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La décentralisation aux états: municipalisation ou districtalisation?

Chapitre 5. L’émergence du mouvement pour la municipalisation de la santé au RN

5.2. La décentralisation aux états: municipalisation ou districtalisation?

En 1987, l’INAMPS a déclenché un processus de décentralisation de ses ressources aux états fédérés, à travers l’implantation des «systèmes unifiés et décentralisés de santé» (SUDS). Ils représentaient le premier pas vers la décentralisation effective du système de santé, mais sans répercussions majeures sur le processus de municipalisation. Au RN, le SUDS sera implanté comptant sur le transfert des ressources et la cession des structures de l’INAMPS au «secrétariat à la Santé de l’état fédéré» (SES-RN), sous la gestion du secrétaire à la santé de cette unité fédérative. L’INAMPS sera réduit à un petit bureau régional destiné à s’occuper exclusivement de l’administration du personnel. Ainsi, les professionnels et les fonctionnaires de cette institution fédérale existant au RN seront mis en disponibilité, en vue d’être affectés aux services du SUDS-RN ; ils resteront toutefois régis par la législation fédérale et reliés administrativement à ce bureau. Toutes les ressources financières du budget de l’INAMPS destinées au RN seront transférées au SUDS-RN35.

35 Le SSE-RN continuera à payer son personnel mais, progressivement, les autres dépenses du SUDS-RN seront

L’implantation du SUDS-RN a été réalisée de façon très brusque, ce qui a donné lieu à plusieurs conflits36. Il faut souligner les divergences des équipes de gestionnaires et professionnels du SMS de Natal et du SSE-RN à propos de la décentralisation du système de santé. Chez les technocrates partisans de la réforme de la santé, le SUDS représentait un acte stratégique très important pour la réforme sanitaire ; l’étape intermédiaire entre l’ancien système et le SUS à venir.

«En 1987, était survenue l’explosion de l’INAMPS. C’était une folie absolument nécessaire, à ce moment-là, pour le processus de décentralisation. Il y avait des critiques sur la forme, comme elle est arrivée. Mais, en vérité, à ce moment, la violence du SUDS a été très importante pour pousser le processus de décentralisation. Les ressources qui, par tradition, restaient à Brasilia, ont commencé à arriver aux états fédérés»37.

Décentralisation limitée, sans franchir les frontières de l’état, le SUDS-RN a apporté au RN une grande somme de ressources financières, la responsabilité d’allouer ces ressources et la gestion effective de ce système de santé décentralisé. Il s’agissait aussi de prendre en charge les soins spécialisés dispensés avant par les unités sanitaires de l’INAMPS et aussi d’établir des rapports avec le secteur privé fournisseur de services au système public de santé. Les gestionnaires, les professionnels et les fonctionnaires du SSE-RN commencent à recevoir une gratification pour leur participation au SUDS-RN. Elle était tellement très significative,

36 Après la signature du contrat pour l’implantation du SUDS au RN, le personnel de l’INAMPS-RN a poursuivi

un mouvement de résistance à la décentralisation. La technocratie du Bureau régional de cette institution ne prétendait pas perdre sa position dans la structure de pouvoir du système de santé et le contrôle sur l’allocation des ressources. Quant aux professionnels et autres fonctionnaires, ils avaient peur de perdre leur niveau de salaire et les autres droits acquis dans cette institution fédérale.

au point même de doubler leur salaire38. La peur de perdre cette gratification demeurera l’un des facteurs alimentant la résistance du personnel du SSE-RN à la municipalisation de la santé. Ce sentiment s’intensifiera, stimulé par les gestionnaires de cette organisation. En assumant la gestion du système de santé au RN, ils ne voudront plus entreprendre une décentralisation jusqu’aux municipalités.

«Nous [le SSE-RN] sommes à survivre avec les ressources des conventions, des recettes hospitalières, parce que les ressources du Trésor de l’état fédéré sont rares. Ces ressources sont destinées au paiement du personnel, parce que ce qu’ils remettent pour le soutien administratif, même de la Régie centrale, ce n’est presque rien. (…) Si les ressources du SIA e des AIHs s’épuisent, tout va finir pour nous»39.

Pour le secrétaire à la santé du RN et les technocrates du SSE-RN, la décentralisation du système de santé apportée par le SUDS représentait la possibilité de s’approprier du contrôle sur l’allocation des ressources de ce système et de la définition des politiques de santé, dans cet état fédératif. Il s’agissait de passer de la condition périphérique d’un simple fournisseur de services publics de santé à celle d’agent régulateur et gestionnaire de ce système. Dans un milieu où la culture politique clientéliste dominait les relations institutionnelles, cette nouvelle condition a engagé ces acteurs dans des rapports privilégiés avec les entrepreneurs du secteur et les autres instances du gouvernement de l’état40. Enfin, ils

38 La justification pour cette gratification était le besoin d’équité salariale entre le personnel du SSE-RN et de

l’INAMPS. En fait, elle représentait une incitation du gouvernement fédéral pour compenser les bas salaires payés par l’état fédéré.

39 Ex-chef de la section du Budget du SSE -RN, en entrevue avec l’auteur.

40 Les prises de décision sur les autorisations de séjours hospitaliers constituaient un des grands enjeux du secteur

santé. Les intérêts privés et le jeu clientéliste de la politique locale seront fortement mobilisés autour des séjours hospitaliers. Ceux-ci étaient largement utilisés comme «monnaie courante » dans les rapports établis avec la population.

se sont confortablement installés sur les acquis apportés par leur condition de gestionnaires exclusifs du système de santé au RN.

La municipalisation sera alors vue comme une contrainte aux intérêts du secrétaire de santé du RN et des technocrates, entre autres membres du personnel du SSE-RN, au fur et à mesure qu’elle pouvait résulter en un changement ou réaménagement du jeu clientéliste, suite à la perte de pouvoir politique du SSE-RN et à la réduction significative de son pouvoir d’allocation des ressources. Aussi, se sont-ils opposés aux efforts du SMS de Natal pour s’engager dans le SUDS-RN, en posant les premiers jalons d’une décentralisation qui dépassait l’état fédéré. Dans cette démarche, le SMS de Natal a négocié avec la présidence de l’INAMPS la possibilité d’assumer l’administration de l’ensemble des centres de santé existant dans son territoire, incluant ceux qui appartenaient au SSE-RN. Cependant, cette ébauche de municipalisation sera frustrée par l’action de l’état fédéré qui a poussé politiquement pour changer les termes du contrat et retirer les articles concernant le transfert des unités sanitaires. Le SMS de Natal a signé un «terme d’adhésion au SUDS»41, par lequel

cette institution municipale intégrait le SUDS-RN, mais il se bornera tout simplement à fournir des services de santé de première ligne, à travers ses propres centres de santé, et à recevoir le paiement mensuel de l’INAMPS pour les services fournis.

Malgré un certain compromis assumé à l’endroit de la municipalisation de la santé, établie comme un des buts du « Plan d’action du SUDS-RN », le SSE-RN cherchera à

41 Étaient prévus dans les documents de création des SUDS les « termes d’adhésion des municipalités », connus

aussi comme « conventions de municipalisation ». Ils constituaient des contrats spécifiques à travers lesquels une municipalité assumait la responsabilité de fournir des services de santé dans le cadre du SUDS de son état fédéré.

développer progressivement un discours critique à propos de son implantation effective. Le secrétaire à la santé du RN et son équipe relevaient une grande immaturité des municipalités pour parvenir à assumer les responsabilités inhérentes à une décentralisation comme celle que souhaitaient les municipalistes. De plus, ils mettaient en relief les risques politiques et les difficultés opérationnelles que comportait une telle entreprise. Ainsi, ils posaient des questions et remettaient en doute le besoin de poursuivre la municipalisation. Devons-nous remettre aux municipalités la responsabilité d’administrer le système de santé, les hôpitaux, les centres de santé et le personnel, si elles n’ont aucune tradition dans le domaine de la santé, aucune structure administrative adéquate pour le faire, aucun désir d’investir dans ce secteur, aucune compréhension de ce qu’implique prendre en charge la santé de leurs citoyens? Vaut-il la peine de municipaliser le système de santé pour le confier à des maires corrompus qui ne pensent qu’à l’argent et à leur avenir politique ? Devons-nous municipaliser la santé et prendre le risque de rendre le système de santé à nos adversaires, qui l’utiliseront comme outil politique contre nous ? En plus, pratiquement, comment devons-nous nous y prendre pour décentraliser la santé vers des municipalités très hétérogènes, quelques-unes très petites, sans ressources, sans professionnels ni administrateurs pour faire face à ces nouvelles attributions ?

Le SSE-RN essayera alors d’opposer à la municipalisation un nouveau modèle de décentralisation : la «districtalisation». La notion de «district sanitaire, appelé plus tard

«système local de santé» (SILOS)42, faisait partie de l’ensemble des modalités d’organisation

42 Au Brésil, le concept de «district sanitaire» a été développé dans le même sens que celui de «système local de

des services de santé, soutenu par le mouvement pour la réforme de la santé et l’implantation de ces districts était incluse dans les directives générales des SUDS.

Les territoires des districts sanitaires ne seraient pas définis par des critères politico- administratifs, mais plutôt par des critères techniques. Comme la majorité de ces districts ne correspondraient pas au territoire d’une seule municipalité, l’équipe du SSE-RN affirmait que l’état fédératif était mieux placé pour coordonner leur implantation et mise en œuvre, se situant au-dessus des problèmes intermunicipaux. Elle relevait l’importance de la décentralisation pour le système de santé, soulignant que la districtalisation allait encore plus loin que la municipalisation, qu’elle constituait une forme de décentralisation encore plus poussée que celle soumise aux limites de l’organisation politico-administrative de l’État brésilien. Comme «l’Organisation panaméricaine de la santé» (OPS) en était à diffuser l’idée de district sanitaire et à inciter les divers pays à mettre en place les modèles de districts sanitaires «adéquats à chaque contexte local», les technocrates du SSE-RN en ont profité pour utiliser ce discours afin de soutenir cette organisation de santé à continuer comme seule responsable pour la gestion de la santé au RN.

«L’OPS a financé une opération de districtalisation au RN, en cherchant à trouver des formules adéquates à l’implantation de ce modèle de décentralisation dans cet état. Pour le développement d’une expérimentation d’implantation de districts sanitaires, quatre territoires ont été choisis, la zone nord de Natal entre eux. On attendait que ce projet puisse fournir des informations, accumuler de l’expérience pour ensuite la répandre. Mais, ça n’est pas arrivé. Cet essai d’implantation des districts sanitaires n’a pas réussi et on est resté là. (…) à ce moment, l’intérêt prédominant était celui de retenir la décentralisation du niveau fédéral en

tant qu’accumulation de pouvoir au niveau de l’état fédéré. Mais, lorsqu’on a commencé à parler de la décentralisation pour les municipalités, ce qui était nécessaire, on a mis le pied sur la pédale douce»43.

En septembre 1987, pendant le «Séminaire interinstitutionnel sur la réforme sanitaire

et l’organisation des services de santé au RN», dont l’objectif était de promouvoir le débat sur

les stratégies d’implantation du SUDS dans cet état fédéré, les municipalistes en ont profité pour répondre aux questions posées par le SSE-RN à propos de la municipalisation de la santé. D’abord, selon ces acteurs, la corruption et le clientélisme n’étaient pas des caractéristiques des municipalités du RN, mais existaient partout dans les institutions publiques brésiliennes. Il fallait alors les combattre à tous les échelons du gouvernement, le municipal inclus, et l’existence de cette contrainte ne constituait pas un argument de poids pour invalider le projet de municipalisation. En outre, si les municipalités n’étaient pas encore assez matures pour assumer les responsabilités dans le domaine de la santé, ce n’était pas tout à fait leur faute ; c’était plutôt le résultat d’un long processus de centralisation des ressources et du pouvoir au niveau fédéral, centralisation encore accrue pendant les années de la dictature. Ainsi, cette

«immaturité» proviendrait du dépouillement des états et municipalités de leurs responsabilités

vis-à-vis de leurs populations, de l’expropriation de leurs ressources, enfin, de la négation de leur autonomie. Il fallait alors reconquérir le terrain perdu et amorcer un long processus de renouvellement des municipalités où les états fédérés auraient un rôle très important à tenir44. Dire que les municipalités sont immatures et leur nier le droit au développement constituait

43 Ex-coordinateur de planification du SSE-RN, en entrevue avec l’auteur.

44 La discussion sur le rôle des états fédératifs et des autres échelons du gouvernement dans le système de santé

alors une position équivoque. Finalement, les risques politiques et les difficultés opérationnelles existaient ; il fallait les affronter et non renoncer au projet.

Les municipalistes ont aussi profité de ce séminaire pour rejeter l’argument considéré fallacieux d’opposer municipalisation et districtalisation. Le district sanitaire ne constituait qu’une structure fonctionnelle du système de santé, une des possibilités d’organisation et d’offre de services, entre autres, qui impliquait nécessairement la décentralisation de ce système vers les états fédérés et municipalités. Le choix du niveau de décentralisation du système de santé (état ou municipalité) et celui d’organiser les services (districts sanitaires, régionalisation à partir des hôpitaux, entre autres) constituaient alors des phénomènes d’ordres différents. Tout comme les états fédérés, les municipalités pouvaient également adopter le modèle des districts sanitaires pour organiser leurs services de santé. Une grande municipalité pouvait implanter plusieurs de ces districts dans son territoire ; une seule municipalité de taille moyenne pouvait se constituer en tant que territoire d’un district sanitaire unique ; en plus, plusieurs petites municipalités pouvaient s’organiser en régime de partenariat pour implanter un seul district sanitaire. Dans cette démarche, municipalisation et districtalisation constituaient alors des phénomènes différents ; l’un n’excluait pas l’autre. Il revenait aux municipalités de choisir la modalité d’organisation des services la plus appropriée aux besoins de santé de leurs populations. Il était question de respecter l’autonomie des municipalités.

En dépit du discours favorable à la municipalisation, le «ministère de la Santé» (MS) n’a pris effectivement aucune initiative en ce sens. Au niveau local, la direction du Bureau du MS au RN et les régies de la «Fondation services spéciaux en Santé publique» (FSESP) et de

la «Surintendance des campagnes sanitaires» (SUCAM) resteront tout à fait absentes de ce processus, pendant toute cette période. Par contre, le processus de décentralisation par le biais du SUDS-RN sera totalement accompli. Mais, tandis qu’à Brasilia, la présidence de l’INAMPS continuera à contrôler le financement et à définir les règlements concernant l’allocation des ressources des SUDS dans les états fédérés, le SSE-RN se conformera aux directives de l’INAMPS, tout en les adaptant aux «besoins locaux». À vrai dire, ces adéquations ne représentaient qu’une soumission aux pressions politiques à l’usage clientéliste des ressources du SUDS-RN.

Finalement, en 1988, la nouvelle constitution fédérale sera sanctionnée. Elle créera le

«Système unique de santé» (SUS) dont la réglementation, à travers des lois spécifiques,

attendra 1990. De quelque façon, dans le cadre de la loi fondamentale du pays, il existait une définition claire du désir de décentraliser la santé et d’intégrer toutes les organisations et institutions publiques de ce domaine dans un système unique. Un contexte national favorable à la réforme de la santé sera alors aussi opportun pour le mouvement en faveur de la municipalisation du nouveau système de santé.