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1. LES POINTS TOURNANTS ET LES TRANSITIONS

1.3 Dinah, 31 ans, Afrique du Nord

Dinah a vécu un point tournant important qui est venu bousculer beaucoup d’éléments dans sa vie. En 2004, elle fait une tentative de suicide, car elle n’accepte pas

son orientation sexuelle. Le fait que l’homosexualité ne soit pas tolérée en Afrique du Nord lui amène de la détresse :

Dans la région [l’homosexualité] est passible d’emprisonnement. Alors, cinq ans de prison ça aide pas, plus les amendes, plus plein de trucs psychologiques pour qu’ils te ramènent hétéro. Donc, je me sentais comme pas normale. Puis, je me sentais que je passais de la chouchou de la famille, la fille plus intelligente, blablabla et tout, vers la honte de la famille. (Dinah)

Cet événement l’amène à décider de se choisir plutôt que d’avoir honte et de se refouler. C’est ce qui déclenche chez elle les premières idées de quitter son pays d’origine pour pouvoir vivre en liberté sa vie amoureuse :

C'est comme faire le choix de vivre, c'est réussir sa vie au lieu de la subir. Puis, mes principes et mes valeurs, pour moi, c'est super important. Si je vis pas pour mes valeurs et mes principes, je vois pas… Le jour où j’ai décidé de vivre, j’ai décidé de le faire pour moi-même. Donc, je ne vivrai pas pour quelqu’un d’autre, puis je ne vivrai pas sous l’emprise d’une morale, d’une religion à laquelle je n’adhère pas. Donc, c'est fini ça. (Dinah)

En 2007, une nouvelle relation amoureuse vient changer beaucoup de choses dans sa vie, dont provoquer la création officielle du projet migratoire. Cette relation peut être

considérée comme un point tournant, puisque pour Dinah, venir au Canada est l’occasion de se construire une vie et réaliser ses rêves. Elle hésite entre la poursuite de ses études ou le travail pour réussir à partir le plus loin possible de l’Afrique du Nord, puis décide d’aller travailler en Europe pour bien préparer l’immigration souhaitée, dont elle n’a abordé le sujet qu’avec sa conjointe et son père, pour éviter que les gens soient au courant de son projet s’il ne se concrétisait pas. Tout comme pour Emmanuel, le principe des vies liées d’Elder et al. (2003) exprime bien l’importance de la conjointe de Dinah dans ses prises de décision, autant comme élément déclencheur du parcours migratoire que pour la suite des événements de ce parcours.

Dinah est arrivée au Québec en 2010 avec sa conjointe. Ce point tournant dans sa vie lui a apporté des changements positifs considérables. Elle a commencé rapidement sa maîtrise en génie chimique et un an plus tard, elle travaillait comme auxiliaire d’enseignement à temps partiel. Aussi, elle ne sent pas de pression au Canada, contrairement à son pays d’origine. Après s’être cachée à son arrivée au Québec, elle décide environ un an plus tard de commencer à assumer son homosexualité et de tâter le terrain pour voir si c’est possible. Après avoir constaté que la réponse est positive, elle s’est sentie en totale liberté, ce qui a été un point tournant.

En 2012, elle termine sa maîtrise en génie. Elle vit à ce moment-là un point tournant : alors qu’elle hésite entre aller travailler et faire son doctorat dans le but de devenir professeure, elle choisit le marché du travail, pour se permettre de se rapprocher plus rapidement de son objectif de devenir citoyenne canadienne et de celui d’avoir une

famille. Les deux voies lui permettaient de répondre à des aspirations différentes, mais aucune ne pouvait tout lui offrir. Peu importe le choix qu’elle priorisait, il est possible de croire que des implications permanentes auraient été présentes. Sapin et al. (2007) nomme se dilemme comme étant la sélection du « moindre mal » (p.122), qui est plus ou moins un choix. Il fallait donc à ce moment que Dinah favorise certaines sphères de vie :

Je perçois comme ça comme une logique. Parce que tu viens, tu immigres, il faut que tu sois utile à la société. Si tu es étudiant, tu restes étudiant, tu n’es pas si utile que ça. Parce que, quelque part, on a besoin de toi pour travailler et c'est pour ça qu’on t’a choisie en immigration et tout. (Dinah)

En 2016, Dinah vit une rupture amoureuse avec la personne avec laquelle elle avait bâti non seulement son projet migratoire, mais également son projet de vie complet. Cela a amené des conséquences qu’elle dit vivre encore, selon les jours :

C’était assez drastique et rapide. Ça a commencé lorsqu’on a commencé à acheter une maison. Donc, ça devenait un grand engagement pour elle. Donc, c'est là où comme elle serait comme obligée de faire son vrai coming out. Puis, elle n’était plus capable d’assumer, puis moi il était hors de question que je vive dans l’ombre. Non, je suis sortie du placard, je retournerai pas dans le placard. C’est fini là. Moi, c'est comme derrière. […] Dans cette relation-là, on a toutes grandit ensemble, construit ensemble, bâti ensemble, on venait de la même culture… L’espèce de fierté que j’avais à être avec cette femme qui est dentiste […], Je dirais que s’il

y avait pas ses parents dans l’équation, on aurait fini vieilles, puis avec plein d’enfants. […] Je voyais que c’était sans issues, puis c’était un des pires choix que j’ai dû faire. C’est l’espèce de choix à la raison et le cœur. […] Ah, ça finit par une grosse dépression. (Dinah)

Dinah a vécu des points tournants dans son parcours migratoire ayant comme source la réussite de vivre librement sa relation amoureuse : sa tentative de suicide en 2004 qui l’amène à assumer son orientation sexuelle; en 2007, le début de sa relation amoureuse; en 2010, son immigration avec son amoureuse au Québec; puis en 2016, la rupture avec la personne avec laquelle avec qui elle avait bâti son projet de vie. Le passage entre la maîtrise en génie chimique et le marché de l’emploi a également été recensé. Après sa maîtrise, Dinah aurait pu choisir entre le marché du travail pour favoriser sa vie familiale ou le doctorat en génie pour devenir professeure. Dinah a choisi de suivre la voie qui l’avait amenée au Canada, soit l’aspiration de vie amoureuse avec le projet d’avoir des enfants. De plus, un emploi en tant qu’ingénieure chimique a été trouvé très rapidement. Pour ce qui est de la fin du parcours migratoire de Dinah, aucun moment précis n’a été ciblé puisque cette intégration s’est faite graduellement, mais rapidement. À son arrivée elle s’est intégrée dans le milieu étudiant en obtenant un emploi comme auxiliaire de recherche. Sur le marché du travail également l’intégration s’est faite rapidement. Même la rupture avec son amoureuse, malgré la dépression, n’a pas semblé remettre en question la vie de Dinah au Québec.