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4. LES ENJEUX NATURELS D'UN MARAIS : La baie de Kamouraska

4.1 Entre croissance et érosion

Dans les sources historiques on note qu'en Amérique du Nord depuis 1874 jusqu'aux années 1980, qu'il existe un discours dominant chez les scientifiques (naturalistes, biologistes, géomorphologues et ingénieurs) orienté principalement sur la croissance des marais intertidaux (par exemple : Shaler, 1886; Ganong, 1903; Redfield, 1972). Au Québec, il suffit de mentionner le même discours dans les écrits de J.-D. Schmouth (1874), Létoumeau (1959), Hamel (1963) et Gourde (1980). Dans leurs études, ces auteurs citent à plusieurs reprises des exemples européens afin de mettre en valeur un discours de développement économique et d'expansion de l'écoumène humain (les terres agricoles) basé sur la croissance assez constante des marais du Saint-Laurent. Entre 1874 et 1980, cette allocution a eu l'effet d'encourager les agriculteurs et le gouvernement du Québec à endiguer et transformer plus de trente km du littoral de l'estuaire entre La Pocatière et Rivière-du-Loup (Hatvany, 2003 : 123).

D'un contexte societal d'industrialisation, de contrôle de la nature et d'exploitation des ressources naturelles, il y a eu au Québec, entre les années 1970 et 1990, une transition vers une société postindustrielle. Dans ce nouveau contexte, depuis les années 1980, un changement de paradigme s'impose concernant les marais et le discours général porte maintenant sur le changement climatique et l'érosion des berges. En effet, depuis les années 1980, la grande majorité de la littérature scientifique sur les marais de l'estuaire du Saint-Laurent fait mention de l'érosion ou de la menace d'érosion des schorres (voir par exemple : Bernatchez et Dubois, 2004). L'explication de l'érosion (recul) des schorres conjugue l'élévation du niveau marin, la subsidence des terres, un déficit du bilan sédimentaire, une augmentation du nombre et de la sévérité des tempêtes, une activité accrue des glaces et du froid et la diminution de la couverture de glaces et des causes anthropiques (Dionne, 1985, 1986, 2000).

Selon le discours actuel, la majorité des schorres des rives du moyen estuaire du Saint- Laurent sont en phase d'érosion, d'autres sont en équilibre précaire et très peu progressent latéralement ou verticalement (Dionne, 2004). Bernatchez et Dubois (2004) mentionnent que certains schorres supérieurs avaient même disparu durant ces dernières années. Alors, entre le discours historique de croissance des marais (1874-1970) et le discours actuel d'érosion des marais (1970-2009), qu'en est-il de la réalité?

4.2 Méthodologie

Après avoir inventorié la littérature portant sur l'évolution du marais intertidal de la baie de Kamouraska comme les écrits de Gauthier et al. (1980), Gourde (1980), Champagne et al. (1983), Sérodes et al. (1983) et Hatvany (2003), la présente étude a l'originalité de cartographier la limite inférieure du schorre dans le système d'information géographique ArcGIS à partir des documents d'archives, d'une série successive de photographies aériennes d'échelles variables datant de 1929, 1948, 1974, 1985, 2001 et de mesures prises sur le terrain en 2008 à l'aide d'un GPS.

En effet, ce travail a nécessité de repérer des points communs afin de géoréférencer des cartes anciennes, des photographies aériennes et des mesures GPS à l'échelle du 1 : 20 000 dans le système de traitement de données à références spatiales Arclnfo version 9.3 de ESRI. Ceci constitue des éléments de précision nouveaux dans l'analyse et l'interprétation de l'évolution de la limite inférieure du marais salé de Kamouraska. Plus spécifiquement, afin de reconstituer les périodes d'accrétion (croissance) et d'érosion du marais de la baie de Kamouraska et de comprendre sa morphologie depuis le XVIIIe siècle, une analyse

temporelle (time series analysis) a été employée. La méthode consiste en l'analyse et la cartographie du marais par le biais de cartes historiques et de données actuelles récoltées à l'aide de photographies aériennes et de relevés de terrain.

Cette méthode nécessite de tracer pour chaque document la zone continue de spartine alterniflore (Spartina alterniflora) correspondant à l'interface entre le bas schorre et la slikke, et ce, à travers le temps, selon la date de chacun des documents utilisés. Par la géoréférence des sources et de la photo-interprétation, sont ainsi superposées sur une carte schématique les limites pour les années 1826, 1929, 1948, 1974, 1985 et 2008.

Ensuite, afin d'avoir un bilan de l'évolution des berges, des mesures sur les processus de sédimentation et d'érosion du marais à travers les époques ont été prises. Ainsi, six sites repères ont été identifiés afin de mesurer les changements. De plus, l'impact anthropique sur le marais a été mesuré pour les différentes années représentées, par le calcul de la superficie totale du milieu.

Traitement des cartes anciennes

Les cartes anciennes choisies pour cette étude sont celles des arpenteurs McCarthy (1781) et Hamel (1826). Pour des raisons techniques, la carte de McCarthy n'a pu être géoréférencée, néanmoins il a été possible d'interpréter la forme et l'étendue du marais puisque ses limites ont été identifiées par l'arpenteur. Toutefois, la précision de la carte de Hamel a permis de repérer des éléments du paysage naturel et humanisé qui ont fait correspondre la carte avec les fichiers cartographiques au 1 : 20 000 de la Base de données topographiques du Québec (BDTQ).

Traitement des photographies aériennes

Le choix des photographies aériennes a été déterminé par leur qualité, en particulier les éléments visibles et ponctuels qui reviennent d'une photographie à l'autre, surtout l'interface entre le bas schorre et la slikke. Les photographies aériennes sélectionnées sont celles des années 1929, 1948, 1974, 1985 et 2001. La photo de 1929 provient du centre Géo/Stat de la Bibliothèque de l'Université Laval et son échelle est approximativement de 1:16 250. La photo de 1948 provient de la Photothèque nationale de l'air de Ressources naturelles Canada et son l'échelle est de 1 : 40 000. Pour l'année 1974, les photos ont été acquises du centre Géo/Stat de l'Université Laval. Une mosaïque de photos de 1974 a été construite afin de couvrir l'ensemble du territoire de la baie de Kamouraska. L'échelle d'origine de ces photos pour l'année 1974 est de 1 : 15 840. Pour l'année 1985, les photographies proviennent de la Géomathèque (Centre de diffusion Alta). Il s'agit d'une mosaïque de photos incluant deux photographies en infrarouges à l'échelle originale du 1 :

15 000. Enfin, l'orthophotographie de 2001 acquise du Centre Geo/Stat de l'Université Laval a servi de document de base pour l'interprétation des données GPS pour l'année 2008.

Traitement des données GPS

Afin de préciser la limite inférieure du schorre actuel, il a été possible de tracer l'interface entre le bas schorre et la slikke directement sur le marais de la baie de Kamouraska pendant l'été 2008, à l'aide d'un GPS d'une précision évaluée entre 3 à 5 mètres selon un intervalle de confiance à 95 %.