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Genre et trafic de drogue

a. Rentabilité du trafic de drogue versus travail salarié des femmes.

Échelle de rentabilité du trafic de drogue.

Au fil des étapes de la chaîne commerciale qui relie les zones de production aux régions de consommation, le prix de vente de la drogue est multiplié plusieurs fois. Les variations de prix sont déjà importantes sur le territoire national péruvien – c’est-à-dire au sein du pays producteur – selon les régions. Selon une étude menée par l’Instituto de Defensa

Legal, dans les principales régions de production comme la vallée des rivières Ene et

Apurimac (VRAE) ou le Haut Huallaga, le kilo de cocaïne raffinée coûte en moyenne $950 alors qu’il atteint $1500 dans les régions frontalières de la Bolivie et plus de $2000 aux

frontières de l’Equateur et du Chili (voir carte nº3.2.). Que devient le prix de ce même kilo de cocaïne lorsqu’il traverse océans et continents ?

Carte nº3.2. : Prix de la drogue sur le territoire péruvien.

Source : (Mella 2012).

Dans un entretien mené à Chorrillos I avec Yolanda, une détenue espagnole qui purgeait une peine pour trafic de drogue, celle-ci déclarait qu’elle reconnaissait être « le petit maillon de la chaîne », celle sur le dos de qui les réseaux de trafiquants gagnent de très fortes sommes d’argent :

« Nous, qu’est-ce qu’on est, nous ? En vérité, on est des merdes, nous. Parce qu’ils nous utilisent, et ils nous paient une misère. Par exemple un kilo de coke [cocaïne]. Moi ils m’ont envoyée chercher deux kilos de coke, ils allaient me filer 7 000 , et finalement j’avais quatre kilos. Qu’est-ce que ça représente deux kilos ? Hein ? Après à combien ils les vendent là-bas ? 35 000 , non ? […] Ils ont tout à gagner. Eux ils t’envoient ici, ok, ils te paient le voyage […], le mec m’a envoyée dans un bon hôtel d’ici, ils m’apportaient les repas et tout dans ma chambre. Mais, et alors ? S’il allait me donner 7 000 , t’imagines ! Qu’est-ce qu’il gagnait lui ? 30 000, 90 000 ? Non ! 120 000, 140 000 ! Alors c’est pas pour 7 000 qu’il perd… Et à combien ils doivent la vendre ici la drogue ? 2 000 $ le kilo ? »40

Au regard des statistiques disponibles, Yolanda est assez proche d’un compte juste. En Europe, selon l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, la cocaïne est vendue au détail à un prix oscillant entre 45 et 144 € le gramme, avec une moyenne située entre 49 et 74 € (OEDT 2012). Selon l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants français, le prix au kilogramme oscillerait entre 26 000 et 28 000 €. Or, afin de saisir dans sa totalité l’ampleur des gains que peut représenter le trafic de drogue international, il faut considérer que la pureté moyenne de la cocaïne vendue en Europe oscille entre 22 et 55 % (OEDT 2012). La multiplication des prix va donc de pair avec une multiplication du produit fini qui est « coupé » afin d’augmenter les quantités disponibles pour la vente au détail et par conséquent les recettes. Si l’on considère la pureté de la drogue vendue en Europe, de rapides calculs permettent de déterminer que le kilogramme de cocaïne pure vendue 950 $ (soit environ 720 €) à la source sera revendu 2,6 fois moins pur à 27 000 € en gros, et à 61,50 € le gramme en moyenne au détail. L’ampleur des bénéfices réalisés à toutes les étapes de la chaîne apparaît alors d’autant plus évidente. Or, face au risque évident que représente le transport de la drogue depuis les lieux de production jusqu’aux lieux de consommation, il semble légitime de se demander qui prend ce risque, et pourquoi.

Les promesses de gains face aux faibles revenus du travail salarié.

Comme le montre l’entretien réalisé avec Yolanda et cité plus haut, les promesses de gain faites aux mules pour un voyage peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros – ou de dollars selon le pays d’origine. D’après l’enquête menée auprès des détenues de Chorrillos I en       

janvier 2011, l’entrée dans le trafic de drogue est avant tout motivée par un facteur économique, que ce soit pour les étrangères ou pour les Péruviennes. Les détenues étrangères condamnées pour trafic de drogue que j’ai rencontrées alors provenaient d’Amérique, d’Afrique, d’Europe orientale et occidentale. Leur profil professionnel et économique révèle une grande hétérogénéité, depuis celles qui n’avaient ni emploi ni revenus avant leur incarcération, jusqu’à des entrepreneures dont les revenus mensuels atteignaient 3 000 €. Le revenu mensuel médian des mules étrangères avant leur incarcération était de 940 €. Quant aux Péruviennes condamnées pour le même type de délit, parmi celles que j’ai rencontrées entre 2007 et 2011, une seule a été arrêtée en tant que mule alors qu’elle prétendait sortir de la drogue vers l’Argentine par voie aérienne41. Toutes les autres ont été impliquées à divers degrés dans des réseaux nationaux ou dans des situations de microcommercialisation. De même que dans le cas des étrangères, leurs profils économiques sont hétérogènes, depuis celles qui n’avaient ni emploi ni revenus avant leur incarcération, jusqu’à celles qui ont déclaré un revenu mensuel atteignant 875 €. Le revenu mensuel médian des Péruviennes impliquées dans le trafic de drogue avant leur incarcération était de 117 €. Quelle que soit la nationalité des mules et des microcommerçantes de drogue, leurs revenus avant incarcération sont peu élevés et se situent majoritairement sous le salaire minimum de leur pays de résidence. De plus, 26 % des détenues rencontrées en 2011 et condamnées pour trafic de drogue travaillaient de façon irrégulière ou informelle, dont 9 % ont déclaré vivre de la microcommercialisation de drogue. Seulement 6 % de ces femmes ont déclaré être sans emploi. Ce même type de profil se retrouve notamment en Russie où l’implication des femmes dans le narcotrafic a été analysée comme étant liée à une situation de chômage (Iavchunovskaia and Stepanova 2009 : 78).

Dans ces conditions d’instabilité socio-économique, de chômage ou de sous-emploi, les promesses de gain des trafiquants de drogue se révèlent très attractives, car elles représentent pour ces femmes l’opportunité de gagner en quelques jours l’équivalent de plusieurs mois de salaire. C’est le cas de Sharon, une Sud-africaine de 29 ans qui vivait de petits travaux avant d’accepter de faire le voyage jusqu’au Pérou. Dans un entretien mené en 2007, elle justifiait sa décision en ces termes :

« Ce que je voulais, c’était de l’argent. Je voulais rentrer chez moi avec de l’argent, j’avais un boulot, mais ça ne payait pas. Je voulais m’acheter une maison, je veux une maison. J’ai       

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J’exclue du groupe les femmes qui sont impliquées dans des bandes organisées et qui se distinguent des mules par les rôles qu’elles accomplissent au sein de l’organisation.

un mari, on est séparés, mais qu’est-ce que je veux dans la vie ? J’avais besoin d’argent. J’avais la pression, mes enfants ne pouvaient pas venir [chez moi], donc parfois je me sens inutile, j’ai été très stupide en venant ici. J’ai trafiqué de la drogue parce que je pensais que c’était de l’argent facile. De l’argent facile et maintenant je suis assise ici. »42

Dans l’espoir de rentrer en Afrique du Sud avec l’argent nécessaire à l’amélioration de ses conditions de vie, Sharon a laissé deux enfants dans son pays d’origine. Elle a été condamnée à 7 ans et 8 mois de prison. D’après une enquête menée par l’organisation de lutte contre la drogue CEDRO en 2005 et reprise par la criminologue Lucía Nuñovero (Nuñovero Cisneros 2009 : 42), la somme promise aux femmes mules varie de 0 à $25 000. 11,9 % d’entre elles espéraient recevoir entre $500 et $1 000, 41,6 % espéraient entre $1 000 et $2 500, et 31,7 % espéraient entre $2 500 et $5 000. Seules 8,9 % de ces femmes espéraient recevoir entre $5 000 et $10 000 (voir graphique nº3.1.). D’après ma propre enquête, le montant maximum promis pouvait atteindre des montants encore supérieurs. Engagée avec son petit ami, Elena, une jeune femme espagnole, a déclaré avoir fait le voyage pour rapporter six kilogrammes de cocaïne en Espagne contre une promesse de 30 000 €. En comparaison avec son salaire d’employée en poissonnerie de supermarché, la proposition représentait une somme suffisamment attractive pour qu’elle accepte le marché. Comme le souligne sa compatriote Yolanda, qui était « maîtresse de tout et prof de rien », « l’argent facile ça attire forcément l’attention. »43 Finalement, les femmes qui prennent le risque de transporter de la drogue présentent majoritairement un profil socio-économique précaire avec une forte tendance à l’instabilité en termes de travail et de revenus. Elles acceptent donc le rôle de mule sur la base d’une proposition de rémunération importante et rapide.

 

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Entretien effectué en octobre 2007.

Graphique nº3.1. : Somme attendue par les passeurs.

Source : CEDRO, 2005. Encuesta de burriers. In Nuñovero (2009).

b. Le genre dans le trafic de drogue.

Hiérarchisation et division sexuelle dans le trafic de drogue.

Les entretiens menés auprès des détenues de Chorrillos I incarcérées pour trafic de drogue montrent que l’intégralité de ces femmes a agi en partenariat avec un homme ou sous influence masculine. Dans le cas des mules étrangères, leurs contacts dans le pays d’origine et à leur arrivée au Pérou étaient très majoritairement des hommes, de diverses nationalités, mais avec une légère prédominance de Nigérians, que ce soit en Europe, en Afrique ou en Amérique. Ainsi, l’Espagnole Elena raconte que ce n’est pas elle qui a été contactée en premier lieu :

« Moi : Es-tu venue seule ici ?

Elena : Non, je suis venue avec mon copain. Mon copain est rentré, il est libre, et moi prisonnière.

Moi : Il est venu avec toi pour trafiquer ? Elena : Oui, oui, il est venu avec moi. […]

Moi : C’est lui qui t’a proposé ce marché?

Elena : Oui. Ils lui ont dit à lui et après lui il me l’a dit. »44

Elena a donc accepté d’accompagner son petit ami dans cette entreprise risquée afin de partager les 30 000 € qui leur avaient été promis. Selon elle, c’est l’influence de son ami et non la nécessité économique qui lui a fait accepter le marché :

« Les rares fois où je suis tombée amoureuse d’un homme, ils m’ont poignardée dans le dos, tu comprends ? Le père de mon fils, celui qui est venu ici, avec moi, moi j’étais aveugle, aveugle, aveugle. En fait je venais trafiquer, imagine ! Quel aveuglement ! Parce que l’argent, c’était pas ce qui manquait. »45

À travers son discours, Elena semble vouloir transmettre un sentiment de sécurité vis-à-vis de l’argent et tente de se dédouaner en reportant la faute sur son ami. Or, comme nous l’avons vu plus haut, la proposition économique était attractive face à son salaire de vendeuse en poissonnerie. Il lui coûte finalement de reconnaître qu’elle représente le dernier maillon de la chaîne du trafic, a fortiori à un moment où elle est incarcérée et quand son petit ami est libre et dans son pays d’origine.

À l’inverse, Francesca a fait le voyage seule. Cette Hollandaise de 43 ans avait déjà connu le risque du trafic de drogue international, car le voyage vers le Pérou ne représentait pas son premier essai :

« La même personne pour qui j’ai fait ça, je l’avais déjà fait deux fois pour lui. C’est un Nigérian. Cette fois, il devait tout me payer, parce que les fois d’avant, il ne l’avait pas fait. Le premier voyage c’était au Brésil, 12 kilos, en revenant par la Belgique et après en voiture jusqu’en Hollande. Le deuxième c’était au Paraguay avec 8 kilos et le même voyage via la Belgique. Ils ont promis 7 ou 8 000 , mais ils ont payé 2 000. »46

L’homme qui employait Francesca comme mule n’a pas tenu sa parole quant au montant qu’elle allait percevoir et l’a envoyée faire un voyage supplémentaire avec la promesse de lui payer son dû. Endettée à cause de sa propre consommation de drogue, Francesca n’était pas en

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Entretien réalisé en octobre 2007.

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Entretien réalisé en octobre 2007.

mesure de refuser un nouveau voyage. Or, la tentative de transporter 43 kilogrammes de cocaïne par voie aérienne lui a valu une peine de 15 ans de prison ferme.

Le travail de mule constitue le dernier échelon d’une longue chaîne qui implique une multiplicité d’acteurs. Les mules se trouvent en position d’infériorité face à des recruteurs qui font le lien entre le pays de résidence et le pays producteur. Une fois impliquées dans un réseau, il est difficile, voire impossible de s’en extraire, comme le raconte Elena :

« Elena : Ils ont menacé ma famille. Moi : Ici ?

Elena : Non, ceux d’Espagne, ceux qui m’ont envoyée d’Espagne. Parce qu’en fait on allait partir d’Equateur, de Guayaquil. Mais mon copain a commencé à [elle imite un tremblement

de peur] dans l’aéroport, alors ils nous ont fait faire marche arrière, l’organisation

elle-même nous a fait faire marche arrière. Alors ils m’ont dit de faire le voyage moi, toute seule. Je leur ai dit que seule je ne voyageais pas. Que c’était avec mon copain ou alors je ne partais pas. Ils m’ont dit : ‘Tu dois savoir, on sait où vivent tes parents et ton fils’. J’ai dit à la nana : ‘Tu me menaces ?’, et elle m’a dit : ‘prends-le comme tu veux.’ […] Heureusement ma famille est en vie. Mais moi, c’est pas de ma faute s’il [son petit ami] a fait marche arrière, tu vois ? S’il a flippé. Moi j’allais y aller. »47

Le même genre d’expérience est arrivée à Lucie, envoyée initialement de France vers l’Espagne par un « Africain »48. Une fois en Espagne, le contact sur place lui dit que « c’est chaud » et qu’elle doit partir au Pérou. Lucie avait déjà fait une partie du voyage, le billet vers l’Espagne lui avait été payé. Endettée en grande partie à cause de son ex-petit ami, elle avait accepté une proposition qu’elle ne pouvait plus refuser, malgré les changements de dernière minute décidés par l’organisation et l’augmentation des risques liés à ces décisions.

L’engagement des femmes dans le trafic de drogue est donc très souvent lié à une relation masculine, comme l’ont également démontré Iavchunovskaia et Stepanova, d’après une étude menée auprès de femmes russes incarcérées pour ce motif : « Il est intéressant de noter que la création de groupes basés sur des liens d’intimité a lieu dans un cas sur quatre. Les crimes [le

trafic de drogue] ont été commis en collaboration avec un mari ou un petit ami, ou avec

d’autres relations » (Iavchunovskaia and Stepanova 2009 : 83). Cette configuration de

       47 Entretien réalisé en octobre 2007.

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C’est le terme qu’elle emploie. J’ai rencontré Lucie en février 2009 et lui ai rendu visite

régulièrement jusqu’à sa sortie en liberté conditionnelle en mai 2010. Les faits que je relate et analyse ici sont issus de notes prises pendant ou après nos rencontres.

collaboration entre hommes et femmes se retrouve à l’identique dans le cas péruvien, et la variété d’expériences recueillies à Chorrillos I permet de conclure à la supériorité hiérarchique du sexe masculin dans la chaîne d’emplois du trafic de drogue.

Les femmes dans le trafic de drogue : construction de figures d’innocence.

Si les femmes sont employées au plus bas échelon de l’échelle du trafic de drogue, c’est que le facteur sexe y apparaît décisif au regard des constructions sociales genrées. La figure d’innocence construite autour des stéréotypes de bonté et de douceur tels qu’ils ont été décrits et analysés dans le chapitre 1 confère aux femmes les caractéristiques idéales pour effectuer le travail de mule. Comme il a été vu plus haut, s’il est difficile de penser la délinquance des femmes notamment à cause du rôle de pilier moral qui leur est socialement assigné (Cardi and Pruvost 2011; Radcliffe and Westwood 1999), il est d’autant plus difficile d’envisager qu’elles puissent commettre un acte qui porte atteinte à la santé publique. Garantes de l’éducation des enfants (Ruiz Bravo 1995), les femmes représentent une figure que l’imaginaire collectif n’associe a priori pas au trafic de drogue. Une telle configuration des représentations mentales s’applique à trois parties impliquées dans le trafic. D’une part, les autorités policières ou douanières seraient moins portées à émettre des doutes sur la culpabilité des femmes, d’autre part les organisateurs de trafic recrutent des femmes, car elles semblent moins vouées à être arrêtées, et enfin les femmes se laissent convaincre de la vulnérabilité et de l’innocence qu’elles représentent aux yeux de la société. De nombreuses détenues de Chorrillos I l’ont confirmé par leurs propos ; si elles émettent des doutes quant à la facilité du trafic et à la possibilité de se faire prendre, on leur répond avec conviction : « T’inquiète pas, pas de problème, ça va passer tout seul, ils vont même pas te regarder. »49 La réalité s’avère très différente. L’augmentation du trafic de drogue international et le nombre de femmes incarcérées au Pérou pour ce motif – elles sont passées de 3 en 1970 à plusieurs centaines aujourd’hui (INPE 2012b; Ramos Alva 1972), a changé le regard des autorités sur les femmes, malgré la « protection relative contre l’incarcération » que représente leur figure maternelle (Cardi 2007b). Dans le cas du trafic de drogue, les femmes ne sont pas exemptes d’incarcération, mais leur peine peut être réduite par le juge à l’évocation de leur maternité ou face à une promesse de désistance. Lors d’entretiens informels effectués durant mes visites, plusieurs femmes m’ont raconté comment, sur conseil de leur avocat, elles ont modelé leur       

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Cette phrase et d’autres de ce type ont été rapportées par plusieurs des femmes rencontrées à Chorrillos I.

discours au sein du tribunal dans l’espoir d’obtenir la clémence du juge. L’évocation de leurs enfants, la reconnaissance de leur « erreur » et le fait de mentionner Dieu permet aux détenues ayant commis un délit mineur ou ayant été impliquées dans le trafic de drogue – à l’exclusion des membres de réseaux internationaux - d’être condamnées à des peines de durée moyenne puis d’obtenir des bénéfices pénitentiaires de type semi-liberté lors de leur second passage devant le juge. Si à délit égal, il apparaît que les hommes sont condamnés à des peines de durée similaire, selon le code pénal en vigueur, les femmes bénéficient cependant d’une clémence majeure du juge, notamment au moment de la décision de mise en liberté conditionnelle ou d’octroi de remise de peine.

Parallèlement à la construction sociale de la figure d’innocence des femmes en général, il existe une figure en particulier qui renforce cette perception : les femmes enceintes, qui représentent d’autant plus la maternité que celle-ci est visible physiquement. Elles incarnent à ce moment donné la femme comme mère par excellence, une figure de douceur qui rappelle aux yeux de la société qu’elles se situent alors en haut de l’échelle de la « hiérarchie sacrée » (Oliart 2007), faisant dès lors figure d’intouchable. Cet argument est repris par les organisateurs du trafic de drogue qui assurent aux femmes enceintes que dans leur état « elles n’ont rien à craindre »50 et que personne ne les arrêtera. Pour les femmes des secteurs sociaux les plus défavorisés, la nécessité économique accrue par la perspective de la charge d’un nouvel enfant trouve une réponse dans cette proposition argumentée. Ainsi, plusieurs détenues de Chorrillos I ont été arrêtées alors qu’elles étaient enceintes, et le nombre d’enfants nés et vivant en prison avec leur mère varie, ces dernières années, autour d’une cinquantaine (INPE 2012b). Même si les mères vivant avec leur enfant en prison ne sont probablement pas toutes incarcérées pour trafic de drogue51, quel que soit le délit qu’elles aient commis ou dont elles