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L’utilisation diplomatique de la mémoire documentaire

Section I- La création moderne d’un fonds d’archives médiévales

B- L’utilisation diplomatique de la mémoire documentaire

Il est à noter qu’avant la rédaction du motuproprio occurrent, le Grand-duc se sert de l’expulsion des couvents et de la fermeture des collèges jésuites afin d’y récupérer de nombreux livres et manuscrits. Bien que la redistribution de ces ouvrages ne soit pas très claire concernant la Toscane, ils ont certainement été dispatchés dans les différents corps de l’enseignement et les bibliothèques. Il s’agit donc d’une ouverture de documents culturels privés au profit de la population. A Florence les bibliothécaires réservent 500 livres qui restent dans le domaine public, alors que ceux jugés inutiles sont vendus à des particuliers. Pour preuve de son intérêt pour l’instruction, Pierre-Léopold rédige également en 1773 Les notes sur l’éducation, qui prônent une éducation publique et laïque. Dans ce cas il s’agit donc d’une centralisation documentaire au service d’une mise en valeur du pouvoir étatique par un remaniement politique, économique et social90.

De la même manière, concernant le transfert documentaire de 1780, l’action s’inscrit dans une volonté de restructuration modernisatrice, profitable à l’image populaire de l’Etat en place91. Dès 1781, près de la moitié des institutions monastiques

sont éliminées, ne laissant survivre que les plus influentes ou les plus importantes. Le but principal n’est pas la richesse intellectuelle, mais bien en l’occurrence, la richesse monétaire. Il s’agit de rendre la tâche des monastères plus sociale, plus orientée vers l’instruction ou l’assistance aux indigents, tout en favorisant la propriété nobiliaire et peut-être aussi bourgeoise, par le biais de reventes des domaines ecclésiastiques à des locaux. La manœuvre évite ainsi que les richesses engrangées grâce aux locaux ne partent plus longtemps vers le Saint Siège. Mais alors que les Istruzioni per gli

amministratori dei patrimoni ecclesiastici delle diocesi del Granducato promulguées

le 22 octobre 1785, ordonnent le transfert immédiat des documents archivistiques isolés, ils se limitent, en ce qui concerne les livres, à demander le signalement des ouvrages les plus rares sans ordonner leur transfert92.

90 Chapron (Emmanuelle), « Il patrimonio ricomposto… », p. 299-345.

91 En France aussi, le contrôle des archives et donc de l’histoire, doit refléter l’idéal politique du Régime

en place. Ainsi par une disposition du 25 juin 1794, les archives sont mises à la disposition de tout individu ayant besoin de les consulter. Cette pratique est une sorte de miroir de l’idéal révolutionnaire : le peuple est détenteur de sa propre histoire, il peut utiliser son histoire s’il en a la nécessité (Sanacore (Massimo), « Riforme istituzionali e visioni… », p. 297).

La réunion de livres et autres ouvrages intellectuels semble donc trouver, aux yeux de Pierre-Léopold, moins d’importance que les documents d’archives. Pour cause si est reprise l’idée émise par Guido Pampaloni, que toute centralisation répond avant tout à une volonté de présentation de l’Etat de l’Ancien Régime sous un jour « éclairé », les archives ont un impact plus grand sur la mémoire, sur l’histoire d’une région, que tout autre écrit. Le pouvoir ducal devient donc le principal détenteur de son histoire. Pourtant à Florence, le directeur de l’Archivio diplomatico est en même temps le bibliothécaire de la bibliothèque florentine Magliabechiana. Toutefois, ce dernier exige, conformément à l’Edit de fondation de l’Archivio Diplomatico93, le

rapatriement des parchemins des couvents supprimés en territoire florentin, alors qu’il est contraint de nommer, ouvrage par ouvrage, les livres qui l’intéressent.

A côté de la maîtrise de la mémoire collective par le pouvoir central, se trouve la question de la connaissance mémorielle d’un territoire. En effet à partir de 1737, la famille Médicis est remplacée par la famille des Ducs de Lorraine, de laquelle est issu Pierre Léopold Ier. Ces derniers deviennent donc les nouveaux dirigeants politiques de la Toscane. Bien entendu cela implique que pour contrôler efficacement une population, il faille maîtriser l’image que cette dernière a « d’un pouvoir d’importation94 », c’est-à-dire moins légitime que celui des Médicis. Dès lors les

archives doivent changer de logique afin de se plier à celle insufflée par la nouvelle dynastie. Les archives ne doivent pas nécessairement être modernisées mais contemporanéisées pour répondre à une nouvelle approche politique et géographique, puisque la Toscane ne s’inscrit plus seulement dans une géographie politique locale, mais européenne.

Aujourd’hui, l’Archivio Diplomatico de Florence est numérisé et compte 5481 archives digitalisées issues du fonds de Passignano, dont 1840 sont comprises dans la période allant de 1050 à 1200 95. Pour l’instant ce fonds reste vierge de toute édition, si ce n’est celle de Giulio Prunai96, qui ne concerne que les documents siennois et le

travail de défrichage de Rémi Oulion97.

93 Pampaloni (Guido), « L’Archivio diplomatico fiorentino… », p. 177-221. 94 Contini (Alessandra), « Organizzazione di archivi… », p. 232.

95 L’Archivio di Stato di Firenze. La memoria storica di tredici secoli, dir. Bellinazzi (Anna) et Manno

Tolu (Rosalia), Ministero per i Beni e le Attività culturali. Direzione Generale per gli Archivi, Florence, 2002, p. 23-24.

96 Prunai (Giulio), « I regesti delle pergamene senesi del fondo diplomatico di s. Michele in

II-

La constitution morcellée du fonds d’archives de

l’abbaye de Passignano (XVIII

e

-XX

e

siècles)

Les documents que présente le fonds d’archives étudié sont le reflet d’une histoire complexe qui témoigne à la fois d’évènements anciens mais aussi modernes, voire contemporains. La constitution du fonds de Passignano (A) n’intéresse pas uniquement une zone rurale cloisonnée, mais implique également certains actes, témoins de l’histoire siennoise (B).