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La différenciation de la logique financière

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1. Les bornages

1.4. La différenciation de la logique financière

Une confusion très fréquente assimile logique financière et logique commerciale, selon la pratique anglo-saxonne, qui, faute de statuts appropriés, délègue à l’administration fiscale le soin de décider de la non lucrativité d’une organisation ou d’une activité172. Les monographies nous montrent qu’il convient de distinguer les deux logiques et les deux niveaux (activité et organisation) puisque la plupart des organisations soumettent leurs activités commerciales à d’autres logiques.

En effet, toute production monétarisée n’induit pas une logique marchande : c’est à dire s’inscrivant dans un espace concurrentiel grâce à une comparabilité possible des produits, tendant à être évalués de manière indépendante de la nature de la structure. L’utilisation de tarification particulière (tarif modulé suivant le revenu de l’usager, tarif identique quelle que soit la fréquence d’utilisation…) est un

170. Voir Joëlle Farchy, Dominique Sagot-Duvauroux, Economie des politiques culturelles, PUF, Economie, 1994. Toutefois ce type de théorie ne permet pas de comprendre les dynamiques du secteur et notamment de savoir pourquoi sur certaines activités on constate la diversité des organisations existantes (cinéma par exemple)

171 Ce qui n’a pas toujours été le cas, notamment à la fin des années 70 début des années 80 lorsque les collectivités territoriales ont cherché à soutenir l’emploi local en subventionnant la reprise d’entreprises en faillite. Les politiques de l’emploi n’ont pas pris le relais, les SCOP étant assimilées par les Pouvoirs Publics à l’ensemble des entreprises commerciales.

172 Pratique importée en France par l’instruction fiscale de 1998 qui redéfinit les conditions de « gestion désintéressée » des associations.

exemple de logique non marchande dans la prestation de service mise en place par les organisations d’économie sociale et solidaire. De plus, comme l’avait mis déjà en évidence C. Vienney, toute production marchande n’induit pas une logique lucrative (de valorisation du capital plus que de l’activité)173.

A ce titre, on ne peut pas dire que l’économie sociale et solidaire se situe « entre le marché et l’Etat », pour deux raisons :

 d’une part parce que le marché n’est pas en soi un acteur économique mais un lieu abstrait d’échange et donc de régulation174 alors que l’Etat est en même temps acteur de régulation et producteur de services (par ses administrations et les entreprises publiques) ;

 d’autre part, parce que l’opposition entre activités marchandes et non-marchandes n’est pas pertinente malgré l’accent mis sur cet aspect par les politiques publiques (y compris de l’emploi): il y a des rapports non marchands dans la production d’activités marchandes (particulièrement dans les SCOP) ; les activités marchandes servent à financer donc à produire des activités non marchandes…(dans certaines associations d’habitants, et dans les associations culturelles où la diffusion ou l’animation finance la création). Enfin, certaines organisations d’économie sociale et solidaire – par leur combinaison particulière - donnent un accès au marché à des individus qui ne le pourraient pas individuellement (comme le montrent historiquement les exemples des coopératives d’entrepreneurs individuels, de travailleurs ou d’usagers, et aujourd’hui de multiples associations visant l’accès au marché financier –telle l’

ADIE-, l’accès au marché des biens, l’accès au marché du travail –telles les structures d’insertion).

Mais qui dit marché dit concurrence et risque de sélection, voire de financiarisation de l’activité qui n’est alors plus orientée vers la satisfaction des membres ou de la collectivité (en terme de lien social, d’insertion, d’éducation, de qualification, d’emploi…) mais vers la seule acquisition de revenus pour les individus et pour l’organisation. D’où l’accent mis sur les tensions vers la logique financière plus que vers la logique marchande.

Les principes de la logique financière s’incarnent dans la recherche d’une demande solvable pour la rentabilité (retour sur placement financier) qui passe par la standardisation pour effectuer des économies d’échelle, par la concentration (fusions / acquisitions) pour effectuer des économies de variété (proposant ainsi des produits joints), et par la compétitivité (commercialisation) pour effectuer des gains de productivité.

Des organisations d’économie sociale et solidaire n’échappent pas à ces tensions vers la financiarisation de l’activité, ainsi :

 concernant les revenus du travail : une forte hiérarchie des salaires peut être assimilée à une répartition de bénéfices déguisée, une valorisation individuelle de l’innovation à l’extérieur de l’organisation peut être recherchée pour de simples gains financiers (exemple dans la culture où les organisations doivent faire face à une tension forte vers une segmentation sociale du marché du travail due à une véritable « économie de la notoriété »175) ;

173 Voir C. Vienney, Socio-économie des organisations coopératives, op. cit.

174 C’est pourquoi les régulationnistes analysent non pas un marché abstrait et intangible mais s’intéressent aux formes de la concurrence entre acteurs économiques, s’inscrivant dans des institutions particulières suivant les pays ou les époques (on parle à ce titre de « construction sociale du marché ») Voir R. Boyer, Y Saillard (dir.), La Théorie de la régulation, La Découverte, Nouvelle édition, 2002. En reprenant l’analyse conventionnaliste, J. Gadrey développe une analyse similaire :

« on ne sait pas ce qu’est le « marché » : les logiques marchandes capitalistes d’un secteur d’oligopoles contrôlés par les fonds de pensions ne sont pas celles d’un secteur (marchand) de services d’aide au maintien à domicile de personnes âgées, ou celles des marchés locaux de la petite restauration indépendante. Les marchés sont divers, ils sont tous régulés, ils ont les qualités et les défauts de leurs normes et ces normes intègrent souvent du social dans les obligations des échangistes » (J.

Gadrey, « Le tiers secteur comme objet d’étude : quel objet, quelles études ? », Sociologie du travail, Vol 42, n°4, octobre-décembre 2000, p. 603).

175 Comme l’avait mise en évidence Françoise Benhamou dans L’économie du star-system, Odile Jacob, 2002.

 concernant les revenus des parts sociales dans les SCOP, quand la souplesse dans la gestion du revenu (qui peut être un moyen de faire face à la concurrence dans certains secteurs d’activités) fait place à la croissance des inégalités dans la répartition du patrimoine accroissant en retour celle des revenus, et creusant ainsi l’écart entre associés et salariés et entre associés ;

 concernant les revenus de l’organisation : quand la logique financière tend à prendre le pas sur la logique de l’activité et de l’emploi : avec une gestion purement financière des excédents ; la création de filiales non plus conçues comme prolongement ou support à l’activité mais comme moyen de valoriser le capital ; avec la dépendance d’investisseurs extérieurs dont l’objectif est davantage le retour sur investissement que l’objet même de l’organisation…

 et concernant l’utilisation de ces entreprises d’économie sociale comme laboratoires ou comme réservoirs (externalisation) par les entreprises lucratives qui sélectionnent les activités solvables et reproductibles ou mettent en sous-traitance des départements externalisés (ces entreprises « indépendantes dépendantes » dont parle le rapport Supiot176).

Pour limiter le rôle de l’argent à celui de moyen et non de fin, soit échapper à cette logique financière, on trouve au sein des organisations d’économie sociale et solidaire plusieurs modalités :

 dans la gestion des activités : par la promotion des activités bénévoles, non monétarisées ; par l’articulation des activités non solvables ou non rentables avec des activités plus solvables et rentables, (mutualisation rendue plus difficile par la segmentation comptable et fiscale des activités177) ; par la prise en charge de l’innovation et de l’expérimentation grâce au bénévolat des membres, voire des salariés, qui peut même fragiliser la structure si elle n’est pas maîtrisée.

 dans la gestion des revenus : par l’écrasement de la hiérarchie des salaires ; l’alimentation des réserves impartageables ; l’arbitrage entre prix et salaires dans les associations, entre revenus du travail et du capital dans les SCOP….

 dans la gestion des organisations : par la solidarisation autour du même projet, dans un

« ensemblier », des acteurs segmentés par des fonctions différentes : par exemple, une association de formation et une SCOP de production, une association de création et une SARL de diffusion, une SCOP et une filiale SA dont les salariés sont aussi associés à la coopérative mère…

Mais l’économie sociale et solidaire s’inscrit aussi dans le refus d’une régulation purement marchande qui devient régulation financière et détruit des objectifs, des activités, des emplois, des qualifications.

Ainsi, dans certaines associations d’habitants, quand les activités économiques empiètent trop sur le projet associatif, les adhérents préfèrent arrêter ces activités plutôt que transformer le projet associatif.

En effet, ce sont les bénévoles qui déterminent les activités et ils entendent rester maîtres de leur association. Les associations culturelles et certaines SCOP se créent dans le refus de l’industrialisation et de la marchandisation de certaines activités professionnelles, pour garder la maîtrise de la création (artistes) ou de l’exercice de la profession (architectes, ingénieurs, formateurs…). Ainsi, le refus de la dépendance de la commercialisation pour certaines activités artistiques conduit des collectifs, auparavant centrées sur la création, à prendre en charge également la diffusion.

On voit ainsi que, par leur fonction d’innovation et de laboratoire, les organisations d’économie sociale et solidaire donnent naissance à des services ou produits qui peuvent être valorisés à l’extérieur de façon lucrative178 ; on voit également qu’elles n’échappent pas aux tensions de leur insertion dans

176 Voir Alain Supiot (dir.), Au-delà de l’emploi, Flammarion, 1999.

177 De façon générale, la spécificité de l’économie sociale dans la gestion des activités (mutualisation,

innovation) et des organisations (ensemblier) est largement méconnue par les instances administratives. Ainsi, dans la culture, lesassociations prennent en charge des activités suivant les mêmes modalités fiscales que les entreprises lucratives ; et de plus en plus, les mêmes financements publics sont attribués quel que soit le statut.

178 Ce qui conduit à inverser l’idée selon laquelle les organisations d’économie sociale et solidaire pénétreraient – de façon déloyale-, sur les marchés des entreprises lucratives ; hormis quelques cas dans l’insertion, le processus inverse conduit des entreprises lucratives à s’investir dans des activités structurées et solvabilisées grâce à l’économie sociale : tourisme populaire, services aux personnes, environnement….

un environnement où plusieurs logiques socio-économiques s’affrontent ; mais, au-delà de ce rôle transitoire qui leur est facilement reconnu, elles peuvent être durables ; au-delà de ces tensions qui doivent être analysées179, elles développent leur logique propre, par l’intégration de relations non monétaires dans les relations monétaires, de relations non marchandes dans des relations marchandes, et par la maîtrise de la logique financière au service du projet, même si le projet initial doit être réinterprété pour tenir compte des évolutions de l’environnement. Dans certains secteurs d’activité, elles participent ainsi à la régulation (ou parfois à la dérégulation) d’ensemble, du fait de leur influence ou de leur poids socio-économique180.

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