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3. UN MILIEU, DE MULTIPLES RELATIONS

3.4 La baie de Kamouraska 1 Le territoire

Située sur la rive sud du Saint-Laurent en aval de la ville de Québec, entre les municipalités de Saint-Denis à l'ouest et de Kamouraska à l'est - secteur Saint-Louis-de- Kamouraska, - la baie de Kamouraska s'étend sur une distance de 6,5 km. Le paysage humanisé du littoral de la baie est caractérisé par un habitat rural où les terres agricoles dominent. La baie de Kamouraska est accessible par la route 132, anciennement le Chemin du Roi, qui la contourne. Le marais intertidal fait parti de la portion maritime de l'estuaire du Saint-Laurent. Il prend forme à l'ouest, plus précisément au pied du cap au Diable à Saint-Denis, et s'étend jusqu'au cap Blanc à l'est, vers la localité de Saint-Louis-de- Kamouraska et couvre une superficie totale de 215 acres (figure 3.10). Trois zones de végétation caractérisent le marais de la baie de Kamouraska. À l'étage inférieur du marais se trouve la zone de Spartine à fleurs alternes (Spartina alterniflora), tandis que la Spartine étalée (Spartina patens) en colonise la partie intermédiaire et la Spartine pectinée (Spartina pectinata.) la partie supérieure jusqu'à l'aboiteau (Champagne et al., 1983 : 55).

3.4.2 Les types d'exploitations historiques 3.4.2.1 Contexte amérindien (avant 1680)

Profitant de l'abondance des forêts et de l'écosystème estuarien ce sont d'abord les Paléo- Amérindiens (7000 ans avant l'actuel) qui reconnurent cet environnement riche. Le missionnaire Paul Le Jeune avait passé l'automne et le printemps de 1633-1634 avec les Montagnais qui habitaient la région de Kamouraska. Il rapporta que les Montagnais exploitaient les marais salés et l'estran du fleuve pour y exercer la chasse et la pêche puisque gibiers, anguilles et plusieurs autres poissons ainsi que mammifères marins et terrestres s'y retrouvaient en grand nombre (Hatvany, 2003 : 50). Ces pratiques inspireront les premiers colons français lors de leur arrivée dans la région. D'ailleurs, au début du XVII^ siècle, la concentration de mammifères marins (bélugas) et d'espèces ichthyologiques fut un facteur relativement important dans l'un des premiers établissements français sur la Côte-du-Sud, à Rivière-Ouelle (Laberge, 1993 : 58).

Figure 3.10 Marais de la baie de Kamouraska Légende N

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Source : Carte réalisée par C. Careau et M. Hatvany, 2009, Laboratoire de géographie historique, Département de géographie, Université Laval.

3.4.2.2 Contexte colonial (ca.1680-1860)

Les marais furent utilisés comme source de subsistance par les premiers Européens de Kamouraska, comme l'avaient fait - et le faisaient encore - les Amérindiens. Au début du XVIIIe siècle, les colons français continuaient en effet les pratiques de chasse et de pêche

amérindiennes sur les marais avec des techniques plus efficaces, particulièrement en ce qui a trait aux filets pour la pêche à l'anguille (Hatvany, 2003 : 154). Quant à la pêche, elle était fructueuse car en plus d'y pêcher l'anguille, on y péchait par exemple le hareng, la sardine, l'éperlan, l'esturgeon et le marsouin (Paradis, 1948 : 4). La concession des terres de Kamouraska lors du régime seigneurial permit un accès au fleuve pour toutes les familles implantées, ce qui donna l'occasion d'exploiter la terre au maximum. En effet, du haut-pays en allant jusqu'au fleuve, la terre était d'abord défrichée. On y pratiqua ensuite une agriculture extensive de subsistance jusqu'aux marais.

Les terres ensemencées couvraient généralement le tiers de l'espace, parfois la moitié, tandis que l'on en conservait environ un tiers en prairies où l'on menait paître les animaux (Corporation des fêtes, 1999 : 23-24). Sur les terres humides, on récolta le foin de mer qui servait au fourrage et à la construction de toits de chaume. C'est ainsi que le pâturage, mais également la chasse et la pêche étaient pratiquées sur les marais intertidaux de Kamouraska.

Sous le Régime français des problèmes d'érosion des rives du Saint-Laurent étaient observés dans certaines paroisses de la Côte-du-Sud (Corporation des Fêtes, 1999). Déjà soucieux de la vulnérabilité des routes et des fermes contre les marées de vives eaux et d'équinoxe, des endiguements avaient été construits par les habitants à même les marais de Kamouraska à l'époque coloniale (Hatvany, 2009 : 109). Les marais étaient donc une ressource importante pour combler des besoins essentiels. Ce n'est qu'à partir de 1850 que les relations ont radicalement changé entre les habitants et les marais de Kamouraska.

3.4.2.3 Contexte industriel (ca. 1860-1960)

Vers 1830-1840, le Québec connaît d'importants problèmes de nature démographique et économique alors que beaucoup de pression démographique est exercée sur les terres arables. Il en résulte que près de 900 000 québécois migrent vers les États-Unis entre 1830 et 1930 (Hatvany, 2009 : 86). La chute du blé québécois au profit de celui de l'ouest canadien en était une cause majeure. Afin de répondre à ce problème, les élites de l'époque cherchèrent des moyens pour garder les jeunes gens près du milieu agricole afin d'éviter leur exode vers les États-Unis (Courville et al., 1995). Ainsi, à la suite d'un voyage en France et en Angleterre, l'abbé François Pilote, professeur d'enseignement religieux et du commerce et directeur financier du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière vit un lien direct entre la réforme agraire et les efforts de modernisation de l'agriculture au Québec. Suite à cela, il fonda l'École d'agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 1859 (Hatvany, 2009 : 94). Professeur à cette école, l'agronome Jean-Daniel Schmouth vit le potentiel d'endiguer de vastes étendues de marais à l'aide d'aboiteau. Ce système ingénieux offrait un élément de réponse aux problèmes économiques et démographiques qui touchaient alors le Québec. L'aboiteau a été conçu en tant que système de drainage

permettant d'endiguer les marais à grande échelle pour les transformer en terres agricoles. Il s'agit d'un système muni de clapets qui s'ouvrent à la marée basse pour laisser l'eau douce provenant du drainage des terres cultivées s'écouler vers le fleuve. Les clapets se referment à marée haute pour empêcher l'eau salée d'envahir les terres agricoles. D'autres nouveautés, comme l'arrivée du chemin de fer dans le comté de Kamouraska à partir des années 1860, qui permit les échanges avec les grands marchés comme Montréal, et la création de La Gazette des Campagnes en 1861, premier journal scientifique dédié à l'amélioration de l'agriculture au Québec, sont d'autres événements palliant aux problèmes socio-économiques de l'époque (Hatvany, 2003 : 73).

Au Québec, les marais ont également été considérés longtemps comme des lieux insolites et inutiles (Gauthier et al., 1980 : 1). Le premier aboiteau de la région fut construit en 1859 sur les terrains de la ferme modèle du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (Hatvany, 2009 : 107). Ce n'est qu'en 1937 que fut bâti l'aboiteau primaire sur la baie de Kamouraska alors que les ministères de l'Agriculture et de la Colonisation du Québec fournirent les fonds nécessaires à sa construction. Terminé en 1940, cet aboiteau prit 200 arpents de marais salés à Saint-Denis, 650 arpents à Saint-Louis-de-Kamouraska et améliora 200 autres arpents dans les basses terres des 2 municipalités (Hatvany, 2003 :

120). C'est ainsi que le haut-marais servait maintenant à une agriculture intensive. 3.4.2.4 Contexte post-industriel (ca.1960-2009)

À la suite d'une importante tempête qui se produisit en 1941, l'aboiteau se brisa à plusieurs endroits. Pour contrer ce problème, les fermiers construisirent un aboiteau secondaire entre 1940 et 1948. Toutefois, ce n'est qu'en 1979 que l'on procéda à la reconstruction de l'aboiteau principal. Sous l'autorisation du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, la digue reconstruite mesurait 6,7 km et devait améliorer 2500 acres de terres sur la baie de Kamouraska (Hatvany, 2003 : 131) (Figures 3.11 et 3.12). Cependant cette reconstruction ne s'est pas faite sans opposition. Au même moment, des groupes environnementalistes, écologistes et biologistes notèrent en effet une importante diminution de la superficie des terres humides au Québec et argumentèrent que la reconstruction de l'aboiteau se faisait sans étude d'impact environnemental.

Ils mentionnèrent également l'importance des marais de Kamouraska comme aire de repos, d'alimentation et de reproduction pour de nombreux oiseaux sauvages en l'occurrence le Canard noir (Reed et Moisan, 1971 ; Gauthier et al., 1980). Alors que les travaux d'endiguement étaient ralentis par les moyens de pression des groupes environnementalistes, les fermiers de la région se regroupèrent et réunirent eux-mêmes les fonds et équipements nécessaires à la reconstruction de l'aboiteau (Hatvany, 2003 : 133). Une vive confrontation entre deux discours avait donc lieu à ce moment : un discours biocentrique émergeant prônant la préservation des marais (écologistes, biologistes, environnementalistes) et un autre anthropocentrique, visant l'utilisation des marais à des fins économiques (endiguement) défendu par différents acteurs tels que les agronomes, les botanistes, les agriculteurs, les ingénieurs et les politiciens.

Figure 3.11 Reconstruction de l'aboiteau sur la baie de Kamouraska, 1980

Source : Travail de réfection de l'aboiteau, baie de Kamouraska, BAnQ-Q E22-29A.

Depuis plus de 25 ans, les marais ont subi de fortes perturbations dans cette région. En plus des perturbations anthropiques, les marais subissent actuellement de l'érosion, tel que noté sur le terrain à l'été 2008. De plus, une étude réalisée par Environnement Canada en 2007 souligne la perte de 75 hectares dans le bas marais à Spartina alterniflora et de 105 hectares dans le haut marais pour l'ensemble des marais de Kamouraska, et ce, depuis un quart de siècle. À l'heure actuelle, les fermiers dépendent encore beaucoup de l'aboiteau dans la baie de Kamouraska afin de pratiquer une agriculture intensive.

Figure 3.12 Aboiteau sur la baie de Kamouraska

Source : Collection de l'auteur, 2008.

Depuis le contexte amérindien, l'usage et l'aménagement des marais a donc été fait sans perturbation néfaste sur le marais de la baie de Kamouraska jusqu'à la construction de l'aboiteau en 1937-1938. Toutefois, à partir de cette date, une toute autre relation est née sur la baie de Kamouraska : l'exploitation intensive, voir la transformation des marais pour des raisons économiques (Tableau 3.3).

Tableau 3.3 Utilisation et aménagement du marais de la baie de Kamouraska depuis plus de 400 ans

Contexte Utilisation des marais Caractéristiques socio-économiques

Post- industriel

(ca.1970- 2009)

Agriculture, chasse et pêche

Économie de marché, agriculture intensive, mono- production, ratio population-ressources moins

favorable, forte mécanisation

Industriel (ca.1860-

1970)

Récolte de foin, pâturage, chasse, pêche et agriculture

(endiguement)

Économie de marché, agriculture intensive mixte, ratio population-ressources moins favorable,

mécanisation

Colonial (ca.1680- 1860)

Récolte de foin, pâturage, chasse et pêche

Sédentaire, économie de subsistance, agriculture extensive mixe, ratio population-ressources

favorable, faible apport technologique

Amérindien (Avant

1680)

Chasse, pêche, cueillette Société nomade, chasseurs-cueilleurs, ratio

population:ressources favorable

3.5 L'Isle-Verte et l'ïïe Verte