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1. LES POINTS TOURNANTS ET LES TRANSITIONS

1.8 Jules, 42 ans, Afrique de l’Ouest

Jules habite en Afrique de l’Ouest lorsque la guerre est déclenchée en 2004. Étant donné que sa femme possède la citoyenneté d’un pays de l’Afrique de l’est, il leur est facile d’emménager rapidement dans ce pays avec leurs deux jeunes filles. Il quitte l’Afrique de l’Ouest avec l’objectif d’avoir une vie meilleure pour sa famille. Il croyait que c’est ce qui se produirait puisque la famille partait avec le président du pays d’accueil qui les prenait en charge et avait offert un travail à Jules. Toutefois, Jules mentionne que tout a changé une fois arrivé dans le pays d’Afrique de l’Est. Des photos ont été prises et diffusées dans les médias pour présenter les personnes que le président allait sauver, mais

dès le lendemain, la famille n’avait plus accès au président, malgré le rendez-vous fixé. Ce moment a été un point tournant important, car en plus de l’immigration vécue, celle- ci ne se passe pas selon les conditions annoncées initialement.

Jules se sépare pendant qu’il habite en Afrique de l’Est, alors il n’a plus de raison d’habiter dans ce pays par la suite. Il immigre donc au Canada avec l’une de ses filles en 2007, l’autre venant les rejoindre ensuite avec un délai non spécifié dans l’entrevue. Pour Jules, l’immigration au Canada est une nouvelle tentative de vivre une vie meilleure. Il vit un grand changement qu’il a choisi, mais il subit un choc lorsque l’environnement n’est pas comme celui qu’il avait imaginé. Il est surpris de voir certaines situations dans un pays aussi civilisé, telles que des enfants qu’il considère impolis envers leurs parents ou des gens qui ne laissent pas leur siège dans l’autobus à une personne aînée ou une femme enceinte :

Immigrer dans un pays, c’est pas facile. C’est pas facile. Perdre tous ses repères, recommencer à s’adapter, recommencer à apprendre à vivre même avec beaucoup de changements, avec beaucoup de situations qui s’offrent aux enfants et peu de situations qui s’offrent aux parents, c’est difficile. (Jules)

Entre 2008 et l’entrevue en 2018, il vit quelques transitions en lien avec son insertion professionnelle et scolaire : il a cinq emplois différents, dont les fins ont des causes variées, a un accident de travail, a un arrêt de maladie pendant environ cinq ans et débute deux formations professionnelles, dont une qu’il complète, même s’il regrette de

l’avoir faite sous le conseil d’un agent d’Emploi-Québec. Au moment de l’entrevue, il travaille comme responsable de production à temps plein dans une entreprise depuis environ six mois. Il estime que pour se démarquer dans les milieux scolaire et professionnel, il faut qu’il travaille davantage que les personnes blanches, alors il prépare ses filles à cette situation :

Pour vous respecter vous-mêmes. Et sachez que tu vas à l’école avec le Blanc, avec Juliette, avec Christophe, lorsque vous allez passer les entrevues, quel que soit ce que tu vas donner de plus, le Blanc va passer avant toi. Juliette va passer avant toi. Et pour que tu puisses être équivalente avec le Blanc et Juliette ou Joseph, il faut que tu travailles plus que Joseph. Il faut que tu travailles deux fois plus que Joseph. Peut-être même trois fois plus. Il faut que tu sois toujours parmi les meilleurs pour que tu aies 5% de chance d’être pris. (Jules)

Dans les sphères amoureuse et familiale, plusieurs points tournants ont également eu lieu. Avant 2002, en 2002 et en 2011, il y a la naissance de ses enfants. Tel que mentionné plus tôt, il a une rupture pendant qu’il habite en Afrique de l’Est stimulant l’immigration au Canada. En 2009, il a une nouvelle conjointe, puis ils se séparent en 2011. Cette séparation entraîne des démarches judiciaires qu’il considère comme un moyen de la mère de son fils pour mettre de la pression sur lui, il fait donc une demande importante :

Je suis arrivé au tribunal, j’ai dit au juge : « Donnez-lui l’enfant. Est-ce qu’il y a une possibilité, monsieur le juge, est-ce qu’il y a une possibilité que mon nom n’apparaisse pas sur l’extrait de naissance de l’enfant? Je suis prêt à le faire. » Il dit : « Pourquoi? » J’ai dit : « C’est pas parce que j’aime pas cet enfant, mais je n’aime pas qu’on utilise cet enfant contre moi. Je n’aime pas que cet enfant vive ce que moi j’ai vécu dans ma vie. » (Jules)

En 2013, la Direction de la protection de la jeunesse intervient également en mentionnant qu’il n’offre pas assez de stabilité à sa fille, alors qu’il estime que ses choix de séparations et de déménagements ont été faits au contraire pour la protection de sa fille. Cet événement est considéré comme point tournant puisqu’il a des conséquences importantes sur plusieurs sphères de la vie de Jules pour plusieurs raisons, dont l’atteinte psychologique que cela peut avoir.

En février 2013, la mère de ses filles décède. La même année, il rencontre une nouvelle femme avec laquelle il déménage et celle-ci a également des enfants. En 2015, ils se séparent. Cette dernière séparation a été un événement difficile pour toute la famille. D’ailleurs, les problèmes familiaux entraînent l’abandon de son deuxième programme d’études professionnelles.

Avec la pluralité de transitions et de points tournants dans le parcours de Jules, il est difficile d’évaluer si son parcours migratoire est terminé. Il pourrait être conclu que non, puisqu’il y a beaucoup de mouvements encore dans sa vie et qu’il n’est toujours pas

convaincu que son choix de venir au Canada était le bon. Toutefois, il semble y avoir des événements préalables qui démontrent une certaine instabilité déjà présente avant son parcours migratoire (ex. : des changements d’emploi fréquents).