• Aucun résultat trouvé

La figure de la « bonne mère » qui commet l’impardonnable. L’articulation du genre à la

a. Condamnation de la transgression de la figure maternelle.

L’association des figures de femme et de mère : un pilier moral entre sphère privée et sphère publique.

D’après la théorie de la domination masculine de Bourdieu, l’ « éternisation relative des structures de la division sexuelle » est le produit des institutions sociales comme la famille, l’école ou l’Église (Bourdieu 1998 : 8). Considérant la sphère religieuse et son influence sur les sphères publiques et privées, notamment par l’inculcation de la division sexuelle sociale, Patricia Oliart a analysé ce qu’elle nomme « les hiérarchies sacrées » (Oliart 2007). Elle démontre comment les racines d’une division entre le masculin et le féminin sont dues à l’ « orthodoxie » religieuse du XIXe siècle. En effet, le discours religieux plaçait alors la femme dans une position de dépendance, soit à un échelon hiérarchique inférieur au masculin. Il préconisait l’appartenance de la femme à une sphère familiale, qu’elle soit d’origine, matrimoniale ou cléricale. De plus, « on n’attendait pas d’une femme, mariée ou célibataire, qu’elle travaille », car « une fois mariée, l’idéal était de se faire entretenir par son mari » (Oliart 2007 : 626). Cette conception, qui confine la femme au foyer et la réduit à une vie de dépendance vis-à-vis d’un père ou d’un mari, est diffusée en Amérique Latine par le courant hygiéniste qui répand largement le modèle européen de la femme-mère dédiée à ses enfants (Oliart 2007 : 627). C’est précisément la transgression de ce rôle maternel et de la position domestique qui lui est relative que condamnent et cherchent à corriger les autorités religieuses d’alors. Cette représentation sociale sexuellement divisée sera transmise par le biais de l’éducation via les écoles religieuses européennes et américaines qui fleurissent à Lima à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Aujourd’hui, la permanence du poids de l’Église dans l’État (Klaiber 2008; La Torré 2008), l’éducation et la vie quotidienne péruviennes, combinées à l’ancrage social et culturel ancien de ce modèle de domination masculine, se

reflètent dans la permanence du mariage comme pression sociale et dans l’association des figures de femme et de mère.

Aujourd’hui, la femme demeure socialement destinée au mariage et à la vie de famille. Yanaylle García a analysé le discours de jeunes femmes péruviennes de moins de 25 ans (Yanaylle García 1996) et démontre comment le mariage, contracté à un âge considéré comme décent ou adéquat, constitue une pression sociale pour que la femme parvienne à un état de complétude. Soumise aux conventions sociales par la famille, les amis et le voisinage, « le fait de se mettre en couple puis la maternité qui en découle représentent l’état idéal de féminité, être affectueuse et protégée : être l’épouse » (Yanaylle García 1996 : 89). De même, dans une étude effectuée sur deux générations de femmes péruviennes de classe moyenne, Norma Fuller démontre que l’autonomie féminine et la reconnaissance sociale passent par l’acte du mariage et la maternité pour la génération des années 1970. Dans le cas de la génération des années 1980, la socialisation familiale et scolaire les conduit également vers le mariage. Celui-ci est toujours reconnu comme un important moyen de pression sociale, mais ces jeunes femmes ont assimilé le discours qui repousse ce modèle comme étant idéal. Elles ne veulent donc plus se limiter à être mère et épouse et ont plus d’exigences d’autonomie et de communication. Pourtant, l’étude de leur discours souligne à quel point les anciens modèles sont toujours sous-jacents (Fuller Osores 1993 : 167-94). Le rôle de la femme en tant qu’épouse et mère, et sa place au sein des sphères domestique et familiale, ne relèvent donc pas simplement de l’imaginaire collectif, mais d’une convention sociale hautement genrée, dans le sens où le genre « désigne les attributs et les rôles traditionnels accordés à chaque sexe dans l’ordre des représentations » (Cardi).

Considérée comme le pilier moral de la famille, la femme-épouse-mère est associée à des figures de bonté, de patience et de douceur qui excluent toute idée de transgression sociale. L’ordre social sexué établi qui distingue la sphère familiale privée de la sphère publique ne conçoit pas la femme comme un acteur pouvant transgresser les normes sociales et légales puisqu’elle en est le garant. « En tant que citoyens privés, les femmes doivent fournir à leurs époux et leurs enfants en général des valeurs spirituelles et un guide moral qui confère une stabilité, a fortiori pour l’espace public » (Radcliffe and Westwood 1999 : 211). Si la femme vient à sortir de l’espace domestique, c’est pour accomplir un rôle de charité ou de médiateur pacificateur :

« Son rôle dans la sphère publique est fondamental parce que c’est elle qui est la gardienne du futur des nations et qui concilie les conflits […]. Elle agit comme un

exemple, un guide […], mais son pouvoir moral est circonscrit à l’exemple et à la médiation. Les tâches qu’elle réalise se réduisent à la sphère domestique et à la problématique féminine. Charité, éducation, médiation entre le sacré et le profane, droits de la femme, de la famille et de l’enfance » (Fuller Osores 1993 : 64).

Les quelques incursions des femmes dans la sphère publique les ramènent donc inévitablement à des rôles qui réfèrent à l’espace privé, à la maternité et à la moralité. On peut donc parler d’un « culte à la supériorité morale féminine », qui fonde les relations familiales et sociales dans une perspective genrée (Radcliffe and Westwood 1999 : 215), et qui renvoie au « machisme/marianisme » tel que l’a décrit Stevens (Stevens and Pescatello 1973).

Penser la délinquance au féminin : l’incursion des femmes dans un monde pensé comme masculin.

La délinquance est une sphère considérée comme exclusivement masculine et la rareté des travaux sur la criminalité féminine ou l’incarcération des femmes confirme cette tendance. Les rôles sociaux sexuellement divisés ont eu pour effet que, déjà au XIXe siècle, « on croyait qu’il était moins probable que les femmes participent du comportement criminel que les hommes » (Aguirre 2003 : 205). La diffusion de la figure de la femme-mère a orienté l’imaginaire vers des comportements affectueux et moralement vertueux qui ne cadrent absolument pas avec un comportement violent et/ou délinquant, et par conséquent immoral. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la sphère religieuse contrôlait le comportement de femmes jugées déviantes et non pas délinquantes. La délinquance féminine est un schème de pensée qui ne s’est construit que très récemment. L’idée d’une délinquance et d’une violence au féminin défie « l’ordre des sexes et des genres, et au-delà, l’ordre social [qui] fait de la violence un attribut du masculin viril » (Cardi and Pruvost 2011). Ainsi, « la difficulté à rendre compte de la violence, à la fois sur le plan empirique et sur le plan théorique, est redoublée par un processus d’invisibilisation des femmes » qui sont perçues comme d’ « impossibles coupables » (Cardi and Pruvost 2011).

La sociologue Coline Cardi dégage trois raisons pour expliquer le silence fait autour de la délinquance des femmes (Cardi), que je reprendrai brièvement ici. L’invisibilité de la délinquance féminine est d’abord due à la minorité numérique des femmes dans les sphères pénale et carcérale à travers le temps (Aguirre 2003; Cardi and Pruvost 2011). Aujourd’hui les femmes constituent toujours une minorité de la population pénale internationale, malgré un

récent développement du contrôle social féminin qui se traduit notamment par un processus d’incarcération féminine massive (Boutron and Constant ; Cardi 2007a; Cardi 2007b; Sudbury 2005). Dans le cas du Pérou, selon les statistiques de l’Institut National Pénitentiaire, les femmes représentent aujourd’hui 6 % de la population carcérale. Cette sous-représentation numérique semble avoir influé non seulement sur la question de la visibilité de cette part de la population, mais également sur l’établissement des politiques pénitentiaires. Toujours à partir du cas français, Cardi dégage une deuxième raison à l’invisibilité de la délinquance féminine en affirmant que « les femmes incarcérées ne sont jamais définies comme un public cible des règlements ou programmes pénitentiaires » (Cardi). Cette assertion se révèle amplement applicable au système pénitentiaire péruvien, qui considère les femmes comme un public cible exclusivement lorsqu’est établi un lien entre incarcération et maternité (Constant 2013a). Enfin, Cardi dégage une troisième raison qui relève des normes et des représentations, et qui renvoie à l’association des figures de femme et de mère décrite plus haut. Si le mouvement féministe a contribué à penser une égalité des sexes, l’intégralité du système pénal n’en reste pas moins androcentré, influencé à tous les échelons par l’idée qu’une femme est plus sensible, moralement plus fragile et donc « fragilisable » par l’expérience carcérale, et que son rôle maternel la rend plus difficilement condamnable (Cardi 2007a; Cardi and Pruvost 2011; DEMUS 2009).

Parallèlement à son analyse de la difficulté de penser la violence des femmes, Cardi critique les travaux de sociologues français tel que Gilles Chantraine dans les résultats desquels elle regrette l’absence totale de perspective genrée. Lorsqu’elle évoque « une sociologie de la déviance qui reste pénalo-centrée et […] une acception restrictive du concept de contrôle social » (Cardi), les exemples pour appuyer son propos sont nombreux. En effet, une large majorité des travaux sur les prisons à travers le monde s’attachent à l’étude des hommes incarcérés, renforçant les représentations sexuées liées à la délinquance. Ces derniers incarnent une image de virilité et de violence qui est intimement lié à leur rôle public, mais également à leur place dans la sphère privée, comme l’ont démontré Radcliffe et Westwood (1999). Dans la sphère privée, « les notions de machisme/marianisme […] tournent autour de l’idée que les relations sociales familiales […] forment les relations de genre basées sur un comportement masculin ouvertement hétérosexuel et agressif » (Radcliffe and Westwood 1999 : 215). Dans la sphère publique, l’homme a toujours été placé sur le devant de la scène dans la construction des histoires nationales et des mémoires collectives (Guardia 1985; Quijano 2004; Radcliffe and Westwood 1999 : 206), et la construction de figures héroïques masculines a fortement contribué à la perpétuation des figures masculines violentes. C’est ce

que démontre Elisabeth Badinter dans son ouvrage XY. De l’identité masculine, lorsqu’elle dénonce la propagation de l’ « idéal masculin » par deux universitaires américains. Ces derniers exposent les impératifs de la masculinité dont la définition passe par quatre symboles : le « sissy stuff », l’absence de marque efféminée ; le « big wheel », la supériorité et le pouvoir ; le « sturdy oak », l’indépendance et la force ; et enfin le « give’em hell », la suprématie de la force par l’agressivité » (Badinter 1992a : 197-98). Ces représentations de force, d’indépendance et de violence cristallisent l’opposition entre l’homme comme figure publique, forte et indépendante et la femme comme figure privée, faible et dépendante. Ainsi, aujourd’hui encore, l’imaginaire collectif associe la délinquance à une sphère masculine qui rassemble les caractéristiques viriles et violentes qui s’opposent à la douceur et la bonté de la figure féminine maternelle.

Les femmes délinquantes effectuent donc une double transgression puis qu’elles violent non seulement les normes légales, mais également les normes sociales genrées. L’acte délictueux dont elles se rendent coupables est figuré non seulement vis-à-vis de la loi, mais également vis-à-vis de la sphère familiale, lorsqu’elles transgressent le rôle maternel, le « mythe ravageur de l’instinct maternel » qui les confine biologiquement à l’éducation et au soin des enfants (Badinter 1992a : 102-06). Leur incarcération les propulse finalement dans un univers pensé comme masculin, donc essentialisé comme violent, où elles n’ont pas leur place. De la construction de l’antinomie entre femmes et univers carcéral découle logiquement la construction de figures d’anormalité autour des femmes incarcérées.

b. La perception populaire de la délinquance : la prison, les crimes et les délits des femmes à travers la presse péruvienne.

La construction de figures de « monstres » infanticides.

Les personnes condamnées pour homicide représentent 7 % du total de la population carcérale péruvienne et 5 % de la population féminine de Chorrillos I (2012c : 25; INPE 2012b). Malgré la minorité numérique des femmes condamnées pour homicide, la mère infanticide demeure la figure condamnable et impardonnable par excellence. Les responsabilités de procréation, d’éducation et de protection des enfants qui sont assignées aux femmes essentialisent leur place et leur rôle dans la société. Dès lors que l’une d’entre elles porte atteinte à la vie de sa progéniture, la presse effectue une analyse moralisatrice qui permet à l’opinion publique de juger l’acte comme essentiellement maternel et immoral.

Prenons le cas de Isabel Tello qui, en 2011, a torturé et assassiné sa fille de neuf ans. Deux types de journaux qui se sont fait l’écho de ce fait divers seront repris ici. Il s’agit d’un côté de La República, un quotidien reconnu pour émettre de l’information de qualité, et qui s’oppose, notamment par son lectorat, à Trome, un journal de la presse dite « chicha » ou encore « amarilla », réputée pour la diffusion quasi exclusive de faits divers souvent violents ou morbides. Présentant le cas de l’assassinat de cette petite fille, les deux journaux décrivent la femme infanticide comme une mère « dénaturalisée », « dépravée », qui a commis un crime « inhumain » et « sauvage », faisant preuve de « férocité ». Elle aurait agit « sans remords », pour laisser derrière elle une scène « atroce » (2011a; 2011e). L’ensemble de ces qualificatifs la représente ainsi dans un état plus proche de l’animal que de l’être humain. Le vocabulaire employé exacerbe la cruauté du geste selon des schémas genrés qui se basent sur les normes construites autour de l’image de la femme-mère. La construction de la représentation monstrueuse est cristallisée par la récurrence dans le temps de l’expression « mère dénaturalisée » (2011f). Cette dénaturalisation est analysée par Mariana Alegre, avocate spécialiste des thèmes urbains et des droits de l’homme, lorsqu’elle étudie le traitement médiatique de l’infanticide. Elle précise que le nom de l’accusée « sera prononcé avec honte ; son adresse mise à disposition de tous et elle sera, bien entendu, une mère dénaturalisée, terrible, inhumaine » (Alegre Escorza 2012). Et de fait, l’adresse de Isabel Tello est publiée dans les journaux susmentionnés. Le traitement de ce type de crime par la presse est identique dans d’autres pays de la région où l’on parle par exemple de crimes « nauséabonds » lorsqu’il s’agit d’un infanticide perpétré par la mère (2012d).

Dans le cas des hommes, plus que l’infanticide, c’est le viol sur mineurs, et a fortiori sur leurs propres enfants, qui constitue un crime hautement condamnable et impardonnable. Un cas récent et emblématique est celui de Elvis Oswaldo Egoavil Julcarima, rebaptisé « le monstre de Satipo » [du nom de sa ville de résidence] par la presse. Au fil des articles, ce jeune père de famille de 22 ans est qualifié tantôt de « dégénéré » (2011h), tantôt d’être « sans âme » (2011g) ou « dénaturalisé » (2011i). Que la figure infanticide soit masculine ou féminine, l’idée d’un acte contre-nature ressurgit régulièrement comme l’argument central permettant l’expression d’une condamnation populaire qui ferait l’unanimité. Or, la construction des figures infanticides monstrueuses n’implique pas une transgression contre-nature de même ordre, selon le sexe. Dans le cas où l’accusé est un homme, cette construction ne passe pas par la figure paternelle, mais par celle d’une sexualité immorale. C’est l’usage détourné de sa sexualité et de ses attributs virils qui participe de l’élaboration d’une figure de transgression monstrueuse. Dans le cas des femmes, cette construction passe

fondamentalement par le lien filial, maternel, qu’il y ait eu ou pas viol sur le mineur assassiné. Au regard de la construction sociale de la figure de la femme-mère qui a été décrite plus haut, celle du monstre infanticide féminin se base donc sur une opposition entre criminalité et maternité. La femme doit « assumer […] le mandat de la maternité », quelles qu’aient été les conditions de conception (Silva Santisteban 2009 : 85-86). L’infanticide constitue par conséquent une double infraction pour les femmes : l’accomplissement d’un acte violent envers leur progéniture les figure comme mères coupables d’enfreindre non seulement la loi pénale, ce qui point dans la presse uniquement dans la mention du transfert en prison, mais également et surtout une loi sociale clairement naturalisée. Si la femme n’est plus mère, elle apparaît alors comme une figure anormale et inhumaine qui ne peut que la rendre monstrueuse aux yeux de ses pairs.

L’hystérie des femmes jalouses.

Dans la presse nationale, il est fréquent de trouver une autre figure de la femme criminelle, celle qui mutile ou assassine son conjoint. Souvent décrit comme un acte commis dans un accès de folie, l’exacerbation de la barbarie passe dans ce cas par des références à l’hystérie et la jalousie. La femme est présentée non plus comme une mère, mais comme une épouse ou une conjointe qui porte atteinte à l’intégrité physique de son époux. On retrouve alors l’autre facette qui complémente la figure de la femme dans l’imaginaire marianiste : si elle n’est pas mère, elle doit être épouse. Si les références à la consommation d’alcool et à l’infidélité sont fréquemment évoquées comme motifs ou conditions du passage à l’acte délictueux, la presse ne fait jamais mention d’éventuelles circonstances atténuantes ou du contexte familial vécu et subi, qui ne justifierait pas l’acte, mais donnerait à comprendre les circonstances d’un geste qui pourrait être la manifestation d’un désespoir certain. Comme c’est le cas pour d’autres figures cibles des médias tels que les homosexuels (Cosme, et al. 2007), l’exacerbation de l’aspect scandaleux des faits ainsi que la présentation dégradante et avilissante des suspects constitue un sujet de prédilection de la presse en général, et de la presse à scandales en particulier.

Le traitement des délinquantes homosexuelles.

Selon Chamberland et Théroux-Séguin, l’hétéronormativité constitue une norme qui « traverse les corps et les pratiques entourant les processus de sexualité. Elle ne fait pas que

dicter, discipliner le corps en ‘féminin’ ou en ‘masculin’, mais permet du même coup une conduite sexuelle définie moralement » (Chamberland and Théroux-Séguin 2009). Cette dimension morale dans l’édiction de la norme permet l’établissement d’une structure sociale opposant normalité et anormalité, comme l’a souligné Cosme (Cosme, et al. 2007). Je reviendrai plus longuement sur ce cadre théorique dans le chapitre 9. Dans le cas des délinquantes homosexuelles, la transgression de la norme sociale peut être perçue comme triple. En effet, cette figure enfreint la légalité, mais le pacte social sera ressenti comme d’autant plus violé que non seulement le délinquant est une femme, mais de surcroît son orientation sexuelle l’apparente à une figure anormale. Aussi, étant donné que « les caractéristiques qui sont associées à la lesbienne masculine renvoient à un corps négligé et repoussant, voire difforme, à la dureté et la violence » (Chamberland and Théroux-Séguin 2009), cette perception ajoute à la construction d’anormalité. Si l’imaginaire collectif associe la violence à la masculinité, il associe par conséquent la figure de la lesbienne masculine à la violence. Les délinquantes homosexuelles, et a fortiori les lesbiennes d’apparence jugée masculine, sont donc socialement condamnées pour transgresser leur rôle de mère et d’épouse, mais aussi pour avoir adopté des pratiques affectives et sexuelles d’une part, et des codes délinquants et violents d’autre part, qui seraient le domaine réservé de la masculinité.

Un cas emblématique qui a régulièrement accaparé l’attention des médias entre 2006 et 2012 est celui du couple formé par Eva Bracamonte y Liliana Castro. Accusées d’avoir commandité l’assassinat de la mère de la première, les deux jeunes femmes ont été arrêtées et incarcérées dans la prison de Haute Sécurité pour femmes Anexo de Mujeres de Chorrillos. Comme dans le cas des femmes infanticides, la terminologie employée dans les médias pour décrire ces deux femmes, bien avant leur condamnation ou leur relaxe, construit et met en exergue des figures anormales. Lors de son incarcération, les médias rapportent que Eva Bracamonte fait une « crise de nerfs » et qu’elle « s’est tapé la tête contre les grilles » de la