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DU DROIT DES MARCHES PUBLICS

II. LA DISTINCTION ENTRE L'ADJUDICATION DU MARCHE ET LA CONCLUSION DU CONTRAT

A. La conclusion d'un contrat qualifié de marché public

Jusqu'à l'entrée en vigueur du droit des marchés publics, les privatistes avaient coutume de professer que l'adjudication valait conclusion du contrat;

plus précisément, la mise en soumission n'était pas une offre mais un simple appel aux candidats pour qu'ils formulent leurs offres; les soumissions n'étaient pas des acceptations, mais uniquement des offres; l'adjudication équivalait à une acceptation de l'offre et donc à la conclusion du contraI.

Ce système ne fonctionne plus pour les marchés assujettis à la législation publique. Pour eux, le système est le suivant: (1) Les offres des soumis-sionnaires sont bel et bien des offres au sens du Code des obligations.

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RS 943.02. Cette loi est en cours de modification mais le projet mis en consultation n'affecte pas le droit des marchés publics.

Cf. CARRON 1 FOURNIER, p. 47 et les références citées. Attention cependant: le régime appli·

cable au contrai dépend du type de marché.

Cf. CARRON 1 FOURNIER, p. 46 s. La passation du marché est cependant également soumise à un contrôle de typa administratif.

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(2) L'adjudication est une manifestation de volonté, mais qui n'a de portée que pour le droit public; elle n'a pas de portée contractuelle et n'équivaut pas à une acceptation au sens des art. 3 ss CO. (3) La conclusion du contrat n'in-tervient qu'ultérieurement, lorsque le document contractuel est signé par les deux parties ou, tout au moins, lorsque les deux parties confirment de manière réciproque et concordante leur volonté sur les éléments essentiels de leur accord; souvent les législations sur les marchés publics exigent des contrats passés en la forme écrite, mais on peut interpréter cette exigence comme une instruction adressée au seul adjudicateur et non pas comme une exigence de forme au sens de l'art, Il CO, (4) D'ailleurs, si l'adjudicataire commence à exécuter sa prestation immédiatement après l'adjudication, que l'adjudicateur le sait et qu'il l'accepte, il faut sans doute admettre que le contrat est conclu de manière tacite.

La dichotomie entre l'adjudication et la conclusion est incontournable:

le droit des marchés publics interdit aux parties de conclure leur contrat avant l'échéance du délai de recours, il exige de l'Etat qu'il passe des contrats en la forme écrite et illimite la cognition de la juridiction administrative à la seule constatation du caractère illicite de l'adjudication lorsque le contrat est déjà conclu. Ce triple mécanisme ne pourrait tout simplement pas fonctionner s'il fallait admettre que le contrat est conclu dès l'instant où il y a adjudication, La question de savoir quoi faire avec le contrat conclu sans attendre le délai de recours se pose donc et mérite un examen particulier.

B. La liberté contractuelle en matière de marchés publics 1. La liberté de déterminer le contenu du contrat et

le cocontractant

Les adjudicateurs sont passablement échaudés par leurs expériences en lien avec le droit des marchés publics et les recours qu'il occasionne; il est dès lors important de souligner qu'il laisse par principe à l'adjudicateur toute latitude pour déterminer les travaux, les fournitures ou les services qui feront l'objet du marché. Il limite toutefois sa liberté contractuelle dans la mesure où la négociation du contrat correspondant prend la forme d'une procédure administrative régie par des règles de droit public. Celles-ci restreignent à un triple titre la liberté de l'adjudicateur quant au choix du contenu du contrat et du cocontractant: (1) De manière générale, elles encadrent ce choix par des principes chers au droit administratif: égalité de traitement et concurrence efficace entre les soumissionnaires, ouverture et transparence de la procédure (art. 1 et 8 LMP; art. 1 et 11 AIMP). (2) De manière ponctuelle, elles guident ce choix avec des prescriptions formelles, par exemple en imposant des délais (art. 17 LMP; art. 13 lit. c AIMP) et des publications (art. 24 LMP;

art. 13 lit. a AIMP) ainsi qu'avec des exigences matérielles, en particulier en prescrivant des critères d'aptitude (art. 9 LMP; art. 13 lit. d AIMP) et des

cnteres d'adjudication (art. 21 LMP; art. 13 lit. f AIMP). (3) De manière spécifique, elles interdisent les négociations entre adjudicateur et soumission-naires (marchés cantonaux; art. Il lit. c AIMP; § 30 des Directives pour l'exécution de l'A/MP du 2 mai 2002 [DEMP]) ou les soumettent à des conditions de forme et de fond (marchés fédéraux; art. 20 LMP; art. 26 de l'ordonnance fédérale sur les marchés publics du II décembre 1995 rOMP]').

Sauf interruption, l'adjudicateur rend à l'Îssue de la procédure de passation - qui tient ainsi lieu de négociation contractuelle - une déc-islon adminis-trative par laquelle il manifeste simultanément sa volonté d'accepter l'offre de l'adjudicataire et de refuser celle des autres soumissionnaires. L'adj udi-cation n'a pas pour effet de conclure le contrat, mais eHe en détermine de manière obligatoire les trois éléments suivants: (1) Les prestatiolls: il s'agit des travaux, des fournitures ou des services décrits par l'adjudicateur dans l'avis et les documents d'appel d'offres (art. 12 el 18 LMP; art. 16 ss OMP;

§ 12 ss DEMP) pour lesquels les soumissionnaires ont présenlé une offre (art. 19 LMP, art. 22 OMP; § 23 DEMP). (2) Le prix: il s'agit du montant lié il l'offre la plus avantageuse économiquement (art. 21 al. 1 LMP; § 32 al. 1 DEMP) compte tenu des critères d'appréciation que l'adjudicateur aura fixés (art. 21 al. 2 LMP; § 12 lit. m DEMP). (3) Le prestataire: il s'agit du soumis-sionnaire admis à participer à la procédure de passation (art. 11 LMP;

§ 27 DEMP) el pleinement apte à l'exécution du contrat (an. 9 s. LMP, art. 9 ss OMP; § 21 s. DEMP) qui aura présenté l'offre la plus avantageuse économiquement.

Fréquemment - en particulier lorsque la conjoncture est difficile - il apparaît que les soumissionnaires ont tendance à formuler des offres très exigeantes pour eux, avec pour conséquence des relations contractuelles postérieures à l'adjudication qui seront tendues et généreront les questions ou litiges examinés dans les chapitres suivants; on entend même parfois que les soumissionnaires, lorsqu'ils formulent leur offre, comptent avec la possibilite de «se récupérer économiquement» en cours d'exécution du contrat.

2. La liberté de (ne pas) conclure le contrat

A partir de 1996, la doctrine publiciste a déduit du fait que le droit des marchés publics qualifie désonnais expressément l'adjudication de décision administrative, la conséquence que cet acte crée à charge de l'adjudicateur une obligation de conclure le contrat avec l'adjudicataire (Kontrahienmgs-pflicht)9. Cette approche repose sur l'idée que l'adjudication correspond matériellement à la définition de la décision administrative (art. 5 de la loi

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RS 172.056.11.

Cf. CLERC (1997a), p. 497; ZUFFEREY 1 MAIllARD 1 MICHEL, p. 124.

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fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 [PA]'O et les dispositions équivalentes dans les codes cantonaux de procédure adminis-trative). Une décision s'entend en effet d'un acte juridique pris de manière unilatérale et impérative par une autorité dans un cas d'espèce, fondé sur du droit public fédéral ou cantonal et qui a pour objet de régler un rapport juridique, c'est-à-dire de former ou constater des droits ou des ob1igations ou encore de rejeter ou déclarer irrecevable une demande dans ce sensll . Selon cette opinion, l'adjudication devrait être exécutée au même titre que n'im-porte quelle décision administrative, par la conclusion du contrat de droit privé. L'adjudicateur serait donc privé de la liberté de ne pas conclure le contrat, sous réserve des cas de révocation prévus par la loi. L'adjudicataire aurait, quant à lui, un droit déductible en justice (erzwingbar) à la conclusion du contrat.

En 2003, le Tribunal administratif des Grisons s'était fondé sur celte nou-velle approche pour ordonner aux représentants de la commune grisonne de Tujetsch (adjudicateur) de conclure avec X. (adjudicataire) un contrat portant sur l'achat d'un ratrak à neige au prix de Frs. 132'000 (dans les 30 jours suivant la notification du jugement et sous la menace de sanctions pénales au sens de l'art. 292 CP). Cette injonction faisait suite à deux précédents recours: lors du premier intenté par X., le Tribunal avait annulé une décision d'adjudication en faveur du fournisseur Y. et avait renvoyé le dossier à la commune; lors du deuxième recours, le Tribunal avait annulé une nouvelle décision d'adjudication de la commune toujours en faveur de Y. et avait directement adjugé le marché au recourant X.; à la suite de ce jugement, la commune avait renoncé à acheter le ratrak en arguant d'une détérioration de sa situation fmancière et X. avait saisi le Tribunal afin d'obtenir l'exécution de l'adjudication.

Pour le Tribunal fédéral'2, l'adjudication ne crée une obligation de conclure le contrat que si le droit des marchés publics contient une base légale claire dans ce sens; dans le cas contraire, il faut considérer que la décision d'adjudication n'a pas d'impact sur la liberté de l'adjudicateur et de l'adjudicataire de (ne pas) conclure un contrat de droit privé. A toutes fins

Par conséquent, le Tribunal fédéral a jugé que le Tribunal administratif des Grisons avait outrepassé sa compétence en ordonnant à la commune de conclure le contrat de droit privé correspondant à l'adjudication qu'il avait lui-même prononcée. Le Tribunal fédéral n'a en revanche pas tranché les questions que suscite la renonciation de l'adjudicateur à conclure le contrat après que l'adjudication administrative est entrée en force: est-ce une inter-ruption de la procédure? Le cas échéant, faut-il à cet effet un juste motif!

A défaut, une indemnité est-elle due? Si oui, quelle est la procédure à suivre pour la réclamer?

III. LA CONTEST A TION DE L ' ADJUDICATION ET SON EFFET SUR