• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5. L’émergence du mouvement pour la municipalisation de la santé au RN

5.1. L’émergence du mouvement

Au Rio Grande do Norte (RN), 1986 représente une année particulièrement riche en événements dans le domaine de la santé publique. Le maire de la municipalité de Natal crée le

«secrétariat municipal à la Santé» (SMS). Le premier secrétaire à la Santé de Natal, un

médecin adepte de la social-démocratie, cherche à composer une équipe formée principalement de jeunes professionnels, issus pour la plupart des cours de spécialisation en santé publique offerts par le «Département de santé collective et nutrition» de l’«Université

fédérale du Rio Grande do Norte» (UFRN)31. En plus de se constituer comme la première organisation municipale de santé au RN avec l’objectif explicite de prendre en charge la santé de sa population, le SMS de Natal jouera un rôle très significatif dans le mouvement pour la municipalisation du système de santé au RN. L’alliance entre les gestionnaires du SMS de Natal, les intellectuels et les professionnels engagés dans le processus de réforme de la santé, amorce un mouvement pour la municipalisation de la santé au RN.

Au delà des effets au plan organisationnel et politique dans le secteur de la santé local, la création du SMS de Natal s’imposait comme un acte à forte portée symbolique : les municipalités sont capables de prendre en charge la santé de leurs citoyens. Dorénavant, la municipalisation devient partie constituante des discours de l’ensemble des acteurs participant aux processus d’organisation du système de santé et d’offre des soins au RN. Cela ne signifie pas qu’un consensus existait, mais bien que cette notion demeurera toujours présente dans les débats et le jeu institutionnel de la santé ; implicitement ou explicitement, pour ou contre, elle pointera à l’horizon des idées, des sentiments et des stratégies des acteurs.

La période 1986-1990 présentait un contexte national plutôt favorable à une réforme en profondeur du système de santé : le climat de re-démocratisation, les débats pour l’élaboration de la nouvelle Constitution fédérale, le « mouvement sanitaire », les recommandations énoncées dans le rapport de la «VIIIe Conférence nationale sur la santé», le projet

d’implantation des SUDS, à travers lesquels sera réalisée la décentralisation des ressources de

31 Outre les contenus techniques nécessaires à la formation de ce type de spécialiste, il était reconnu que ces cours

diffusaient largement les idées du mouvement national pour la réforme de la santé. Ainsi, ils ont produit nombre de professionnels à l’esprit critique et prêts à se battre pour cette réforme.

l’«Institut national des soins médicaux de la sécurité sociale» (INAMPS) au profit des

«secrétariats à la Santé des états fédérés» (SSE) et, finalement, l’émergence d’un mouvement

pour la municipalisation de la santé.

Dans plusieurs états fédérés brésiliens, les secrétaires municipaux à la Santé ont réussi à s’organiser autour des «conseils des secrétaires municipaux à la Santé» (COSEMS), pour défendre les intérêts des municipalités dans le domaine de la santé et déclencher le mouvement pour la municipalisation dans chaque unité fédérative. Progressivement, l’idée de constituer un réseau national de ces conseils, agglutinés autour d’une association nationale s’impose. En 1987, à la suite de plusieurs réunions nationales du mouvement pour la municipalisation de la santé, le «Conseil national des secrétaires municipaux à la Santé» (CONASEMS) voit le jour. Il a comme principale mission la coordination nationale de ce mouvement.

Le secrétaire municipal à la Santé de Natal et quelques membres de son équipe ont participé activement aux réunions nationales qui ont favorisé la fondation du CONASEMS. En tant que professeur de l’UFRN, il a cherché l’appui des intellectuels du secteur (en particulier des professeurs de santé publique de cette université), pour effectuer un travail de

« sensibilisation » des maires et professionnels de la santé des autres municipalités, quant à

l’importance de la création d’autres SMS et du développement des structures municipales de prestation des services de santé. Selon lui, pour réussir dans cette tâche, «il fallait montrer

que la SMS de Natal fonctionnait bien dans un milieu où il y avait une hypertrophie du SSE- RN et une culture de méfiance envers les services municipaux de santé»32.

La structuration du SMS de Natal et la diffusion des idées municipalistes du secteur santé au RN constituent deux mouvements différents étroitement soudés l’un à l’autre. Afin de réunir la force politique nécessaire pour exercer l’hégémonie sur les autres municipalités et les convaincre de l’importance de leur adhésion au mouvement, le SMS de Natal avait besoin de prouver aussi sa propre efficacité dans la prise en charge de la santé de ses citoyens; autrement dit, son efficience administrative et sa capacité d’apporter des réponses techniques de qualité aux problèmes de santé de la population lui conférait la crédibilité nécessaire pour soutenir un discours fort et convaincant à propos de la municipalisation de la santé.

Les municipalités au RN, pour la plupart, ne bénéficiaient pas de structures pour dispenser des services de santé à leurs populations. Le mouvement pour la municipalisation dans cet état était récent et, en grande partie, stimulé par le SMS de Natal et les intellectuels, eux-mêmes inspirés par un courant plus large, à l’échelle nationale, ayant réussi à pénétrer les cercles d’élaboration de politiques de santé. À partir du milieu des années 80, toutes les politiques implantées (Plan du CONASP, AIS, SUDS) traitent de l’idée de décentralisation du système de santé et de l’importance d’une participation des municipalités dans ce système. Toutefois, il existait une forte résistance des maires à l’institutionnalisation de la prestation de services de santé par les municipalités et ce, de façon systématique. Pour assumer ces

responsabilités, il fallait investir pour établir les structures administratives, techniques, informatives, entre autres, et engager le personnel qualifié pour administrer, organiser, planifier, fournir et évaluer les services.

La majorité des maires se laissait influencer par une logique purement politique basée sur une espèce de «comptabilité électorale», selon laquelle les investissements dans la santé représentaient un coût très fort à payer. Pour ces politiciens, la population était déjà habituée à recourir aux services de santé assurés par le «secrétariat à la Santé de l’état du RN» (SSE-RN) et continuerait probablement à voter sans tenir compte du fait que les soins leur soient administrés par l’état fédéré ou les municipalités. Alors, créer des services municipaux de santé entraînait nécessairement des coûts additionnels, en plus d’attribuer de nouvelles responsabilités aux maires, sans pour autant leur apporter de nouvelles ressources, ni aucun avantage spécifique au plan strictement politique. Autrement dit, la situation pouvait se résumer à «dépenser pour rien». Fortement motivés par cette logique politique, les maires attendaient de la municipalisation de la santé une sorte d’incitation économique qui, à ce moment-là, n’était pas fourni par le gouvernement fédéral, ni par l’état du RN.

Malgré la résistance des maires à la municipalisation, l’«effet démonstration» causé par la création du SMS de Natal fonctionnait comme une sorte de «capital symbolique» (Bourdieu, 1994) dans les échanges d’information que les municipalistes utilisaient pour stimuler la création des nouveaux SMS. Dans leur discours, ils annonçaient la municipalisation comme incontournable et irréversible, une tendance des systèmes de santé. Ils soulignaient aussi les avantages financiers à court terme de la municipalisation de la santé

et démontraient aux maires que, pour bien en profiter, il fallait créer des structures municipales pour administrer et assurer des services de santé : un secrétariat, un conseil, un fonds et finalement des centres de santé. Alors, il fallait se préparer pour l’avenir.

«Même dans la condition de conseilleur technique du COSEMS-RN, je n’étais pas un municipaliste radical. Je soutenais les intérêts des municipalités, de la décentralisation, mais je reconnaissais aussi l’importance du rôle à jouer par les autres échelons du gouvernement. Mais, comme stratégie, nous utilisions un discours plus radical pour réussir à attirer l’attention des maires sur la question financière de l’allocation des ressources dans les ‘fonds municipaux de santé’ (FMS). De cette façon, nous avons réussi à ouvrir leurs yeux sur la municipalisation de la santé. Ils n’étaient pas intéressés au développement des activités d’un système municipal de santé, ni à la démocratisation et à l’administration de conflits à travers la création de conseils municipaux de la santé. Ils étaient intéressés à l’argent ; ils étaient très sensibles à ça»33.

La capacité du SMS de Natal à convaincre les autres municipalités entraînait l’adhésion progressive des municipalités au mouvement et, en conséquence, la croissance du nombre de SMS au RN : «pour la période 1986-1988, dans un univers de cent cinquante-deux

municipalités existant au RN, un tiers de celles-là ont créé des SMS»34. Ce fait renforçait

l’idée de la viabilité d’implantation de la municipalisation et l’image des municipalités, en tant qu’entités responsables de la santé, gagnait du terrain ce que soutenait, de son côté, le SMS de Natal dans sa perspective de pousser pour une municipalisation effective de la santé dans son propre territoire.

33 Ex-conseiller technique du COSEMS-RN, en entrevue avec l’auteur. 34 Ex-secrétaire municipal à la santé de Natal, en entrevue avec l’auteur.

Le «Conseil des secrétaires municipaux à la Santé du RN» (COSEMS-RN) sera créé, à la fin de 1987, sous la direction du SMS de Natal et dépendra encore de celui-ci. Pendant toute l’année 1988, le secrétaire municipal à la santé de Natal s’est dévoué à l’organisation de ce conseil. Il sera élu le premier président du COSEMS-RN et tiendra des réunions avec l’ensemble des secrétaires des autres municipalités, pour définir les stratégies afin de poursuivre le mouvement. Le fait que 1988 soit une année électorale et que, conséquemment, les maires les plus impliqués dans le processus de municipalisation de la santé devaient s’engager dans la campagne politique conduiront à une paralysie momentanée du mouvement municipaliste. Il faudra attendre les nouveaux maires et les nouveaux secrétaires à la Santé pour constater les grandes fragilités de tous ordres et les défis à affronter et surmonter.

À la fin de 1988, le «Département de la santé collective et de la nutrition» de l’UFRN créera le «centre d’études en Santé collective» (NESC-UFRN). Ce dernier jouera un rôle très important dans les politiques de santé du RN, comme une sorte de «conscience critique» du système de santé, diffuseur des idées de la réforme sanitaire, formateur de ressources humaines, promoteur d’événements pour inciter au débat sur la santé et finalement, producteur de connaissances dans ce domaine.

Il est encore tôt pour la municipalisation effective, mais c’est le moment de constituer des conditions de faisabilité. Dans ce contexte, le COSEMS-RN en tant que pion avancé du mouvement, tiendra un rôle de premier plan, mettant de l’avant la municipalisation de la santé. Malgré les résistances des maires, du SES-RN, entre autres, les secrétaires municipaux à la Santé continueront à s’organiser et à développer des stratégies pour soutenir l’idée d’une

décentralisation accrue. Mais, il manquait encore un cadre institutionnel convenable, des ressources et suffisamment de force politique pour réussir.