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Section II. Justice et Vérité : exégèse des textes sacrés ou dialogue permanent entre

A) La Justice, pilier dynamique de l’Univers

On doit observer, de concert avec Raphaël Dray, que les premières pensées philosophiques du monde occidental, portent sur la justice415. Anaximandre dans son traité Sur

la nature considère que la justice est une condition qui préside à l’équilibre du cosmos416. Les Grecs ont également fait de la Justice un principe coutumier à respecter. La Justice constitue un devoir terrestre découlant d’une injonction Divine dans la pensée juive. On peut rattacher cette idée de justice au concept de h’ok dans le judaïsme, une obligation inexplicable par la pensée humaine mais qu’il faut respecter comme un commandement Divin417. La justice est donc l’un des devoirs positifs explicites imposé à homme juif. Voyons comment se fait cette interprétation exégétique de textes sacrés sur la Justice, l’objectif étant la transmission fidèle de la parole de Dieu.

Le lieu électif de manifestation de la Justice Divine sur terre se trouve dans le Beth din (maison de la justice ou du jugement). Raphaël Dray précise à cet effet :

En cela le juge, le dayan, qui fait jugement de vérité est associé de Dieu, à Élohim comme il est dit : “Dieu se tient dans le jugement (michpat)”. La formule n’est pas métaphorique. Le lieu électif de Dieu, son makon essentiel, se trouve dans le jugement. Si la justice est le lieu de qui est “le Lieu de tout autre lieu”, la sphère des tous les autres points, elle comporte néanmoins un sens littéral qui se déduit du

413 Ibid.

414 Ibid à la note 26, 1:18.

415 Dray, supra note 411 à la p 269; (Anaximandre, sur la nature).

416 Voir du Bord, supra note 142 à la p 6 (Anaximandre est aussi considéré comme un précurseur de la

cosmologie); Hésiode, supra note 178 à la p 44 (Hésiode dans sa Théogonie considère également que la justice empêche le Chaos).

verset concernant la manière dont Moïse précisément rendait la justice au sein du peuple des Bnei Israël après qu’il fut libéré de l’Égypte, de cette terre devenue celle du despotisme génocidaire, du non-droit, de l’aléa, de l’erratisme, du “soudain” : “Or le lendemain, Moïse siégeait pour juger le peuple et le peuple restait devant Moïse du matin au soir” (Ex. 18;13,14)418.

La justice s’incarne dans le lieu des jugements. Ce dernier verset de l’Exode (Ex. 18;13,14) cité et commenté par Raphaël Dray peut être interprété de deux manières qui conduisent à une double conclusion. La première interprétation résulte des remarques de Yitro à Moïse419 dans un chapitre de l’Exode. Yitro, à l’origine un prêtre non-juif deviendra le beau père de Moïse. Il insiste sur le fait qu’un seul homme (en l’occurrence Moïse) ne peut être un juge unique et permanent. Dans ces conditions, souligne Yitro, la justice qui est rendue par un seul ne peut être que mauvaise.

Le procédé que tu emploies n’est pas bon. Tu succomberas certainement, et toi- même et ce peuple qui t’entoure : car la tâche est trop lourde pour toi, tu ne saurais l’accomplir seul. Or écoute ma voix, ce que je veux te conseiller, et que Dieu te soit en aide! Représente, toi seul, le peuple vis-à-vis de Dieu en exposant les litiges au Seigneur; notifie-leur également les lois et les doctrines, instruis-les de la voie qu’ils ont à suivre et de la conduite qu’ils doivent tenir. Mais de ton côté choisis, entre tout le peuple des hommes éminents, craignant Dieu, amis de la vérité, ennemis du lucre…420

Yitro plaide en faveur de la création d’une institution judiciaire pour répondre au commandement Divin de la Justice et celle-ci exige la présence de plus d’un juge. Un seul individu « ne saurait être le fondement d’un peuple entier et nombreux »421.

La deuxième interprétation de ce verset de l’Exode consiste à le rapprocher d’un autre verset de la Torah qui figure dans le livre de la Genèse. Il y est rapporté l’un des évènements les plus marquants de la Création.

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait sur la face des eaux. Dieu dit : “Que la lumière soit!” Et la lumière fut. Dieu considéra

418 Ibid à la p 275.

419 La Bible, supra note 400, Exode 18:1 et 20:23. 420 Ibid, Exode 18:17 à 18:21.

que la lumière était bonne, et il établit une distiction entre la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière Jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, un jour422.

En rapprochant ces deux versets de l’Exode et de la Genèse, on déduit que la fonction du juge consiste à renouveler au sein du peuple « cette séquence génésique » de la Création423. Le peuple est assimilé à un corps (ou matériau) en formation auquel le jugement apporte une lumière intellectuelle, assimilable à de l’énérgie. La Justice s’exerce avec l’objectif d’un perpétuel ordonnancement des choses, permettant ainsi une co-existence de plusieurs juges et une passation inter-générationnelle des jugements. Cet ordonnancement doit cependant être précis et rigoureux. Yitro vient préciser que Moïse ne possédait pas cette capacité d’ordonnancement. Quel est cet ordonnancement? La séquence constitutive de la Genèse utilise l’ordonnancement suivant : passer des ténèbres à la lumière. Or, Moïse s’emploie à juger du matin au soir. Yitro lui signifie que sa méthode n’est pas la bonne. Il reproche à Moïse de rendre justice en commençant par la clarté pour aller vers l’obscurité. Il utilise donc le chemin inverse d’une des étapes de la Création, où il est précisé que l’obscurité a précédé la lumière. Les jugements de Moïse ne résoudront rien et susciteront, bien au contraire, des difficultés et des souffrances424.

Retenons dans la pensée juive que la Justice fait partie d’une dynamique en perpétuel mouvement qui permet de maintenir l’équilibre constant de l’Univers. Cette dynamique ne peut reposer sur une seule personne, mais sur plusieurs individus au sein d’une institution de justice. La Justice doit respecter l’ordonnancement de la Genèse et toujours tendre vers la lumière. Les jugements sont lumière. À cet effet, le droit juif interdit de rendre justice la nuit, particulièrement lorsqu’il est question de vie ou de mort425. Respecter l’ordonnancement génésique implique que le juge est un agent de la Création qui suit rigoureusement les étapes précisées dans la Genèse et qui ont mené à l’existence de l’Univers. Ne pas suivre cet

422 La Bible, supra note 400, Genèse 1:1-5. 423 Dray, supra note 411 à la p 277. 424 Ibid.

425 Moses Maïmonide, Mishnei Torah, Sefer Choftim, voir The Book of Judges, traduit par Rabbin Eliyahu

Touger, Brooklyn (NY), Mozaim, 2001 à la p 66); voir aussi, Le Talmud : Sanhédrin 1, éd commentée par Adin Steinsaltz, traduit par rabbin Jean-Jacques Gugenheim et Rabbin Jacquot Grunewald, Jérusalem, Ramsay, 1996 au ch 1 7A pp 56-57 [Le Talmud : Sanhédrin 1].

ordonnancement, conduit inéluctablement à une décision injuste. L’un des piliers de l’Univers, la Justice, qui supporte le trône Divin, vacillerait, ébranlerait l’Univers Divin, en instaurant un doute sur la Justice Divine si on ne suivait pas cet ordonnancement.

Le Talmud rapporte qu’un juge doit supposer que la pointe d’un glaive est dirigée contre son cœur et que l’enfer s’ouvre à ses pieds426. Il doit donc prendre son rôle très au sérieux et avoir des qualités humaines et morales supérieures. La solution de justice doit s’imposer au juge avec la même certitude que le matin constitue le début de la journée. Son jugement, précise le Talmud, doit lui paraître aussi clair que la lumière du matin. À défaut, il ne peut rendre sa décision qu’après avoir clarifié les points demeurés obscurs427.