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Section I. L’aveu pénitent, silencieux et réconciliateur

A) Les étapes procédurales

Cette procédure comporte trois grandes étapes qui consiste pour le pécheur à se présenter devant les autorités ecclésiastiques (1), afin d’obtenir le statut de pénitent pour une certaine période (2) avant d’obtenir le droit de réintégrer la communauté dans le cadre d’une procédure de réconciliation (3).

1) La première comparution du pécheur devant l’évêque : avouer ses fautes

La première étape, que Philippe Rouillard qualifie d’entrée en pénitence, consiste à se présenter devant l’autorité ecclésiastique, l’Évêque, pour avouer, en privé, sa ou ses fautes 614 :

« Voici une manière d’agir, contraire à la réglementation apostolique. […] nous

interdisons qu’à cette occasion soit lu en public un écrit sur lequel figurent en détail leurs péchés. Il suffit en effet que les fautes soient indiquées à l’évêque seul, dans un entretien privé »615.

Le secret qui entoure cette étape est nécessaire afin d’encourager les âmes à se repentir :

Bien qu’on doive en effet louer la foi totale de ceux qui, par crainte de Dieu, n’ont pas peur de rougir devant les hommes, il est cependant des péchés que ceux qui demandent la pénitence n’aimerait pas voir publiés. On supprimera donc une habitude aussi contestable, de peur que beaucoup ne s’écartent du remède de la pénitence par honte ou parce qu’ils craignent que leurs agissements soient connus de leurs ennemis, qui pourraient alors les poursuivre devant les tribunaux. Est suffisant l’aveu fait à Dieu, ensuite à l’évêque, lequel se fait l’avocat pour les fautes des pécheurs. On ne pourra inviter la majorité des fidèles à venir se constituer pénitents que si le secret des consciences n’est pas livré à la connaissance du public616.

L’Évêque intègre par la suite le pécheur au sein d’un groupe ou d’un ordre de pénitents (ordo paenitium). Au cours d’un office liturgique, il expulse, au nom de l’église, les pénitents de la communauté ecclésiale. On peut comparer cette explusion à une procédure d’excommunication. Deux points sont ici à retenir, si l’office au cours duquel les pénitents

614 Rouillard, supra note 509 à la p 36.

615 Lettre 168 du Pape Léon Ier Le Grand (Saint Léon), citée par Rouillard, supra note 509 à la p 147. 616 Ibid.

vont être expulsés est public, l’aveu de ses fautes demeure totalement secret. À aucun moment, les fautes ne sont publiquement divulguées par l’Évêque.

2) L’épreuve de la pénitence : l’aveu silencieux mais apparent

Lors d’une seconde étape, les pénitents sont soumis à une période d’expiation. Leur mode de vie habituel s’en trouve complètement bouleversé. Ils doivent se soumettre à certaines restrictions alimentaires, comme s’abstenir de manger de la viande et généralement se limiter aux aliments de base comme le pain et l’eau. Toute activité sexuelle leur est aussi interdite. Ils ne peuvent occuper de fonction publique. Ils ne se lavent plus, couchent sur la cendre, doivent se couvrir d’un sac617. Ils pleurent, mugissent et supplient618. Les pénitents assistent aux offices proches de la porte d’entrée de l’église à un endroit qui leur est réservé mais ils ne peuvent pas communier. Il sont isolés du reste des fidèles. La durée de cette période d’expiation est variable. Cette épreuve peut durer des semaines, des mois, voire des années619. La durée est fixée par l’Évêque en fonction de la nature du ou des péchés. Il n’est cependant pas clair si l’Évêque agissait seul ou collégialement avec son clergé620.

3) La réconciliation

Enfin, la troisième étape, celle de la réconciliation, intervient lors d’un office religieux à l’église en présence de la communauté. L’évêque réconcilie les pénitents « en leur imposant

les mains »621, un geste de tradition judéo-chrétienne. Il est donc mis fin à leur

617 Tertullien dans La Pénitence précise que l’exomologèse oblige le pénitent à se « coucher sur le sac et la cendre, de laisser son corps se noircir de crasse, d’abîmer son âme dans la tristesse, de punir par un traitement sévère tout ce qui est cause de péché; en outre, de ne plus connaître qu’une nourriture et une boisson toutes simples, pour le bien, non du ventre, bien sûr, mais de l’âme; en revanche, de nourrir sa prière de jeûnes fréquents, de gémir, de pleurer, crier de douleur, jour et nuit, vers le Seigneur, ton Dieu, de se prosterner aux pieds des prêtres, de s’agenouiller devant les autels de Dieu, de recommander à tous les frères de se faire les ambassadeurs de sa requête en grâce », supra note 594 à la p 181 (IX-4).

618 L’Abbé Emmanuel Bourque rapporte un témoignage d’Eusèbe, évêque et exégète, du IIIième siècle qui décrit

dans son Histoire de l’Église une scène étonnante d’exomologèse; [le pénitent] est « revêtu d’un sac et d’un

cilice, couvert de cendres, contrit et pleurant, se jetant suppliant aux pieds de l’évêque Zéphirin, se roulant aux genoux non seulement du clergé mais aussi des laïques, si bien que l’Église du Christ miséricordieux, tout entière prise de pitié, fondait en larmes », supra note note 606 à la p 82.

619 Tertullien, dans sa période montaniste, considérait que la durée de l’expiation pour certains péchés mortels

était perpétuelle, la miséricorde Divine ne pouvant intervenir qu’au moment de la mort.

620 Tertullien, La Pénitence, supra note 594 à la p 68. 621 Rouillard, supra note 509 à la p 36.

excommunication. Il semble cependant que les pénitents réintégrés ne retrouvent pas une liberté totale. Les fonctions publiques leurs sont interdites de même que l’accès à la prêtrise. Les relations conjugales ne leur sont pas autorisées. Ils demeurent donc socialement et familialement exclus622.

Philippe Rouillard considère que « la conclusion qui s’impose [sur cette discipline

pénitentielle du IIème siècle] est celle du caractère avant tout ecclésial de la pénitence : il ne s’agit pas tant de remettre ses péchés à un chrétien coupable de fautes graves, mais de l’éloigner du corps ecclésial et de ne l’y recevoir à nouveau – et une seule fois dans la vie – qu’après une sérieuse pénitence »623. On comprend également que l’une des préoccupations majeures de l’Église n’est pas tant d’absoudre l’individu de ses fautes que de préserver l’intégrité numérique de la communauté. Dès lors, la fonction sociale de la confession se précise.

Il nous faut maintenant revenir sur cette procédure de réintégration et s’interroger sur l’aveu, la place qui lui est réservée dans cette procédure et sa fonction de véridiction624.