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La Côte-de-Beaupré (cap Tourmente) 1 Le territoire

3. UN MILIEU, DE MULTIPLES RELATIONS

3.2 La Côte-de-Beaupré (cap Tourmente) 1 Le territoire

Située 40 kilomètres à l'est de la ville de Québec, depuis la rivière Montmorency jusqu'au pied du cap Tourmente, la MRC de La Côte-de-Beaupré englobe 9 municipalités et 2 territoires non organisés. La MRC compte 23 000 habitants, une population vivant assez éloignée des marais à stirpes, dominants les côtes de la MRC. Actuellement, les marais occupent une superficie totale estimée à plus de 3000 hectares sur la Côte-de-Beaupré et se concentrent principalement à cap Tourmente (Hamois, 2005 :10). Ils touchent à six municipalités d'ouest en est soit de Boischatel jusqu'à Saint-Joachim en passant par les municipalités de L'Ange-Gardien, Château-Richer, Sainte-Anne-de-Beaupré et Beaupré

(Figure 3.2). Quant au site plus précisément étudié, soit la région du cap Tourmente, les marais intertidaux occupent une superficie de 620 hectares et ils se situent au bout de la plaine du Cap Tourmente à la rencontre des basses-terres du Saint-Laurent et du Bouclier canadien. Les marais du cap Tourmente sont localisés dans l'estuaire d'eau saumâtre du Saint-Laurent ; il est caractérisé principalement par un marais à Scirpe américain (Scirpus americanus) (Fleurbec, 1985 : 26). Depuis 1978, ce site est protégé par la fondation de la Réserve nationale de faune du cap Tourmente.

Figure 3.2 Marais saumâtre de la Côte-de-Beaupré

Source : Carte réalisée par C. Careau et M. Hatvany, 2009, Laboratoire de géographie historique, Département de géographie, Université Laval.

3.2.2 Les types d'exploitations historiques 3.2.2.1 Contexte amérindien (avant 1608)

Les fouilles archéologiques réalisées par Moussette entre 1989 et 1992 ainsi que par Chapdelaine et Chrétien de 1997 à 2000 confirment que le marais du cap Tourmente constituait une source importante de nourriture (gibiers, poissons, sauvagine) pour les populations nomades amérindiennes. Entre 6000 à 3000 ans avant aujourd'hui, des groupes d'Amérindiens vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette de baies sauvages sont venus s'établir sur les basses terres du cap Tourmente (Chrétien et Chapdelaine, 1997, 2000). Cette utilisation préhistorique des marais est aussi notée dans les différentes sources historiques analysées par Harnois (2005). En effet, les Amérindiens y faisaient la transhumance en s'y établissant de façon saisonnière pour y exploiter les richesses fauniques et végétales suivant alors le mouvement migratoire de la faune aviaire. C'est ainsi que les marais intertidaux se sont intégrés dans l'environnement des Iroquois où l'agriculture, la chasse et la pêche y étaient pratiqués - des pratiques qui se poursuivront par les premiers colons européens après 1608 (Harnois, 2005 : 62).

3.2.2.2 Contexte colonial (ca.l608-1840)

Dans la première moitié du XVIIe siècle, le système seigneurial est implanté au Québec.

Le but premier de ce système est la maîtrise du territoire par l'établissement d'une société rurale, stable et capable d'auto-production (Courville, 1983 : 419). Lors de la concession des lots de la seigneurie de Beaupré en 1662, chaque censitaire recevait une partie de terre humide sur la Côte-de-Beaupré. Les battures étaient d'abord des espaces de prairies naturelles qui fournissaient du fourrage pour le bétail. En effet, à partir du XVIIe siècle et

jusqu'à la fin du XXe siècle, la récolte de foin de mer s'effectuait sur la Côte-de-Beaupré,

surtout sur les battures du cap Tourmente. Le foin de mer était principalement destiné au bétail de l'Habitation de Québec (Harnois, 2005 : 122).

L'aquarelle de Thomas Davies (1785) met en évidence l'étendue des marais pour le secteur de Château-Richer (Figure 3.3). Selon l'atlas historique du Canada, cette peinture illustre un exemple d'une agriculture mixte extensive sur la Côte-de-Beaupré où l'on observe différents types d'aménagement du territoire incluant le marais, par exemple, les granges en bois avec leurs toits en chaume, les levées de terres sur le marais, l'élevage et les nasses pour la pêche à l'anguille (Harris et al, 1987).

Figure 3.3 Vue de Château-Richer, Côte-de-Beaupré, 1785

Source : Thomas Davies, 1785, Musée des beaux-arts du Canada, No. 6279, Ottawa.

À l'époque coloniale les marais étaient également utilisés pour la pêche mais aussi la chasse. Les techniques de pêche étaient liées au jeu des marées et on y capturait principalement l'anguille, l'esturgeon, le bar, l'éperlan, le poulamon et le saumon de l'Atlantique (Harnois, 2005 : 75). Outre la chasse à la sauvagine (bemaches, oies blanches, canards de toutes espèces) qui était aussi pratiquée sur le marais, on y frappait toutes sortes de petits gibiers comme le lièvre, et on y abattait même l'orignal qui s'aventurait tout près

des rives du Saint-Laurent, au début de la colonie (Harnois, 2005 : 76). C'est ainsi que jusqu'au XVIIIe siècle, une population sédentaire vivaient le long du littoral où

l'agriculture mixte et extensive, l'élevage, la chasse et la pêche étaient fréquemment pratiquées sur les marais de la Côte-de-Beaupré et le milieu environnant. C'est à partir du XIXe siècle, cependant, que de profonds changements socio-économiques transformeront

les rapports entre l'être humain et les marais de la Côte-de-Beaupré. 3.2.2.3 Contexte industriel (ca.l840-1970)

La période de 1840 à 1900, au Québec, est marquée par la modernité : une mécanisation en plein développement, un réseau de transport qui prend de l'expansion, et une agriculture et un élevage en pleine mutation. On assiste également à l'abandon du système seigneurial en 1854. Les relations entre les habitants et les marais de la Côte-de-Beaupré se métamorphosent de façon graduelle. En effet, la culture du blé fait de plus en plus place aux pâturages et aux autres céréales comme le foin et l'avoine ; l'industrie laitière est aussi en pleine émergence. Jusqu'en 1891, les battures demeurent essentielles aux cultivateurs en fournissant un supplément de nourriture de subsistance pour le bétail, ce qui aide ainsi l'industrie laitière à prendre de l'ampleur. Survient alors le premier événement marquant qui modifie les relations entre l'homme et les battures de la Côte-de-Beaupré. Symbole de modernisme, l'implantation du chemin de fer sur la batture en 1889 entre Saint-Joachim et Québec a eu pour effet de créer une barrière entre les habitants de la côte et les marais intertidaux du fleuve Saint-Laurent. Passant à travers les terres et contournant le rivage du fleuve, la voie ferrée se rendait jusqu'au cap Tourmente dès 1894 (Andrews, 2000 : 39). Cet événement marqua le début de la fin des grandes étendues de marais sur la quasi totalité de la Côte-de-Beaupré (Harnois, 2005 : 86).

À partir de 1900, et ce, jusqu'en 1960 (période de modernisation intensive) les marais intertidaux subiront les effets de l'étalement urbain (développement commercial, résidentiel et industriel) et de l'expansion du réseau routier à cause de la proximité de la ville de Québec. C'est particulièrement lors de la construction du boulevard Sainte-Anne en 1941 entre Québec et Sainte-Anne-de-Beaupré que ces effets seront les plus ressentis. Pendant cette époque, marquée par le progrès, la superficie d'empiétement totale sur le

littoral suite à la construction du boulevard Sainte-Anne s'éleva à 150 hectares (Hamois, 2005 : 101). Le terrain plat des battures favorisait la construction d'infrastructures dans le secteur (Figure 3.4). Une photographie prise en 2008 au même endroit que la peinture de Davies en 1785 illustre des changements majeurs dans l'utilisation du sol notamment le remblayage des marais (Figure 3.4). Il est à noter que les propriétaires n'eurent aucune compensation monétaire pour les terres perdues. De 1889 à 1990, c'est plus de 300 ha de littoral qui ont été remblayés, dont la moitié était des terres humides. La construction de l'autoroute Dufferin-Montmorency dans les années 1970 donna une rapidité d'accès à la Côte-de-Beaupré, promouvant ainsi son développement. Jusqu'au contexte post-industriel, les marais de cette région sont disparus progressivement du quotidien des habitants. Les marais restants connurent ensuite une protection et une mise en valeur particulière, principalement au cap Tourmente.

Figure 3.4 Vue de Château-Richer, Côte-de-Beaupré, 2008

Fleuve Saint-Laurent

3.2.2.4 Contexte post-industriel (ca. 1970-au jourd'hui)

À partir des années 1970, c'est la naissance au Québec d'une perspective environnementale se traduisant par la reconnaissance de la perte et de la dégradation des habitats naturels, une situation alors menaçante pour de nombreuses espèces d'oiseaux et d'autres espèces sauvages. Parmi ces habitats, il y a les habitats fauniques et floristiques essentiels, notamment les milieux humides qui régressaient à une vitesse alarmante (Hamois, 2005 : 125). En réaction à ces problèmes, diverses actions sont portées en vue de protéger l'environnement, par exemple la création de certaines lois et politiques environnementales par les gouvernements provinciaux et fédéraux. Parmi celles-ci, on trouve notamment la Loi provinciale sur la qualité de l'environnement (1972), la Loi fédérale sur la faune du Canada (1973), la Loi provinciale sur le zonage agricole en lien

avec l'empiétement urbain (1978), la Politique provinciale de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (1987) et la Loi québécoise sur le développement durable (2004). Toutefois, en ce qui concerne la Côte-de-Beaupré, c'est la création de la Réserve nationale de faune du cap Tourmente en 1978 qui est l'acte concret le plus important afin de protéger et de mettre en valeur le potentiel écologique des marais à stirpes. Malgré tout, la préservation du milieu naturel, soit placer la nature sous une cloche de verre et en l'occurrence, y exclure l'être humain, constituera une autre forme de barrière qui empêchera les habitants de la Côte-de-Beaupré de fréquenter librement les marais (Figure 3.5).

Figure 3.5 Réserve nationale de faune du cap Tourmente

Source : Collection de l'auteur, poste d'observation du marais, 2008.

3.2.3 Les modes de gestion actuels (RNF du cap Tourmente)

En 1973, la Loi sur la faune du Canada a été adoptée en vue de créer des zones protégées qui seront connues sous le nom de Réserves nationales de faune (RNF). Elles tirent leur origine suite de la perte d'habitats naturels ainsi que de la mise en application de la Convention concernant les oiseaux migrateurs (1911-1917) aux États-Unis. Créée en 1978, la RNF du cap Tourmente est gérée et administrée par le gouvernement fédéral (Figure 3.6). Occupant un territoire de 2399 ha de terres, dont 620 ha de marais intertidal, le cap Tourmente est un lieu de prédilection pour la Grande Oie des Neiges. L'objectif fondamental de la Réserve est la protection du marais à scirpe, habitat essentiel pour l'unique population mondiale de la Grande Oie des Neiges (Mercier et al., 1986 : 2).

Figure 3.6 Marais à scirpe, Réserve nationale de faune du cap Tourmente

Afin de respecter les autres habitats et espèces animales, le territoire de la RNF du cap Tourmente est aménagé et géré dans le but de maximiser l'utilisation du territoire par la Grande Oies des Neiges. Son aménagement, ainsi que sa gestion, comprennent plusieurs volets, dont la chasse contrôlée, l'aménagement du marais côtier, l'agriculture et le pâturage, l'étude et le suivi du marais à scirpe, de même que la sensibilisation de la population et des chasseurs à l'importance du milieu naturel (Hamois, 2005 : 125).

Enfin, l'utilisation et l'aménagement des marais de la Côte-de-Beaupré, plus spécialement celui de cap Tourmente s'est vu attribuer diverses fonctions depuis le contexte amérindien jusqu'à aujourd'hui. Divers facteurs socio-économiques et technologiques caractérisant

chacun des contextes de civilisation ont en effet influencé la perception, l'usage ainsi que l'organisation de ces terres humides (Tableau 3.1).

Tableau 3.1 Utilisation et aménagement des marais du cap Tourmente depuis plus de 400 ans

Contexte Utilisation des marais Caractéristiques socio-économiques

Post-industriel (ca.1%0- aujourd'hui)

Réserve nationale de faune (Lieu de préservation)

Economie de marché, émergence d'une société de loisir et de plein air, naissance d'une conscience environnementale,

ratio population-ressources favorable.

Industriel (ca.1840-1970)

Récolte de foin (fourrage), chasse, pêche et pâturage

Economie de marché, agriculture intensive spécialisée, terre privée, développement du réseau urbain lié à la transformation des ressources, à la fabrication de biens par

l'utilisation d'énergie et à la technologie, ratio population- ressources moins favorable.

Colonial (ca.1608-1840)

Récolte de foin salé (fourrage), chasse et pêche

Société traditionnelle-rurale (sédentaire), agriculture extensive, ratio population-ressources favorable.

Amérindien

(avant 1608) Chasse, pêche et cueillette

Société nomade, chasseurs-cueilleurs, ratio population- ressources favorable.

3.3 L'Isle-aux-Grues