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3. UN MILIEU, DE MULTIPLES RELATIONS

3.6 Analyse relationnelle

Le discours principal des décideurs concernant les milieux humides à l'heure actuelle est celui du développement durable. Dans ce discours, il semble qu'on considère trop souvent l'être humain comme étant destructeur du milieu naturel et que l'on fait abstraction de la variable historique des interactions entre êtres humains et la nature. L'utilisation et l'aménagement des cinq marais de l'estuaire du Saint-Laurent à l'étude illustre clairement que les rapports entre l'être humain et les marais sont complexes et historiques. Comme il est analysé dans ce chapitre, plusieurs variables culturelles, socio-économiques, démographiques, technologiques et environnementales expliquent les divers changements dans l'usage et la perception de chaque écosystème.

Les résultats de cette étude spatio-temporelle suggèrent que les relations entre les populations et les marais prennent plusieurs formes dans l'espace-temps (Figure 3.18). Du contexte amérindien jusqu'au début du contexte industriel, les relations avec les marais prenaient des trajectoires parallèles. En effet, les activités pratiquées étaient la chasse, la pêche, la récolte du foin de mer pour le fourrage et le pâturage, des pratiques harmonieuses avec l'écosystème. Il s'exerça donc une agriculture de subsistance mixte extensive. Durant cette époque, les communautés dépendaient directement du milieu naturel pour assurer leur survie.

C'est à partir de la fin du XIXe siècle et jusqu'à la fin du XXe siècle (contextes industriel

et post-industriel) que l'exploitation et l'aménagement des marais prend différentes formes suivant ainsi la réponse des communautés à la modernisation de la société, la spécialisation, la robotisation et l'automatisation des technologies enfin l'augmentation de la population. À titre d'exemple, l'endiguement des marais à des fins agricoles à Kamouraska et à LTsle-Verte, la production de mousse de mer à LTsle-Verte et l'île Verte et la récolte de foin de mer et le pâturage pour Isle-aux-Grues et cap Tourmente, ainsi que le retour à des pratiques traditionnelles à l'île Verte.

Figure 3.18 Dynamiques spatio-temporelles des cinq marais du Saint-Laurent à l'étude (Temps) 1800 1900

-I-

2008 e s P a c e Marais Cap-Tourmente ile-aux-Grues Kamouraska Île-Verte Type d'aménagement I Chasse et pêche

Pâturage, récolte de foin de mer (chasse, pêche, ornithologie possible)

Préservation de la flore et de la faune (ornithologie et chasse possible)

Endiguement aux fins agricoles (chasse, pêche, ornithologie très limitées)

Production industrielle de mousse de mer (chasse et pêche possible)

Source : Hatvany, 2007.

C'est à la fin des années 1970 que des mesures drastiques suivant la destruction massive des milieux humides de la période industrielle viennent modifier certaines relations entre les communautés et les marais du cap Tourmente et de la baie de l'Isle-Verte : la création des Réserves nationales de faune. Gérées par le gouvernement fédéral, elles visent à assurer un milieu naturel intact pour plusieurs espèces d'oiseaux et obligent la population à demeurer à l'extérieur des marais. Concernant les marais de l'Isle-aux-Grues, de Kamouraska et de l'île Verte il faut savoir que ce sont des acteurs locaux qui gèrent actuellement l'utilisation et l'aménagement des marais intertidaux. Pour la baie de Kamouraka on pratique toujours une agriculture intensive, ce qui s'est avérée néfaste pour les marais alors que pour l'Isle-aux-Grues et l'île Verte on valorise soit un retour à des pratiques traditionnelles où alors c'est la continuité de celles-ci, activités qui s'inscrivent bien dans l'optique du développement durable visant ainsi l'harmonie entre la société,

l'économie et l'environnement (l'écosystème). À noter que pour les marais des îles à l'étude, l'isolement géographique (insularité) peut expliquer la valorisation de pratiques traditionnelles durables. Il faut penser ici à la défunte production d'agneau de pré-salé à l'île Verte et la production d'un fromage fait à partir de lait de vache qui se nourrissent de foin de mer sur l'Isle-aux-Grues. Il ne faut également pas négliger le sentiment d'appartenance de ces communautés envers le milieu naturel que forment les battures ou toutes sortes de symboles comme les oies par exemple qui ont toujours été au cœur du quotidien de ces populations.

Ces différents types de relations qui ont émergés de milieux naturels semblables ne sont pas sans rappeler les notions de la tradition vidalienne. Vidal de la Blache, disait que le milieu est un ensemble dynamique, le fruit des rapports multiples qui s'établissent entre les êtres et les ensembles naturels. Par l'adaptation à des conditions naturelles semblables, l'être humain pourra répondre différemment, selon sa culture propre, il en résulte alors une variété de situations qui rend chaque milieu différent. De plus, par la notion de genre de vie celle-ci est dynamique et renvoie au contenu même de ce processus d'adaptation, c'est-à- dire, la manière dont les peuples vivent et qu'ils ont d'utiliser les ressources de leur milieu pour répondre à leurs besoins fondamentaux (Courville, 1995 : 16).

Deux concepts expliquent bien l'évolution de ces multiples trajectoires dans l'aménagement et l'exploitation des marais. D'abord, il y a le concept de territorialité qui se rapporte au contenu des civilisations et de ce qui articule son équilibre interne (Courville, 1995 : 72). Dans ce cas-ci, l'utilisation et la gestion au niveau local des marais permet d'assurer une appropriation des ressources offertes par le marais et d'en contrôler les retombées économiques, sociales et culturelles de ces dernières. Et deuxièmement, il y a le concept d'urbanité qui de manière générale recouvre ce qui relève de l'état et de ses institutions qui assurent le développement, comme par exemple les Réserves nationales de faune (Courville, 1995 : 71).

Les résultats montrent qu'avec un regard vers le passé il est possible d'observer que les rapports (Nature-Culture) sont dynamiques, complexes, cycliques, parfois durables et parfois non. Les diverses réponses culturelles aux différentes caractéristiques socio- économiques, démographiques et environnementales associées aux différents contextes de la civilisation québécoise avec les marais ne suivent pas un axe linéaire. Chaque communauté humaine vit en symbiose avec son espace, et ces relations sont si intimes qu'en dépit de conditions naturelles parfois semblables (comme c'est le cas avec les cinq marais à l'étude), chaque milieu de vie devient unique, fondé sur des choix d'exploitation et de mise en valeur différents (Courville, 1995 : 14). Voilà l'importance des marais afin d'analyser et de comprendre les diverses interactions entre l'être humain et l'environnement à travers le temps. Comme Diamond l'avait constaté dans Effondrement (2005), les relations passées entre êtres humains et l'environnement peuvent nous en apprendre beaucoup sur notre futur et les relations durables ou non.

4. LES ENJEUX NATURELS D'UN MARAIS :