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DE LA PARTIE FAIBLE: L'USURE, UNE INFRACTION EN QUETE DE SENS

1. LA LIBERTE CONTRACTUELLE SAISIE PAR LE DROIT PENAL

Le droit pénal n'a pas pour rôle de créer les conditions de l'épanouissement de la personnalité dans la vie économique. Les fondements de la liberté contractuelle relèvent du droit constitutionnel (quel que soit son point de rattachement, liberté personnelle ou droit à l'autodétermination de l'être humain pour les uns t, liberté économique pour les autres2), son aménagement du droit des obligations. Le droit pénal apporte néanmoins sa pierre à l'édi-fice, en stigmatisant certaines expressions pathologiques de celte liberté.

En premier lieu, il en limite la portée, en énonçant les cas dans lesquels le libre exercice de l'autonomie des parties contrevient à un intérêt social prépondérant. Ce premier versant - négatif - de l'incursion du droit pénal dans la liberté contractuelle est celui des contrats dont le but, la conclusion ou le contenu est prohibé. On peut songer notamment au pacte de corruption, au contrat de mandat dont le but est le blanchiment, à la vente de stupéfiants, au contrat conclu avec un tueur à gages. A l'opprobre exprimé par la sanction pénale s'ajoute celui du droit des obligations, puisque le contrat est nul (art. 20 CO) et qu'au surplus la répétition de l'indu est exclue en vertu de l'art. 66 CO. Le droit pénal ne s'en remet pas pour autant entièrement à celte

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L'auteur prie son assistante, Madame Marianne Cherbuliez, de trouver ici l'expression de sa gratitude pour son aide compétente el patiente dans la mise au net du manuscrit.

Arrêt Seefig, ATF 80 Il 26 consid. Sa (<<liberté personnelle~); CR CO I-GUILLOO 1 STEFFEN, CO 19-20 N. 2; PETITPIERRE (2001), p. 73; SCHONLE. p .. 20.

ATF 124 1 107 consid. 4a; 102 la 533 consid. 10b; AUER' HOTIELIER' MALINVERNI, p.322, N..624.

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sanction civile ~ qui n'est pas toujours équitable3> ni propre à rétablir l' ~rdrc public - en ce qui concerne les aspects patrimoniaux du contrat délictueux:, puisqu'à la peine infligée aux auteurs peut s'ajouter la confiscation de l'avantage illicite (art. 59 CP).

En second 1ieu, le droit pénal reconnaît aussi l'importance de l'autonomie privée en matière contractuelle et la protège, en intervenant dans .certaines situations de déséquilibre qualifié. Ce deuxième versant - positif - de l'incursion du droit pénal dans la liberté contractuelle vise à garantir les conditions minimales d'une véritable autodétennination en matière con trac·

tuelle, en sanctionnant le comportement de la parti.e qui crée ou exploite l'ab-sence de liberté d'autrui. Le Code pénal se limite en cela à quelques atteintes qu'il juge particulièrement inacceptables, soit la tromperie astucieuse, la contrainte et l'exploitation de l'état d'infériorité du cocontractant. Ces com-portements ne sont nuJlement indifférents aux yeux du droit civil, qui les sanctionne par les mécanismes qui lui sont propres. Le droit pénal ajoute nëanmoins une deuxième sanction, à vocation rétributive et préventive: qui est limitée à certaines violations crasses des règles du jeu4.

La coexistence souhaitable entre les deux types de protection - civile et pénale - est en général décrite par l'invocation du principe de la subsidiarité du droit pénal en matière patrimoniale. Cela ne signifie pas que le droit pénal doit jntervenir seulement quand le droit civil n'offre aucune sanction, mais qu'il doit se limiter à réprimer les atteintes à des valeurs sociales importantes, qui méritent d'être qualifiées de particulièrement dangereuses. Il procède à ce choix de manière autonome. Cette autonomie de principe fait qu'il n'y a pas d'exigence d'une congruence parfaite entre dol civil et escroquerie pénale, ni entre usure et lésion.

Dans le domaine de l'escroquerie, l'autonomie du droit pénal dans le choix des valeurs qu'il entend protéger se traduit par l'élément constitutif de l'astuce; il s'agit là d'un choix que le législateur a voulu restrictif. Dans celui de "usure, en revanche, la sanction pénale ne nous paraît pas avoir trouvé sa juste place à cô,é du dispositif civil, et cela en raison du fait que son élaboration législative, puis son interprétation jurisprudentielle et doctrinale, ont été prisonnières d'une définition purement accessoire par rapport à la lésion civile, au point que cette infraction a été qualifiée par la doctrine de

«das strafrechtliche Gegenstück zu Art. 21 OR,,5. Ce faisant, les pénalistes se réfèrent à une conception vieillotte de la lésion civile qui ignore le dynamisme dont le droit des obligations a fait preuve dans l'interprétation de cette notion.

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CR CO I-PETITPIERRE, CO 66 N. 3.

Sur cette problématique, cf. la contribution de Bernard BERTOSSA dans le présent ouvrage. ATF 82 IV 145 consid. 2b; STRATENWERTH 1 JENNY, p. 415, § 18 N. 8; BaK-WElsSEN8ERGER, CP 157 N. 1.

n.

L'USUR~, UNE INFRACTION DE L'OMBRE

Sous l'angle de sa présence dans les prétoires, l'usure fait figure de véritable Cendrillon du droit pénal. Les statistiques des condamnations rendues par les tribunaux pénaux suisses en 2003 font état de 15 condamnations pour usure, contre 7'923 pour vol et 1 '301 pour escroquerie, les chiffres pour les années antérieures etant comparables.

Pourtant, les auteurs s'accordent pour considérer que ces chiffres ne reflètent que très imparfaitement l'importance de l'usure dans les réalités sociales. D'une part, le chiffre noir est probablement très élevé, précisément en raison de ce qui caractérise l'infraction, soit la situation d'infériorité de la victime, qui p~ut perdurer et empêcher celle-ci de renvoyer l'affaire au système de justice pénale. D'autre part, étant donné que la précarité dans laquelle se trouve la victime est souvent attribuable à sa situation illégale en Suisse ou au fait qu'elle s'engage dans une activité illicite, l'usure va fré-quemment de pair avec la commission d'autres infractions, au profit des-quelles elle est laissée de côté.

Enfin, il est possible que le faible taux d'application de l'infraction d'usure traduise aussi le fait qu'il existe des mécanismes extra-pénaux protégeant la victime de manière adéquate. de sorte que la sanction pénale est inutile.

A. Subsidlarité de droit ou de fait par rapport aux normes protectrices du droit civil

Si la loi pénale est, selon l'expression de Philippe GRAVEN, un «sismo-graphe» très imparfait des réalités', il n'en va pas moins que la lecture de la jurisprudence en matière d'usure est riche en enseignements sur notre ordre social. Plus précisément, elle est à la fois révélatrice de quelques grandes causes de détresse humaine et de l'aptitude du droit dans son ensemble à y faire face.

Surendettement, dépendance à des stupéfiants commercialisés sur un marché dominé par le crime organisé, pénurie de logements, migration clan-destine et travail au noir fonnent le canevas devant lequel le «délit relation-nel>, de l'usure se déroule. Quant à la capacité de notre droit de faire face au risque d'exploitation économique que ces situations génèrent, elle n'est certes pas parfaite; néanmoins, on constate que les instruments juridiques à dîspo-sition ont été étoffés et diversifiés.

En considérant l'évolution du droit privé depuis les années 1970, on peut déceler la multiplication de mécanismes protecteurs de la partie faible, résultat de ce qu'Olivier GUILLOD et Gabrielle STEFFEN analysent comme <<la mise à l'écart d'une liberté contractuelle purement formelle au profit d'une liberté contractuelle matérielle - ou justice matérielle du contrat - qui a

,

GRAVEN, p. 252.

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pour objectif de ne pas oublier les plus faibles ( ... J. De là sont nées .diverses dispositions légales protectrices, notamment en matière de droit du travail, du bail, de vente par acomptes, de protection des consommateurs et de crédit à la consommatiom)7. Ces nonnes protectrices interviennent souvent en amont de Ja sanction pénale et rende·nt celle-ci inutile dans bien des cas.

C'est ainsi que, dans les années 1960, la jurisprudence et la doctrine se sont préoccupées de J'usure commise dans le domaine du droit du bail, plus préci-sément des loyers usuraires perçus en situation de pénurie de logement8.

Depuis l'arrêté fédéral de 1972 contre les abus dans le secteur locatif", suivi de la révision du Code des obligations en 198.910, la protection du locataire contre les prétentions abusives du bailleur a été aménagée par un dispositif qui saisit les abus même lorsqu'ils n'atteignent pas le niveau de l'usurell et qui offre une solution juridiquement plus nuancée et socialement mieux adaptée, au regard du fait qu'il est en général dans l'intérêt du locataire que la relation contractuelle puisse se poursuivre de manière relativement paisible.

En effet, Je droit pénal est un instrument moins adéquat que les prescriptions de droit civil ou administratif, s'agissant des conflits nés de situations d' infé-riorité collectives et structurelles, que les Allemands répriment au titre de la

«Sozialwuchem. Le crime d'usure conserve néanmoins sa pertinence, y com-pris en matière de baux à loyer, pour réprimer l'exploitation crasse des situations de détresse individuelles. C'est en particulier le cas des bailleurs qui exploitent l'inaccessibilité de fait du dispositif civil, par exemple en cas de séjour clandestin du locataire en Suisse.

Dans ce domaine, le droit des obligations renvoie donc la sanction pénale dans la marge, réalisant le postulat du retrait du droit pénal en raison de

<d'activation du droit civi!» «<Aktivierung des Zivilrechts»J, qui fut le maître mot des auteurs allemands et suisse des projets alternatifs du code pénal a1lemand12.

,

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"

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CR CO I-GUILLOD f $TEFFEN, CO 19-20 N. 24 (mots mis en évidence dans l'ouvrage cité).

ATF92 IV 132 consid. 3; 93 IV 85 consid. 5; GUIGNARD. in tolo; FELlMANN, in toto.

Arrêté fédéral du 30 juin 1972 instituant des mesures contre les abus dans le secteur locatif.

Abroge.

loi fédérale du 15 décembre 1989, en vigueur depuis le 1" juillet 1990.

ATF 119 Il 353 consld. 6d: ~il faut donc en déduire qu'un loyer abusif n'est pas nécessaire-ment usuraire».

Entwurf eines Strafgesetzbuches (AE-StGB), Bes. T., Siraftalen gegen die Wirtschaft. 1973.

el, surtout, Entwurf eines Gesetzes gegen Ladendiebstahl (AE-GlD), 1974.

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B. Difficultés d'interprétation de l'art. 157 CP

Une dernière explication, moins réjouissante. de l'absence d'intérêt que suscite l'usure auprès des tribunaux nous paraît résider dans le fait que cette incrimination est construite de manière à la fois compliquée. et lacunaire et que son application est dès lors délicate.

1. La situation de la victime

Le caractère répréhensible de l'usure provient de ce que l'auteur exploite une situation d'infériorité de la victime pour en obtenir des avantages dispropor-tionnés par rapport à sa propre prestation. Cette situation est décrite comme la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement, alors qu'en droit civil, l'art. 21 CO se réfère à la gêne, la légèreté et l'inexpérience du lésé. La congruence n'est pas parfaite, la divergence la plus importante étant l'absence de la notion de légèreté dans le texte pénal, dont eUe a été biffée à l'occasion de la révision des infractions contre le patrimoine, entrée en vigueur en 1995.

A en croire les travaux préparatoires, la suppression de la variante de l'ex-ploitation de la légèreté de la victime a une portée essentieUement rédac-tionnelle. L'ancien texte légal employait les notions de «faiblesse d'espri!»,

«faiblesse de caractère» et «légèreté», jugées trop indétenninées et qui ont, par conséquent, été remplacées par celle de «capacité de discernement res-treinte», dont le message du Conseil fédéral souligne qu'elle est <<nettement plus précise»i3 Or, à nos yeux, l'abandon de l'exploitation de la simple

<<légèreté» de la victime ne rend pas seulement la disposition plus claire, mais elle en restreint la portée d'une manière qui nous paraît pertinente, car il n'appartient pas au droit pénal de protéger la victime contre sa légèreté en matière contractuelle. Selon notre interprétation, l'usure est ainsi définie de manière plus restrictive que la lésion civile, qui offre une solution adéquate en cas d'exploitation de la simple légèreté du lésé, ce qui est parfaitement conforme au principe de la subsidiarité de la protection pénale du patrimoine.

2. Les prestations réciproques

Tout comme la lésion civile, l'usure se réfere spécifiquement et exclusive-ment à une situation contractuelle, plus précisément à la conclusion d'un contrat synallagmatique à titre onéreux. L'auteur de l'infraction à l'art. 157 CP fournit une prestation en échange de l'octroi ou de la promesse, par la victime, d'avantages pécuniaires en disproportion économique évidente avec cel1e-ci. Par conséquent, il ne saurait être question d'usure en cas de contrat à

Il Message concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal mili-taire (infractions contre le patrimoine et faux dans les titres) du 24 avril 1991, FF 199111933, 1015.

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titre gratuit ou d'acte unilatéraIl4 - par exemple s'agissant d'une donationl5

ou d'une libéralité testamentairel6. .

C'est là la seule interprétation qu'autorise le texte clair de la disposition et qui est retenue par la jurisprudence et la doctrine unanimesl7. Le message du Conseil fédéral soutient que la création d'une nonne spédale réprimant aussi l'exploitation d'une situation d'infériorité par une donation est inutile, en motivant ce choix par la précision: «au demeurant, nous estimons que le droit civil (art. 21 CO, lésion) offre une protection suffisante dans ce genre de disposition unilatéral, celui-ci est dépourvu de caractère répressif; le seul risque de perdre l'avantage obtenu n'est pas véritablement dissuasif. Si l'on estime que l'exploitation économique d'une infériorité caractérisée est un acte socialement dangereux méritant la répression pénale, il n'y a aucune pour se faire accorder une libéralité entre vifs ou pour cause de mort.

Seul le législateur pourrait remédier à cette lacune de l'art. 157 CP, de manière à mettre tous les cas d'exploitation crasse de la faiblesse d'autrui sur un pied d'égalité. Le principe de la légalité empêche la jurisprudence de corriger l'usure dans ce sens, l'analogie préconisée en droit civil étant interdite au pénaliste.

Il convient de noter, néanmoins, que la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de l'escroquerie a su aménager la protection du faible d'une manière qui fournit une solution satisfaisante dans certains cas, en comblant une partie

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Sur la dislinclion. CR CO I-DESSEMONTET, CO 1 N. 5.

ATF 111 IV 139 consid. 3b et 3c; CoRBOZ, CP 157 N. 30; STRATEMVERTH 1 JENNY, p. 415. § 18 consommation (loi nQ 93-949 du 26 juillet 1993).

Message du Conseil fédéral, FF 1991 Il 933,1017.

GAUCH / SCHLUEP 1 SCHMID 1 REY, p. 147, N. 735; BaK-HUGuENIN. CO 21 N. 3; KOLLER. p. 296, N. 1282; contra: BeK-KRAMER, CO 21 N. 11.

!

des lacunes laissées par l'usure. Dans ce cadre, elle a, en effet, développé la protection de la dupe se trouvant dans une situation l'empêchant, de manière-excusable, de faire preuve de l'esprit cririque que l'art. 146 CP exige d'elle2o C'est ainsi que la notion d'astuce est interprétée en fonction de l'aptitude ou de l'inaptitude de la victime à se protéger contre la tromperie, dans la mesure où l'auteur en a connaissance. Celui qui trompe la dupe en exploitant sa faiblesse d'esprit, son inexpérience ou sa dépendance est réputé agir astucieusement.

Le premier de ces arrêts, rendu en 1993 (A TF 119 IV 210), avait trait à des adeptes de la Scientologie qui avaient entrepris une victime qu'ils savaient atteinte de faiblesse d'esprit, pour lui vendre, pour un prix total de Frs. 12'000, du matériel soi-disant didactique dont ils prétendaient qu'il lui serait utile pour se débattre dans les difficultés de la vie, mais qui en réalité était sans valeur pour elle. Le Tribunal fédéral a fondé l'astuce sur le fait que les auteurs savaient pertinemment que la faiblesse d'esprit de la victime empêchait celle-ci de comprendre que ce matériel lui était totalement inutile.

Dans une espèce jugée peu après (ATF 120 IV 186), l'astuce a été admise en raison de l'exploitation de l'inexpérience et de la situation de détresse dans laquelle se trouvaient des personnes étrangères, arrivées en Suisse depuis peu, après avoir fui rex-Yougoslavie en guerre, pour leur soutirer de l'argent en échange de prétendus services d'intermédiaire dans l'obtention d'un permis de séjour et de travail.

Ces arrêts ont trait à des contrats synallagmatiques onéreux, de sorte que l'usure aurait aussi pu s'appliquer". Cependant, les principes concernant l'astuce fondée sur l'exploitation de la faiblesse de la victime sont parfaite-ment transposables à des actes unilatéraux, de sorte que l'escroquerie vient combler partiellement la lacune laissée par l'usure; partiellement seulement, car il faut, pour cela, que l'auteur trompe la victime sur des faits et que cette tromperie conduise celle-ci à disposer de son patrimoine.

3. La définition des pres/a/ions réciproques

Tout en supposant des prestations réciproques, le texte légal ne définit pas celles-ci de manière identique pour les deux partenaires: l'auteur fournit une prestation (<<Leistung»), alors que la victime fournit ou promet des «avan-tages pécuniaires») (<<Vennogensvorteile»). La confusion règne quant à savoir ce que cela signifie.

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Sur ces Questions, cf. CASSANI (1999), in toto.

Dans le mêmo sens, TRECHSEL, CP 157 N. 15. L'escroquerie prime sur l'usure (ZR 93 [1994], n° 96; CORBOZ, CP 157 N. 57; TRECHSEl, CP 157 N. 16; BaK-WEISSENBERGER, CP 157 N. 35), ce qui restreInt encore le champ d'application de l'art. 157 CP.

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S'agissant de la prestation fournie par l'auteur, le texte légal adopté en 1937 employait en langue allemande le terme de <<Vermôgensleistung» et non simplement de «prestatiofi»), comme c'était le cas en langue française. La disparité terminologique22 a été supprimée à l'occasion de la révision législative de 1994, par le choix du terme «Leistung» dans le texte allemand, qui est ainsi, lui aussi, dépourvu de toute référence à la nature patrimoniale citant la jurisprudence se limitent à des contrats dans lesquels la victime paie une somme d'argent (loyer, intérêts pour un prêt, honoraires pour un avorte-ment illicite)24; certains auteurs évoquent la renonciation à une créance (remise de dette") ou l'échange d'objets corporels (Iroc26). Les cas dans lesquels la prestation fournie par la victime est le travail sont en revanche excJus par TRECHSEL27, le seul auteur qui s'exprime avec clarté sur le sujet.

S'il fallait suivre cet auteur, celui qui engagerait à un salaire de misère un chômeur en fin de droits ne risquerait donc pas de se voir appliquer l'art. 157 CP, même si le travail fourni valait un multiple de sa rétribution. On peut aussi songer aux cas des employés de maison clandestins, dont cenains vivent dans un état de quasi-esclavage, astreints à des horaires pénibles contre une rémunération relevant de l'argent de poche.

il s'agirait là d'un résultat insoutenable que l'interprétation téléologique permet d'éviter sans faire violence à la lettre de la norme. Le Tribunal fédéral admet, depuis un arrêt rendu voici presque cinquante ans en matière de

la référence à une t:Verm6gensleistung» résultait d'une retouche de la commission de rédac·

tion qui n'a jamais été discutée; les avant-projets de 1894 et 1908 se référaient a une ou d'un travail est un avantage patrimonial, mais ses exemples Jurisprudentiels suggèrent qu'il amalgame la prestation du lésé avec celle de l'auteur, puis cite TRëCH$El à contresens.

A noter toutefois que LOGoz (p. 184, § 3b) invoque l'exemple de t'employeur qui abuse de la dépendance de son travailleur pour lui imposer un salaire manifestement trop bas.

patrimoine protégé par le droit penaF'. L'obtention de cet élément doit, par conséquent, être qualifiée d'«avantage patrimoniaI29».

Cette interprétation nous paraît, par ailleurs, opportune au regard du fait que le travail, surtout le travail clandestin, est un domaine qui se prête tout particulièrement à l'exploitation économique de l'infériorité des plus faibles.

Certes, Je droit pénal n'est pas entièrement démuni dans ce domaine: dans la imposer des conditions financières outrancières aux travailleurs, et il ya alors extorsion. Cela ne va cependant pas de soi: en général, la victime consent à l'exploitation précisément parce qu'elle est dans une situation de gêne ou de détresse que l'auteur n'a pas créée mais qu'il se contente d'exploiter, sans contrainte ni tromperie. Le Tribunal fédéral a récemment mis en exergue la nécessité de protéger la victime dont la liberté est hypothéquée par des

Certes, Je droit pénal n'est pas entièrement démuni dans ce domaine: dans la imposer des conditions financières outrancières aux travailleurs, et il ya alors extorsion. Cela ne va cependant pas de soi: en général, la victime consent à l'exploitation précisément parce qu'elle est dans une situation de gêne ou de détresse que l'auteur n'a pas créée mais qu'il se contente d'exploiter, sans contrainte ni tromperie. Le Tribunal fédéral a récemment mis en exergue la nécessité de protéger la victime dont la liberté est hypothéquée par des