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L’ambiguité occasionnelle de la diversité des pratiques

Rapport proportionnel entre notaires dont le seing est traditionnel et moderne

A- L’ambiguité occasionnelle de la diversité des pratiques

Première étape de la localisation des praticiens dans un ensemble géographique, il est important de déterminer le nombre de praticiens en exercice recensés dans l’ensemble du fonds de Passignano (1). Parallèlement il est crucial de considérer l’ensemble de documents laissés par chaque praticien, comme un tout à part entière puisque tous les notaires ne peuvent pas fournir les mêmes informations (2).

1-La détermination imparfaite des différents rédacteurs notariés

De 1050 à 1200, le fonds de San Michele di Passignano donne à travailler sur un total d’au moins 170 notaires exerçant dans la zone florentine. Il est impossible d’affirmer avec force et certitude « que le fonds contient le travail de 170 notaires », puisque certains individus peuvent avoir échappé à la vigilance de l’observateur, en ayant un style et des ornementations scripturaux très similaires et en ayant un seing manuel identique, ce qui est chose aisée dans le cas des notaires traditionnels. En plus de ces deux points, il arrive que certains praticiens aient adopté

les mêmes règles scripturales et juridiques, comme l’ordre dans lequel les éléments et les formules sont présentés, la forme des formules elles-mêmes et parfois même certains éléments graphiques disséminés dans le corps de l’acte de manière à guider le lecteur.

Si après avoir analysé ces éléments techniques, aucun indice visuel ne permet de différencier deux individus, il reste encore deux autres éléments qu’il faut observer: il s’agit de la période d’exercice et de la zone d’exercice. Le premier indice est très fiable, sauf en cas d’erreur de datation de la part du rédacteur lui-même, erreur qui ne serait alors que très ponctuelle et rapidement remarquée, mettant le document mal daté en marge de l’étude mais laissant justement flotter un doute quant à l’identité du notaire. Le second indice, en revanche, celui de la zone géographique d’activité des notaires est plus difficile à évaluer. Une première analyse permet de définir de quelle zone dépendent les lieux et les localités dans lesquelles sont rédigés les différents documents établis par un même individu. Cela donne un aperçu d’une zone d’activité, qui doit être assez cohérente pour permettre d’établir avec certitude que plusieurs documents représentent le travail d’un seul, ou de plusieurs praticiens. Pourtant sur la base de ce point, l’évaluation de la probabilité n’est pas toujours aisée. Si dans les villes comme Brescia, Lucques ou même plus loin Turin et Verceuil, les notaires ont pour habitude d’exercer dans un détroit restreint, proche de leur lieu d’habitation774, le territoire d’exercice des notaires du fonds de Passignano

est souvent assez large. Cela s’explique certainement en grande partie par la différence entre l’environnement citadin et l’environnement rural, le premier concentrant une masse importante de clients effectifs et potentiels à proximité du praticien, le second offrant une carte beaucoup plus éparse de la clientèle. Ainsi certains notaires du fonds exercent à cheval sur les contadi de deux Communes. Or, lorsque les indices visuels permettent de déterminer avec certitude que les actes sont rédigés par un seul et même praticien, cet éparpillement géographique n’est guère perturbant. Lorsque le visuel, généralement traditionnaliste, ne se démarque d’aucune manière, il est difficile d’être certain qu’il s’agit du même individu.

774 Merati, Mestiere di notai…, p. 342-344 ; Meyer (Andreas), « Felix et inclitus notarius »…, p. 335-

353 ; Cancian (Patrizia) et Fissore (Gian Giacomo), « Mobilità e spazio nell’esercizio della professione notarile : l’esempio dei notai torinesi (secc. XII-XIII) », in Bollettino storico-bibliografico subalpino,

90, 1992, p. 81-109 ; Cancian (Patrizia), « Attività notarile urbana e di contado nella società vercellese

del XIII secolo », in Vercelli nel seccolo XIII. Atti del primo Congresso storico vercellese, Verceuil, Società Storica Vercellese, 1984, p. 385-386.

C’est au regard de ces paramètres d’analyse parfois insuffisants, qu’il n’est pas possible de considérer avec certitude que l’ensemble des documents du fonds passignanais est rédigé par un nombre figé de 170 individus. Toutefois la présente étude et analyse des documents, au regard des différents indices précités, révèle un nombre de praticiens notariés qui s’élève au moins à 170. Or au sein même de leur travail, ou du moins de la trace qui en a survécu, la production de chaque individu est inégale, quand bien même elle s’illustre par une pluralité d’apparitions dans les archives.

2-La production inégale des différents rédacteurs notariés

Parmi les notaires qui apparaissent plusieurs fois dans les archives, tous ne peuvent pas être traités avec le même intérêt et selon les mêmes paramètres, c’est-à- dire que tous n’en disent pas aussi long ou ne le disent pas aussi clairement. La récurrence ou la régularité de leurs apparitions, la force de leur ancrage dans les archives de Passignano est pour beaucoup dans cette disparité.

Il y a notamment des notaires dont le travail est plus pertinent s’il est analysé comme partie d’un tout, dans un ensemble d’autres travaux d’autres notaires. Il s’agit des notaires qui n’apparaissent pas suffisamment de fois dans le fonds pour livrer une vue claire de leur technique, de leurs influences juridiques et scripturales et de leurs résonnances sur sa pratique du notariat. Si les documents parvenus sont au contraire très éloignés chronologiquement, l’ellipse qui les sépare empêche une analyse complète de ces éléments.

Ainsi, 31 praticiens n’ont laissé que deux documents775 et dix-sept sont

représentés par moins de cinq documents776. Ceux-ci sont parfaitement représentatifs de ce qui a été expliqué ci-dessus, à savoir que leur travail n’offre pas un échantillon suffisamment large pour permettre d’avoir assez de recul pour les analyser en tant

775 Les notaires qui n’ont laissé que 2 documents sont Rolandus III, Albertus I, Leo, Rolandus I,

Rolandus II, Petrus VI, Grimaldus I, Azio I, Ubaldo, Rodulfus, Gherardus III, Truffus, Pax, Enrigus, Azo, Muscio, Johannes IV, Grimaldus II, Bellerus, Damianus, Inghilbertus (ASF, Diplomatico, Passignano, mars 1092, Code. Id. 00002445 : copie de la main d’Inghilbertus), Grazianus, Borgensus, Stradigotus, Berlengarius et Enricus 0.

776 Les notaires qui laissent entre 3 et 5 actes sont Ildebrandus I, Gherardus I, Cunizo, Guilielmus,

Teuzzo V, Raginerius, Lambertus I, Lambertus III, Galitius (ASF, Diplomatico, Passignano, mars 1092, Code. Id. 00002445 : apparait en tant que témoin à une copie), Bernardus 1, Rolandus III, Melior, Ugo II, Ubertus III, Iocolus, Sackittus, Bernardus II, Berizus.

qu’un ensemble à part entière. Le postulat change777 déjà pour la dizaine de notaires

qui a laissé entre cinq et dix documents778. Si la date de production est assez proche

pour l’ensemble des actes, ils peuvent être abordés comme dépeignant une tranche du parcours d’un professionnel. Si les actes ont été rédigés à des périodes plus espacées, ils peuvent donner une vision globale, comme un résumé du parcours de leur rédacteur.

A l’inverse de ceux-ci, les notaires dont le travail est largement représenté permettent d’appréhender leur production comme un ensemble à part entière, qui offre un point de vue particulier duquel analyser un autre ensemble. A cette fin, les meilleurs points de vue sont évidemment ceux qui couvrent la période la plus vaste possible, afin de donner à voir les répercussions de l’environnement sur l’évolution de pratiques individuelles. Dans cette catégorie se trouvent un peu plus d’une dizaine de praticiens qui ont laissé entre dix et 30 documents779. Seuls deux notaires atteignent les 50 actes780. Parmi eux, seuls trois rédacteurs dépassent les 100 actes - dont un constitué par un ensemble homogène de quatre générations de Petrus A, B, C et D781 -, s’étalant généralement sur une période assez longue qui équivaut en

moyenne à 50 années. Sur les trois notaires à plus de 100 documents, tous ont même au moins entamé leur production au XIe siècle.

777 Qu’il s’agisse des notaires qui produisent entre 10 et 30 documents ou de ceux qui en produisent

plus, l’ensemble de leur travail ne peut pas être transcrit en note de bas de page. Toutefois, leur nom sera indiqué afin de faciliter la vérification en se reportant au tableau en annexe.

778 Florenzus (5 documents dont il est le notaire, ainsi que 2 dont il n’est que le simple rédacteur, le tout

compris entre le 25 juillet 1051 et le 2 janvier 1059) ; Rodulfus II (9 documents entre le 18 février 1059 et le 3 mai 1079) ; Petrus V (8 documents entre le 26 octobre 1075 et le 11 décembre 1075) ; Benno (9 documents entre le 24 mai 1081 et le 12 février 1094) ; Guido III (6 documents entre le 23 octobre 1096 et le 9 juin 1100) ; Ubertus II (9 documents entre novembre 1135 et mars 1173) ; Albertus II (6 documents entre le 2 mai 1154 et mai 1197) ; Ildebrandus III (6 documents entre le 13 février 1165 et le 3 mai 1195) ; Arlottus (10 documents entre le 17 mai 1173 et janvier 1200) ; Panzanensis (7 documents entre le 9 avril 1184 et le 17 mai 1198).

779 Il s’agit de Guido I (entre le 27 janvier 1053 et décembre 1089) ; Ugho (entre le 26 mai 1054 et le 12

mars 1056) ; Johannes II (entre le 11 mars 1057 et le 6 juillet 1099) ; Petrus 0 (entre le 7 février 1084 et septembre 1111) ; Teuzzo II (entre 1064 et 1083) ; Teuzzo III (sans ego) (entre 1084 et 1087) ; Petrus 2 (entre juillet 1094 et septembre 1111) ; Ildebrandus II (entre le 25 mars 1077 et le 12 août 1126) ; Ingo (entre mai 1078 et le 28 mai 1131) ; Ubertus I (entre 28 février 1127 et le 7 avril 1157) ; Rodulfus IV (entre le 22 février 1137 et le 27 mars 1149) ; Rainerius II (entre le 23 janvier 1162 et le 25 janvier 1190) ; Grimaldus III (entre le 23 avril 1167 et 30 avril 1196) ; Bonus (entre le 9 janvier 1192 et le 25 octobre 1200).

780 Johannes III (entre le 4 mars 1129 et le 9 avril 1165) ; Rogerius (entre le 20 octobre 1142 et le 10

septembre 1190).

781 Gherardus (150 documents entre mai 1050 et le 11 avril 1093) ; Teuzzo (260 documents entre le 19

février 1072 et mars 1136) ; Petrus A, B, C et D (4 praticiens rédigent 102 documents entre 1096 et le 5 octobre 1200).

Au-delà de la proportion des actes produits par chacun, chaque notaire reste donc un individu, qu’il n’est toutefois pas toujours possible de traiter comme tel dans le cadre de la recherche sur le notariat. Certains apportent une lumière à eux seuls, d’autres ne constituent un éclairage suffisant que corrélés à leurs pairs. Cependant l’individualité des praticiens peut être abordée en tant que caractéristiques et spécialités individuelles dans leurs pratiques.

B- La possibilité apparente de spécialités spacio-temporelles des