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de frontière à La Lieude

Dans le document Retrouver les paysans (Page 174-178)

(Communes de Brenas et de Mérifons, Hérault)

Sylvain Olivier

Maître de conférences en histoire moderne à l’université de Nîmes, CHROME EA 7352, agrégé d’histoire, chercheur associé à CRISES EA 4424

Une partie des recherches d’Élie Pélaquier concerne l’approche territoriale des communautés d’habitants sous l’Ancien Régime, d’une part à l’échelle d’un « terroir » ou finage1et d’autre part à celle du Languedoc tout entier2. Dans un des vingt-quatre diocèses civils composant cette province, celui de Lodève, Émile Appolis s’était lui aussi, autrefois, attelé à une véritable géographie historique des communautés d’habi-tants, en cartographiant leurs territoires3. Les travaux d’Émile Appolis comme ceux d’Élie Pélaquier fournissent chacun une carte sur laquelle les finages communautaires apparaissent sensiblement déformés par rapport à leur réalité supposée (figure 1, p. 185). Chacune des deux expériences de reconstitution prend comme point de départ les limites des communes de l’Époque contemporaine, afin de restituer au

1. Élie Pélaquier,De la maison du père à la maison commune. Saint-Victor-de-la-Coste, en

Languedoc rhodanien (1661-1799), Montpellier, Publications de l’université Paul-Valéry, 1996, vol. 1,

p. 407-496; Élie Pélaquier, « Des acteurs du paysage rural en marche : les délimitations de l’espace à Saint-Victor-de-la-Coste, en Languedoc rhodanien, du Moyen Âge au lendemain de la Révolution »,

inAline Rousselle, Marie-Claude Marandet (éd.),Le Paysage rural et ses acteurs. Actes de la

Première journée d’étude du Centre de Recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes, Perpignan,

1995, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1998, p. 91-101.

2. Anne Blanchard, Élie Pélaquier, « Le Languedoc en 1789. Des diocèses civils aux dépar-tements. Essai de géographie historique »,Bulletin de la Société languedocienne de géographie, 1, 1989, 225 p.; Élie Pélaquier,Atlas historique de la province de Languedoc:http://pierresvives.herault. fr/ressource/atlas-historique-de-la-province-de-languedoc-0. (consulté le 2 janvier 2014).

3. Émile Appolis,Un pays languedocien au milieu du xviiiesiècle : Le diocèse civil de Lodève,

mieux, selon une méthode régressive, les frontières antérieures à la Révolution. Dans le détail, leurs résultats divergent cependant en ce que la carte d’Émile Appolis adopte un parti-pris de simplification des limites sous la forme de tracés aux cour-bures assez douces et arrondies, tandis que celle d’Élie Pélaquier, réalisée au niveau provincial mais permettant un zoom à l’échelle diocésaine, présente les frontières avec des contours plus angulaires. Les choix géométriques diamétralement opposés de chacun de ces historiens résultent tous deux d’un souci d’honnêteté intellectuelle face au risque de se méprendre en voulant affecter aux territoires révolus des limites précises. En effet, si nombre de communautés ont donné lieu à des communes à la Révolution, dans le détail des déplacements de limites à cette époque-là ne peuvent être exclus. Aussi, le choix de représenter quelque peu schématiquement les frontières des « terroirs » d’Ancien Régime est-il une solution meilleure que le serait celle de vouloir être trop précis et, partant, de se tromper.

Car, si Émile Appolis précise que « Les territoires de la grande majorité des communautés du diocèse civil de Lodève — quarante-quatre sur cinquante-trois — se retrouvent dans ceux des communes actuelles », il ajoute cependant : « En réalité, depuis le xviiiesiècle il y a eu parfois des modifications de détail dans les limites respectives des communes [...]. Mais ces modifications sont au total de bien peu d’importance et peuvent être pratiquement tenues pour négligeables1. » Cette remarque confirme que les historiens des campagnes ont moins étudié les marges économiques que l’espace habité et ses abords, surtout à cause de certains biais documentaires2. Or, les limites des taillables se trouvent généralement dans les parties particulièrement éloignées des habitats. C’est seulement pour l’historien d’un finage, lequel cherche à placer tel champ ou tel terrain de garrigue dans le bon ensemble géographique passé, que leurs variations ne sont pas si négligeables que l’affirme Émile Appolis. Ainsi, il n’y a qu’en faisant œuvre d’histoire locale et en se focalisant sur un nombre limité de cas, en les étudiant le plus précisément possible à l’aide de documents nombreux, de natures différentes et selon une méthode alliant cartographie historique, archéologie du paysage — bien que cette dernière ne soit habituellement guère pratiquée par les modernistes3— et croisement de sources diverses et variées qu’on peut espérer obtenir les représentations spatiales les plus proches de la réalité. Elles ne remettront pas en cause les grandes lignes des cartes réalisées par Émile Appolis ou par Élie Pélaquier, mais elles permettront de préciser quelques éléments d’histoire locale pour des chercheurs désireux d’inscrire leurs

1. Émile Appolis,op. cit., p. 147.

2. Jean-Loup Abbé, Vincent Challet, « Du territoire à la viguerie : espaces construits et espaces vécus à Saint-Guilhem-le-Désert à la fin du Moyen Âge »,Annales du Midi, t. 119, no260, octobre-décembre 2007, p. 509-532.

3. Annie Antoine,Le paysage de l’historien. Archéologie des bocages de l’Ouest de la France à

travaux dans un cadre de géographie historique. Cependant, cet article prétend montrer, à l’aide d’un cas concret, qu’une telle démarche locale peut aussi mettre en lumière des phénomènes historiques plus généraux.

Pour connaître les contours des finages du Lodévois à l’Époque moderne, il est possible de s’appuyer sur le compoix de ce diocèse civil1. Ce dernier décrit en effet plusieurs points périphériques litigieux entre différentes communautés d’habitants, où des modifications de limites de taillables se sont produites, dans les espaces de confins situés au cœur dusaltus. Ils ont parfois suscité des procès extrêmement longs qui ont finalement donné lieu à des bornagesex nihiloou à des modifications d’anciennes délimitations au profit d’une des communes en conflit2. Partant du compoix diocésain — même s’il ne l’indique pas explicitement — et dédaignant de telles variations de détail des limites des finages communaux, Émile Appolis choisit en revanche de lister des modifications suffisamment considérables à ses yeux, affectant, en cinq lieux, neuf des cinquante-trois communautés du Lodévois entre le xviieet le xixesiècle, l’établissement du cadastre « napoléonien » ayant déclenché une délimitation à peu près définitive des communes. Deux d’entre elles concernent quatre communautés ayant fusionné afin de constituer deux communes (Olmet-et-Villecun d’une part, et La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries d’autre part). Un troisième cas implique une communauté démembrée (Aubaigues) au profit de trois communes limitrophes. Une quatrième modification met en scène un territoire rural (la plaine de Saint-Génès) qui passe d’une ancienne communauté à une commune différente. La cinquième, enfin, concerne une modification de limite entre les finages de Brenas et de Malavieille-Mérifons au niveau du Mas de La Lieude : « La région du mas de La Lieude, qui était de la communauté de Brenas, fait aujourd’hui partie de la commune de Mérifons (dénomination nouvelle de l’ancienne communauté de Malavieille3). »

Ce dernier cas a été choisi pour étudier l’évolution de détail — ou l’immobilité? — des frontières des finages entre le xviieet le xixesiècle. Son intérêt réside dans le fait que, cette fois, il ne s’agit pas d’une limite située loin de l’habitat des hommes, dans le

saltus, mais au contraire d’une frontière qui scinde le cœur de l’espace anthropisé près du Mas de La Lieude. C’est même une frontière située en un lieu stratégique puisque

1. Arch. dép. Hérault, 142 EDT 87 et 142 EDT 88, Compoix diocésain de Lodève, 1626-1633, 751 et 486 fo. Émile Appolis, « Les compoix diocésains en Languedoc »,Cahiers d’histoire et d’archéologie, nouvelle série, no2, 1946, 12 p.; Émile Appolis, « La confection d’un compoix diocésain en Langue-doc au xviiesiècle »,Anciens pays et assemblées d’États, Bruxelles, Librairie encyclopédique, 1966, p. 147-160.

2. Émile Appolis,op. cit., p. 147; Bruno Jaudon, Sylvain Olivier, « Compoix et aménagement du territoire en Languedoc (xvie-xviiiesiècle) »,Annales du Midi, « Aménager les espaces ruraux dans la France méridionale (époques moderne et contemporaine) » (coord. Patrick Fournier), t. 122, no272, octobre-décembre 2010, p. 530.

ce hameau est associé à la perception d’un péage, comme le toponyme le suggère. En effet, en Languedoc, le terme « leude » est synonyme de « péage », et ceci pose des problèmes de vocabulaire à la Commission des péages au xviiiesiècle1. Ce péage était situé aux confins des diocèses religieux de Lodève et de Béziers, au bord d’un itinéraire très ancien, le cheminFerrat, sur un goulet d’étranglement de la vallée du Salagou, d’autant plus resserré qu’il était alors barré par un méandre de cette rivière (figure 2, p. 185). En effet, si la communauté de Brenas relevait du diocèse civil de Lodève, elle se trouvait dans le diocèse religieux de Béziers, contrairement à celle de Malavieille qui appartenait sous l’Ancien Régime au Lodévois tant sur les plans civil que spirituel (figure 1, p. 185). Il y avait trois paroisses dans les territoires de Malavieille et de Brenas : celles de Mérifons, de Brenas et de Campillergues — et même une excroissance de la paroisse de Salasc. En matière seigneuriale en revanche, les trois paroisses et les deux communautés relevaient ensemble d’une seule et même juridiction, celle de Malavieille2. Avant son transfert en plaine à la Renaissance, le cœur historique de la seigneurie se trouvait sur le site castral de Malavieille3, qu’on nomme aujourd’hui leCastelas, à la limite des territoires des communautés de Brenas et de Malavieille, juste en surplomb du lieu-dit La Lieude. La nécessité de protéger le péage pourrait être à l’origine du développement du site fortifié. En 1330 déjà, Paul II de Clermont et Salomon de Faugères, coseigneurs de Malavieille, rendaient hommage à l’évêque de Béziers pour laleudeou péage tenue par eux sur place4.

La reprise et l’étude précise du dossier documentaire sur La Lieude à l’Époque moderne, ainsi que sur la frontière des diocèses et des communautés passant à ses abords immédiats, renseignent certes sur la question de la limite, mais suscitent aussi des découvertes inattendues quant à l’histoire du réseau de peuplement.

1. Anne Conchon,Le péage en France au xviiiesiècle : les privilèges à l’épreuve de la réforme, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002, p. 29, 34, 252-253.

2. Sylvain Olivier, « Histoire d’un territoire d’habitat dispersé »,inAssociation Le Mas des Terres Rouges,La commune de Mérifons. Une terre en héritage, une culture en partage, Clermont-l’Hérault, Communauté de Communes du Clermontais, 2013, p. 43-94.

3. Jean-Loup Abbé, « Malavieille (commune de Mérifons, canton de Lunas). Uncastrum stra-tégique déserté : l’impossible regroupement de hauteur? »,inLaurent Schneider, Pierre Garmy, Thérèse Panouillères (dir.),Lodève et son territoire du IIeâge du fer à la fin du Moyen Âge. Réseaux,

structures de peuplement, occupation du sol, PCR, rapport triennal 1998-2000 & programme 2001-2003,

document dactylographié déposé au S.R.A. Languedoc-Roussillon, Montpellier, 2000, 4 p.; Vivien Vassal, collab. Isabelle Commandré, Maïa Matkowski,Inventaire des sites castraux abandonnés du département de l’Hérault (34). Châteaux, habitats castraux et fortifications abandonnés des garrigues

et des piémonts, partie I : Les données historiques, Rapport Final d’Opération, GRAL, 2010, p. 54-68.

Dans le document Retrouver les paysans (Page 174-178)