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CHAPITRE 2. LA RECENSION DES ÉCRITS SUR LES PRATIQUES

2.4 LES PRATIQUES D’INDIVIDUALISATION DE L’ENSEIGNEMENT

2.4.3 La différenciation pédagogique comme porte d’entrée

Les enseignants tiennent compte de l’hétérogénéité des classes d’aujourd’hui et l’une des pratiques d’individualisation qui abonde dans les classes ordinaires est la différenciation pédagogique. De manière générale, on définit la différenciation pédagogique comme « un principe et une pratique qui préconisent que les planifications et les interventions pédagogiques respectent les diverses caractéristiques des élèves significatives de la réussite de leurs apprentissages » (Legendre, 2005, p. 417). La différenciation est donc une pédagogie individualisée (Przesmycki, 2004) et non une simple méthode d’enseignement ou une technique d’intervention. Cette pédagogie, selon les travaux menés par Bégin (1978) et Bloom (1979), postule qu’

« un enseignant peut amener la très grande majorité de ses étudiants à réussir s’il ajuste ses formules pédagogiques et l’environnement d’apprentissage de façon à tenir compte de leurs préalables et caractéristiques au regard d’un objet d’apprentissage particulier »(Guay, Legault et Germain, 2006, p. 1) .

La différenciation pédagogique attribue à l’enseignant une grande responsabilité quant à la réussite éducative de ses élèves, contrairement à l’enseignement traditionnel méritocratique, où l’élève réussit ou échoue en fonction de ses aptitudes. La

différenciation pédagogique implique des pratiques d’enseignement que Guay et ses collaboratrices (2006) représentent par un continuum d’actions. À un pôle se trouve la variation de l’enseignement destiné au groupe classe et à l’autre les adaptations individuelles de la routine et des procédures de la classe ordinaire (voir figure 5).

Figure 5 : Continuum de la différenciation pédagogique (Guay et al. 2006)

Par ses actions de différenciation-variation, l’enseignant varie « ses formules pédagogiques », « le matériel » et « les modes de groupement » qu’il propose à ses élèves (Guay, Legault et Germain, 2006, p. 3). Chaque élève peut ainsi travailler avec ses intérêts et ses modes préférés d’apprentissage à un moment ou à un autre de la journée. Les actions de différenciation-variation s’adressent au groupe et l’enseignant peut les planifier seul ou en collaboration avec d’autres enseignants. Le deuxième ensemble, la différenciation-adaptation, regroupe des actions individualisées conçues spécifiquement pour un élève en difficulté ou un élève surdoué19. L’équipe multidisciplinaire est la mieux placée pour planifier les adaptations et les interventions éducatives nécessaires. Cependant, Guay et ses collaboratrices (2006) n’en donnent pas d’exemple précis. Ces adaptations peuvent affecter ou non les critères d’évaluation fixés par le ministère.

À la lumière de ce modèle, il devient clair que la différenciation pédagogique (pôle variation) est la porte d’entrée du processus d’individualisation de l’enseignement pour les élèves en difficulté. De plus, ce modèle permet de préciser le rôle et le partage des responsabilités entre l’enseignant et l’équipe-école face aux élèves handicapés ou en difficulté intégrés en classe ordinaire. Le modèle réaffirme également l’idée d’un continuum de pratiques des plus générales aux plus spécialisées, tel que l’avait présenté

19 D’autres auteurs mentionnent dans leurs travaux que l’individualisation de l’enseignement profite à

plusieurs groupes d’élèves, parmi lesquels se trouvent autant les élèves handicapés que les élèves doués (King-Sears, 2001; Koga et Hall, 2004).

McLaughlin (2002). Les auteurs suggèrent que l’enseignant varie son enseignement pour rejoindre tous ses élèves, mais réserve l’adaptation individuelle de l’enseignement à l’équipe multidisciplinaire dont il fait partie. La figure 6 représente une synthèse de ces éléments.

Individualisation de l’enseignement

Figure 6 : Individualisation et différenciation (inspiré de Guay et al., 2006)

Par contre, le choix de classer les adaptations individuelles de l’enseignement parmi les actions de différenciation pédagogique est critiqué par certains auteurs (De Koninck, 2006; Tomlinson, 1999). De plus, d’autres typologies proposent une terminologie qui permet de distinguer la différenciation des autres niveaux d’accès au programme général (Janney et Snell, 2006; King-Sears, 2001; Nolet et McLaughlin, 2005; Wehmeyer, 2002). Les pratiques d’individualisation de l’enseignement à l’intention des élèves handicapés ou en difficulté sont examinées dans les sections suivantes.

Les actions de différenciation sont abordées dans de nombreux livres destinées aux enseignants (Caron, 2003; Meirieu, 1999; Przesmycki, 2004; Tomlinson, 1999). Chaque auteur a sa propre liste d’exemples de différenciation regroupés en différentes catégories, nommées dispositifs par Caron (2003) : différenciation des contenus, des processus, des productions, des environnements, des groupements d’élèves. Le tableau IV résume les dispositifs de différenciation proposés aux enseignants.

Différenciation -Variation Enseignant / groupe(s)

Différenciation -Adaptation

Tableau IV : Les dispositifs de la différenciation pédagogique

Dispositifs de

différenciation : Exemples : La différenciation des

contenus

- proposer des textes exigeant des niveaux de lecture variés; - proposer des textes sur cassette audio;

- utiliser des listes de vocabulaire de différents niveaux; - utiliser du matériel audiovisuel varié;

- donner des choix dans la réalisation des travaux et des devoirs.

Des processus - proposer une même activité, mais des exigences et des niveaux de soutien variés;

- proposer des centres d’apprentissage où l’élève choisit son activité en fonction de ses intérêts;

- proposer des ateliers au choix de l’élève; - décloisonner les groupes de base;

- proposer des activités d’enrichissement / remédiation.

Des produits - offrir des choix de présentation des travaux : murale, affiche, saynète, vidéo, etc.;

- varier les échéanciers de remise des travaux;

- négocier les critères des productions (longueur, complexité, etc.);

- permettre aux élèves de choisir leur activité en respectant certains critères. Des structures - travailler seul ou en petits groupes;

- modifier l’aménagement de la classe;

- varier les regroupements d’élèves (besoins, niveaux, intérêts, etc.) - structure d’entraide entre élèves;

- varier les formules de correction (autocorrection, pairs, sous-groupes, etc.). De l’environnement

d’apprentissage

- prévoir des endroits calmes sans distraction;

- encadrer le travail individuel en fonction des besoins;

- développer des routines pour obtenir de l’aide lorsque l’enseignant est occupé.

À ces dispositifs s’ajoutent des caractéristiques qui peuvent s’appliquer aux pratiques de différenciation (Caron, 2003). Ces pratiques qui tiennent compte des diverses caractéristiques des élèves peuvent en effet être planifiées ou avoir lieu de manière spontanée, être proposées de manière successive ou simultanée aux élèves, être implantées de manière mécanique ou régulatrice et avoir lieu à l’intérieur ou à l’extérieur de la classe ordinaire. Le tableau 5 décrit chacune de ces caractéristiques.

Tableau V : Les caractéristiques des pratiques de différenciation pédagogique

Caractéristiques de la

différenciation : Exemples :

Planifiée L’enseignant planifie à l’avance ses actions et ses pratiques de différenciation pédagogique.

Spontanée La différenciation s’effectue au moment de l’activité, en réaction aux évènements qui se produisent en classe.

Successive L’enseignant met en place plusieurs activités d’apprentissage dont le but est de tenir compte des différences. Ces activités ont lieu les unes après les autres de manière à varier l’enseignement, afin qu’il corresponde à un moment ou à un autre aux caractéristiques de chaque élève de la classe. Simultanée La pratique de différenciation permet de prendre en compte les

caractéristiques des élèves au cours d’une ou plusieurs activités qui ont lieu simultanément dans la classe.

Mécanique L’activité d’apprentissage est différenciée et planifiée à la suite d’une collecte d’information formelle permettant d’identifier les compétences et les besoins des élèves. L’enseignant déploie l’activité d’apprentissage fidèlement à sa planification.

Régulatrice L’activité d’apprentissage est différenciée et planifiée à la suite d’une collecte d’information formelle permettant d’identifier les compétences et les besoins des élèves, l’enseignant s’assure d’une rétroaction fréquente et immédiate, évalue de manière continue lors de l’apprentissage; prévoit des parcours différents et guide les élèves en laissant une place à la spontanéité des élèves et à leurs processus d’apprentissage.

Authentique Pratique à la fois planifiée, simultanée et régulatrice.

Extérieur de la classe L’enseignant planifie un enseignement différencié qui a lieu à l’extérieur de la classe et qui nécessite la collaboration avec d’autres agents d’éducation (ex : enseignants, TES, ortho, parents).

Les pratiques de différenciation pédagogique qui sont planifiées, qui sont présentées de manière simultanée et qui sont utilisées de manière régulatrice par l’enseignant sont qualifiées d’ « authentiques » par Caron (2003). Il s’agit du niveau de maitrise de la différenciation le plus avancé. Tomlinson et al. (2003) déplorent cependant que lorsque des études ont été menées sur les pratiques de différenciation des enseignants, ceux-ci aient tendance à l’utiliser sans planification, conduisant à un enseignement improvisé ou réactif. Cet enseignement se limiterait à l’utilisation de renforcement positif et au développement d’une relation harmonieuse avec les élèves en difficulté20. D’autres auteurs cités par Tomlinson et al. (2003) rapportent également une baisse des exigences envers les élèves en difficulté21. Il semble cependant qu’aucune étude empirique ne

20 Il s’agit de l’étude de Schumm et Vaughn, 1991, dont la notice bibliographique complète figure dans la

liste des références de cette thèse.

21 Il s’agit des études de Deno, 1994 et Fuchs and Fuchs, 1998 dont les notices bibliographiques complètes

permette de décrire comment la différenciation pédagogique (dispositifs et caractéristiques) est utilisée par les enseignants. On sait par contre que les enseignants n’ont pas tendance à adapter leur enseignement aux caractéristiques des élèves handicapés ou en difficulté (Baker et Zigmond, 1990; Scott, Vitale et Masten, 1998; Tomlinson et al., 2003). Aussi, certains chercheurs déplorent le manque d’études corrélationnelles pour soutenir l’efficacité de la différenciation pédagogique (Fuchs, Fuchs et Stecker, 2010; Jobin, 2007).

En résumé, la différenciation pédagogique est un processus de planification de l’enseignement qui comprend un nombre indéterminé de pratiques pédagogiques. Il s’agit en conséquence d’un objet d’études complexe. D’ailleurs, très peu de recherches scientifiques ont été menées sur le sujet des pratiques de différenciation pédagogique des enseignants du primaire. La seule étude québécoise recensée est un mémoire de maitrise dont l’outil de collecte de données consistait en un questionnaire d’une centaine d’items auquel 120 enseignants de la province ont répondu (Laliberté, 1997). L’étude étant dédiée à la validation de ce questionnaire, l’analyse des données n’a pas porté sur l’utilisation de la différenciation par les enseignants.