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Les chemins de la délinquance

a. Première (et dernière) incarcération : la prison comme une étape passagère dans une stratégie de survie.

Le sociologue Pérez Guadalupe a étudié et typifié la culture carcérale et les subcultures de la délinquance péruvienne. Dans son ouvrage « La construcción social de la

realidad carcelaria » (Pérez Guadalupe 2000a), que je lirai ici en parallèle d’un article intitulé

« Subculturas delictivas y cárceles en América latina » (Pérez Guadalupe 2000b), l’auteur distingue les délinquants prisonniers des prisonniers non délinquants, la seconde catégorie référant à des personnes en première détention, innocentes ou délinquantes occasionnelles (Pérez Guadalupe 2000a : 63). Selon lui, les prisonniers non délinquants peuvent être reliés à ce qu’il analyse comme étant de « nouvelles formes de délinquance » (Pérez Guadalupe 2000a : 200-03), par opposition à une délinquance traditionnelle.

Tableau nº4.2. : Evolution de la délinquance en Amérique latine.

Délinquance traditionnelle Nouvelles formes de délinquance

Formes Vol Multiples

Usage de la violence Comme un moyen Comme une fin

Localisation Restreinte à certaines zones urbaines.

Répandue à l’intégralité des villes.

Origine sociale des délinquants

Issus des secteurs sociaux les plus pauvres.

Pas nécessairement issus des secteurs sociaux les plus

pauvres.

Apprentissage Processus de professionnalisation.

Nul. Victime choisie sur le moment et de manière

aléatoire.

Valeurs

Voler est un métier, qui procure de la fierté et permet de monter

en grade dans l’échelle hiérarchique de la carrière

délinquante.

La délinquance n’est pas un métier.

Incarcération

Au moins deux. Passage obligatoire de la carrière

délinquante.

Accidentelle

Source : (Pérez Guadalupe 2000b).

Dans cette construction d’opposition, Pérez Guadalupe relie la délinquance traditionnelle à des stratégies de survie liées à une situation de vulnérabilité :

« La délinquance traditionnelle au Pérou et en Amérique latine en général provient des secteurs populaires ou marginaux de la société et, dans certains cas, elle apparaît comme l’ ‘unique’ (ou du moins la plus viable) alternative de subsistance » (Pérez Guadalupe 2000b : 167).

apparaissent au début des années 1990 et semblent « coïncider avec la ‘globalisation’ de certains modèles économiques » (Pérez Guadalupe 2000b : 203), ce qui rappelle les analyses de Stiglitz (2002) sur l’échec de l’application des nouveaux modèles économiques en Amérique latine, et celles de Moreno sur la disparition progressive des programmes sociaux étatiques et la conséquente croissance du fossé séparant les citoyens selon des critères socio-économiques (Moreno 2003). Dans le cas du Pérou, Maruja Barrig souligne que la baisse de prestations des services de base par l’État empire durant la période 1980-1985, avec pour conséquence un « aiguisement de la pauvreté pour d’amples secteurs de la population » (Barrig 1987). C’est justement à la fin des années 1980 que le concept sociologique de stratégie de survie apparaît et connaît un certain succès dans le monde académique, bien qu’il soit encore, à l’époque, « relatif, ambigu et peu systématisé » (Haak and Díaz Albertini 1987 : 39). Ces stratégies, dans le cadre péruvien, ont particulièrement été analysées par Haak et Díaz Albertini (1987). Ces derniers reprennent les travaux de Valdés et Acuña (1981) pour définir les stratégies de survie :

« Face à des situations critiques comme celle-ci, quand un segment ou des secteurs entiers de la société voient empirer ou se détériorer leurs niveaux de vie, en arrivant à sentir sérieusement menacée leur reproduction matérielle et biologique, c’est alors que parler de ‘stratégies de survie’ a un sens, dans la mesure où ces secteurs développent un ensemble de conduites ayant pour but de ‘résister’ aux forces ou aux processus détériorants auxquels ils sont soumis » (Haak and Díaz Albertini 1987 : 40).

Face à une situation critique d’ampleur macrosociologique et macroéconomique, alors que les prestations sociales étatiques s’affaiblissent ou disparaissent, l’une de ces « conduites » de résistance réside dans de nouvelles formes de délinquance. Certaines de ces formes peuvent donc être reliées, à un niveau microsociologique, à des stratégies de survie exercées par les secteurs populaires ou marginaux.

La distinction entre délinquance traditionnelle et nouvelle établie par Pérez Guadalupe apparaît donc claire dans l’établissement de certains critères, mais il apparaît que le profil social de certains délinquants floute la frontière qu’il définit entre les deux catégories. Le sociologue précise cependant que son étude se base sur la délinquance urbaine masculine. Je verrai dans le point suivant dans quelle mesure le modèle de délinquance traditionnelle semble pouvoir s’appliquer également à la délinquance urbaine féminine. Parmi les femmes rencontrées à Chorrillos I, la majorité se trouve en situation de première incarcération. Leur

délit peut être assimilé à une stratégie de survie et leur discours traduit la résolution de ne pas vivre de nouvelle incarcération ultérieurement. Malgré le recours à une stratégie de survie illégale, elles ne se trouvent pas dans une perspective carriériste, comme c’est le cas des délinquants traditionnels. Reprenons l’entretien effectué avec Elena Pampa, cité plus haut, qui vendait de la cocaïne pour pallier les revenus irréguliers que lui procurait la vente de petits-déjeuners :

« Il y a des personnes qui disent, comment t’expliquer, elles n’ont pas de parole, moi je vois, j’écoute des conversations, c’est des mensonges ! Elles ne changent pas. Moi, disons, je peux vous mentir, n’est-ce pas, mais je ne peux pas mentir au Très Haut […]. Comment te dire, au début ça m’a beaucoup choquée ici, beaucoup, parce que c’était ma première fois, c’est la première fois que je suis là. J’ai déjà un âge avancé, j’ai un fils de 13 ans et qui a été très affecté lui aussi. Alors je me dis qu’une fois dehors, tout comme j’ai vendu [de la drogue], je peux, je vais à Gamarra65 et j’achète des choses, c’est mon truc ça, par exemple en période scolaire je me dis : ‘j’achète des ballons, et ce genre de trucs, et je les vends à un sol’, tout ça quoi. […] Je vais faire ça, mais plus rien à voir avec la drogue, c’est fini. Je sais que sinon ce serait une peine de prison ferme [sans réduction de peine] […]. Sincèrement je ne reviendrai pas, non, même en rêve je ne reviendrai pas. Même si on m’en donne [de la drogue], non. Je suis vaccinée. Parce que c’est vraiment dur […]. Quand je sortirai je préférerai manger du riz avec un œuf au plat plutôt que de retomber là-dedans. »66

Depuis que la mère de Janeth est sortie de prison, elle vend des légumes et des fruits durant les jours de visite. Elle s’assure ainsi un revenu modeste, mais régulier pour son foyer, et sa fille rapporte ses paroles en ces termes : « Maintenant ma mère dit qu’elle préfère manger deux œufs et rien d’autre plutôt que de retomber dans la vente [de drogue] »67. Ces deux cas de figure traduisent une appartenance des acteurs aux secteurs sociaux les plus défavorisés pour lesquels le trafic de drogue s’est révélé représenter, à un moment donné de leur vie, une alternative de subsistance viable, pour reprendre les termes de Pérez Guadalupe. Cette activité illégale leur permet de résister à un état matériel qui compromet leur condition biologique et celle de leur famille. Pourtant, ces femmes ne se situent pas dans une perspective de délinquance traditionnelle dans le sens où elles ne sont professionnalisées dans aucune forme

       65

Gamarra est un empire commercial textile situé à Lima.

66

Entretien réalisé en octobre 2007.

de délinquance et sont déterminées à ne pas vivre de nouvelle incarcération. Détenue également pour la première fois, Yolanda évoque son expérience carcérale comme une erreur de parcours :

« On doit apprendre à regarder nos erreurs […]. J’ai laissé [en Espagne] un fils de 5 ans et je vais le retrouver, il en aura 8. Mais il va trouver une mère différente aussi. Il va trouver une mère plus dure, plus forte. La drogue, je l’écarte de mon chemin, ça ne te mène à rien de bien […]. Quand je rentrerai […] surtout il ne faudra plus penser à ce que je n’ai pas […]. Je vais m’en tenir aux petites choses, je saurai valoriser ces petites choses […]. On n’a pas de quoi acheter des bonbons ? Et bien on n’en achète pas. Il faut raccommoder les pantalons deux fois ? Et bien on raccommode deux fois. Au moins tu es en contact avec les tiens, parce que c’est dur, c’est dur, être ici c’est dur. »68

Les anecdotes relatives à sa vie antérieure montrent que Yolanda avait des moyens économiques très réduits qui les ont amenés, elle et sa famille, à connaître des situations de nécessité, et c’est en partie pour cela qu’elle a accepté de faire le voyage au Pérou en tant que mule. Son discours montre une détermination de changement de modalités vis-à-vis de ses habitudes passées, tant dans son rapport à la drogue qu’à la consommation marchande. Les nouveaux modes de vie imposés par la société de consommation de masse et largement diffusés et propagés par les médias construisent des schémas en dehors desquels les individus ne se sentent pas socialement inclus. Ceux qui ne suivent pas les modèles imposés se sentent marginalisés, la pression économique et la situation de nécessité les empêchant de succomber aux tentations de consommation, comme l’a démontré Cavagnoud dans le cas d’adolescentes péruviennes (Cavagnoud 2009 : 338). Les cas des femmes que nous venons de voir sont similaires à la majorité de ceux rencontrés à Chorrillos I. Ces femmes sont des prisonnières non délinquantes. Pour elles, la délinquance n’est pas un métier et ne procure aucun prestige, et la prison est vue comme un accident de parcours, une erreur, une étape passagère où les a menées la recherche de stratégies de survie.

 

       68 Entretien réalisé en octobre 2007.

b. Récidive et carrière délinquante chez les femmes. La prison comme étape possible d’une vie d’informalité et de délinquance.

La carrière délinquante a été définie par Pérez Guadalupe (2000a) par opposition à une pratique délinquante occasionnelle qui s’apparenterait à une erreur ou un hasard. Les détenus de carrière délinquante, issus majoritairement de la délinquance traditionnelle, s’identifient comme délinquants prisonniers - par opposition aux prisonniers non délinquants - et en tirent une certaine fierté. Pérez Guadalupe analyse ces individus comme des « délinquants socioculturels », désireux de transmettre par cette expression le fait qu’il s’agit d’un phénomène social et culturel de groupe et non pas individuel. Ce groupe partage non seulement la pratique du vol, mais également des valeurs qui leur permettent de s’identifier à la culture de la délinquance (Pérez Guadalupe 1998; Pérez Guadalupe 2000b). Ils appartiennent ainsi « non seulement à une culture de la prison, mais aussi aux subcultures délinquantes de chaque pays » (Pérez Guadalupe 2000a : 64-67). Leur profil rassemble quatre caractéristiques majeures : a) ils ont connu au moins deux incarcérations, dont au moins une en centre pour mineurs, b) en dehors de la prison ils vivent quotidiennement du vol, c) leur vie, leur mode de vie et leurs valeurs se rapportent à des ambiances de délinquance, d) ils se reconnaissent comme des voleurs et reconnaissent qu’ils reprendront ce « métier » après leur sortie de prison (Pérez Guadalupe 2000a : 69). Etant donné que ces analyses s’appliquent à un public carcéral masculin, dans quelle mesure peut-on parler de délinquance socioculturelle chez les femmes ? Existe-t-il, comme dans les prisons d’hommes analysées par le sociologue péruvien, des femmes qui revendiquent leur appartenance à une culture de la délinquance, qui auraient vécu plusieurs incarcérations et n’auraient pas d’autre perspective à leur sortie que de reproduire le vol tel qu’elles le pratiquaient dehors ?

Si ces cas de figure sont rares, ils existent pourtant chez les femmes. En 2007, j’ai rencontré un groupe jeunes femmes du pavillon C, réservé aux récidivistes et aux femmes âgées ou malades. L’entretien a alors été mené avec l’ensemble du groupe, et principalement avec trois jeunes femmes du Callao, âgées de 21 à 22 ans, toutes incarcérées pour vol. Les jeunes femmes se coupaient régulièrement la parole, deux d’entre elles se sont imposées pour répondre à mes questions et la troisième n’y a répondu que brièvement avant de s’effacer derrière ses compagnes. L’agitation dont elles faisaient preuve en permanence ne m’a pas permis de recueillir toutes les informations que je souhaitais, mais l’entretien s’est révélé riche, malgré des conditions peu optimales. Le tableau suivant retrace le parcours délinquant de ces femmes.

Tableau nº4.3. : Parcours délinquant de jeunes femmes du Callao incarcérées à Chorrillos I.

Suleima Caterina Roxana

Age 21 21 22

Nombre d’incarcérations (dont en centres pour mineurs)

2 4 ?

Age de la première

incarcération ? 11 ?

Motif de l’incarcération à

Chorrillos I Vol Vol Vol

Etabli d’après un entretien collectif réalisé en septembre 2007.

Roxana n’est intervenue que sporadiquement dans la conversation et n’a pas fait référence à d’éventuelles autres expériences carcérales, ni en centre pour mineurs ni dans la prison de Chorrillos I. En revanche, Suleima et Caterina ont toutes deux vécu une expérience en centre d’accueil pour mineurs délinquants.

Caterina : « Je suis venue [à Chorrillos I] pour la première fois à 18 ans, c’est mon premier séjour. Maintenant je suis revenue quand j’avais 19 ans.

Moi : C’est ton deuxième séjour ici ?

Caterina : Oui, le deuxième. Presque toute ma vie je n’ai fait que voler. A 11 ans, j’étais à Santa Margarita69, à 13 ans à Ermelinda, et toute ma vie je n’ai fait que voler, voler, je n’ai jamais travaillé. »

Le discours de Caterina est clair et elle évoque son expérience carcérale ainsi que son parcours de vie sans complexe. Face à elle, le discours de Suleima est plus timide, et ce n’est qu’au fil de la conversation, lorsque j’évoque les ateliers de travail, que j’apprends qu’elle a vécu en centre pour mineurs.

Suleima : « Non, je n’ai jamais volé, pour ça non, je n’ai jamais volé. C’est la première fois que je fais ça. La nécessité…

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Santa Margarita et Ermelinda Carrera sont deux centres d’accueil pour jeunes filles mineures ayant commis un délit.

Moi : Et pourquoi est-ce que tu veux intégrer spécifiquement l’atelier de couture ?

Suleima : Parce que je sais faire, parce que quand j’étais à Ermelinda j’ai été pendant trois ans à l’atelier de couture. »

Elle ne mentionne à aucun moment le motif de ce premier séjour en centre pour mineurs, mais on apprend qu’elle y a tout de même passé trois ans.

En termes d’activité de travail, lorsque l’on observe le parcours professionnel de Roxana, c’est une situation de haute instabilité qui apparaît :

« Moi, j’aime travailler, par exemple quand j’étais dehors, j’ai travaillé dans plusieurs trucs, devant chez moi je vendais à manger, je vendais de la gélatine, j’ai travaillé dans des usines, je suis indépendante. »

Suleima ne fait aucune référence à son activité de travail. Parmi ces trois jeunes femmes, seule Caterina déclare suivre un mode de vie dans lequel le vol est l’activité quotidienne, et ce depuis son plus jeune âge. De plus, elle reconnaît qu’elle reprendra cette activité à sa sortie, tout comme elle l’a fait après ses trois premiers séjours en établissement pénitentiaire. Dans les centres pour mineurs, elle dit avoir toujours suivi l’atelier de crochet et au moment de notre entretien, elle poursuit cette activité en fabriquant des ponchos. Or elle ne pense pas avoir recours à cette habileté à l’extérieur :

Moi : « Est-ce que tu ne penses pas utiliser ce savoir-faire dehors, pour peut-être changer ? Caterina : Je vais sûrement continuer à voler, et je monterai peut-être un négoce avec les ponchos. Parce que je n’ai pas encore l’esprit à travailler dans quelque chose, pas encore. »

Caterina appartient donc à la catégorie de délinquant socioculturel définie par Pérez Guadalupe et elle est la seule du groupe à revendiquer ses actes et à vivre selon une culture de délinquance. Malgré quelques différences minimes en termes de carrière délinquante, ces jeunes femmes présentent un profil sociologique similaire. Après avoir connu une maternité adolescente, elles sont aujourd’hui mères célibataires et connaissaient une situation économique précaire qui les a menées à commettre un délit. Le tableau suivant résume leur situation familiale.

Tableau nº4.4. : Situation familiale de jeunes femmes du Callao incarcérées à Chorrillos I.

Suleima Caterina Roxana

Age 21 21 22

Age à la naissance du

premier enfant 17 ? 17

Nombre d’enfants 3 2 2

Etabli d’après un entretien collectif réalisé en septembre 2007.

Ces trois jeunes femmes évoquent toutes leurs enfants comme source de préoccupation et le passage par une situation de nécessité comme le déclencheur du passage à l’acte délinquant. Une quatrième qui assistait à la conversation mentionne le fait que « la nécessité [les] fait refaire la même chose », Suleima affirme qu’elle a volé « parce qu’[elle] n’avait rien » et Caterina, de même, considère le vol comme une stratégie de survie :

« Tu es récidiviste et ils te condamnent à encore plus d’années. Ils ne pensent pas à l’âge qu’on a, parce que moi j’ai 19 ans, et je n’ai rien dit. Tout ce qu’ils savent faire c’est juger, et ils ne savent pas pourquoi j’ai fait ça […]. Ils ne savent pas ce qu’on a vécu dans la rue. »

Ces jeunes femmes sont originaires du Callao, une des provinces péruviennes qui connaît le plus haut taux de délinquance du pays. Même si les mentions à leur passé et à leur mode de vie sont rares et peu développées, leurs parcours de vie révèlent une situation de grande précarité, de haute vulnérabilité voire de désaffiliation sociale parfois très avancée, comme dans le cas de Caterina. Le vol constitue pour elles une stratégie de survie et le passage par la prison une étape dans leur parcours de vie.

Que ce soit dans les nouvelles formes de délinquance ou dans la délinquance traditionnelle, la situation de nécessité constitue un point commun aux femmes incarcérées. La recherche de stratégies de survie les conduit, soit à un moment donné de leur vie dans le premier cas, soit tout au long de leur vie dans le second, à commettre un acte délictueux grâce auquel elles espèrent améliorer leurs conditions de vie et celles de leur foyer, et ce particulièrement dans le cas des mères célibataires.

c. Réseaux familiaux et de voisinage dans les dynamiques délinquantes des femmes.

L’étude des réseaux de famille et de voisinage a servi à analyser les dynamiques sociales d’exclusion des personnes âgées (Mantovani, et al. 2002; Pitaud 2010), d’insertion des immigrés (Torre Ávila 2006; Wanner, et al. 2002) ou encore de réussite dans le domaine scolaire (Behrman, et al. 2001; Delcroix 2010). Selon Simmel, les réseaux sociaux modernes consistent en l’adhésion des individus à une association dont le motif est le partage d’intérêts communs (Simmel 1999). Dans le cas des individus qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité socio-économique, selon des « vecteurs de cohésion » (Simmel 1999) qui regroupent ces personnes selon des normes et des valeurs qui leurs sont propres, quels réseaux se créent-ils ? Dans le cas des stratégies de survie qui m’intéressent particulièrement dans le présent travail, le sociologue et politologue péruvien Aldo Panfichi a étudié les réseaux liés à ces stratégies dans les quartiers populaires de la capitale (Panfichi 2001). De même que les auteurs cités plus haut, Panfichi situe son étude dans un contexte de pauvreté croissante, tant dans les quartiers anciens de la ville que dans les nouveaux quartiers, créés suite aux invasions de terrains par les migrants andins à partir des années 1960. Il analyse notamment, comme l’a fait Cavagnoud après lui (Cavagnoud 2011), comment le foyer familial joue un rôle central pour la reproduction des forces de travail dans une perspective de stratégie de survie. En parallèle, ce sont également les réseaux sociaux construits par les chefs de foyer des quartiers populaires qui jouent un rôle fondamental pour la reproduction matérielle des plus pauvres, « étant donné qu’ils ne peuvent souvent compter que sur leurs relations sociales comme ressource de survie » (Panfichi 2001 : 499). Ainsi, Béjar et Álvarez ont étudié l’importance de ces réseaux familiaux et sociaux dans la stratégie de survie que représentent les « polladas », une pratique très répandue qui consiste en l’organisation ponctuelle d’une journée ou d’une soirée dansante pendant laquelle les acteurs vendent du poulet et de la bière afin de récupérer des fonds qui permettent d’aider à l’édification d’une partie de l’habitation, de pallier les