions d’habitats modestes entre le xviieet le xixesiècle, et une extinction decastrum— celui de Malavieille — vers la fin du Moyen Âge ou le début de l’Époque moderne, cette dernière s’opérant au profit d’un site nouveau avec récupération de l’ancien toponyme1.

Une autre conclusion, moins locale, concerne le problème des frontières des cir-conscriptions et de leurs fluctuations. Cette étude relativement précise, croisant les archives et le terrain, permet de mieux réfléchir sur les travaux d’Émile Appolis à propos de ces limites en Lodévois. Il en ressort que cet historien n’a pas pu suivre toutes les frontières et qu’il s’est contenté de lister les hameaux lui ayant semblé chan-ger de commune au cours du temps. Ainsi, dans certains cas, Émile Appolis a négligé des déplacements de limites au sein d’aires s’étendant sur des centaines d’hectares parce que ceux-ci concernaient des garrigues peu productives et inhabitées, mais aussi parce qu’il y a manqué de repères — réseaux viaires et autres aménagements — qui auraient pu le mettre sur la piste d’une délimitation linéaire aisément repérable. En revanche, il a pu surévaluer l’importance d’éventuelles fluctuations de limites impactant la position d’un hameau mais fort peu de superficie. Alors, l’exagération est d’autant plus manifeste dans un cas où il n’y a pas de déplacement réel de la frontière mais seulement un glissement d’habitat ou, pire, un déplacement de son seul toponyme comme à La Lieude, sans que rien ne bouge matériellement sinon l’estompement d’un site, passant de hameau à ruines.

Les changements de limites — supposés — qui ont été pris en considération illustrent une histoire rurale qui considère l’espace habité comme central tandis que l’espace inhabité est négligeable. C’est un parti-pris intellectuel qu’il faut remettre en question afin de redonner toute sa place à un type d’espace. Mieux connaître les limites des communautés du Lodévois nécessiterait de multiplier les études de

cas comme celle de La Lieude, en constituant des dossiers très précis, finage par finage, sur le très long terme, et surtout en allant sur le terrain. Mais on se tromperait si on partait de la thèse d’Émile Appolis pour préciser scrupuleusement toutes les modifications de limites du Lodévois lors des transformations du maillage communal intervenues principalement dans les décennies suivant la Révolution. Cet auteur a négligé les variations les plus difficiles à établir faute de temps pour lire en détail tous les compoix, et à cause des paradigmes de son temps. Son échelle d’analyse — le Lodévois — s’il lui a permis d’avoir une connaissance intime de la globalité de l’espace et de la situation des habitats, ne lui a pas autorisé pour autant une maîtrise de l’exhaustivité du terrain. Cependant, même s’il a quelque peu simplifié la réalité, Émile Appolis a tout de même cartographié 53 communautés! D’une manière assez similaire, Élie Pélaquier en a cartographié 5 492! Quant au présent article, il ne valide la pérennité d’une limite sur la très longue durée qu’en ce qui concerne un linéaire de quelques centaines de mètres à la frontière entre à peine deux territoires communaux! Le cas du secteur de La Lieude donne donc raison à Élie Pélaquier lorsque ce dernier fonde sa carte des anciennes communautés du Languedoc sur celle des communes de l’Époque contemporaine.

Figure 1 – Les limites des « terroirs » du sud-ouest du diocèse civil de Lodève, et les confins de celui de Béziers, selon Émile Appolis (à gauche) et Élie Pélaquier (à droite).

(Sources : Émile Appolis,op. cit., 1951, p. 130; ethttp://pierresvives.herault.fr/ressource/atlas -historique-de-la-province-de-languedoc-0)

Figure 2 – La frontière des « terroirs » de Brenas (diocèse religieux de Béziers, à l’ouest) et de Malavieille (diocèse religieux de Lodève, aujourd’hui commune de Mérifons, à l’est) ; avec l’emplacement du hameau disparu de La Lieude, proche du Mas Cambou (aujourd’hui appelé La Lieude) et du castrum de Malavieille (aujourd’hui appelé le Castelas), au bord de l’ancien chemin Ferrat, itinéraire crucial qui se faufile en surplomb du Salagou au pied des pentes raides s’élevant vers le Castelas (Sources : IGN, cadastre napoléonien et relevés de terrain).

Dans le document Retrouver les paysans (Page 182-188)