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3.1.

Il est possible de définir la culture comme « l’ensemble des représentations et des principes qui organisent consciemment les différents domaines de la vie sociale, ainsi que les valeurs attachées à ces manières d’agir et de penser» (Godelier, 2010, p. 106). Dans les organisations, la culture véhicule des valeurs, des croyances et des suppositions (Schein,

1990) mais également des symboles et des règles de comportements (voir Encadré 15). La

culture est donc à la fois symbolique – avec ses rites, symboles et artefacts –, relative aux croyances – comprenant les idées, les présupposés ou les valeurs –, communicationnelle – au travers des histoires, des mythes, des langages – et comportementale (Pidgeon, 1997).

Encadré 15 – Le concept de culture organisationnelle

Van Maanen (2011, p. 221) définit la culture comme « meanings and practices produced, sustained, and altered through interaction ». La culture offre un référentiel qui permet de définir un ensemble d’éléments communs à un groupe tels que les idées, l’identité, les symboles, etc. (Van Maanen, 2011).

Schein (1996) insiste quant à lui sur l’idée que la culture permet le partages des valeurs et des croyances qui sont considérés par les membres du groupe comme allant de soi. La culture joue le rôle de prisme qui va façonner la réalité de ses membres (Schein, 1996, p. 236) : « The members of a culture are not even aware of their own culture until they encounter a different one ». Cette culture se manifeste au travers des artefacts, des valeurs, et des postulats présents (Schein, 1990). Au niveau des organisations, la culture est un phénomène évolutif et historiquement ancré dans une organisation (Denison, 1996). Il y a donc une forte intrication entre culture, contexte et individus rendant sa manipulation et son orientation difficile, notamment à court terme. Le débat sur la manipulation de la culture a permis de développer tout un courant de recherche autour du concept de climat organisationnel, levier d’action plus direct par le management car plus situationnel (e.g. Denison, 1996; Verbeke, Volgering, & Hessels, 1998; Mearns, Flin, Gordon, & Fleming, 2001). Pour reprendre l’analogie de Cox et Flin (1998), la culture est comme la personnalité d’un individu et le climat s’apparente à son humeur. Il est plus facile de modifier l’humeur d’une personne que sa personnalité.

Enfin, la culture d’une organisation est un objet pluriel et il serait plus opportun de parler des cultures d’une organisation que de la culture d’une organisation. En effet, la culture fait référence à un groupe et il existe plusieurs groupes dans une organisation (Schein, 1990). Il existe donc plusieurs cultures qui cohabitent – de manière plus ou moins conflictuelle – au sein d’une même organisation : cultures selon le métier, la géographie, la structure organisationnelle d’appartenance, le niveau hiérarchique, etc.

La littérature sur la fiabilité organisationnelle s’est dès le départ intéressé à décrire et analyser la culture dans les organisations étudiées (Roberts, 1990b). La culture dans l’organisation implique un niveau d’engagement du personnel (La Porte, 1996) ou permet des représentations partagées par les membres de l’organisation (Weick & Roberts, 1993). Les études s’intéressant à la culture dans les HROs ont ainsi mis en avant une culture forte – que l’on retrouve notamment dans le domaine militaire - empreinte de valeurs, de rites, de codes, d’uniformes, etc. Pour les nouveaux membres du groupe, il y a un processus d’acculturation qui s’opère (Bierly & Spender, 1995). Ce processus d’acculturation se déroule en trois phases : une séparation avec l’ancienne culture, un apprentissage de la nouvelle culture, et une intégration du membre dans la nouvelle culture. À l’issu de ce processus d’acculturation, le nouvel arrivant devient un membre légitime du groupe. La contrepartie de cette culture forte est qu’il est plus difficile pour ses membres de s’intégrer dans d’autres groupes. En étudiant les équipes de sous-marins nucléaires – la nuke community – Bierly et Spender (1995) constatent qu’il est difficile pour les sous-mariniers nucléaires de s’intégrer dans la Navy en dehors de la communauté des sous-mariniers nucléaires. C’est une des raisons explicatives au

reclassement dans le civil de ces équipages dans les centrales nucléaires américaines. Et c’est pour Weick (1987) une des raisons expliquant la fiabilité des centrales nucléaires américaines. Face à l’importance de la culture dans les organisations militaires, Bierly et Spender (1995) s’interrogent sur la possibilité dans des organisations non-militaires d’impliquer les acteurs au même niveau que les militaires le font. Nous partageons leurs conclusions sur cette possibilité, et plus encore, sur l’existence d’organisations non-militaires ayant ce degré d’implication comme la médecine (e.g. Roberts, Yu, & Van Stralen, 2003; de Bovis- Vlahovic, Baret, & Yalenios, 2014). Pour autant, les auteurs précisent qu’il n’est pas possible pour n’importe quelle organisation d’en faire de même du fait que la prégnance de la culture est liée aux particularités des différents secteurs (Bierly & Spender, 1995, p. 655) : « It is interesting that the systems researched by Weick, Rochlin, Roberts and others are either military, such as naval carriers, or have a distinctly service-like nature, such as the air traffic and electricity distribution controllers ». Une culture forte ne se décrète pas : elle provient d’une histoire et d’un contexte spécifique inhérents à la mission de ces organisations.

La culture est un vecteur de fiabilité en transmettant, au travers des histoires, des anecdotes, les erreurs potentielles (Weick, 1987). Ce vecteur est d’autant plus efficace du fait de la forme que prend le message. Les histoires – récits, anecdotes, mythes, etc. – jouent un rôle important car elles facilitent la transmission des valeurs ou comportements attendus. Que l’histoire soit basée sur des faits réels ou inventés n’est pas l’élément le plus important dès lors qu’elle permet de créer du sens.

Par ailleurs, la culture joue un rôle prépondérant dans les HROs car c’est grâce à elle que le système peut résoudre le paradoxe d’un système centralisé et décentralisé (Roberts, Rousseau, & La Porte, 1994). En effet, la culture de l’organisation centralise pour socialiser afin que les acteurs aient le même système de valeurs, ceci dans le but que des opérations décentralisées soient coordonnées. La culture permet donc d’assurer la conformité sans la surveillance constante, à la différence d’une régulation par la standardisation et la hiérarchie (Weick, 1987). L’intérêt pour la fiabilité est la réactivité et le temps de réponse diminué que la culture apporte par rapport à un système basé uniquement sur la hiérarchie.

Notons également que les valeurs transmises par la culture impactent la façon dont les membres de l’organisation perçoivent un problème et comment ils vont agir en conséquence (Weick & Sutcliffe, 2007). La culture est un fondement pour créer de la connaissance, créer du sens, et représente donc un élément clé pour intégrer la gestion de l’inattendu (Bierly &

Spender, 1995). C’est au travers d’une culture apprenante qui incite à parler de ses erreurs plutôt que de chercher un coupable que la fiabilité pourra être maintenue.

En synthèse, il est possible de polariser la culture de la fiabilité autour de trois éléments (Pidgeon, 1997). Le premier est la préoccupation du danger qui permet de faire prendre conscience du danger et des conséquences en cas de défaillance. Le deuxième élément est l’orientation sécurité de l’activité comme une priorité. Le dernier élément est la flexibilité des réponses face aux situations inattendues – qui passe notamment par la décentralisation de la prise de décision – afin de pouvoir conserver un système cohérent d’action. Mais créer une culture de la fiabilité est complexe et nécessite beaucoup de ressources et de temps de la part de l’organisation et de ses membres, afin de développer ensemble une vigilance collective focalisée sur la remontée des erreurs, la justice, la flexibilité et l’apprentissage (Weick & Sutcliffe, 2007).

Si la culture est ancrée historiquement dans une organisation, elle n’est pas pour autant figée dans le passé. La culture est à aborder de manière dynamique comme un processus de socialisation des membres qui permet de perpétuer et de faire évoluer la culture (Schein, 1990). Cette évolution se fait au travers des interactions avec l’environnement et par l’intégration des nouveaux membres au groupe. Par exemple, la rotation rapide du personnel sur un porte-avions permet d’apporter une nouvelle vision de certaines situations et ainsi faire évoluer les modes de fonctionnements qui à terme feront évoluer la culture. L’importance de la variété requise (Weick et al., 1999) n’est donc pas que situationnelle mais s’inscrit également dans une temporalité plus longue qui fait évoluer la culture. Les leaders – et notamment les fondateurs de l’organisation – ont également un impact sur la culture (Schein, 1996), mais cet impact ne pourra perdurer que si un temps suffisamment long aura permis d’ancrer leur influence dans la culture.

La culture est à la fois un système d’idées qui forge son identité – valeurs, croyances, mythes – et un système d’actions qui façonne les actions de ses membres – pratiques, comportements attendus, contrôles. Elle n’est donc pas un monolithe représentant une vision cristallisée du passé mais au contraire un processus évolutif fait de consensus, de dissensions et de confusions simultanément (Weick & Sutcliffe, 2007). Si une organisation se nourrit de la culture, elle nourrit également la culture mais sur le temps long. Il est plus facile de changer les comportements que de changer les valeurs, mais c’est en changeant les comportements que les valeurs évolueront (Weick & Sutcliffe, 2007). Comme l’illustre l’étude menée dans une unité médicale de soins intensifs (van Stralen, 2008), si les histoires et les valeurs forgent

la culture de fiabilité de l’organisation, elle n’est rendue possibles que par la volonté managériale – en l’espèce les médecins responsables de l’unité de soins – de souligner l’enjeu de sûreté et l’engagement de fiabilité comme valeurs importantes de cette organisation.

Assurer la sûreté et la fiabilité d’une organisation ne peut se faire sans une culture qui véhicule les valeurs et les comportements idoines. En lien avec la vigilance collective réciproque, il est possible de déterminer cinq éléments – ou cinq sous-cultures – qui composent ce type de culture (Reason, 1997; Weick & Sutcliffe, 2007): une information fiable, un signalement des anomalies, une non-punition des erreurs, une flexibilité de l’action,

une intensité de l’apprentissage (voir Tableau 12).

Tableau 12 – Les cinq éléments d’une culture de la sûreté et de la fiabilité (adaptés de Reason, 1997; Weick & Sutcliffe, 2007)

Éléments d’une culture de sûreté Caractéristiques

Une culture informée, avec des informations fiables

Les dangers et risques liés à une action sont bien compris. Les acteurs ont à leur disposition les connaissances et compétences nécessaires pour travailler en toute sécurité Une culture du signalement des

anomalies

Les erreurs, problèmes ou anomalies sont signalés sans crainte par les acteurs d’être punis

Une culture juste, qui permet la confiance

Les erreurs ne sont pas punies. À l’inverse, les comportements malveillants ou la négligence sont punis. La différence entre les deux est comprise par les acteurs Une culture flexible Les variations soudaines d’intensité de l’activité, du

stress, nécessitent une adaptation des membres de l’organisation

Une culture de l’apprentissage L’organisation et ses membres sont engagés dans un processus continu d’apprentissage. Les éléments appris de l’activité sont largement diffusés dans l’organisation

Mais il ne faut pas pour autant simplifier la relation causale qui unit la culture avec la sûreté et la fiabilité. La culture n’est pas la cause qui définit les événements sociaux mais qui permet de décrire et comprendre ces événements sociaux (Hopkins, 2006).Ce n’est pas parce qu’une valeur est promue par une culture et qu’elle est une des causes explicatives d’un accident que cette valeur doit être jugée comme mauvaise (Hopkins, 2006). La diffusion et l’évolution de la culture et son rôle dans la sûreté sont plus complexes que des relations linéaires de cause à effet, et certains mécanismes issus d’autres processus vont annuler l’effet potentiellement négatif de la culture sur l’intégrité de l’organisation.

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