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L’entrée en économie : consommation collective et production de service

Dans le document Td corrigé Synthèse - HAL-SHS pdf (Page 101-104)

1. Les bornages

1.1. L’entrée en économie : consommation collective et production de service

La première question qui se pose à la définition de l’appartenance à l’économie sociale et solidaire est la question relative à l’économie. A partir de quand une organisation peut elle être considérée comme ayant une activité économique, ou une activité de production économique ? Ceci nous renvoie à la question plus large de la définition de l’activité économique.

Les définitions habituelles de l’économie sont plus ou moins satisfaisantes : la production du bien-être (très extensive), la gestion des ressources rares (très restrictive158), ou bien la production marchande (de plus en plus contestée159), et enfin l’exercice de choix rationnels (qui explique l’extension des concepts économiques aux autres sciences sociales)160. Aucune de ces définitions ne permet, à elle seule, de rendre compte des débats actuels portant à la fois sur la finalité et la nature de l’activité économique.

Si l’on retient la définition de l’économie comme « la production sociale des conditions d’existence »161, les contours concrets de l’activité économique sont également questionnés par l’essor des services, par définition immatériels, et notamment des services relationnels qu’il faut distinguer de la simple relation sociale : une relation devient-elle un service, donc une production économique, dès qu’elle est monnayable (ce qui exclut la production bénévole) ou bien d’autres critères sont-ils nécessaires en amont ?(son degré d’organisation, sa régularité et son inscription dans certains rapports sociaux par exemple) ?

L’étude des associations d’habitants et des associations culturelles (notamment des associations d’amateurs) nous a donné quelques indications sur cette « entrée en économie ».

La plupart des associations ont une activité économique, mais celle-ci n’est pas forcément une activité productive (elle peut être de consommation ou de redistribution) d’une part, et cette activité productive est largement dépendante d’une action sociale, culturelle, ou politique d’autre part. L’action nécessite des moyens économiques (on parle alors de consommation collective) ou bien passe par une production de services (d’activités) qui s’en autonomise plus ou moins.

A ce titre, nous avons retenu trois étapes différentes qui peuvent renvoyer à une forme de gradation de l’entrée en économie.

 consommation et redistribution : l’association « ménage élargi »

Toute association qui gère le moindre budget a une relation avec l’économie, au même titre qu’un ménage (on pourrait alors parler de ménage élargi à des membres non liés par des liens familiaux, au même titre qu’un couvent ou une prison) : en effet il y existe alors un minimum de consommation collective ou/et de redistribution.

La consommation collective consiste à disposer de (par apports en nature) ou à acheter des biens en commun pour l’action de l’association envers ses membres : organisation de repas ou de fêtes… pour tisser du lien social ; organisation de visites, de sorties… pour l’ouverture culturelle ; diffusion d’informations pour l’expression d’intérêts communs, la représentation politique… De ce point de vue, les groupes informels ainsi que l’association de parents d’élèves et l’association du cadre de vie semblent n’avoir, comme activité économique, que des consommations collectives partagées par les membres.

158 qui renvoie à la définition « canonique » de la théorie néoclassique proposée par L. Robbins

159comme l’attestent les réflexions portées par le Programme des Nations Unies pour le Développement autour de l’Indice de développement humain (IDH) ou le questionnement sur la mesure de la richesse développé par le rapport Viveret

160 mais qui semble plus être une tentative de légitimation a posteriori des choix sociaux qu’une analyse rigoureuse de la manière dont ils sont pris, comme le met en évidence Claude Vienney dans son analyse de « La force des forts » de Jack London sur la construction de la rationalité « économique ». Claude Vienney, Initiation à l’économie politique par l’analyse de texte, La force des forts de Jack London, Intermédia, 1977.

161 Renvoyant à ce que Karl Polanyi désigne comme registre de socialisation de nature économique, c’est-à-dire celui relatif à la mise en rapport des hommes entre eux à propos de la production, de la circulation et de la consommation des ressources tirées de la nature et dont ils ont besoin pour vivre. Karl Polanyi, « La fallace de l'économisme », Bulletin du MAUSS, n°18, Mai 1986.

La redistribution est un transfert en monnaie ou en nature (en temps) au sein de l’association ou à des tiers. Comme elles existent entre les générations d’une même famille, elle peut exister au sein de l’association ; c’est manifestement le cas du Sou des Ecoles qui a pour fonction principale la collecte d’argent pour financer des activités qui profitent collectivement aux enfants, par l’organisation de manifestations auxquelles participent les familles.

Au-delà de ces deux fonctions économiques de base, les associations socialisent l’expression d’une demande : en sollicitant leurs membres (habitants, parents…) ; elles transforment des besoins latents en besoins exprimés et éventuellement en demande. Cette demande soit s’adresse à un partenaire extérieur (tel l’Education Nationale, la municipalité, les bailleurs sociaux…qui doivent la transformer en nouveaux services) soit conduit à structurer directement une offre au sein même de l’organisation associative, ce qui passe par la production associative de services qui la différencie à la fois de la dynamique d’un mouvement socio-politique (dont la finalité n’est pas la production, mais la défense ou la promotion d’une « cause ») et de la production domestique ménagère (issue du travail domestique).

 la production d’un service « objectivable » : l’entreprise associative

Consommation collective et redistribution sont bien deux activités économiques mais elles ne suffisent pas à définir une activité productive associative qui différencie l’économie sociale et solidaire d’une action ou d’un mouvement social ; pour cela nous devons utiliser d’autres critères qui permettent de rendre compte des productions lorsqu’elles ne sont pas monétarisées162.

Le passage à l’activité socio-économique de production, basé sur la prise de conscience d’une nécessité et d’un besoin , nécessite la mise en œuvre de l’innovation socio-économique et la structuration de l’offre, qui différencie la production associative à la fois de l’organisation socio-politique et de la production domestique, dans son objet comme dans la nature des liens sociaux construits.

Ainsi, l’objectivation d’un service marque le passage de la consommation à la production, de l’action à l’activité163, du mouvement à l’organisation productive. Trois éléments peuvent définir cette objectivation d’une production de service : sa structuration, sa régularité et sa reconnaissance dans l’espace public, ce qui rejoint la notion de « bénévolat organisé » énoncée dans le rapport du CNIS164.

L’objectivation du service suppose de distinguer le but - la « cause », la relation - du moyen (le support), et de définir une activité reconnue par tous comme moyen d’y parvenir (alors que l’action confond le but et le moyen). :ce qui peut apparaître comme une certaine dépolitisation peut aussi être une objectivation de l’action politique dans des activités organisées et durables..

La structuration suppose de dépasser le simple engagement individuel des membres pour construire une organisation qui s’impose à tous, redéfinit la place de chacun et donc produit de nouveaux rapports sociaux (alors que dans la famille c’est la répartition sexuelle et générationnelle des tâches qui domine, et que dans un mouvement politique c’est le leadership charismatique qui entraîne l’adhésion). La gestion associative de services, tend à intégrer les engagements personnels et les relations inter-personnelles dans un cadre plus formel (comme quasi facteurs de production), avec une certaine redéfinition des relations sociales dans de nouveaux rapports sociaux (entre usagers, bénévoles, salariés et partenaires extérieurs).

162 La monétarisation d’un service apparaît en effet couramment comme le gage de son caractère « productif » c'est-à-dire de la reconnaissance par la société de son « utilité économique », de sa participation à la création de

« richesse économique »

163 Cf G . Fauquet (citation infra p. 8)

164 Voir G. Neyret, J-M. Nivlet, D. Rault, Associations régies par la loi de 1901, Rapport de la Mission du CNIS, n°44, novembre 1998.

La régularité des activités implique ainsi un certain nombre de contraintes de participation, de division du travail, voire de professionnalisation et de salarisation.. qui peuvent aller à l’encontre des notions d’adhésion volontaire, et des attributs du bénévolat : bonne volonté, gratuité…165. L’échelle économique, sur laquelle se positionnent les différentes organisations permet de distinguer trois types de relations à l’activité économique : la relation non productive (consommation, redistribution, construction d’une demande), la relation de production collective (non monétaire, monétaire non marchande, marchande non lucrative), et la relation financière (marchande lucrative) :

Le passage d’un espace privé (fermé) à l’espace public donne de la visibilité à cette production associative et permet son accessibilité à des tiers. Très souvent, c’est l’inscription dans les bulletins municipaux qui traduit ce passage de l’association « privée », proche du ménage, à l’espace public.

Se distinguant alors de la production domestique ménagère , fortement personnalisée les associations structurent alors une comptabilité qui ne relèvent plus simplement du cahier recettes / dépenses du ménage, elles organisent la mobilisation régulière des personnes qui construisent des relations nouvelles entre elles et vis-à-vis de l’organisation ; elles formalisent leur fonctionnement et l’accessibilité à leur service ; elles négocient l’entrée de personnes extérieures…

Se distinguant d’une organisation de mouvement social, elles produisent des services et non seulement du sens et des revendications, même si cette activité n’est pas totalement autonomisée du projet socio-politique.

 activité économique et projet socio-politique : volonté et aspiration

En effet l’autonomie de ces activités par rapport au projet politique n’est pas évidente, toutes ces activités sont largement contraintes par le projet qui n’est pas économique mais

socio-165 Cf D. Demoustier, « Le bénévolat, du militantisme au volontariat », Revue Française des Affaires Sociales, oct-déc. 2002

par du bénévolat d’administration et d’animation et du salariat

par du bénévolat d’administration et du salariat Production marchande non lucrative

par du bénévolat d’administration et d’animation et du salariat

par du bénévolat d’administration et d’animation et du salariat

par du bénévolat d’administration et du salariat Production marchande non lucrative

par du bénévolat d’administration et d’animation et du salariat

par du bénévolat d’administration et du salariat ---Production marchande lucrative

politique (ce qui semble être un élément distinctif de l’économie sociale et solidaire par rapport aux entreprises capitalistes dont les objectifs sont la production de biens et de services pour des consommateurs et la production de valeur pour les actionnaires).

Dans de telles organisations, il apparaît toujours délicat d’objectiver une activité économique au sein du projet socio-politique. Ainsi dans les associations d’habitants, on assiste au passage de l’expression individuelle et de la relation interpersonnelle de voisinage à un lien entre animation collective, expression collective et production collective. Ce passage renvoie à une progressivité de structuration d’organisation allant des groupes informels aux associations déclarées ; des associations non productives aux associations productives. Ces associations jouent un rôle important dans la structuration d’une demande, surtout dans les groupes informels, souvent organisés par des travailleurs sociaux, qui suscitent une demande collective qui ne leur préexistaient pas, l’objet du regroupement étant initialement la création de liens sociaux.

Dans la culture, l’association est le lieu du passage de l’amateurisme individuel à la reconnaissance publique grâce au collectif ; puisque par exemple elle permet d’organiser des expositions en commun ou de bénéficier de lieux de répétition ou de représentation.

L’activité repose alors principalement sur l’engagement des membres ; elle souffre souvent de son irrégularité et de la personnalisation des relations dans le groupe. Il existe en effet des tensions vers une logique communautaire ou domestique : les membres mobilisent leurs « proches » pour organiser l’activité ; le réseau relationnel est déterminant pour élargir l’action. La comptabilité elle-même reste proche de la comptabilité familiale (entrées – dépenses).

L’entrée en économie marque donc le passage d’une logique de « rencontre », de « mobilisation »…à une logique de production de service, même sans salariat, lorsque le bénévolat est organisé et que l’activité, régularisée, pénètre l’espace public. En structurant une activité socio-économique en liaison avec son objet socio-politique, l’association passe ainsi d’une logique « contestataire » à une logique

« attestataire », pour reprendre les termes de Henri Desroche.

A partir de cette spécification de cette entrée en économie, il est nécessaire de distinguer la logique d’économie sociale des autres logiques de production : artisanale, publique et lucrative, qui exercent néanmoins de forts attraits sur ces organisations.

Dans le document Td corrigé Synthèse - HAL-SHS pdf (Page 101-104)