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L’aveu, une analyse de droit pénal comparé avec les exemples du droit français, du

C. Méthodologie : Une analyse historique, multidisciplinaire et de droit pénal comparé

3) L’aveu, une analyse de droit pénal comparé avec les exemples du droit français, du

Cette étude va donner lieu à une analyse juridique de l’aveu dans la tradition continentale dominée par la procédure pénale inquisitoire et dans le système accusatoire se manifestant dans la tradition de common law anglaise et nord-américaine. Nous prenons comme exemples d’aboutissement les droits français et canadien contemporains en examinant l’aveu tel qu’il a évolué dans leur contexte historique réciproque. Leurs différences et leurs similitudes sont étudiées.

Ces deux modèles procéduraux ont une configuration différente aujourd’hui mais véhiculent des valeurs communes en raison d’un même héritage. Leur héritage commun est d’abord grec; c’est le début de la science et de la pensée philosophique en Occident. Rome assimile les connaissances grecques et lègue au monde occidental une science du droit. Le deuxième héritage commun est celui de la chrétienté dont les racines sont bibliques et juives. La tradition pénale occidentale est donc fondée sur une double tradition, « gréco-romaine » et « judéo-chrétienne ». Ces influences ne s’arrêteront pas aux frontières de l’Europe61. L’organisation procédurale de la justice du Moyen-Âge européen se construira discrètement sur ces fondations qui redeviendront plus apparentes à la Renaissance mais qui apparaîtront dès le XIIIième siècle. La réception qui sera faite par la France et l’Angleterre à l’interdiction faite aux clercs de l’Église de participer aux ordalies par le Concile oecuménique de Latran IV, en 1215, marquent, en effet, un point de rupture dans la procédure pénale de ces deux pays.

Si la Réforme (XVIième siècle) met fin à l’unité de la religion chrétienne en Occident, cela n’entraîne pas la disparition de cet héritage commun dans l’organisation de la justice.

61 William H McNeill, The Rise of the West: A History of Human Community, Chicago, The University of

Chicago Press, 1963. Voir aussi Niall Ferguson, Civilization: The West and the Rest, New York, The Penguiss Press, 2011. Voir notamment Jacques Pirenne, Les grands courants de l’histoire universelle, 3e éd, Paris, Albin

L’absolutisme monarchique62, cet art de gouverner fondé sur l’autorité Divine, donne lieu à des réformes importantes de la justice criminelle tant en France63 qu’en Angleterre64. Certaines d’entre elles tentent malgré tout de limiter les abus et l’arbitraire du pouvoir judiciaire dans le recours à l’aveu dans leur régime procédural respectif.

Les XVIIIième et XIXième siècles donnent lieu à des révolutions politiques qui n’ont pas épargné les espaces juridique et judiciaire. Ces siècles de réformes du droit pénal en Europe président à la naissance du droit pénal moderne65. Si la common law d’Angleterre, inspirée par la doctrine utilitariste, penche vers plus de sévérité, la philosophie des Lumières jugée trop généreuse n’a pas d’impact majeur immédiat sur le système pénal continental. On assiste toutefois à un adoucissement de la répression au milieu du XIXième siècle. La science entre dans le droit pénal par la doctrine positiviste. On privilégie alors le traitement personnalisé du délinquant et on s’oriente davantage vers une philosophie de prévention du crime. La torture disparaît de la pratique pénale. La France abolit le système des preuves légales dans lequel s’inscrivait l’aveu. L’Angleterre développe des règles sur la fiabilité de l’aveu comme moyen de preuve. Mais, l’effet probant de l’aveu ne perd pas de sa force et de son importance dans l’issue de la procédure. Il demeure, en effet, décisif pour au moins deux raisons. Il constitue avant tout une reconnaissance de la violation de la loi entendue, ici, comme émanation de la volonté collective. Puis, selon Michel Foucault, en avouant, le déclarant se punit lui-même, par l’intermédiaire d’un tribunal chargé d’appliquer la loi qui est elle-même le fruit de la volonté personnelle de l’avouant tout comme de celle d’autrui66. En cela, l’aveu remédie à une incertitude, facilite le verdict et emporte des répercussions sur la peine.

62 Nicolas Le Roux, Le roi, la cour, l’État : De la Renaissance à l’Absolutisme, Paris, Champ Vallon Editions,

2013.

63 Marc Boulanger, « Justice et absolutisme : la Grande Ordonnance criminelle d’août 1670 » (2000) 47:1 R Hist

Moderne 7 aux pp 7-36.

64 John H Langbein, Renée Lettow Lerner et Bruce P Smith, History of the Common Law: The Development of Anglo-American Legal Institutions, New York, Aspen, 2009 [Langbein, Lerner et Smith, History]. Voir aussi

John H Langbein, Prosecuting Crime in the Renaissance: England, Germany, France, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1974 [Langbein, Prosecuting Crime].

65 Voir Jean Royer, Histoire de la justice en France : du XVIIIième siècle à nos jours, Paris, Presses Universitaires

de France, 2001 aux pp 180 et s; Leon Radzinowicz, A History of English Criminal Law, vol 1, Londres, Pilgrim Trust, 1948.

Dans la tradition inquisitoire, le prononcé de la peine intervient au même moment que le verdict de culpabilité. Dans les systèmes de common law, ces étapes procédurales sont scindées. Nous émettons l’hypothèse, rappelons-le, que dans la procédure inquisitoire, la véracité de l’aveu est l’objet d’une attention plus poussée que dans la procédure accusatoire. Nous alléguons également que l’aveu a un impact d’atténuation de la peine plus important dans la tradition inquisitoire que dans la tradition de common law.

Le juge inquisitoire qui doit se prononcer en même temps sur la responsabilité pénale de l’accusé et sur la peine doit, non seulement apprécier la véracité de l’aveu mais aussi tenter de le comprendre. Cette compréhension est généralement fondée sur l’enquête de personnalité de l’accusé afin de saisir le sens de son acte criminel, mais aussi sa pensée intériorisée, ses motivations. Une enquête fusionnée de véridiction des faits et de compréhension de l’accusé favoriserait à la fois le verdict de culpabilité et un commencement de pardon. Dans la procédure accusatoire, le juge de common law, apprécie l’aveu-confession à partir de ses conditions externes d’obtention pour déterminer de son admissibilité en preuve aux fins du verdict. Un doute raisonnable suffit à l’exclure comme élément de preuve de la culpabilité de l’accusé. Le juge n’a pas à s’interroger sur le sens de cet aveu. Il en analysera la fiabilité avec peu d’outils accessoires. Lors du prononcé de la peine, une phase distincte du procès, la confession aura peu d’impact atténuant parce que son utilité a déjà opéré à l’étape du jugement. Comme tel, on ne lui donnera pas un effet automatique de pardon à l’étape de la sentence. Bien entendu, il faudra nuancer cette affirmation lorsque la confession s’exprime en un plaidoyer de culpabilité dans le système accusatoire.

Offrons dans cette introduction un début d’explication sur les règles entourant la réception de l’aveu dans la tradition de common law. Il faut savoir que dans cette tradition, l’admission de l’aveu en preuve est quadrillée par des règles d’admissibilité qui concernent essentiellement ses conditions d’obtention. Ces règles fonctionnent de façon préliminaire; le juge du procès agissant comme arbitre du droit et de la procédure. Cet examen préliminaire n’implique pas l’examen de la véracité de l’aveu. Le juge doit seulement conclure que l’aveu est vraisemblable si le processus de véridiction a été respecté. Si l’aveu devient un élément de preuve, son effet incriminant sur la culpabilité sera apprécié par le jury.

Dans la tradition accusatoire, il y a donc lieu de distinguer la vérité de la parole, en réalité le contenu de l’aveu, et son enveloppe qui permet de contrôler la vraisemblance du récit. On rattache donc la véracité de l’aveu non à l’individu lui-même mais à son contexte extérieur et aux interactions du suspect avec d’autres individus, eux en quête de vérité. Cette approche rappelle la conception « extérieure » de la culpabilité qui avait cours au Haut Moyen-Âge67. « Ce sont les obligations et infractions extérieures qui se trouvent au centre de

l’attention éthique » durant cette période, rapporte Aloïs Hahn68. Celui-ci s’appuie sur les travaux de Jacques Le Goff qui a clairement montré que les hommes, à cette époque, étaient jugés sur leurs actes (et notamment leurs métiers) et non sur leurs sentiments69. L’Église s’est, dans un premier temps, emparée de cette extériorité en imposant au péché que l’on ne connaissait que sous sa forme extériorisée, un acte de pénitence correspondant à une réparation extérieure, plus importante parfois que la faute confessée70. L’Église s’intéresse alors davantage au péché qu’au pécheur lui-même. Elle opèrera cependant un transfert d’objet au XIIième-XIIIième siècle, en redonnant une valeur aux pratiques pénitentielles de l’Antiquité tardive, en essayant de pénétrer la pensée des pécheurs. Cette nouvelle pratique ne pénètre pas le système accusatoire. À l’inverse, la tradition inquisitoire l’accueille avec beaucoup de souplesse. Nous avons ici un bel exemple d’intégration et de réinterprétation de l’aveu dans les procédures inquisitoire et accusatoire de common law, qui renvoie à un modèle de vérité très ancien qui existait au sein d’une autre pratique institutionnelle, religieuse celle-ci.

L’aveu, dans un contexte de justice moderne, n’est pas seulement le résultat d’une histoire du droit et d’une tradition juridique, il est aussi le résultat d’une combinaison de modèles normatifs et de pratiques institutionnelles qui ont existé, se sont développés en dehors du droit, qui ont pénétré les systèmes juridiques occidentaux et ont influencé le droit, dont il convient d’esquisser maintenant les grands traits.

67 Hahn, supra note 30 à la p 55. 68 Ibid.

69 Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen-Âge : Temps, travail et culture en Occident : 18 essais, Paris,

Gallimard, 1977 à la p 167 [Le Goff, Pour un autre Moyen-Âge].