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3. INFLUENCE DES TRANSITIONS ET DES POINTS TOURNANTS

3.3 La densité événementielle, source d’insatisfaction des aspirations

Le troisième groupe a vécu un parcours migratoire avec plusieurs points tournants et transitions. Cette densité événementielle a rendu difficile la prise en charge de la situation, surtout que les deux personnes, Chayma et Jules, ont mentionné se sentir seuls face à leur problématique et avoir vécu plusieurs incompréhensions à leur arrivée au Québec. Cela a semblé avoir un impact négatif sur leur possibilité de boucler leur parcours migratoire et leur sentiment d’intégration à la société d’accueil. Cela leur a fait vivre leur immigration comme un point tournant important, qui est toujours perçu par les deux personnes comme occasionnant beaucoup d’instabilités. Celles-ci se sont remises en question plusieurs fois depuis leur arrivée, se demandant si leur aspiration de venir au Québec et la réalisation de ce projet était une bonne idée. Chayma et Jules ont débuté leur parcours migratoire avec certaines attentes qui semblaient indiquer, selon cette analyse, un manque d’informations sur le déroulement de l’immigration. Par exemple, Chayma a été déçue dès son arrivée à l’aéroport de ne pas être accueillie par la personne qui dirigeait sa recherche universitaire. L’information sur les exigences financières des études universitaires au Québec semblait également partiellement transmise. Elle a ensuite eu quelques difficultés financières qui lui ont fait retarder d’une session le début de ses études. Plusieurs autres transitions et points tournants non souhaités se sont ajoutés pour elle depuis son immigration, tels que présenté au chapitre 4, sans oublier qu’il y avait eu

plusieurs événements la poussant à se questionner sur ses aspirations socioprofessionnelles avant la réussite de son immigration. Chayma a donc le sentiment d’avoir fait beaucoup d’efforts pour atteindre son aspiration d’immigration et qu’une fois qu’elle y est parvenue, les choses ne se déroulent pas comme prévues. Ce sentiment est partagé par Jules qui est venu au Canada avec l’aspiration d’offrir une bonne éducation à ses filles. Cependant, il vit des incompréhensions répétées sur le fonctionnement du Québec, ce qui lui apporte de mauvaises surprises telles que des pertes d’emploi et des interventions de la protection de la jeunesse, alors qu’il tente de son mieux de répondre aux demandes de la société. Dans les deux cas, leur perception d’intégration est faible. De plus, les deux personnes rapportent avoir vécu de la discrimination dans la société d’accueil. Leurs aspirations sont influencées par ces points tournants multiples dans leur vie, tout comme les stratégies et les moyens mis en place pour y parvenir. Les deux ont développé au cours de leur parcours migratoire une ambivalence, ce qui semble ralentir l’atteinte de leurs aspirations socioprofessionnelles, car ils oscillent entre l’avancement de leur projet dans la société d’accueil et leur déception vécue à la suite de leur immigration qui ne s’est pas déroulée comme prévue. Pour ce groupe, il semble possible de conclure que la densité des points tournants et des transitions a un fort impact sur leurs aspirations socioprofessionnelles qui semblent en constante réévaluation due à l’incertitude des personnes sur leur satisfaction ou non d’avoir réalisé leur aspiration d’immigration. Cela les empêche de boucler leur parcours migratoire pour pleinement s’insérer dans la société avec un sentiment d’appartenance, plutôt que de rester avec le

sentiment de toujours être en marge de la population générale et d’être traités différemment dans la majorité des sphères de vie.

Pour les personnes participantes de tous les groupes, les décisions prises et les actions posées lorsque surviennent les points tournants et les transitions ont eu une influence sur l’évolution de leurs aspirations socioprofessionnelles. Il a été possible de constater les particularités de chacun des groupes. Pour le premier groupe, les aspirations socioprofessionnelles et les points tournants et transitions s’interinfluencent dans un continuum plutôt constant et graduel, ce qui lui permet de ne pas vivre de ruptures importantes dans leur parcours de vie. Pour le deuxième groupe, certains points tournants et transitions sont survenus, demandant donc de faire des compromis en priorisant des aspirations. Dans ce contexte, les aspirations générales, basées sur les valeurs ont été favorisées, en mettant de côté des aspirations plus spécifiques, ce qui a mené les personnes vers le début d’une « nouvelle vie », également le point de fin du parcours migratoire. Pour le troisième groupe, l’influence des points tournants et des transitions sur les aspirations socioprofessionnelles semblent avoir un impact plus grand dû à l’abondance et à la fréquence de leur émergence. Cette densité d’événements est confrontante, ce qui remet en doute la pertinence du projet d’immigration et qui rend plus difficile, sur le plan de l’analyse, de déterminer la fin du parcours migratoire et d’identifier les aspirations socioprofessionnelles principales. Des oscillations sont récurrentes entre les aspirations liées au lieu d’accueil et le questionnement sur le retour dans leur pays d’origine.

En résumé, les aspirations socioprofessionnelles et les transitions et points tournants semblent s’interrinfluencer pour tous les groupes, mais ce qui émerge est que certains éléments permettront ou empêcheront d’avancer plus ou moins aisément dans le parcours migratoire. Bon nombre de ces éléments peuvent être expliqués par les principes du parcours de vie d’Elder, principalement la capacité d’agir, les vies liées et le développement tout au long de la vie. Ces principes semblent amener un soutien ou une contrainte lors d’un point tournant ou d’une transition, ce qui détermine l’ampleur et le déroulement de celui-ci, mais aussi la perception de la personne sur ce qu’elle vit. Par exemple, dans le cas du deuxième groupe, le soutien des collègues de la francisation lors du deuil d’Amira lui a permis de se relever et de se remettre en action. Il est possible de se demander si les personnes du troisième groupe avaient un réseau pour leur aider à surmonter les obstacles lorsqu’ils arrivaient et si la présence de ces personnes si ce n’était pas le cas aurait changé le déroulement de leur parcours migratoire.

La manière dont la personne vit un point tournant ou une transition oriente ensuite sa décision face à ses aspirations socioprofessionnelles, car elle les réévalue en se questionnant sur leur atteinte, sur le fait qu’elles représentent toujours ou non ce qu’elle souhaite, sur leur réalisme et si elle est prête ou non à faire les efforts nécessaires pour les atteindre (Gewirth, 1998). Les réponses à ces questions déterminent si les aspirations sont conservées ou non, ou si une est priorisée par rapport à une autre ou encore, si elles sont modifiées.

Finalement, tous les principes de l’approche du parcours de vie d’Elder peuvent avoir une influence sur les aspirations socioprofessionnelles que ce soit par la hiérarchisation/priorisation d’une aspiration, son abandon, sa modification ou autres. Bien que les principes du parcours de vie aient été abordés individuellement pour observer l’influence sous différents angles, le parcours de vie est un ensemble de tous ces éléments, ce qui rend encore plus indéniable l’influence des points tournants et des transitions sur les aspirations socioprofessionnelles. Toutefois, bien que l’objectif spécifique soit de comprendre l’influence des points tournants et des transitions sur les aspirations socioprofessionnelles, la relation inverse a également pu être observée, c’est-à-dire que les aspirations socioprofessionnelles ont également une influence sur les points tournants et les transitions. Par exemple, les motifs d’immigration semblent être majoritairement fondés à partir d’une aspiration, ce qui donne naissance au parcours migratoire qui a été présenté comme un point tournant dans la majorité des parcours des personnes participantes à cette recherche. Il semble donc y avoir a donc une influence mutuelle constante entre le parcours de vie et les aspirations socioprofessionnelles dans un continuum du parcours de chaque personne, que celui-ci semble suivre une ligne directrice plus stable ou qu’il contienne plus de bifurcations.

CINQUIÈME CHAPITRE. DISCUSSION

Ce chapitre correspond à la présentation d’une discussion à la suite des résultats du chapitre précédent. La première partie s’articule autour d’une discussion portant sur les liens entre la recension des écrits faite au premier chapitre et les résultats concernant les aspirations socioprofessionnelles extraits des entretiens avec les huit personnes participantes à cette recherche. Des pistes d’ouverture pour de futures recherches sont également proposées. Les limites de l’étude seront ensuite présentées, puis le chapitre se terminera par les apports de ce mémoire dans le domaine de l’orientation, tels que des pistes d’intervention.

1. LE PARCOURS MIGRATOIRE, LES POINTS TOURNANTS ET LES