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De l’école des filles au travail des femmes : évolution des inégalités selon le sexe

a. De l’accès à l’éducation des jeunes filles.

Évolution du taux d’assistance des élèves inscrits dans des établissements d’éducation primaire, secondaire et supérieure selon le sexe.

Les études statistiques récentes démontrent que les brèches éducatives en terme de taux d’inscription, d’assistance et de réussite, par sexe et par région, se sont considérablement réduites au cours des dernières années. Parallèlement aux données actuelles, il est intéressant de regarder l’évolution de ce type d’inégalité depuis les années 1980 afin de mieux comprendre les trajectoires de vie des femmes incarcérées aujourd’hui, lesquelles sont majoritairement jeunes. Je m’intéresserai aux statistiques nationales et à celles qui concernent la région de Lima, car c’est de ce département que provient la grande majorité des femmes incarcérées à Chorrillos I. Pour cette raison, et dans un souci de clarté et de concision, je n’effectuerai pas systématiquement la distinction entre zones rurales et zones urbaines26.       

26 Les brèches qui divisent les élèves de primaire, secondaire et les étudiants universitaires selon des critères de sexe sont encore très marquées entre zones rurales et zones urbaines du Pérou. Patricia Ruiz

Tableau nº2.1. : Taux d’assistance scolaire de la population de 5 ans et plus, selon le sexe et l’âge, à échelle nationale.

1981 1993 20103

Groupe

d’âge Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total

5-9 69,2 67,7 68,4 79,5 79 79,3 - - - 10-14 86,7 82,3 84,5 87,6 85,1 86,4 - - - 15-19 60,6 51,7 56,2 53,3 51,6 52,4 - - - 20-29 22,2 16,2 19,1 15,3 13,7 14,5 - - - 30 et + 4,4 2,9 3,7 3 2,6 2,8 - - - 5-14 77,5 74,6 76,1 83,5 82 82,7 - - - 15-29 37,5 30 33,7 29,8 27,7 28,8 - - - 3-16 90,4 90 90,2 6-11 - - 92,8 12-16 - - 75,7 TOTAL 38,5 34 36,2 34,8 32,6 33,7 - - - 3 Les données statistiques disponibles pour 2010 ne regroupent pas les mêmes tranches d’âge que celles définies pour les recensements antérieurs. De plus, la distinction par sexe ne figure que très sporadiquement, ce qui explique la rareté des données détaillées pour cette année.

Source : INEI, recensements nationaux de 1981 et 1993, recensement ENAHO de 2010. Disponible sur : www.inei.gob.pe

D’après l’Institut national de statistiques et d’informatique (INEI), au début des années 1980, les hommes assistaient davantage à l’école que les femmes, quelle que soit la tranche d’âge. On remarque un écart substantiel du taux d’assistance selon le sexe dans la tranche d’âge 15-19 ans, c’est-à-dire à l’adolescence, et pour les deux sexes une baisse significative du même taux entre 15 et 19 ans. Les écarts existants se resserrent de manière notoire pendant la décennie 1990 et apparaissent finalement minimes en 2010. Si les écarts en termes de scolarisation par sexe se sont resserrés, il est un indicateur d’écart qui demeure très fort, c’est         Bravo insiste notamment sur le fait que, malgré l’accès croissant des femmes au système éducatif, les résultats ne sont pas ceux espérés en termes de changements des discours et des pratiques, et l’école continue de reproduire les anciens systèmes de domination sociale, raciale et de genre (Ruiz Bravo 2007).

Cavagnoud, Robin

2011 Entre la escuela y la supervivencia: trabajo adolescente y dinámicas familiares en Lima. Lima: IFEA, Instituto francés de estudios andinos : IEP, Instituto de estudios peruanos : Fundación Telefónica.

celui de l’âge. Quelles que soient les tranches d’âge choisies selon les années de recensement, l’adolescence (qui regroupe les 12-19 ans, si l’on recoupe les tranches d’âge définies entre 1981 et 2010) constitue définitivement une étape durant laquelle l’assistance scolaire diminue fortement, tant chez les femmes que chez les hommes. On peut donc parler de forte désertion scolaire à l’adolescence.

Évolution de l’accès des femmes à l’université.

Tableau nº2.2. : Population universitaire diplômée, par sexe, en %.

1980 1990 2010

Hommes 62 60,4 47,6

Femmes 38 39,6 52,4

Total 100 100 100

Source : Recensements universitaires de 1980, 1990 et 2010 de l’Assemblée nationale des recteurs (ANR). Disponible sur : http://www.anr.edu.pe

Tableau nº2.3. : Etudiants inscrits en licence et master, par sexe, selon le lieu d’apprentissage, pour l’année 2010.

Département Etudiants de licence Etudiants de master

Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total

Lima 155 477 49,8 % 156 932 50,2 % 312 409 100 % 48,8 % 13 917 51,2 % 14 628 28 545 100 %

Pérou 400 145 51,1 % 382 825 48,9 % 782 970 100 % 48,2 % 27 158 51,8 % 29 200 56 358 100 % Source : II recensement national universitaire (INEI-ANR 2011). Disponible sur : http://200.48.39.65/

L’accès croissant des femmes à l’université depuis les années 1960 est une des conséquences des mouvements féministes. Les femmes passent de ne représenter que 25,4 % des étudiants inscrits à l’université en 1960 à 45,2 % en 2004 (Díaz 2008). Ainsi, entre 1980 et 2010, l’écart qui séparait les hommes des femmes en termes d’obtention de diplômes universitaires a été largement resserré, ces dernières représentant aujourd’hui la majorité des nouveaux diplômés à échelle nationale. Si l’on observe les statistiques concernant l’éducation

universitaire pour l’année 2010, on remarque qu’à échelle nationale les hommes ont tendance à maintenir une légère prédominance numéraire jusqu’au niveau licence (51,1 %), tandis que les femmes sont aujourd’hui plus nombreuses à être inscrites en master (51,8 %) et dans les deux niveaux de formation confondus pour le département de Lima.

Parallèlement à l’examen des taux d’assistance scolaire et de réussite universitaire par sexe, une donnée complémentaire qu’il est important d’observer est celle des taux d’analphabétisme par sexe à échelle nationale.

Tableau nº2.4. : Taux d’analphabétisme par sexe.

1981 1993 2007

Hommes 9,9 7,1 3,6

Femmes 26,1 18,3 10,6

Total 18,1 12,8 7,1

Source : INEI, recensements nationaux de 1981, 1993 et 2007. Disponible sur : www.inei.gob.pe

Tableau nº2.5. : Taux d’analphabétisme de la population de 15 ans et plus, selon le sexe et la zone géographique. Année Total Urbaine Rurale

Total Hommes Femmes Total Hommes Femmes Total Hommes Femmes

1940 57,6 45 69,3 - - - - - - 1961 38,9 25,6 51,7 17,7 9,3 25,8 59,4 41,6 76,2 1972 27,2 16,7 38,2 12,5 5,9 19,1 51,9 34,3 69,2 1981 18,1 9,9 26,1 8,1 3,6 12,5 39,6 23,2 55,8 1993 12,8 7,1 18,3 6,7 3,4 9,8 29,8 17 42,9 2007 7,1 3,6 10,6 3,7 - - 19,7 - -

Source : INEI, recensements nationaux de 1940, 1961, 1972, 1981, 1993 et 2007. Disponible sur : www.inei.gob.pe

Si l’écart des taux d’assistance scolaire par sexe a diminué et si l’accès des femmes à l’université s’est largement démocratisé, en revanche l’analphabétisme, s’il a été notablement

réduit depuis le début des années 1980, constitue toujours un facteur important de différenciation par sexe, tous âges confondus.

Au regard de l’ensemble de ces données statistiques, il semblerait qu’on ne puisse plus parler de réelles inégalités qui diviseraient les hommes et les femmes dans l’accès à l’éducation et, par extension, leurs opportunités d’accès à l’emploi pour un même niveau de qualification se situeraient à un niveau relativement égal. Or, les femmes demeurent davantage affectées par l’analphabétisme, le sous-emploi, le chômage, et leurs salaires, à emploi et qualifications égales, demeurent inférieurs à ceux de leurs pairs masculins.

Inégalités statistiques en termes d’emploi selon le sexe, l’âge et le niveau éducatif.

D’après l’INEI, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011 et pour la région de Lima métropolitaine, la population active compte 4 693 500 personnes, soit 69,3 % de la population nationale en âge de travailler. Cette population est composée à 40,6 % de femmes et à 49,7 % de personnes âgées de 25 à 44 ans.

Tableau nº2.6. : Taux d’activité, de chômage et de sous-emploi pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Niveaux d’emploi Trimestre novembre 2010-janvier 2011

Taux d’activité 92,3

Taux d’activité normal 51,8

Sous-emploi 40,5

Sous-emploi horaire 13,3

Sous-emploi salarial 27,4

Chômage 7,7

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

Tableau nº2.7. : Taux de chômage selon le sexe et l’âge, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Sexe/groupe d’âge

Trimestre novembre 2010-janvier 2011

Hommes 5,9 Femmes 9,9 14-24 ans 17,5 25-44 ans 5 45 ans et plus 3,3 Total 7,7

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

Le chômage touche 7,7 % de la population active de Lima métropolitaine et affecte inégalement les hommes et les femmes, car il concerne 9,9 % de la population active féminine et seulement 5,9 % de la population active masculine. Les femmes représentent ainsi 57,8 % et les jeunes âgés de 14 à 24 ans 17,5 % de la population active au chômage. Le taux de emploi général dépasse les 40 %, avec 13,1 % de la population active en situation de sous-emploi horaire et 27,4 % en situation de sous-sous-emploi salarial, c’est à dire sous-rémunérée.

Tableau nº2.8. : Salaire mensuel moyen selon le sexe, l’âge et le niveau d’éducation, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Caractéristiques

Salaire moyen (en nuevos soles)

Variation par rapport au trimestre précédent (en nuevos soles) Sexe Hommes 1335,10 +53,7 Femmes 904,80 +3,5 Total 1151,80 +35,3 Age 14-24 ans 703,20 -0,8 25-44 ans 1237,90 +29,50 45 ans et plus 1336,40 +69,40 Niveau d’éducation Primaire 756,50 +90,50 Secondaire 869,70 +62,60

Supérieure non universitaire 1090,60 -52,8

Supérieure universitaire 2044,60 +0,6

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

En termes de salaires, la permanence d’une brèche selon le sexe demeure un constat valable aujourd’hui. Le salaire des femmes représente 67,8 % du salaire des hommes, avec une différence moyenne de S./430,30. De plus l’augmentation de salaire est bien plus importante pour les hommes que pour les femmes.

Graphique nº2.1. : Taux de population active qui occupe un emploi selon le niveau d’éducation, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

 

Tableau nº2.9. : Taux de population active à taux d’activité normal selon le sexe, l’âge et le niveau d’éducation pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima

métropolitaine. Caractéristiques Taux Sexe Hommes 69,2 Femmes 30,8 Total 100 Age 14-24 ans 13,7 25-44 ans 60,9 45 ans et plus 25,4 Total 100 Niveau d’éducation Primaire ou inférieur 7,5 Secondaire 48,7

Supérieure non universitaire 18,4

Supérieure universitaire 25,4

Total 100

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

Tableau nº2.10. : Taux de population en situation de sous-emploi horaire selon le niveau d’éducation, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Caractéristiques Taux Sexe Hommes 41,7 Femmes 58,3 Total 100 Age 14-24 ans 24,8 25-44 ans 51,7 45 ans et plus 23,4 Total 100 Niveau d’éducation Primaire ou inférieur 7,7 Secondaire 43,2

Supérieure non universitaire 18,9

Supérieure universitaire 30,2

Total 100

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

Tableau nº 2.11. : Taux de population en situation de sous-emploi salarial selon le niveau éducatif, pour le trimestre novembre 2010-janvier 2011, pour Lima métropolitaine.

Caractéristiques Taux Sexe Hommes 38,1 Femmes 61,9 Total 100 Age 14-24 ans 36,3 25-44 ans 41,3 45 ans et plus 22,4 Total 100 Niveau d’éducation Primaire ou inférieur 14,3 Secondaire 63,1

Supérieure non universitaire 14

Supérieure universitaire 8,5

Total 100

Source : INEI, Enquête permanente de l’emploi (EPE). Disponible sur : www.inei.gob.pe

Tableau nº 2.12. : Taux de population active occupée dans les régions urbaines, selon le sexe et le secteur d’activité, pour l’année 2008.

Secteur d’activité Taux

Hommes Femmes

Agriculture, pêche, secteur

minier 12,1 5,7 Manufacture 15,7 11,9 Construction 9,6 0,4 Commerce 14,6 31,4 Transport et communications 15,5 2,5 Autres services1 32,5 48,1 TOTAL 100 100 1

Comprend le secteur financier, immobilier, entrepreneurial, l’enseignement, les services sociaux et de santé.

Source : INEI, Enquête nationale des Ménages (ENAHO), 2008. Disponible sur : www.inei.gob.pe

Au regard de l’ensemble de ces données, on distingue aisément combien les critères de sexe, d’âge et de niveau d’éducation représentent des facteurs dont l’imbrication influe de manière décisive sur l’accès au marché du travail et sur la qualité de l’emploi occupé, en termes horaire et salarial. Si l’on ouvre la perspective à une échelle macrosociologique et macroéconomique, le phénomène inégalitaire genré en termes d’éducation et de travail continue d’affecter une importante partie de la population féminine internationale, en particulier les femmes les plus pauvres issues de pays en voie de développement, qui occupent souvent des emplois informels liés aux activités commerciales ou sont affectées à des emplois de service, étant considérées et traitées comme une main-d’œuvre flexible et bon marché (Falquet 2008; Locoh and Puech 2011).

D’après les données récoltées durant l’enquête, j’étudierai les trajectoires de vie des femmes incarcérées en partie sur la base des trois facteurs que je viens d’observer : le sexe, l’âge et le niveau d’éducation. Je tenterai de déterminer dans quelle mesure ces critères peuvent affecter les femmes dans leur accès à l’emploi et les mener à commettre un acte de délinquance de subsistance à un moment donné de leur vie. Je me demanderai également dans

quelle mesure les critères sociaux, économiques et culturels peuvent s’ajouter aux premiers pour influer sur la trajectoire éducative et de travail des femmes.

b. Écoles publiques, écoles privées et le modèle à trois tours : spécificités du système éducatif péruvien.

Évolution de l’éducation publique et privée au Pérou depuis le tournant néolibéral des années 1990.

La pédagogue argentine Adriana Puiggrós soutient que « l’argument central des politiques éducatives néolibérales [selon lequel] les grands systèmes scolaires sont inefficaces, inéquitables et leurs résultats de mauvaise qualité » (Puiggrós 1996) a été largement répandu en Amérique latine depuis une vingtaine d’années. Pour les réformateurs néolibéraux, ce constat d’échec de l’éducation publique justifie par conséquent « les politiques de réduction de la responsabilité de l’État dans l’éducation, présentées comme la seule réforme possible » (Puiggrós 1996). Cette logique a mené à une large privatisation des systèmes éducatifs sur le continent, et notamment au Pérou, où ces réformes sont guidées par « des politiques qui s’inspirent principalement de la logique de marché » et exercent depuis la décennie 1990 « des pressions ostensibles pour privatiser des segments du système scolaire » (Rivero 1997 : 113). Un des arguments de ces politiques de réforme consiste à associer privatisation et modernité, argument qui ne peut que séduire les masses après la succession de gouvernements militaires depuis les années 1960 et le conflit armé interne des années 1980, période durant laquelle le pays a connu une hyperinflation économique historique (Torres Paredes 2008) qui incarne l’antithèse du modèle de modernité néolibéral.

La croissance du nombre de centres éducatifs tous niveaux confondus depuis les années 1980 est exponentielle et le monde de l’éducation a connu une véritable métamorphose avec la création massive d’établissements de secteur privé. En 1995, le gouvernement de Fujimori promulgue la loi nº26549 selon laquelle « toute personne naturelle ou juridique a le droit de promouvoir et de diriger des centres et des programmes éducatifs privés. Les centres éducatifs privés peuvent adopter l’organisation la plus adéquate à leurs fins, en respectant les normes du droit commun ». Une telle disposition législative permet l’ouverture de centres éducatifs de niveaux primaire et secondaire privés avec les « fins » qui conviennent à son fondateur, même si celles-ci sont lucratives. Aussi, le contenu de l’enseignement, la méthodologie et le système pédagogique sont libres d’être établis selon les critères de chaque fondateur, ce qui a donné

lieu par la suite à de nombreuses critiques concernant la qualité douteuse de l’éducation que pouvaient recevoir de nombreux enfants et adolescents scolarisés dans les structures privées du pays (Díaz 2008; 2012). Or les écoles privées jouissent pour la plupart de la réputation d’un enseignement, de conditions d’étude et de niveau des professeurs de qualité bien supérieure à celle que l’on trouve dans le domaine public.

Aux niveaux primaire et secondaire, à échelle nationale, 50 % des écoles sont aujourd’hui privées, un pourcentage qui se réduit à 30 % pour l’agglomération de Lima (2012). D’après le ministère de l’éducation, pour l’année 2005, 20 % des élèves de primaire et de secondaire étudiaient dans une école privée. La différence majeure entre éducation privée et publique est celle du coût que représente l’inscription, qui s’élève à environ S./50 par an pour le public, alors qu’elle peut atteindre plus de S./1000 par mois dans le privé, selon le prestige et la réputation de l’établissement. La distinction qui s’opère entre les élèves suit donc un axe économique qui oppose les classes les plus aisées qui peuvent offrir à leurs enfants un service éducatif coûteux, mais a priori de qualité, aux classes les plus modestes qui doivent se contenter d’un service public peu onéreux, mais dont la qualité d’enseignement laisse à désirer.

La même division s’opère au niveau universitaire. Les universités privées étaient rares jusqu’à la fin des années 1950, puisque le Pérou comptait 10 universités dont 9 étaient publiques. En 1969, le pays comptait 30 universités dont 10 privées. Durant la décennie 1980, le nombre de nouvelles universités privées augmente considérablement, face à un secteur public qui est incapable de répondre à l’augmentation de la demande en matière d’éducation supérieure. Ainsi, en 1989, le pays comptait 49 universités dont 22 privées. En 1996, par le biais du décret législatif 882, le gouvernement de Fujimori, comme il l’avait fait l’année précédente avec l’éducation primaire et secondaire, accorde le droit aux universités de fonctionner comme des entreprises à but lucratif. Ainsi, selon l’évolution croissante observée depuis les années 1960 et à la faveur des dispositions législatives sur la privatisation de l’éducation supérieure, le Pérou compte aujourd’hui 93 universités dont 57 sont privées et attirent la moitié des étudiants du pays (voir graphiques nº2.2. et 2.3.) (Díaz 2008). La différence majeure entre éducation supérieure privée et publique, outre le niveau d’enseignement qui fait débat (Díaz 2008 : 166), consiste de nouveau en des écarts de tarifs considérables. L’inscription à l’Université Nationale Mayor San Marcos coûte environ S./1500 pour une année de licence, tandis que pour un même niveau, les tarifs de l’Université Catholique du Pérou, qui relève du secteur privé, s’élèvent à plusieurs milliers de dollars.

Graphique nº2.2 : Évolution du nombre d’universités publique et privées, pour la période 1959-2008.

Source : (Díaz 2008).

Graphique nº2.3 : Évolution de la proportion des étudiants inscrits à l’université, selon le type d’université.

Source : (Díaz 2008).

La privatisation massive de l’éducation péruvienne à tous les niveaux depuis les années 1980-90 s’est effectuée en réponse à la faible adaptation des pouvoirs publics face à une croissance démographique forte et une conséquente augmentation de la demande en matière éducative. Malgré l’ouverture de nouvelles écoles, collèges et universités publics, l’État

péruvien n’a pas pu absorber la nouvelle demande et se trouve aujourd’hui face à une situation où les mauvais résultats scolaires, qui ont ouvert la voie à la privatisation, sont un constat qui est toujours d’actualité. La population péruvienne se divise donc entre les secteurs les plus aisés, qui peuvent s’offrir une éducation de qualité, garantissant ainsi a priori une trajectoire scolaire et un savoir-faire qui constituent des atouts pour l’entrée dans le monde du travail, et qui s’opposent aux secteurs socio-économiques les plus défavorisés, scolarisés soit dans le secteur public, soit dans un secteur privé qui dispense une éducation de qualité douteuse, et qui doivent de toute façon faire face à une dépense, aussi minime soit-elle, tout en sachant que leur formation éducative ne leur offre pas les meilleures clés pour entrer dans le monde du travail.

Un système scolaire adapté à la réalité de l’enfance péruvienne.

Comme je viens de le montrer, l’accès à l’éducation représente un coût économique certain. Même dans le secteur public, l’inscription n’est pas gratuite et les parents doivent parallèlement affronter les dépenses relatives à l’uniforme scolaire et aux fournitures. Comme l’a analysé Cavagnoud (2011), les frais qu’engage la scolarisation des enfants sont parfois insurmontables pour les familles les plus pauvres, et il arrive que les enfants commencent à travailler afin de financer leurs études primaires ou secondaires. Pour faire face à cette réalité sociale, le système scolaire étatique fonctionne sur un modèle à trois tours. Les familles inscrivent leurs enfants à l’un de ces trois tours et ces derniers ne suivent donc des cours que le matin, l’après-midi ou le soir.

« Cette organisation du rythme scolaire au Pérou est primordiale parce qu’elle permet aux garçons, aux filles et aux adolescents d’être libres durant une bonne partie de la journée pour se dédier à d’autres activités comme, par exemple, une activité d’ordre économique pour participer au budget de la famille » (Cavagnoud 2011 : 104).

Grâce à ce système, les enfants demeurent scolarisés tout en travaillant à temps partiel. En parallèle des écoles publiques, il existe également de nombreux « instituts non scolarisés », établissement privés reconnus par le ministère de l’éducation qui offrent la possibilité aux enfants ou aux adultes de travailler à temps complet tout en suivant des cours de primaire ou de secondaire, le soir ou les samedis et dimanches. Comme l’a analysé Cavagnoud, ces instituts accueillent majoritairement des adolescents qui tentent de se rescolariser après avoir

abandonné l’école primaire ou d’autres qui nécessitent davantage de temps à consacrer à leur activité économique (Cavagnoud 2011 : 106). La charge de travail y est plus légère, mais le programme allégé n’est pas aussi complet que celui dicté dans les écoles publiques. Il existe donc une différence de qualité éducative qui divise les élèves les plus pauvres selon qu’ils doivent assumer, parallèlement à leur scolarité, une activité économique plus ou moins lourde en termes horaires.

c. Éducation, maternité adolescente et le tabou de la sexualité.

Education et maternité adolescente.

La maternité adolescente demeure un concept flou dans la mesure où les limites d’âge établies peuvent différer selon les organismes d’étude et selon les pays. De manière générale,