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Des caractéristiques remarquables

Dans le document Retrouver les paysans (Page 123-128)

La non-affectation des recettes

Cette procédure impliquait, de fait, la non-affectation des recettes, principe fon-damental de la comptabilité publique contemporaine. En particulier, la législation contraignait les consuls à ne pas garder entre leurs mains le produit des biens patri-moniaux, mais à les faire remettre par les fermiers dans la caisse du collecteur des tailles. Ce produit rejoignait donc la masse des recettes, y compris celles provenant d’une fiscalité que l’on dira d’origine royale. C’est sur cette masse que les consuls délivraient des mandements pour les dépenses qui relevaient de leurs compétences, les sommes à verser au roi étant — pour l’essentiel — directement payées par le collecteur au receveur des tailles du diocèse.

Cela ne signifiait pas, cependant, que l’assignation des dépenses sur des recettes n’était pas connue et pratiquée dans les communautés. Pour faire face à des charges exceptionnelles, par leur nature et leur montant, le roi pouvait concéder la per-ception d’une « subvention », selon la terminologie en vigueur. Il s’agissait d’une imposition indirecte, parfois assimilée aux octrois, que la communauté affermait et dont le produit servait à payer ici des remboursements d’offices (Revel), là des travaux portuaires (Marseillan), plus généralement une masse de dettes indifféren-ciées, comme à Béziers3. Dans le cas des subventions, le fermier du droit disposait d’une caisse indépendante de celle du collecteur des tailles. Les dépenses y étaient faites sur mandement des consuls; le fonds était abondé par ce que le fermier s’était engagé à payer dans son bail. Il n’existait pas là de document équivalent au préambule des impositions, mais le fermier d’une subvention était tenu de rendre ses comptes devant la Cour des Aides. La pratique était ainsi différente car on ne recherchait

1. Stéphane Durand, « Les délibérations municipales, entre politique et acculturation adminis-trative (Bas Languedoc, xviie-xviiiesiècles) »,Liame, no19, 2007, p. 49-78.

2. Jack Goody,La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978, 274 p.

3. Arch. dép. Hérault, C 4735, état des octrois et subventions, du 6 août 1722; C 4792, ordon-nance de l’intendant du 24 septembre 1706; Arch. mun. Béziers, AA 12, f. 59, arrêt du Conseil du 15 juillet 1710.

pas, dans ce cas, un équilibre entre les recettes et les dépenses, bien au contraire : il importait d’accumuler les excédents pour rembourser au plus vite les dettes contrac-tées. L’anticipation des recettes et des dépenses n’aurait pas été sans intérêt, mais elle n’était en rien indispensable.

Néanmoins, les États de Languedoc avaient poussé les communautés, désireuses d’effectuer de lourds investissements et demanderesses de l’établissement de droits de subvention, à effectuer de véritables calculs de rentabilité. Il aurait été utile pour celles-ci de dresser un budget prévisionnel et un véritable calcul d’amortissement de la dette, mais l’absence de règle, la nouveauté de la posture et l’incapacité à anticiper des recettes issues d’impositions indirectes avaient rendu l’opération proprement inconcevable.

L’équilibre des comptes

Le mode de fonctionnement du système, qui prévoyait que les recettes seraient ajustées aux dépenses et non pas définies séparément, assurait un équilibre des comptes. Les communautés étaient placées dans l’impossibilité de faire du défi-cit, du moins relativement aux impositions — tant qu’elles restaient raisonnables — et aux dépenses de fonctionnement. Certes, une crue de la fiscalité royale ou un investissement exceptionnel pouvaient contraindre à l’emprunt, mais le fonction-nement ordinaire du système était censé être vertueux. Quant au remboursement des emprunts, il passait par une procédure de vérification par une commission pro-vinciale puis par son inscription dans le préambule des impositions d’une année ultérieure, ce qui revenait donc à assurer l’équilibre des comptes à l’échelle pluri-annuelle. Il n’y a que lorsque la masse des dettes devenait insurmontable que l’on pouvait recourir à la levée d’une subvention, dont nous venons de montrer le carac-tère dérogatoire par rapport aux principes généraux (non-affectation des recettes, équilibre recettes/dépenses). En outre, l’instauration d’un octroi était réservée aux villes, non qu’elles diffèrent juridiquement des communautés rurales, mais parce que le mouvement des denrées y paraissait plus à même d’être taxé.

Approbation, consentement et liberté

La différence entre chacun de ces termes est grande. À proprement parler, au xviiiesiècle, les conseils politiques des communautés ne faisaient qu’approuver leurs préambules d’impositions. Le vocabulaire du consentement était l’apanage de l’assemblée des États de Languedoc, qui entretenait avec le roi un rapport de nature contractuelle1. Au niveau de la communauté, la délibération que devait mentionner le préambule des impositions n’était pas tant censée porter le consentement des

habitants que marquer qu’il n’avait pas été dressé par les consuls en secret et qu’il engageait solidairement toute la communauté. Il s’agissait donc d’approuver un acte dont l’accomplissement était ordonné aux « consuls, greffiers consulaires & autres qui procederont au departement des impositions1». De fait, le conseil politique réuni pour approuver le préambule n’avait guère de choix dans cette opération budgétaire.

Néanmoins, le conseil politique avait toujours la liberté de ne pas imposer une dépense communautaire, tels les gages des garde-terres, car son intérêt était d’ordre purement local. Il pouvait aussi résister aux injonctions de la commission chargée de la vérification de leurs comptes lorsqu’elle lui enjoignait de procéder au rembour-sement de tel ou tel emprunt2. Mais cela ne pouvait pas concerner les intérêts de l’emprunt, lequel restait de toute façon à rembourser.

En outre, sous la tutelle de l’intendance, les communautés ne pouvaient rien dépenser sans son autorisation, mais elles avaient la possibilité en amont de requérir l’inscription de dépenses extraordinaires par ordonnance, tels les gages d’un médecin. Elles avaient aussi la liberté de solliciter la permission d’emprunter pour effectuer des dépenses exceptionnelles. De fait, dans un système soumis au contrôle de l’intendant et des États, la liberté budgétaire des communautés était faible au moment d’approu-ver les impositions, mais elle était beaucoup plus grande le reste de l’année; elle était surtout diluée dans le temps et soumise au contrôle de l’intendance, qui n’avait guère les moyens d’enquêter sur les sollicitations des quelque 2 864 communautés de la province3. En somme, le système fisco-financier avait d’abord pour but d’assurer la prévisibilité du prélèvement fiscal et son bon déroulement, pour moyen un contrôle procédural précis et bureaucratique, mais il ne visait pas l’extinction de la liberté des conseils politiques.

Conclusion

À notre connaissance, le terme de budget n’est pas utilisé dans les sources de la pratique au niveau des communautés, mais la réalité que le mot désigne existait indubitablement. Les communautés de Languedoc élaboraient des budgets annuels. Élie Pélaquier l’affirmait sans s’y attarder, tant la chose paraît évidente à la fréquenta-tion des archives des communautés de la province. Soumises à la tutelle, contraintes

1. Arch. dép. Hérault, C 9471, ordonnance de règlement du 11 février 1723, art. 1. 2. Stéphane Durand, « Les emprunts des petites villes [...] », art. cit.

3. À cet égard, on remarquera que la vertu budgétaire ne dépendait pas du nombre des agents de l’État, comme tend à le faire penser la question que se pose Antoine Follain dansLe Village sous l’Ancien

Régime(op. cit., p. 367), mais plutôt de l’implication des gouvernés dans le système fisco-financier.

En pays d’États, l’intendant n’est jamais en tête-à-tête avec les communautés. Ces dernières peuvent toujours recourir aux agents de l’assemblée.

par des procédures complexes, les communautés ont été amenées à une plus grande rigueur fisco-financière que celle pratiquée à Versailles. L’impécuniosité de l’État central était finalement garantie par la rigueur imposée aux États provinciaux et aux communautés d’habitants, qui offrirent leur crédit au roi pour des millions de livres d’emprunts1. Certes, les communautés d’habitants — rurales ou urbaines — n’étaient pas responsables de la vertu budgétaire à laquelle elles étaient contraintes, mais elles apprirent à la pratiquer. Enfin, cette asymétrie n’est pas sans rappeler le déca-lage qui existe entre l’équilibre budgétaire auquel sont contraintes les collectivités territoriales françaises du début du xxiesiècle et auquel l’État central échappe.

1. Marie-Laure Legay, « Le crédit des provinces au secours de l’État : les emprunts des états provinciaux pour le compte du roi »,Pourvoir les finances en province, Paris, CHEFF, 2002, p. 151-171.

Le « territoire communal » : une invention qui

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