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L’impartialité relative des conditions d’accès à la profession citadine Déjà la novelle 65 de Justinien exige des notaires qu’ils valident un

Section I- La naissance urbaine d’un notariat d’imprégnation publique

B- L’impartialité relative des conditions d’accès à la profession citadine Déjà la novelle 65 de Justinien exige des notaires qu’ils valident un

examen732. Dans la première moitié du XIIIe siècle733, dans le Nord de l’Italie, se

mettent en place des examens, que tout prétendant notaire voulant exercer dans l’enceinte de la cité doit valider, souvent à la condition qu’il se soit précédemment

729 Ibidem, p. 39, n. 4 ; Battarini (Francesco), « L’esercizio del notariato a Prato… », p. 158, n. 23. 730 Sinisi (Lorenzo), « Judicis oculus. Il notaio di tribunale nella doctrina e nella prassi di diritto

communale », in Hinc publica fides. Il notaio e l’amministrazione della giustizia, dir. Piergiovanni (Vito), Milan, Giuffré, 2006, p. 217-225 ; Frova (Carla), « Ecoles et universités en Italie… », p. 61-62.

731 Plesner (Johan), L’émigration de la campagne…, p. 129-131 et Table p. 217. 732 Aubenas (Roger), Etude sur le notariat provençal…, p. 65.

733 Afin que la naissance du notariat public soit véritablement comprise, il n’est pas possible de s’arrêter

de manière brutale à la fin du XIIe siècle. Certains éléments qui ne sont visibles qu’au XIIIe siècle sont

en gestation depuis le XIe et le XIIe siècle. Ainsi évoquer ces éléments qui se matérialisent un peu

acquitté du paiement d’une quote-part à l’Ars734. Cette épreuve est encadrée par des

règles statutaires, parfois prévues par la Commune, parfois par la corporation notariale735.

A Bologne736, le jury qui préside à l’examen, bien qu’il subisse quelques modifications dans sa composition vers la fin du XIIe siècle737, est exclusivement composé de juristes bolonais ; et d’une grande majorité de notaires contre un seul juge du podestà. A partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, la commission d’examen doit préalablement s’assurer que le candidat a suivi une formation notariale durant au moins une année, puis plus souvent trois années à partir de 1259. Les enseignants doivent témoigner devant ladite commission de ce que leur élève est prêt à exercer en tant que notaire, qu’il est « digno et sufficiente ad exercendum

artem et officium notarie »738. Le témoignage des professeurs et l’implication de la dignità prouvent que l’examen n’est pas un simple contrôle de connaissance et qu’il

s’appuie également sur un critère moral739. Cette vérification s’explique certainement

par la liberté grandissante qui est laissée au notaire ainsi que par l’afflux de plus en plus rapide de prétendants à la profession. Le résultat en est un accroissement, au moins équivalent, de la rigidité et de la sévérité des conditions d’admissibilité740.

Lorsqu’il est admis au terme de l’examen, la production du jeune professionnel jouit de la fides et la chose publique doit certainement s’efforcer de s’assurer de la fiabilité de l’individu choisi.

Ainsi certaines communes posent des conditions pratiques. Dans la commune de Sienne, où le candidat doit avoir au moins vingt ans, connaitre l’écriture et la grammaire et avoir étudié l’ars notarie auprès d’un notaire plus âgé pendant au moins deux ans741.

734 Battarini (Francesco), « L’esercizio del notariato a Prato…, p. 165. 735 Merati (Patrizia), « Il mestiere di notai a Brescia… », p. 115.

736 Sur l’examen à Bologne spécifiquement, voir Tamba (Giorgio), Una corporazione per il potere…, p.

33-35 ; Ferrara (Roberto), « « Licentia exercendi » ed esame di notariato a Bologna nel secolo XIII », in

Notariato medievale bolognese. Tomo II. Atti di un convegno (febbraio 1976), Rome, Consiglio

Nazionale del Notariato, 1977, p. 49-120 ; Feo (Giovanni), Iannacci (Lorenza) et Zuffrano (Annafelicia), « Il formulario del documento privato… », VI. Le condizioni generali del notariato bolognese, § 6-7.

737 Tamba (Giorgio), Una corporazione per il potere…, p. 34.

738 Ferrara (Roberto), « « Licentia exercendi » ed esame… », p. 102 et 108 ; Fasoli (Gina), « Giuristi,

giudici e notai… », p. 30-32.

739 Fasoli (Gina), « Giuristi, giudici e notai… », p. 32.

740 Feo (Giovanni), Iannacci (Lorenza) et Zuffrano (Annafelicia), « Il formulario del documento

privato… », Partie VI- Le condizioni generali del notariato bolognese.

De la même manière, à Plaisance, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle,

l’élève prêt à endosser la charge de notaire se présente devant une commission de consuls qui évalue son niveau de connaissance du latin. Si la maîtrise de la langue antique est jugée suffisante, la commission autorise le nouveau notaire à exercer, à la dernière condition qu’il nomme un professionnel référent plus âgé, sous la responsabilité duquel il est placé pendant cinq ans742. Il peut être imaginé que le professionnel référent remplace les professeurs bolonais sur le plan moral. Il sera celui qui témoignera de la fiabilité de son élève. Par ailleurs il y a donc certainement un mélange d’apprentissage théorique en ce qui concerne l’idiome, et pratique dans la formation par un autre praticien.

D’autant qu’en ce qui concerne Pise, la double formation ne pose aucun doute. A la fin du XIIIe siècle, l’élève de vingt ans minimum, ayant suivi des cours de grammaire peut se présenter à un examen qui lui ouvre la porte de l’apprentissage pratique auprès d’un maître aguerri. Toutefois au-delà des qualités objectives, le choix des notaires pisans est aussi soumis à un certain nombre de critères subjectifs qui laissent clairement apparaitre le caractère politique que prend cette fonction tout au long du XIIIe siècle. Non seulement le candidat doit être un enfant légitime, ce qui

pourrait renvoyer à une sorte de préservation de la morale ou être lié à l’image de légitimité politique que la Commune veut véhiculer. Mais aussi, critère qui se comprend de lui-même en termes d’ancrage idéologique et de mise à l’écart sociétale de l’ennemi, les candidats doivent tous être gibelins743. Il faut noter que la Toscane

n’est pas seule touchée par cette immixtion de l’idéologie politique dans le choix des praticiens, puisque Brescia impose également à ses candidats une obligation d’adhérer au parti prévalent744.

Florence ne peut pas être prise comme référence de corporation au XIIIe siècle, du fait de la disparition de tous statuts de la corporation avant le XIVe siècle745. Toutefois il est inévitable de mentionner le fonctionnement de l’ars florentin, si tardifs les témoignages soient-ils. Ils doivent être envisagés au travers des normes des autres communes qui viennent d’être exposées, afin de se faire une

742 Pecorella (Corrado), Studi sul notariato a Piacenza…, p. 31-33 et 151-152.

743 Banti (Ottavio), « Ricerche sul notariato a Pisa tra il secolo XIII e il secolo XIV », in Bollettino

storico pisano, 33-35, 1964-1966, Pise, p. 161-169.

744 Merati (Patrizia), « Il mestiere di notai a Brescia… », p. 315 ; De Feo (Antonietta), « Note di

diplomatica comunale… », p. 152.

image de ce qu’ont pu y être les conditions d’entrée pour les notaires de la zone étudiée.

Outre les clercs et le personnel ayant un lien de dépendance particulier à un tiers746, l’entrée dans la corporation florentine de 1344 connait un certain nombre d’incompatibilités. Parmi celles-ci se trouvent des incompatibilités pratiques, tel qu’en ce qui concerne le muet, d’autres moins évidentes comme pour le maître pour enfant, le crieur public ou le maître de musique. Enfin l’immixtion de la lutte de faction apparait dans la condition pour les candidats d’être de « vere guelfi »747. De plus le candidat florentin doit être né d’une union légitime entre un homme et une femme libres. Dans l’idéal, il doit être citoyen de Florence ou de son contado, mais s’il y est né, bien que citoyen d’une autre commune, et que son père y a vécu pendant au moins vingt-cinq ans, il peut toutefois être admis. Le candidat doit avoir vingt ans mais s’il est fils ou frère d’un juge ou notaire membre du collège, il peut être admis à dix-huit ans. En revanche le candidat au notariat doit non seulement s’acquitter d’une taxe de huit florins d’or, d’un émolument de dix pièces748 au camerario749 - c’est-à- dire à l’administrateur - mais également valider un examen750. Bien sûr la condition

du paiement d’une taxe assez lourde permet de garder l’accès fermé aux strates sociales inférieures 751 et retreint de fait la possibilité pour la majorité des notaires

ruraux de s’installer en ville en tant que professionnels. Quant à l’examen, au XIVe

siècle, il se scinde en plusieurs phases. Tout d’abord, une commission réduite de six à quatre notaires du conseil vérifie les capacités de lecture et d’écriture du candidat, ainsi que ses connaissances « in contractibus ». A l’issue de cette première évaluation, les membres de la commission votent secrètement et selon les résultats, le candidat passe à la phase suivante ou est autorisé à repasser les épreuves de lecture et d’écriture l’année suivante et de contrats dans trois ans. S’il a réussi cette première

746 Voir supra p. 165.

747 Calleri (Santi), L’Arte dei giudici e notai…, p. 30-31.

748 Cette taxe est sujette à très fortes réductions lorsque le candidat est un fils, un frère ou un neveu d’un

des membres du collège (Calleri (Santi), L’Arte dei giudici e notai…, p. 31).

749 Le camerario est l’organe exécutif de la corporation. Il est chargé de nombreuses missions

administratives, financières et comptables. Le proconsul, les consuls et les conseillers - ou deux tiers de ceux-ci, plus neuf autres juges et notaires - décident de quel quartier doit provenir le camerario. Le vote s’effectue avec des petites boules de plomb, de couleurs différentes. Le choix se fait par votes successifs, jusqu’à ce qu’un seul quartier ressorte. Ensuite parmi les praticiens du quartier, le camerario est élu par au moins deux tiers des votants. L’élu est ensuite prévenu et doit jurer de s’en acquitter de son mieux. Son office dure 6 puis 4 mois, selon la période. Le quartier duquel il est élu ne pourra plus donner de camerario avant que tous les autres n’en aient donné un (Calleri (Santi), L’Arte dei giudici e

notai…, p. 77-78).

750 Ibidem, p. 30-32.

évaluation, le candidat passe deux examens publics. Le premier se déroule exclusivement dans l’église appelée la Badia de Florence, en présence du proconsul752, du consul753 et d’au moins deux tiers des conseillers754 de la corporation. Le candidat doit répondre à une série de questions portant sur le droit, posées par différents membres du jury. Ce dernier juge ensuite, toujours à bulletins secrets, des capacités du candidat. Si les deux tiers des voix lui sont défavorables, il doit attendre l’année suivante pour retenter sa chance. S’il est admis, il doit passer un dernier examen, devant le conseil de l’ars, ainsi que deux notaires de chaque quartier de la ville, c’est-à-dire huit adjoints. Ce dernier examen porte principalement sur ses capacités à établir et dresser des contrats. Enfin il doit écrire au moins la première clause d’un contrat afin que ses juges puissent observer son écriture755. A nouveau, si

au moins les deux tiers du jury votent positivement, le novice devient membre de l’ars et est autorisé à exercer dans la ville de Florence. Il appose alors son seing

752 Dans le premier quart du XIVe siècle, à Florence, apparait cette fonction de préconsul, puis

proconsul. Ce dernier préside dans la hiérarchie de la corporation des juges et notaires florentins. Il doit remplir les mêmes conditions que celles pour devenir consul. En plus de celles-ci, il doit, outre les conditions de bonnes mœurs et de santé d’esprit, être savant, discret, guelfe bien sûr, et avoir au moins 36 ans. De plus il doit avoir exercé à Florence pendant au moins 10 ans. Il est élu par les représentants de quartier de l’arte. La charge dure six mois et il ne pas être réélu avant l’écoulement d’une période de 10 ans. Elle consiste surtout en une mission de contrôle et de gestion. Tous les deux mois, il rassemble au moins deux tiers des consuls et des conseillers, afin de traiter de la protection et de la conservation des statuts, des réformes de la corporation, ou de points qui touchent au quotidien et à l’exercice des juges et notaires. D’autre part, il est chargé d’enquêter et de juger ses pairs en cas d’accusation de l’un des membres de la corporation pour faux, simonie, délit survenu dans le cadre de la profession d’avocat ou de procurateur, ou de contrevenance aux statuts. Il peut également enquêter et juger tout individu qui tente de déshonorer ou « molestare » les statuts de l’arte. Dans cette mission, il n’est tenu par aucun formalisme particulier. De plus, s’il doit appliquer les peines prévues par les statuts, en cas de silence de ceux-ci, il choisit lui-même la sanction à appliquer. Toutefois au civil, il ne peut toujours prononcer la sentence qu’en compagnie du conseil et de la majorité des consuls (Calleri (Santi), L’Arte dei giudici e

notai…, p. 61-67).

753 D’après les statuts de 1344, les consuls sont en fait trois juges et cinq notaires. Pour être élu, un juge

doit avoir exercé en tant qu’avocat à Florence pendant au moins 3 ans, et un notaire doit avoir exercé en tant que tel à Florence pendant au moins 10 ans. L’un et l’autre doivent être originaires de Florence ou de son contado, être guelfes, avoir au moins 32 ans, être dévoués à la Santa Madre Chiesa et au peuple florentin. De plus ils ne doivent être touchés par aucune des interdictions faites par les statuts de la commune ou de la corporation, et n’être pas touchés d’infamie ou condamnés pour faux ou fraude. Les consuls sont rémunérés. Leur mission consiste d’abord en une lecture quotidienne de textes de droit dans la cour de l’arte, près du palais du podestà. En vérité, cette office est généralement remplie une seule fois par semaine, le vendredi. Toutefois ils ont surtout une compétence judiciaire en ce qui concerne les litiges pécuniaires. A ce titre, ils peuvent notamment obliger à comparaitre, arrêter des suspects, gager des biens. De plus si un membre de la corporation vient à être mis à mal par quelque officier communal que ce soit, il peut se référer aux consuls ou au proconsul afin d’obtenir le soutien de toute la corporation (Ibidem, p. 69-74).

754 Les conseillers de la corporation sont au nombre de seize, c’est-à-dire quatre par quartier. Ils sont en

fait les représentants de chaque quartier. Pour être élu, il faut avoir au moins 25 ans, être guelfe, avoir habité à Florence, être inscrit au matricule de l’arte et avoir exercé un certain temps comme juge ou comme notaire. Aucun proche du proconsul ou de l’un des conseillers ne peut être élu. L’élection se fait tous les six mois : au moins deux tiers des consuls et le proconsul les élisent parmi tous les inscrits au matricule. Le même conseiller ne peut être réélu avant un an s’il est juge et avant deux ans s’il est notaire (Ibidem, p. 75-76).

manuel, écrit son nom, le lieu où il réside, l’année et l’indiction sur le matricule756,

avant de faire sa prestation de serment757.

La formation est donc de plus en plus contrôlée à compter du XIIe et est parfois assujettie à des conditions politiques. L’accès à la profession de notaire est de plus en plus difficile en terme de formation alors même que rien ne subsiste des jeux de clientélisme qui s’y sont greffés, et qui ne peuvent qu’être imaginés. Tous les notaires citadins peuvent être amenés à travailler pour la Commune. Il ne s’agit plus d’un système où seule une poignée de professionnels choisis par l’aristocratie urbaine ou attachés à la famille des Canossa traitent plus ou moins des affaires publiques, reléguant les autres notaires aux affaires privées dans le contado. Dans la Commune, l’autogestion est assurée par le nombre et la compétence des professionnels qui œuvrent pour son fonctionnement. Tous les notaires peuvent être un jour en contact avec l’organe politique, et par conséquent, le maximum de praticiens doit être suffisamment formé, et doit être formé selon un même canevas. De plus cette formation présente aussi un avantage social : le notaire, en tant qu’érudit, reste une sorte de pont entre la population et le pouvoir central758. S’il est

formé selon la volonté et la nécessité du pouvoir, lorsqu’il discutera avec des tiers individus, il parlera au travers du prisme de ce qui lui a été inculqué. Son statut privilégié de savant terminera alors d’apporter crédit à des propos qui sont généralement ceux du pouvoir en place759.

Le fossé qui sépare le notaire romain, pendant longtemps individu servile, personnel administratif et représentant de l’Administration, du praticien contemporain, indépendant vis-à-vis de l’Etat mais détenteur de la fides et par conséquent représentant étatique tout de même, est bien perceptible. Si le premier n’est gratifié d’aucune liberté concédée par le pouvoir central, le second jouit d’une liberté et d’un pouvoir incontestables. Or la pratique et l’utilisation politique du notariat dans les villes imprègnent rapidement le notariat rural, qui reste pourtant,

756 Calleri (Santi), L’Arte dei giudici e notai di Firenze…, p. 34. 757 Ibidem, p. 35-36.

758 Fasoli (Gina), « Il notaio nella vita cittadina… », p. 137-138.

759 Lorsque le praticien s’instruit de son propre chef et avec l’influence de différentes lectures, il peut

affiner sa perception de ce qui lui a été enseigné ; alors il peut cesser d’être un véhicule inconscient de l’autorité formatrice mais reste toujours un pont entre le savoir et la population. Sur le rôle de véhicule du savoir, voir notamment Redon (Odile), « Les notaires dans le paysage culturel toscan… », p. 213- 222 ; Petrucci (Armando), « Modello notarile e testualità », in Il notariato nella civiltà toscana, Rome, Consiglio nazionale del notariato, 1985, p. 123-145 ; Zabbia (Marino), « Formation et culture des notaires… », p. 297-324.

entre le XIe et le XIIe siècle, un peu différent, hybride pour ainsi dire, entre les

avancées communales et les traditions médiévales. Ce notariat est celui des campagnes florentines ; il est celui des zones qui ne sont pas encore sous l’influence politique de la commune à l’entrée dans le XIIe siècle.

Section II- Les complexités plurielles de la