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1.2.

Avant de décrire plus en détail le service de soin au cœur de cette recherche, il convient tout d’abord de mieux comprendre l’activité d’un service d’urgence médicale. Ainsi, dans cette section nous nous intéressons au terme d’urgence en médecine et du rapport au temps lié aux situations urgentes.

Au sens médical du terme, l’urgence est « toute circonstance qui, par sa survenue ou sa découverte, introduit ou laisse supposer un risque fonctionnel ou vital si une action médicale n’est pas entreprise immédiatement» (Société Française de Médecine d’Urgence (SFMU), 2006, p. 20). Mais cette définition reflète mal la réalité des situations rencontrées dans les services d’urgence. En effet, les situations d’urgence vitale ne représentent qu’une minorité des patients des services d’urgence. En 1989, le Conseil Économique et Social remet le premier rapport sur l’urgence à l’hôpital – plus connu sous le nom de « Rapport Steg », du nom du Pr. Adolphe Steg en charge du rapport. L’urgence médicale y est définie comme suit (Steg, 1989, p. 33) :

Un phénomène qui touche à la santé, qui survient de façon brutale et inattendue et qui surprend et inquiète – à tort ou à raison – l’intéressé et /ou son entourage. […] Les services dits d’urgence reçoivent plusieurs milliers de consultants aléatoires parmi lesquels seulement quelques centaines au sens strict du terme « ne peuvent pas attendre ». En fait, donc, la majorité de la clientèle pourrait attendre mais elle ne le veut pas et elle doit indiscutablement être accueillie. De fait, dans la réalité hospitalière, est considéré comme urgence « tout patient qui se présente à l’hôpital pour une consultation ou une hospitalisation et dont la prise en charge n’a pas été programmée.

Si d’un point de vue strictement médical l’urgence est liée à une détresse vitale, la définition du rapport Steg insiste sur le caractère imprévu de l’urgence et souligne la nécessité de répondre à toute demande non-planifiée, quelle que soit la gravité du problème médical. Ainsi l’urgence médicale renvoie au flux non-planifié de patient et la nécessité d’un accueil permanent pour gérer ce flux.

Les situations rencontrées par les services d’urgence sont donc variées et il existe plusieurs typologies permettant de les catégoriser (Steg, 1989). Il peut s’agir de classer les situations entre urgences de type « médical » ou «chirurgical », c’est-à-dire nécessitant une intervention

opératoire. Les situations peuvent être classées par gravité, distinguant l’urgence absolue – dont le pronostic vital est engagé – de l’urgence relative. Le mode d’arrivée dans le service d’urgence peut servir également à classer les patients, entre ceux arrivés par leurs propres moyens, de ceux arrivés par ambulance ou autres véhicules médicalisés. Enfin, il est possible de classer les situations selon les éléments issus de l’examen du patient, distinguant ainsi les urgences objectives – qu’elles soient absolues ou relatives – des urgences ressenties – le sentiment d’urgence ressenti par le patient car « il n’y a pas de sensation fausse et il serait absurde de contester au patient le sentiment de détresse qu’il éprouve» (Steg, 1989, p. 34).

Outre la nécessité d’accueil de l’imprévu, l’urgence médicale est liée à la pression temporelle qu’implique une situation urgente (Shen & Shaw, 2004). L’urgence peut alors être considérée comme l’écart entre le temps souhaité pour réaliser l’action, et le temps réel affecté à la réalisation de l’action. Ainsi, il est possible d’observer une gradation dans l’urgence, selon l’écart entre ces deux temps : plus l’écart entre le temps souhaité et le temps réel est grand, plus l’urgence est grande. Néanmoins, moins de temps ne signifie pas nécessairement moins d’efficacité ou plus d’erreurs. L’urgence peut impacter la performance de plusieurs façons (Riveline, 1991) : la performance peut être dégradée, conservée car l’opérateur a agi par réponse programmée grâce à des consignes et un entraînement rigoureux, ou conservée car l’opérateur a surmonté la perturbation par lui-même. L’urgence n’est pas donc nécessairement pénalisante et permet d’améliorer la performance, pour peu que l’organisation soit adaptée et que l’opérateur puisse et soit capable de s’adapter.

De plus, l’urgence inscrit l’action dans un espace temporel borné, où la dose d’urgence varie selon la situation et l’individu. En effet, le temps n’est pas linéaire et se contracte ou se dilate selon la situation tout comme la perception de l’urgence varie selon l’individu (Leblanc & al., 2002). Par exemple, la perception de l’urgence n’est pas la même pour des parents paniqués qui arrivent aux urgences pour un surdosage de paracétamol de leur enfant que la perception de l’urgence d’un médecin devant traiter une méningite. Si l’exemple peut prêter à sourire, la perception de l’urgence pour les parents n’en est pas pour autant feinte. L’urgence doit donc être traitée car elle est urgente du point de vue de celui qui la vit et nécessite la mise en place de structure pour répondre à ces urgences – par exemple en rassurant sur la non- dangerosité dans cette situation. Dans le domaine de l’urgence médicale, il est possible de formaliser cinq caractéristiques liées à la pression temporelle d’une situation urgente (Tabuteau, 2008) : une dose d’incertitude et d’inattendu, une organisation sanitaire complexe, un caractère urgent doublé d’une obligation d’agir, un facteur émotionnel non-négligeable et

un rôle majeur de l’individu dans le processus de décision. Pour un service d’urgence, cela se traduit par le fait d’être préparé au lieu de planifier, voire d’être préparé à l’impensable (Green & Kolesar, 2004).

La démarche planifiée semble donc peu pertinente pour les services d’urgence (Rossille, Cuggia, Arnault, Bouget, & Le Beux, 2008), voire diminuerait les capacités adaptatives des systèmes complexes (Walters & Bhuian, 2004) et impliquerait donc plus une logique d’absorption de l’imprévu que de la planification a priori. Outre cette logique d’imprévu, le contexte français des services d’urgence médicale est également intéressant à étudier.

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