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CHAPITRE 1. L’INTRODUCTION, LE CONTEXTE ET LES DÉFIS

1.2 LES DÉFIS ASSOCIÉS AUX CLASSES ORDINAIRES

1.2.7 L’individualisation de l’enseignement en classe ordinaire

La politique de l’adaptation scolaire et le référentiel de compétences des enseignants ne précisent pas de manière claire ce qui est attendu des enseignants en terme de pratiques d’enseignement (Ministère de l'Éducation du Québec, 1999, 2001). La politique de l’adaptation scolaire parle d’ « adaptation des services éducatifs » en classe ordinaire, un cadre qui dépasse les pratiques des enseignants pour inclure les pratiques de l’équipe- école. Dans cette équipe, on ne précise pas le rôle spécifique de l’enseignant. On cite en exemple différents « moyens » pour adapter ces services : « élaboration de programmes qui tiennent compte de la diversité des élèves, adaptation des modalités d’enseignement et du matériel didactique, approches pédagogiques souples qui respectent le rythme d’apprentissage des élèves, utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, etc. (Ministère de l'Éducation du Québec, 1999, p. 20). Dans cette liste de moyens, l’enseignement doit répondre aux besoins individuels des élèves handicapés ou en difficulté, mais les moyens pour y arriver ne relèvent pas uniquement de l’enseignant (notamment en ce qui concerne l’élaboration des programmes, l’adaptation du matériel ou l’utilisation des technologies en classe). L’adaptation des modalités d’enseignement, entre autres, requiert des compétences professionnelles très précises chez les enseignants qui font face quotidiennement à ce défi, car il est « le premier visé en ce qui a trait à l’adaptation des services » et que sa « tâche n’est pas facile puisqu’il doit répondre aux besoins individuels des élèves dans un contexte où il doit rendre compte de l’évolution des apprentissages de tout un groupe » (Ministère de l'Éducation du Québec, 1999, p. 21).

L’adaptation des modalités d’enseignement est la septième compétence professionnelle attendue des enseignants (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001). Cependant, la description de cette compétence par le ministère de l’Éducation en vue de la formation initiale et continue des enseignants comprend aussi des attentes qui sont imprécises, voire contradictoires. Ainsi, on peut lire que la compétence attendue est d’« adapter ses interventions aux besoins et aux caractéristiques des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, d’adaptation ou un handicap (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001)». Pourtant, le texte demeure ambigu, car il suggère l’adaptation « des

interventions » aux caractéristiques « des élèves ». En effet, on peut se demander quelles interventions doivent être adaptées et si cette expression englobe également l’adaptation de l’enseignement offert à ces élèves. De plus, la formulation ne précise pas si les enseignants doivent adapter pour chacun de leurs élèves handicapés ou en difficulté sur une base individuelle ou s’il s’agit plutôt d’une prise en charge spécifique de ces élèves en tant que sous-groupe.

Le texte veut également que l’enseignant « contribue » avec « l’équipe pédagogique » à « des mesures collectives » (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001, p. 104). L’enseignant n’est donc pas le seul responsable de l’enseignement offert en classe. Cependant, on dit également que « l’enseignante ou l’enseignant est appelé à recueillir, à utiliser et à intégrer de l’information spécifique sur les besoins des élèves en difficulté dans la conduite de ses tâches « pré actives », «interactives » et « post actives » (voir les compétences nos 3, 4 et 5) de manière à adapter le programme, les modalités d’enseignement et le matériel didactique à la diversité des parcours des élèves » (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001, p. 103). Les compétences 3, 4 et 5 touchent directement à la planification, au pilotage des situations d’apprentissage, ainsi qu’à l’évaluation des apprentissages. Aussi, à la lecture de ces attentes, on apprend que l’enseignant doit planifier son enseignement en y intégrant l’information disponible sur les besoins des élèves handicapés ou en difficulté, mais que cette responsabilité repose également sur les mesures collectives prises par l’équipe-école. Il semble cependant qu’on insiste sur des mesures collectives plutôt que sur des mesures individuelles : « Bien qu’elle puisse comporter des moments de prise en charge individuelle pour du soutien spécifique, dans l’école, la responsabilité des élèves en difficulté se déroule au quotidien dans des contextes interactifs réunissant des élèves et des tâches à réaliser ensemble » (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001, p. 105). Cependant, il demeure une ambigüité importante quant aux actions et aux responsabilités de l’enseignant et celles qui incombent à l’équipe à laquelle il appartient. En somme, à la complexité de la mise en œuvre de l’intégration scolaire des élèves handicapés ou en difficulté dans les classes ordinaires s’ajoute un manque de précision quant aux directives provenant de l’autorité ministérielle, engendrant une certaine confusion entourant les pratiques d’enseignement

susceptibles d’assurer la réussite des élèves. Alors qu’il insiste sur l’importance d’adapter les services éducatifs en classe ordinaire, le ministère de l’Éducation ne précise pas quels sont les changements attendus, particulièrement dans les pratiques des enseignants.

Quelques documents ministériels assez récents ont apporté quelques précisions à l’égard de certaines pratiques, telles que l’adaptation et la modification (Ministère de l'Éducation du Québec, 2004a), et, par la suite, la différenciation et la flexibilité pédagogique (Ministère de l'Éducation du Loisir et du Sport du Québec, 2006). Au moment de la parution de ces précisions, le milieu de l’enseignement primaire et secondaire s’était organisé, à l’intérieur des commandes de la politique qui était demeurée sans standards précis de mise en œuvre, pour enseigner un programme préétabli à de grands groupes d’élèves ayant des caractéristiques relativement similaires. Somme toute il s’agissait, dans la plupart des cas, d’une institutionnalisation raffermie de l’enseignement traditionnel dû à un défaut de moyens efficaces pour accompagner le discours pourtant prometteur (Maertens, 2004).

On trouve cependant une tendance à discourir sur une approche différenciée ou individualisée qui tient compte des caractéristiques des élèves tout en maintenant dans les faits des cheminements et des services différents pour les élèves handicapés ou en difficulté. Le Québec serait donc encore, tel que le décrit Bégin (1978), dans un état de malaise face à la diversité. Est-elle innée et les inégalités qui en découlent, nécessaires au bon fonctionnement de la société ? Dans ce cas, l’individualisation de l’enseignement pour les élèves doués consiste à leur permettre d’exploiter leurs talents et aptitudes personnelles, tandis qu’à la masse de gens ordinaires, il convient de revenir à la tâche première de l’éducation qui est de leur inculquer des attitudes d’uniformité et de conformité7. L’offre de cheminements différents pour les élèves doués ou faibles se justifie alors aisément. Ou alors, l’école doit exploiter le potentiel humain qui lui, n’a pas de limites. La qualité de la relation entre l’enseignant et l’élève serait alors, dans cette perspective, plus importante que la qualité de l’enseignement lui-même : « Individualiser

7 Idée développée dans la publication annuelle de la National society for the study of education (1962) édité

par Henry, N.B. (1962). Individualizing instruction. The sixty-first yearbook of the National society pour the study of education, Part 1. Chicago : University of Chicago Press.

l’enseignement consiste à mettre l’insistance sur l’élève comme personne, sur l’enseignant comme personne et sur l’interaction entre les deux8 » (Bégin, 1978, p. 28- 29). Deux dangers guettent les tenant de l’une ou l’autre position selon Bégin, soit l’aliénation des élèves soumis à un programme préétabli auquel ils doivent se conformer ou l’anarchie engendrée par un enseignement qui n’est pas déterminé à l’avance, car il est choisi par l’élève lui-même et guidé par sa relation avec son enseignant. Bégin suggère alors de ne pas perdre de vue les attentes de la société tout autant que le cheminement de chaque individu. « Sans remettre en question la place centrale que doit continuer d’occuper l’enseignement formel et structuré à l’école, son caractère collectif est dénoncé comme la cause majeure de son inefficacité, et de l’aliénation qui en résulte. Il faut donc apporter à l’enseignement collectif les correctifs nécessaires. Pourquoi faut-il individualiser l’enseignement ? Parce que l’enseignement collectif comporte des déficiences graves qui lui sont inhérentes. L’enseignement collectif s’avère incapable de tenir suffisamment compte de l’histoire de chaque individu » (Bégin, 1978, p. 141). Ainsi, l’individualisation se veut une solution au malaise engendré par la gestion des différences à l’école. Legendre, qui s’inspire entre autres des les travaux de Bégin (1978), décrit que le processus d’individualiser l’enseignement correspond à « s’assurer que les objectifs et les ressources mises à la disposition d’un apprenant correspondent bien à l’état de son développement ainsi qu’aux caractéristiques significatives de la réussite des apprentissages » (Legendre, 2005, p. 769). Cependant, les pratiques d’enseignement qui permettent de réaliser le double objectif de tenir compte de l’élève et du programme ne sont pas clairement définies par ces auteurs.